Guénette c. Commission scolaire du Val-des-Cerfs | 2022 QCCQ 626 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
« Division des petites créances » | |||||||
CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | BEDFORD | ||||||
LOCALITÉ DE | GRANBY | ||||||
« Chambre civile » | |||||||
N° : | 460-32-008412-198 | ||||||
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DATE : | 12 janvier 2022 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARTIN TÉTREAULT, J.C.Q. | |||||
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JOSÉE GUÉNETTE PETER BROWN JOSIANE MILLETTE MARIE-CÉCILE BODÉÜS LAURIE CHARLEBOIS MÉLODIE LAMOUREUX-MILLETTE JESSY BROWN | |||||||
Demandeurs
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c.
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COMMISSION SCOLAIRE DU VAL-DES-CERFS | |||||||
Défenderesse | |||||||
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JUGEMENT | |||||||
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[1] Les demanderesses veulent être indemnisées des dommages subis suite à l’annulation du voyage scolaire qui devait avoir lieu du 14 au 23 juin 2018 (le «Voyage»). Certaines demanderesses voudraient également se voir octroyer des dommages punitifs en se fondant sur la Loi sur la protection du consommateur[1].
[2] La Commission scolaire du Val-des-Cerfs («Commission scolaire») conteste au motif qu’elle était justifiée d’annuler le Voyage suite à l’éruption d’un volcan le 3 juin 2018 dans le pays de destination. Elle ajoute que les réclamations pour dommages moraux et punitifs sont non fondées et exagérées.
[3] Afin de trancher ce litige, le Tribunal doit donc répondre aux questions suivantes :
ANALYSE
Remarques préliminaires
[4] Il est à noter qu’initialement ce recours avait été institué par les parents de la plupart des demanderesses puisque celles-ci étaient alors mineures. Comme les trois élèves sont devenues majeures durant l’instance, la demande introductive d’instance a été modifiée afin que celles-ci reprennent le recours à titre personnel.
[5] De plus, comme des transactions ont été conclues entre la Commission scolaire et les demandeurs initiaux relativement au remboursement de certaines sommes réclamées[2], le litige se limite désormais aux questions énoncées précédemment.
[6] Essentiellement, les demanderesses reprochent à la Commission scolaire d’avoir annulé le Voyage qu’elles espéraient pouvoir effectuer depuis leur première année du secondaire et pour lequel elles s’étaient inscrites à la fin du mois de novembre 2017.
[7] Selon elles, la Commission scolaire aurait utilisé l’éruption du volcan Fuego du 3 juin 2018 comme prétexte pour justifier l’annulation du Voyage, et ce, même s’il aurait été possible de se rendre à la destination (le Guatemala) en modifiant l’itinéraire initialement prévu.
[8] Avant d’examiner la preuve, il convient de rappeler les principes de droit applicables en la matière.
le droit
[9] Il appartient à la personne qui veut faire valoir un droit d’en faire la preuve selon la balance des probabilités[3].
[10] Dans le secteur public, la relation entre une commission scolaire et un élève ou ses parents n’est généralement pas de nature contractuelle lorsqu’elle vise des services d’enseignement prévus à la Loi sur l’instruction publique[4].
[11] Cependant, un contrat peut se former entre une commission scolaire et un élève ou ses parents dans le cadre d’activités parascolaires[5].
[12] Le contrat par lequel une personne s’engage à fournir un service moyennant un prix constitue un contrat de services au sens de l’article 2098 C.c.Q. C’est d’ailleurs la qualification habituelle du contrat conclu entre un agent de voyages et son client[6]. Il est toutefois possible que cette relation soit qualifiée de mandat[7].
[13] Dans le cas d’un contrat de services, la loi autorise le prestataire de services à résilier unilatéralement le contrat dans des circonstances particulières :
2126. L’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux et, même alors, il ne peut le faire à contretemps; autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation.[8]
[14] Lorsqu’il exerce ce droit, le prestataire de services doit restituer les avances reçues qui excèdent ce qu’il a gagné et de tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir[9]. Ce préjudice ne doit toutefois pas simplement découler de l’exercice du droit de résilier le contrat conféré par la loi[10].
application du droit en l’espèce
[15] Les demanderesses prétendent, avec raison, qu’un contrat de service les liait à la Commission scolaire.
[16] En effet, le Voyage ne faisait pas partie des prestations prévues à la Loi sur l’instruction publique et constituait une activité parascolaire. D’ailleurs, des frais de 2 630,64 $ ont été facturés par la Commission scolaire en lien avec celui-ci[11].
[17] De plus, pour participer au Voyage, les élèves et leurs parents devaient signer un contrat contenant les clauses suivantes :
Conditions de participation au voyage au Guatemala
Juin 2018
Afin de permettre la participation de l’élève au voyage au Guatemala en juin 2018, ce contrat doit être obligatoirement et dûment signé par les parents et l’élève.
Tout au long de l’année scolaire :
Advenant le cas où l’élève commettait une infraction aux éléments ci-haut mentionnés, un comité décisionnel étudiera son dossier. Ce comité a le pouvoir d’empêcher l’élève de participer au voyage au Guatemala en juin 2018. Dans ce cas, le paiement de la totalité du coût du voyage devra être effectué par l’élève et ses parents et aucun remboursement ne sera effectué.
Dans le cas d’une annulation volontaire, aucun remboursement ne sera effectué par l’école. Advenant un cas de force majeure (maladie, décès, etc.), les parents devront contacter leur compagnie d’assurances afin d’effectuer une réclamation.
J’ai lu et j’accepte les conditions du présent contrat.[12]
[Reproduction intégrale]
[18] Ce contrat n’était pas simplement un mandat des élèves et de leurs parents envers la Commission scolaire pour retenir les services d’une agence de voyages, mais incluait également la prestation de divers services avant et pendant le Voyage, dont la supervision par des enseignants.
[19] Dès lors, à titre de prestataire de services, la Commission scolaire pouvait exercer son droit de résilier unilatéralement le contrat à condition de respecter les conditions de l’article 2126 C.c.Q. Il s’agit donc de déterminer si la Commission scolaire avait un motif sérieux pour résilier le contrat et, même dans ce cas, qu’elle ne l’a pas fait à contretemps.
[20] En ce qui concerne le motif de résiliation, la preuve révèle que le dimanche 3 juin 2018, le volcan Fuego est entré en éruption, causant une centaine de morts, plusieurs centaines de blessés et le déplacement de milliers de guatémaltèques[13]. Cet événement a entraîné également la fermeture de l’aéroport international en raison des épais et menaçants nuages de cendres émanant du volcan[14].
[21] Le lendemain, le gouvernement canadien conseillait aux voyageurs d’éviter la région touchée et de communiquer avec leur compagnie aérienne ou leur voyagiste pour vérifier si la situation risquait de compromettre leurs projets de voyage[15].
[22] À cette époque, les élèves sont avisés de cette éruption et du fait que celle-ci pourrait affecter le Voyage.
[23] Entre les 3 et 8 juin, une responsable de l’organisation du Voyage rencontre les élèves deux ou trois fois pour les informer que des démarches sont entreprises afin de clarifier la situation et de décider si le Voyage aura lieu ou non[16].
[24] Durant cette période, des parents font également des démarches auprès de l’agence de voyages et de certains hôtels pour connaître les répercussions de l’éruption du volcan sur le Voyage. On les informe alors que les routes, infrastructures, aéroports et hébergements sur l’itinéraire prévu sont opérationnels, mais que certaines contraintes pourraient restreindre la capacité de fournir les services[17].
[25] Le 8 juin, des responsables de l’organisation du Voyage pour la Commission scolaire rencontrent les élèves pour les informer que le Voyage est annulé en raison de l’éruption du volcan. On les informe aussi qu’il serait impossible de modifier l’itinéraire vu le court délai avant le départ prévu. La plupart des élèves, dont les demanderesses, sont très tristes en raison notamment des efforts déployés pour la préparation, l’organisation et le financement du Voyage.
[26] Le 11 juin, la Commission scolaire transmet une lettre aux parents des élèves qui devaient effectuer le Voyage pour leur confirmer l’annulation de ce dernier en raison des risques liés à la situation au Guatemala suite à l’éruption du volcan[18].
[27] Le même jour, la mère d’une des élèves écrit à l’agence de voyages pour obtenir des confirmations à l’effet que le Voyage serait annulé sans possibilité de remboursement et qu’il était impossible de modifier l’itinéraire original[19].
[28] L’agente de voyages contacte alors la responsable de la Commission scolaire pour obtenir des clarifications sur la situation compte tenu du fait que, pour elle, le Voyage a toujours lieu[20].
[29] Le lendemain, la Commission scolaire transmet un courriel aux parents des élèves visés afin de clarifier les motifs justifiant sa décision d’annuler[21].
[30] Le 26 juin suivant, les parents des demanderesses font signifier une Demande introductive d’instance en remboursement d’un voyage scolaire et en dommages intérêts à la Commission scolaire et à l’école Jean-Jacques-Bertrand.
[31] Le 11 octobre, cet acte de procédure est modifié pour retirer l’école à titre de défenderesse et ajouter des précisions.
[32] À la lumière de ce précède, le Tribunal conclut que la Commission scolaire avait des motifs sérieux de résilier ses contrats avec les demanderesses et d’annuler le Voyage.
[33] En effet, comme près de 45% du Voyage devait se dérouler dans le sud du Guatemala[22], des risques liés à l’éruption du volcan et des avis émis par le gouvernement canadien, la Commission scolaire a agi de façon responsable dans les circonstances.
[34] Bien que le volcan ait déjà été en éruption par le passé, ceci constituait tout de même une situation ou un état de fait imprévisible lors de la conclusion des contrats avec les demanderesses en 2017[23].
[35] Par ailleurs, on ne peut conclure que la résiliation s’est faite à contretemps compte tenu que l’éruption volcanique a eu lieu le 3 juin 2018 et que les élèves et leurs parents ont été avisés de la situation très rapidement.
[36] Enfin, les demanderesses n’ont pas fait la preuve de leurs allégations à l’effet que la Commission scolaire aurait utilisé l’éruption du volcan comme simple prétexte pour annuler le Voyage.
[37] Dans ces circonstances, la résiliation des contrats intervenus avec les demanderesses a été faite de bonne foi et conformément au droit conféré par l’article 2126 C.c.Q.
[38] Dès lors, les demanderesses ne peuvent réclamer des dommages de la Commission scolaire suite à l’exercice de son droit de résiliation.
[39] Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la compensation qui aurait pu être obtenue si le Tribunal avait considéré que la résiliation était fautive. Il convient toutefois de préciser qu’aucun dommage punitif n’aurait pu être accordé en vertu de la Loi sur la protection du consommateur puisque la Commission scolaire ne peut être qualifiée de «commerçante» au sens de cette loi, celle-ci n’exerçant pas de manière habituelle et pour son propre compte l’organisation de voyages scolaires[24].
[40] Compte tenu de ce précède, le recours des demanderesses doit être rejeté, mais sans frais de justice puisque celui-ci visait également à obtenir le remboursement de sommes déjà versées pour le Voyage, ce qui a été fait en cours de route.
[41] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] REJETTE la Demande introductive d’instance en remboursement d’un voyage scolaire et en dommages intérêts modifiée (…) en date du 10 juin 2019;
[43] SANS FRAIS de justice.
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| __________________________________ Martin Tétreault, J.C.Q. |
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[1] RLRQ, c. P-40.1.
[2] Voir les quittances partielles déposées comme Pièce D-13 et le Désistement de Mme Marie-Cécile Bodéüs du 27 août 2021.
[3] Art. 2803 et 2804 du Code civil du Québec («C.c.Q.»).
[4] RLRQ, c. I-13.3; Patrice GARANT, Droit scolaire, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1992, p. 329 et 330, par. 7.2.1.
[5] Grieco c. Externat classique Ste-Croix, 1962 CanLII 61, p. 524 (CSC); Commission scolaire de Montréal c. Lebeurier, 1999 CanLII 9837, par. 21 et 23 (C.A.).
[6] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 9e édition, Vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, par. 2-484.
[7] Id.
[8] Art. 2126 C.c.Q.
[9] Art. 2129 C.c.Q.
[10] Voir notamment : Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral, 2003 CanLII 2728, par. 36 à 38 (C.A.); Dusser c. Supplément Aromatik inc., 2015 QCCS 470, par. 167 (Requête en rejet d’appel accueillie : 2015 QCCA 942).
[11] Pièce P-1, p.1, 3 et 5.
[12] Pièce D-3.
[13] Pièce D-2,
[14] Pièce D-2, p. 6.
[15] Id.
[16] Témoignage de Mme Brown à l’audience.
[17] Pièces P-7 à P-9.
[18] Pièce D-6.
[19] Pièce P-10, p. 2 et 3.
[20] Id., p.1.
[21] Pièce D-7.
[22] Témoignage de Mme Guénette à l’audience et Pièce P-4.
[23] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2018, par. 2733, 2738 et 2739; Vincent KARIM, Contrats d’entreprise, de prestation de services et l’hypothèque légale, 4e édition, Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2020, par. 2191.
[24] Pierre-Claude LAFOND, Droit de la protection du consommateur : théorie et pratique, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, par. 134.
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