Modèle de décision CLP - juin 2011

Viandes Surfine inc. et Lamothe

2013 QCCLP 3295

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

3 juin 2013

 

Région :

Québec

 

Dossier :

474497-31-1206

 

Dossier CSST :

136783602

 

Commissaire :

René Napert, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Yvon Delisle, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Viandes Surfine inc. (Les)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Cynthia Lamothe

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 19 juin 2012, Les Viandes surfines inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 mai 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST conclut que sa décision rendue le 11 avril 2012 ne constitue pas une décision de reconsidération, mais une nouvelle décision. Elle confirme sa décision initialement rendue le 11 avril 2012 quant à la partie qui traite de la date de capacité de la travailleuse à exercer son emploi. Elle déclare que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 12 avril 2012.

[3]           Elle déclare par ailleurs sans effet sa décision du 9 mars 2012 et sans objet la demande de révision de l’employeur datée du 2 avril 2012.

[4]           Une audience se tient à Québec le 13 mars 2013. L’employeur est représenté. Madame Cynthia Lamothe (la travailleuse) n’est pas présente ni représentée. La cause est mise en délibéré le 13 mars 2013.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 23 septembre 2011.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Conformément à l’article 429.50 de la loi, le soussigné a demandé et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec lui sur les questions faisant l’objet de la contestation ainsi que les motifs de cet avis.

[7]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête de l’employeur doit être accueillie.

[8]           Ils estiment que le 11 avril 2012, la CSST se devait légalement de reconsidérer sa décision initiale du 20 octobre 2011 portant sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi. Selon eux, elle devait au surplus faire rétroagir la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, à cette date.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer la date à laquelle la travailleuse est capable d’exercer son emploi.

[10]        Le litige s’inscrit dans le contexte factuel suivant.

[11]        La travailleuse est manœuvre en transformation alimentaire. Alors qu’elle exécute ses tâches, elle subit une contusion au niveau de l’épaule droite en se cognant contre une machine.

[12]        La lésion est acceptée par la CSST, le 2 septembre 2010. La travailleuse fait par la suite l’objet d’un suivi médical régulier.

[13]        Le 17 août 2011, la travailleuse est examinée par le chirurgien orthopédiste Lirette, membre du Bureau d’évaluation médicale, au regard de l’existence de limitations fonctionnelles résultant de la lésion.

[14]        Après examen, le docteur Lirette retient les limitations fonctionnelles suivantes :

-     Elle devrait éviter de faire un travail nécessitant l’utilisation du membre supérieur droit plus haut que la hauteur des épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation ou d’abduction de façon fréquente, répétitive ou soutenue.

 

-     Elle devrait éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur droit.

 

 

[15]        Le 31 août 2011, la CSST donne suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale. Compte tenu des limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST conclut que la travailleuse a droit à des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité à exercer son emploi.

[16]        Le 19 septembre 2011, l’employeur conteste cette décision, laquelle est confirmée le 5 octobre 2011, à la suite d’une révision administrative.

[17]        Entretemps, la CSST confie à un ergothérapeute le mandat d’analyser le poste de travail occupé par la travailleuse dans le but d’évaluer sa capacité à exercer son emploi.

[18]        Le 23 septembre 2011, l’ergothérapeute effectue une visite sur les lieux de travail de la travailleuse afin d’effectuer l’analyse de son emploi, au regard de son horaire de travail, son environnement de travail, ses tâches, la posture adoptée et les mouvements effectués.

[19]        Le 13 octobre 2011, l’ergothérapeute rédige son rapport d’analyse du poste de travail. Il conclut que la travailleuse n’est pas capable d’exercer son emploi parce que la limitation fonctionnelle consistant à éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur droit n’est pas respectée. Il écrit ce qui suit :

À la lumière des données recueillies lors de la visite de poste du 23 septembre 2011, considérant les résultats de la présente analyse et les limitations fonctionnelles au dossier de la travailleuse, il appert que ces dernières et les exigences physiques de l’ensemble des tâches du travail de manœuvre en transformation alimentaire pour Les Viandes Surfines Inc. ne concordent pas pour les raisons suivantes :

 

•     La travailleuse doit éviter de faire un travail nécessitant l’utilisation de son membre supérieur droit plus haut que la hauteur de ses épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation et/ou d’abduction, de façon fréquente, répétitive ou soutenue : Considérant qu’aucune des tâches de travail n’exige que la travailleuse soit en mesure d’utiliser son membre supérieur droit plus haut que la hauteur de ses épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation et/ou d’abduction, de façon fréquente, répétitive ou soutenue, nous jugeons que cette limitation fonctionnelle est respectée.

 

•     La travailleuse doit éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur droit : Étant donné la nature des tâches de travail (tâches manuelles nécessitant l’utilisation simultanée et constante des deux membres supérieurs) et considérant que l’ensemble des tâches de travail analysées exigent que la travailleuse soit en mesure d’effectuer des mouvements répétitifs du membre supérieur droit, nous jugeons que cette limitation fonctionnelle n’est pas respectée. [sic]

 

 

[20]        Le 19 octobre 2011, la conseillère en réadaptation de la CSST prend connaissance du rapport de l’ergothérapeute. Après revue du dossier, elle estime que la travailleuse n’a pas la capacité d’exercer son emploi prélésionnel de manœuvre en transformation alimentaire. Elle écrit ce qui suit dans une note évolutive consignée au dossier :

Titre : Analyse de la capacité de travail de T à refaire l’emploi prélésionnel

 

-ASPECT PROFESSIONNEL:

Analyse de la capacité de la travailleuse à exercer son emploi de manœuvre en transformation alimentaire :

 

- Considérant que la lésion de la T est consolidée en date du 2011-05-27, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles;

 

- Considérant le BEM du 2011-08-23 du Dr. Lirette qui indique qu’elle conserve les L.F. suivantes:

 

-devrait éviter de faire un travail nécessitant l’utilisation du membre supérieur droit plus haut que la hauteur des épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation ou d’abduction de façon fréquente, répétitive ou soutenue

-devrait éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur doit.

 

-Considérant le rapport de visite et d’analyse de poste de M. Côté, ergothérapeute, dans lequel les exigences physiques de l’emploi de la T sont documentées en fonction de sa lésion, il apparaît qu’une LF n’est pas respectée:

 

“La travailleuse doit éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur droit : Étant donné la nature des tâches de travail (tâches manuelles nécessitant l’utilisation simultanée et constante des deux membres supérieurs) et considérant que l’ensemble des tâches de travail analysées exigent que la travailleuse soit en mesure d’effectuer des mouvements répétitifs du membre supérieur droit, nous jugeons que cette limitation fonctionnelle n’est pas respectée.’’ [sic]

 

 

[21]        Le 20 octobre 2011, la CSST rend une décision faisant droit à la réadaptation de la travailleuse et à la poursuite du versement des indemnités de remplacement du revenu, compte tenu de l’atteinte permanente résultant de la lésion et des limitations fonctionnelles la rendant incapable d’exercer son emploi.

[22]        Le 16 décembre 2011, la CSST convient avec la travailleuse de mesures de réadaptation visant à la rendre capable d’exercer un emploi ailleurs sur le marché du travail.

[23]        Le 9 mars 2012, la CSST détermine l’emploi convenable de commis de bureau. Elle estime que la travailleuse sera capable d’exercer cet emploi après une formation d’environ quatre mois devant se terminer à la fin du mois de juillet 2012.

[24]        Le 2 avril 2012, l’employeur conteste cette décision.

[25]        Le 5 avril 2012, la Commission des lésions professionnelles rend une décision relativement à la contestation de l’employeur à l’encontre de la décision rendue par la CSST le 5 octobre 2011 portant sur les limitations fonctionnelles[1]. Dans ses conclusions, la Commission des lésions professionnelles déclare que la lésion professionnelle du 2 août 2010 n’entraîne qu’une seule limitation fonctionnelle, à savoir : éviter de faire un travail nécessitant l’utilisation du membre supérieur droit plus haut que la hauteur des épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation ou d’abduction de façon fréquente, répétitive ou soutenue.

[26]        Vu ces conclusions, la Commission des lésions professionnelles invite la CSST à réévaluer le dossier au regard de la capacité de la travailleuse à reprendre son emploi prélésionnel et de la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Mon collègue Clément écrit notamment ce qui suit :

[105]    À la lumière des limitations fonctionnelles retenues par le présent tribunal, la CSST devra évaluer le dossier pour savoir si la travailleuse est capable de reprendre son emploi prélésionnel ou si une référence en réadaptation est nécessaire. Elle devra aussi statuer sur la question de la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

 

[27]        Le 11 avril 2012, la CSST donne suite à la demande de la Commission des lésions professionnelles. Elle rend la décision suivante :

En vertu de l’article  365 , 2 e alinéa de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il y a lieu de reconsidérer la décision du 9 mars 2012 concernant la détermination de l’emploi convenable de commis de bureau et des mesures de formation s’y rattachant.

 

En effet, la décision de la CLP du 5 avril 2012, vient modifier vos limitations fonctionnelles. Ainsi, vous aviez antérieurement, suite au rapport du Bureau d’évaluation médicale en date du 23 août 2011, les limitations fonctionnelles suivantes :

 

-     La travailleuse doit éviter de faire un travail nécessitant l’utilisation de son membre supérieur droit plus haut que la hauteur de ses épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation et/ou d’abduction, de façon fréquente, répétitive ou soutenue;

 

-     La travailleuse doit éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur droit.

 

Et maintenant, vous ne demeurez qu’avec une seule limitation fonctionnelle qui est la suivante :

 

-     La travailleuse doit éviter de faire un travail nécessitant l’utilisation de son membre supérieur droit plus haut que la hauteur de ses épaules, soit à plus de 90 degrés d’élévation et/ou d’abduction, de façon fréquente, répétitive ou soutenue;

 

         En conséquence, considérant l’analyse des exigences physiques du poste de travail prélésionnel (manœuvre en transformation alimentaire) faite par monsieur Simon Côté ergothérapeute, en date du 23 septembre 2011, et votre limitation fonctionnelle qui demeure à votre dossier, nous considérons que vous êtes capable d’exercer votre emploi en date du 12 avril 2012. Veuillez noter que vos indemnités prendront fin à compter de cette date.

 

 

[28]        Le 4 mai 2012, l’employeur conteste cette décision. Il estime que la travailleuse était en mesure d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 23 septembre 2011, date de la visite de l’ergothérapeute dans son établissement pour évaluer la capacité de la travailleuse à faire son emploi.

[29]        Le 29 mai 2012, la CSST confirme sa décision initiale du 11 avril 2012, quant à la partie qui traite de la date de la capacité de la travailleuse à exercer son emploi. Le réviseur est toutefois d’avis que la décision rendue le 11 avril ne constitue pas une décision de reconsidération, mais une nouvelle décision. Il déclare que la date de capacité de la travailleuse à exercer son emploi est le 12 avril. Il écrit ce qui suit :

Dans le présent cas, la Révision administrative est d’avis que la décision du 11 avril 2012 ne constitue pas une décision de reconsidération, mais qu’il s’agit plutôt d’une nouvelle décision puisque cette dernière est fondée sur les conclusions résultant de la décision rendue le 5 avril 2012 par la CLP quant à la nature des limitations fonctionnelles qu’a entraînées la lésion professionnelle du 2 août 2010 chez la travailleuse, mais non sur un fait essentiel qui existait au moment où la Commission rendait sa décision initiale et qui était inconnu à ce moment. En définitive, il s’agit de l’application des conclusions décidées par la CLP.

 

(……..)

 

La Révision administrative rappelle qu’il appartient à la Commission de déterminer la capacité d’une travailleuse à exercer son emploi une fois qu’elle obtient l’information quant à l’existence et à la nature des limitations fonctionnelles.

 

Or, ce n’est qu’avec la décision du 5 avril 2012 que la Commission obtient l’information nécessaire et suffisante qui lui permet de se prononcer, dans le cas présent, sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi.

 

 

[30]        Le 19 juin 2012, l’employeur conteste cette décision, d’où le litige à la Commission des lésions professionnelles.

[31]        Selon le représentant de l’employeur, puisqu’à la suite de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 5 avril 2012, une limitation fonctionnelle n’existe plus et que celle retenue n’empêche pas la travailleuse d’exercer son emploi, la CSST se devait de rectifier sa décision initiale du 20 octobre 2011 et rétroagir jusqu’au 23 septembre 2011, date à laquelle l’ergothérapeute a procédé à l’évaluation du poste de travail de la travailleuse, puisque cette décision n’est plus conforme à la réalité.

La décision rendue par la CSST à la suite de la révision administrative est-elle bien fondée?

[32]        Pour répondre à cette question, le tribunal estime qu’il faut qualifier l’acte posé par la CSST le 11 avril 2012, à la suite de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 avril 2012.

[33]        Dans cette décision du 5 avril 2012, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas une des deux limitations fonctionnelles prises en compte par la CSST, le 20 octobre 2011, dans l’évaluation de la capacité de la travailleuse à occuper son emploi.

[34]        Cette limitation fonctionnelle n’étant plus retenue, pour que la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 5 avril 2012 ait un effet, la CSST se devait de revoir sa décision initiale du 20 octobre 2011, portant sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, et réapprécier, à la lumière de cette nouvelle réalité, la capacité de la travailleuse.

[35]        Dans les faits, la décision de la CSST rendue le 11 avril 2012 n’a toutefois reconsidéré que la décision du 9 mars 2012, portant sur la détermination de l’emploi convenable. La CSST n’a pas révisé sa décision initiale du 20 octobre 2011, portant sur la capacité de la travailleuse. Elle n’a pas non plus donné un effet rétroactif à sa décision bien qu’elle indique agir en vertu d’une reconsidération sous l’article 365 de la loi.

[36]        Quant au réviseur administratif de la CSST, il est d’avis que la décision du 11 avril 2012 ne constitue pas une décision de reconsidération puisque l’agent de la CSST n’a fait qu’appliquer des conclusions décidées par la CLP. Son analyse porte toutefois, à bon droit, sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi à la suite de la modification des limitations fonctionnelles en lien avec la lésion. Cependant, refusant de donner un effet rétroactif à sa décision, il conclut que la travailleuse était capable d’exercer son emploi à compter du 12 avril 2012.

[37]        De l’avis du tribunal, les deux décisions rendues par la CSST ne sont pas bien fondées.

[38]        En effet, c’est la décision du 20 octobre 2011, portant sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, qui doit être revue, compte tenu de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 5 avril 2012. L’on doit en effet se demander, vu les limitations fonctionnelles qui résultent dorénavant de la lésion, si la travailleuse est capable d’exercer son emploi ou si elle a toujours droit à la réadaptation professionnelle.

[39]        Or, en révisant sa décision portant sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, la CSST n’agit pas dans sa stricte capacité administrative, comme elle le fait généralement en donnant suite aux décisions finales de la Commission des lésions professionnelles[2].

[40]        Elle n’agit en effet de la sorte que lorsqu’elle ne fait que mettre en œuvre ou appliquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles en calculant, par exemple, les périodes d’indemnité de remplacement de revenu auxquelles un travailleur peut avoir droit à la suite de la décision ou en annulant les périodes d’indemnité qui lui avaient initialement été reconnues.

[41]        Lorsqu’elle agit dans sa capacité administrative, la CSST ne tranche pas un litige ou ne se prononce pas sur le droit d’un travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu, par exemple. Elle ne fait que donner suite à la décision de la Commission des lésions professionnelles, pour l’appliquer selon les paramètres établis par le décideur de dernière instance.

[42]        Toutefois, en l’espèce, non seulement la CSST doit donner suite à la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 avril 2012, mais elle doit aussi se livrer à une nouvelle analyse du dossier pour déterminer la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, en ne tenant dorénavant compte que de la seule limitation fonctionnelle reconnue par la Commission des lésions professionnelles.

[43]        Ce faisant, la CSST revoit, réexamine et réapprécie le dossier. Elle détermine à nouveau les droits de la travailleuse. Elle prend une nouvelle décision quant à la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, en fonction d’une nouvelle situation factuelle et juridique.

[44]        D’ailleurs, en l’espèce, la nouvelle décision rendue a conduit à la cessation du versement des indemnités de remplacement du revenu et à la fin du programme de réadaptation mis en place à la suite de la décision initiale du 16 décembre 2011, laquelle avait pour but de déterminer les mesures pour rendre la travailleuse capable d’exercer un emploi convenable.

[45]        La décision de la CSST ne relève donc assurément pas d’une décision prise en fonction de la capacité administrative de l’agent. Elle est rendue dans le cadre de sa capacité quasi judiciaire.

[46]        Ainsi, puisqu’elle affecte à nouveau les droits de la travailleuse, la CSST ne peut légalement agir qu’en vertu d’un pouvoir de reconsidération, comme l’avait d’ailleurs indiqué l’agent de la CSST lors de la décision initiale du 11 avril 2012.

[47]        En effet, les tribunaux judiciaires ont clairement exprimé, qu’en droit administratif, l’autorité qui a décidé d’une question qui lui était soumise ne peut en être saisie à nouveau pour rendre une nouvelle décision, à moins d’une autorisation législative expresse.

[48]        Cette restriction du pouvoir de décider à nouveau de la question découle des principes relatifs à la finalité et l’irrévocabilité des décisions rendues. On réfère alors au principe du functus officio[3].

[49]        En l’espèce, le pouvoir de reconsidération de la CSST est expressément prévu à l’article 365 de la loi :

365.  La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

 

Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

 

Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.

__________

1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.

 

 

[50]        L’exercice de ce pouvoir de reconsidération est possible puisque la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 5 avril 2012, constitue un fait juridique essentiel et nouveau qui n’était pas connu de la CSST au moment où elle a rendu sa décision initiale.

[51]        L’exercice de ce pouvoir de reconsidération suppose que la décision initiale est remplacée par la décision subséquente et que les droits reconnus par la décision initiale sont modifiés[4].

[52]        Puisque la décision qui résulte de l’exercice de reconsidération remplace la décision initiale, les tribunaux ont conclu qu’il est de l’essence même de la reconsidération d’avoir une portée rétroactive[5].

[53]        Or, en l’espèce, la CSST n’a pas fait rétroagir sa décision rendue à la suite de la révision administrative, comme le lui commande l’application de la reconsidération prévue à l’article 365 de la loi.

[54]        C’est pourquoi sa décision doit être modifiée pour permettre l’application de la rétroactivité, dans la mesure où le tribunal conclut à la capacité de la travailleuse à exercer son emploi, en présence de la seule limitation fonctionnelle retenue par la Commission des lésions professionnelles, le 5 avril 2012.

[55]        À cet égard, le tribunal est d’avis que le rapport exhaustif produit par l’ergothérapeute en octobre 2011, à la suite d’une évaluation du poste de travail, est concluant.

[56]        L’ergothérapeute s’est en effet livré à une analyse en profondeur des tâches exercées par la travailleuse et a évalué les exigences physiques du poste en rapport avec les limitations fonctionnelles alors retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Une seule des limitations fonctionnelles alors identifiées empêchait la travailleuse d’exercer son emploi. Comme cette limitation fonctionnelle ne fut pas retenue par la Commission des lésions professionnelles, le 5 avril 2012, force nous est de conclure que rien n’empêche dorénavant la travailleuse d’exercer son emploi.

[57]        La décision du 20 octobre 2011 devait donc être revue.

[58]        L’employeur demande une rétroactivité de cette décision à la date de la visite de l’ergothérapeute sur les lieux de travail, le 23 septembre 2011.

[59]        Le tribunal estime que cette demande n’est pas fondée.

[60]        Il appartient en effet à la CSST de déterminer la capacité de travail d’un travailleur ou sa capacité à exercer un emploi. La CSST peut le faire, comme en l’espèce, à partir d’une évaluation d’un ergothérapeute. La référence à l’expertise de l’ergothérapeute n’altère toutefois en rien sa compétence pour décider de la question qui lui est soumise.

[61]        Conséquemment, c’est à la date où elle s’est initialement prononcée en première instance que la CSST devait rétroagir, lors de la reconsidération de sa décision, le 11 avril 2012. Le tribunal retient donc qu’elle devait rétroagir au 20 octobre 2011.

[62]        Vu cette conclusion, la CSST était donc justifiée de déclarer sans effet la décision du 9 mars 2012, portant sur la détermination de l’emploi convenable, et sans objet la contestation de l’employeur du 2 avril 2012, à l’encontre de cette décision.

[63]        En effet, si la travailleuse est capable d’exercer son emploi à la suite de sa lésion, elle n’a alors pas droit aux mesures de réadaptation professionnelle déterminées dans le dossier pour la rendre capable d’exercer un emploi convenable.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE l’appel de Viandes surfines inc., l’employeur;

INFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 mai 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que madame Cynthia Lamothe, la travailleuse, est capable d’exercer son emploi à compter du 20 octobre 2011, date de la décision initiale statuant sur sa capacité;

DÉCLARE sans effet la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 mars 2012;

DÉCLARE sans objet la contestation de l’employeur datée du 2 avril 2012 à l’encontre de la décision du 9 mars 2012.

 

 

 

 

 

René Napert

 

 

 

 

Monsieur Simon Dumas

SST GROUPE CONSEIL

Représentant de la partie requérante

 



[1]           C.L.P. 451557-31-1110, 5 avril 2012, J.-F. Clément.

[2]           Sur la capacité de la CSST d’agir en sa qualité administrative, voir notamment les affaires Carpentier c. Thivierge, [1985] C.S. 402 , confirmée par la Cour d’appel le 26 mai 1987, (C.A,) 200-09-000248-853, juges Brisson, Chouinard et Mailloux; Pelletier c. St-Georges, C.A. Québec 200-09-000894-8309, 10 décembre 1984, ( J.E. 85-48 ).

[3]           Chandler et Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848 ; Hydro-Québec et CSST, [1996] C.A.L.P. 1609 ; Martel et Les Aliments Jardi inc., C.L.P. 137147-05-0004, 22 septembre 2000, L. Boudreault.

[4]           Dion et Emballages Stone Canada inc., C.L.P. 119716-32-9907, 2 février 2000, G. Tardif.

[5]           Air Canada et Crawford, [1997] C.A.L.P. 1171 , requête en révision judiciaire rejetée, [1998] C.A.L.P. 534 , (C.S.) appel déserté, C.A. Montréal, 500-09-006442-982, 28 septembre 2007.

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