COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE

                       LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

QUÉBEC                 QUÉBEC, LE 26 JUILLET 1993

 

 

 

DISTRICT D'APPEL       DEVANT LE COMMISSAIRE:  MICHEL RENAUD

DE QUÉBEC

 

 

RÉGION: CÔTE-NORD

 

 

DOSSIER: 26986-09-9102

DOSSIER CSST:0040 74639 AUDITION TENUE LE:       8 JUIN 1993

DOSSIER BRP: 6062 0152

 

 

                       À:                                    SEPT-ILES

 

                                                                           

 

 

 

                       CIE MINIÈRE QUÉBEC CARTIER (LA)

                         Route 138

                         PORT-CARTIER  (Québec)

                         G5B 2M3

 

 

                                                    PARTIE APPELANTE

 

 

 

                       et

 

 

 

                       MONSIEUR GILLES FOURNIER

                         17, rue McCormick

                         PORT-CARTIER  (Québec)

                         G5B 2C5

 

 

                                                    PARTIE INTÉRESSÉE


                 D É C I S I O N

 

Le 27 février 1991, la compagnie Québec Cartier (l'employeur) dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision majoritaire du bureau de révision de la Côte-Nord rendue le 15 février 1991.

 

La décision du bureau de révision confirme une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 6 septembre 1990.  Le bureau de révision déclare que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle le 18 mai 1990.

 

OBJET DE L'APPEL

 

L'employeur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision et de déclarer que le travailleur n'a pas été victime d'une lésion professionnelle, le 18 mai 1990.

 

 

 

 

LES FAITS

 

Âgé de 43 ans, monsieur Gilles Fournier (le travailleur) oeuvre à titre de wagonnier dans les ateliers de l'employeur.

 

Comme le rappelle le bureau de révision, le travailleur a produit une réclamation le 30 mai 1990 et il décrit un événement survenu le 18 mai 1990, vers 12h15, de la façon suivante:

 

«A l'atelier des wagons, j'étais à prendre mon repas lorsque tout à coup je me suis senti étouffé par mes aliments.  J'ai eu un arrêt respiratoire.  Un compagnon de travail a réussi à dégager les voies respiratoires.  Je suis allé à l'hôpital.  Le médecin me remet un arrêt de travail de 24 heures.  Mon employeur ne veut pas me payer le reste de la journée (3 1/2 heures).  Je réclame que la CSST ordonne à mon employeur de me payer ces 3 h 1/2.»  (sic)

 

L'attestation médicale du Dr Bois, en date du 18 mai 1990, suggère le diagnostic suivant:

 

«Corps étranger laryngé enlevé spontanément et arrêt de travail de 24 heures.»  (sic)

 

Par ailleurs, les notes au dossier du Centre hospitalier de Port-Cartier sont à l'effet que le travailleur:

 

«S'est étouffé en mangeant ce midi.  Léger étourdissement.  Faciès pâle.

 

S'est étouffé en mangeant un steak ce midi.  N'arrivait plus à respirer.  Dit avoir presque perdu conscience.

 

Manoeuvres par un compagnon de travail qui lui a tapé dans le dos.

 

A avalé le morceau par la suite, respiration normale mais anxieux + +.»  (sic)

 

Le bureau de révision a conclu que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle en concluant que le fait de s'étouffer en mangeant, constitue un accident du travail s'il survient sur les lieux du travail.  Pour en arriver à cette conclusion, le bureau de révision a dû affirmer que le travailleur avait subi un traumatisme par un agent vulnérant extérieur, soit des aliments qui se sont bloqués dans la voie trachéale, causant ainsi au travailleur un choc physique et moral assimilable à une lésion.

 

 

 

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

 

Le représentant de l'employeur constate avec le représentant des employés au niveau du bureau de révision que de se sentir étouffé ne constitue pas une blessure ou une maladie suivant la définition de "lésion professionnelle" donnée par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).  Il ajoute que même si le travailleur était rémunéré durant la pause-repas, il n'était aucunement affecté par la subordination à l'employeur, de fait, il a consommé son repas à un endroit qui n'est pas celui prescrit par l'employeur et la période de temps allouée est fixe, de sorte que le travailleur n'a, d'aucune façon, eu à précipiter la consommation de son repas.  De plus, il rappelle que le principe de la "lésion professionnelle" a été établi pour forcer l'employeur à apporter les correctifs nécessaires en milieu d'emploi.  Il s'interroge sur les correctifs que l'employeur pourrait apporter dans un contexte semblable.

 

Le représentant du travailleur demande à la Commission d'appel de confirmer la décision du bureau de révision, au motif qu'il y a eu une blessure par un corps étranger et que cet événement est survenu à l'occasion du travail.  Il en conclut comme le bureau de révision que cela implique automatiquement l'application des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) et il invite la Commission d'appel à confirmer la décision du bureau de révision.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

La Commission d'appel doit déterminer si le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle, le 18 mai 1990.

 

Par une décision rapportée à [1991] CALP 1151 à 1160, le commissaire Pierre-Yves Vachon dans l'affaire Donald Lévesque c. Société Canadienne des Métaux Reynolds s'est interrogé sur la problématique qui sous-tend l'acceptation d'une lésion professionnelle, dans le cas d'activités qui sont communes à toutes personnes, soit celles reliées à la satisfaction des besoins vitaux, soit le boire ou le manger.  Parlant au nom de la Commission d'appel, le commissaire Vachon a alors rappelé:  "que lorsqu'une activité de ce genre est menée en milieu de travail, le ou les risques y reliés ne deviennent pas automatiquement et nécessairement des risques à caractère professionnel.  Il faut alors, pour qu'un accident survenu dans la conduite d'une telle activité soit considéré comme survenu à l'occasion du travail, qu'un élément rattaché au travail soit venu transformer le risque personnel en risque professionnel ou qu'il soit venu ajouter un risque professionnel au risque personnel".

 

L'appréciation que propose le commissaire Vachon s'applique, en tous points, dans le présent cas.  Elle s'appliquait, d'ailleurs, à une problématique semblable, soumise au commissaire Jean-Marc Dubois, rapportée à [1987] CALP 488 à 490, dans l'affaire Ghislain Dubé c. Solliciteur général du Canada.  Dans cette décision, le commissaire Dubois en était venu à la conclusion que l'inconfort causé par la présence d'un corps étranger, dans l'oesophage et le système digestif:  "ne constituait pas en soi une blessure ou une maladie et, à plus forte raison, ne constituait pas en soi une lésion professionnelle".

 

Dans la présente instance, la Commission d'appel ne peut que constater que le milieu de travail n'a eu aucune incidence sur le phénomène d'étouffement dont a été victime le travailleur.  L'inconfort ressenti par celui-ci, le 18 mai 1990, ne peut d'aucune façon être relié à ses activités professionnelles même s'il est survenu à l'occasion du travail.  Au surplus, pour en arriver à la conclusion qu'il nous propose, le bureau de révision s'est appuyé sur un certain nombre de définitions de blessure et il est arrivé à la conclusion que la juxtaposition de ces différentes définitions permettait de classifier l'étouffement du travailleur comme une blessure et la nourriture ingurgitée par celui-ci comme un agent vulnérant.

 

La Commission d'appel a eu l'opportunité de prendre connaissance de ces différentes définitions et elle n'est pas en mesure d'en arriver à une extrapolation aussi tendancieuse à partir des notions rapportées par les différents dictionnaires.  Dans ce contexte, il est impossible d'en arriver à la conclusion que le travailleur a subi une blessure, le 18 mai 1990.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES:

 

ACCUEILLE le présent appel;

 

INFIRME la décision rendue par le bureau de révision, le 15 février 1991;

 

DÉCLARE que monsieur Gilles Fournier n'a pas été victime d'une lésion professionnelle, le 18 mai 1990.

 

 

 

 

 

 

 

 

_____________________

Michel Renaud

Commissaire

 

 

 

 

SYNDICAT DES MÉTALLOS

(Monsieur Maurice Lapierre)

178, Portage des Mousses

PORT-CARTIER  (Québec)

G5B 1E3

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

 

MONSIEUR CLAUDE LAVOIE

 

Représentant Cie Minière Québec Cartier (La)

 

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.