Beaudin et Centre hospitalier de l'Université de Montréal |
2016 QCTAT 257 |
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[1] Le 5 mai 2015, monsieur Yan Beaudin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST)[1] rendue le 27 avril 2015, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 4 mars 2015 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, le 21 janvier 2015, et qu’il n’a conséquemment pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).
[3] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[3] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission des relations du travail. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des lésions professionnelles ou devant la Commission des relations du travail est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.
[4] Le Tribunal administratif du travail a tenu une audience le 6 janvier 2016 à Longueuil en présence du travailleur et de son représentant, monsieur François Dupuis. Madame Anne-Marie Granger, agente de gestion du personnel, est présente pour le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (l’employeur) qui est représentée par Me Stéphanie Rainville. Un délai a été accordé au représentant du travailleur pour fournir des informations au tribunal relativement à la doctrine médicale déposée et à la médication prescrite au travailleur en lien avec sa lésion. Le dossier a été mis en délibéré le 13 janvier 2016, à la suite de la réception de ces informations.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande au Tribunal administratif du travail de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2015, plus précisément un accident du travail lui ayant causé un syndrome de vasoconstriction.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] Aux fins de statuer sur la présente requête et de motiver sa décision, le tribunal ne retient que les faits pertinents de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier de même que du témoignage du travailleur reçu à l’audience.
[7] Le travailleur, né le […] 1980, occupe un poste de préposé à la stérilisation depuis 2004, mais travaille chez l’employeur depuis octobre 2000. Il est affecté aux blocs opératoires. Le titre de ce poste est maintenant préposé à l’unité de retraitement des dispositifs médicaux. Son horaire régulier est de sept heures trente à quinze heures trente.
[8] Son travail consiste à trier et à nettoyer du matériel et des dispositifs médicaux souillés et contaminés qui ont été acheminés à l’unité de retraitement des dispositifs médicaux sur des tables provenant des salles d’opération. Pour ce faire, il doit démonter les dispositifs, les décontaminer, les nettoyer à la main ou à la machine, les désinfecter, vérifier la conformité des dispositifs et du retraitement et les remonter suivant un ordre très précis, selon les spécialités. De plus, à titre de préposé au retraitement des dispositifs médicaux, il doit monter des caissons ou des plateaux de dispositifs médicaux, les emballer de différentes façons, les stériliser selon divers procédés, les entreposer ou les distribuer. Finalement, il doit préparer des plateaux ou des caissons et des chariots de matériel pour les points de service, notamment pour les blocs opératoires, les distribuer ou les acheminer aux endroits appropriés, tout en protégeant et en maintenant leur état stérile. Les chariots de cas sont préparés en tenant compte des spécialités médicales, des programmes opératoires, des imprévus et des urgences[4].
[9] Dans le cadre de ses fonctions, le travailleur doit préparer des plateaux et des caissons de diverses tailles contenant des instruments et des dispositifs médicaux. Tout au long de son témoignage, il désigne les caissons comme étant des « Genesis ». Le tribunal, pour sa part, utilisera la désignation de caissons en référence à ceux-ci dans la présente décision.
[10] Il s’agit de caissons contenant des instruments et des dispositifs médicaux qui peuvent peser d’une livre jusqu’à 28 ou 29 livres; ces derniers étant les plus lourds que le travailleur doit préparer. Ces caissons contiennent des instruments et des dispositifs médicaux déterminés pour différentes spécialités médicales et varient même selon les spécifications des différents établissements.
[11] Le 21 janvier 2015, le travailleur participe à une activité d’intégration au nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal d’une durée de quatre heures, en avant-midi. Après avoir pris son repas du midi, il intègre son travail régulier. Il n’est ni malade ni blessé ce jour-là.
[12] Le travailleur doit monter un caisson contenant les instruments de base pour des chirurgies cardiaques de l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal, qui une fois plein, pèse entre 27 et 28 livres. Il doit manutentionner des caissons de ce poids à tous les jours dans le cadre de son travail.
[13] Le travailleur explique avoir lui-même pesé ce caisson en particulier lorsqu’il est retourné au travail le 10 mars 2015. Il ajoute que plusieurs membres du personnel se plaignent d’ailleurs du poids de ce caisson. Il s’agit, toujours selon le travailleur, de l’un des caissons le plus lourd, outre ceux contenant les instruments et les dispositifs pour des chirurgies orthopédiques. Il est précisé par le travailleur que chaque spécialité a ses propres caissons d’instruments et de dispositifs médicaux.
[14] Ainsi, le 21 janvier 2015, au moment où il soulève le caisson en question, « tout devient noir autour de lui ». Sa vision est revenue à la normale après quelques secondes. Il est étourdi et ressent un mal de tête frontal intense et une douleur à la base de la nuque. Il va s’assoir sur un banc près des ascenseurs. Une infirmière qui constate son état, l’installe sur une civière. Le travailleur est agité et hurle de douleur qui est localisée principalement au front. La lumière, les sons et les bruits augmentent sa douleur. Il estime la douleur à huit ou neuf, sur une échelle de dix. Pour lui, la douleur ne pouvait être plus intense que celle alors ressentie.
[15] Il a déjà eu des lésions ou des blessures dans sa vie, tant d’origine professionnelle que personnelle, mais aucune de celles-ci n’a occasionné un semblant de douleur d’une intensité si élevée. Il réfère à une fracture déplacée à la cheville gauche ayant causé une cellulite suite à une chirurgie, une blessure au dos ayant causé une sciatalgie, une labyrinthite, une contusion au cou, une coupure à un pouce et une coupure profonde à un avant-bras.
[16] Le travailleur est immédiatement dirigé à l’urgence. Un scan cérébral, avec et sans injection de contraste endoveineux, et une résonance magnétique, sans injection de gadolinium, éliminent l’existence d’une hémorragie sous-arachnoïdienne ou d’une dissection de l’artère vertébrale droite. Les radiographies pulmonaires sont normales. Des anti-inflammatoires et des analgésiques sont prescrits au travailleur qui obtient son congé du service de l’urgence et qui est dirigé en neurologie. Des diagnostics différentiels de « céphalée de tension vs 1er épisode de ‘‘cluster’’ » sont posés[5].
[17] Sur l’Attestation médicale de la CSST remplie par le médecin consulté à l’urgence le 21 janvier 2015, il est inscrit céphalée d’étiologie indéterminée à la section diagnostique et un arrêt de travail est recommandé jusqu’au 23 janvier 2015.
[18] Le 6 février 2015, le neurologue Sylvain Chouinard examine le travailleur et pose un diagnostic de syndrome de vasoconstriction. Il explique au travailleur qu’il est spécialisé dans la maladie d’Alzheimer et qu’il allait donc le référer à un neurologue spécialisé dans les migraines.
[19] Le 13 février 2015, c’est donc le neurologue Luc Marchand qui prend le travailleur en charge et retient un diagnostic de céphalée à l’effort (céphalée primaire), sous-entendant qu’elle n’est pas secondaire à une anomalie ou à une pathologie.
[20] À noter que le docteur Marchand, spécialisé dans les migraines, ne reprend pas toutefois pas le diagnostic de syndrome de vasoconstriction posé initialement par le docteur Chouinard qui n’a examiné le travailleur qu’à une seule reprise.
[21] Le neurologue Marchand assure le suivi du travailleur. Il examine de nouveau le travailleur le 25 février 2015 et le 9 mars 2015 et réitère son diagnostic initial de céphalée à l’effort. Lors de cette dernière consultation, il autorise le travailleur à retourner au travail à compter du 10 mars 2015 en précisant au travailleur qu’il devra s’armer de patience. Il autorise donc le travailleur à retourner à son travail régulier sans retenir de limitations fonctionnelles ni de séquelles permanentes.
[22] Par la suite, la douleur a commencé à diminuer. Le travailleur l’évalue à six ou sept en intensité, sur une échelle de dix. Les maux de tête au front ont persisté pendant plusieurs mois en augmentant graduellement pendant le jour pour devenir intolérables le soir. La lumière et le bruit ont continué d’augmenter la douleur. Le travailleur n’était même plus capable d’effectuer ses activités de la vie quotidienne habituelles, comme faire l’épicerie et les courses, préparer les repas et les lunchs et s’occuper de ses enfants. Ses maux de tête ont diminué graduellement au cours des mois qui ont suivi, mais étaient encore présents en mars 2015.
[23] Le travailleur a effectué un retour à son travail régulier à temps plein le 10 mars 2015 et pouvait, à l’occasion, ressentir une douleur au front en barre estimée à quatre ou cinq en intensité, sur une échelle de dix.
[24] Dans le cadre de la reprise de ses tâches régulières, le travailleur a recommencé tous les jours à manipuler des caissons contenant les instruments de base pour les chirurgies cardiaques identiques à celui qu’il manipulait lors de l’apparition de son mal de tête le 21 janvier 2015.
[25] Il n’avait auparavant jamais eu de maux de tête d’une telle intensité ni n’avait jamais souffert de migraine. Il ne souffre pas d’hypotension ou d’hypertension ni de diabète. Il ne consomme aucune médication sur une base régulière.
[26] Il peut encore à ce jour ressentir un certain malaise ou un inconfort au front de façon occasionnelle, qu’il évalue à un ou deux en intensité, sur une échelle de dix, lorsqu’il fait un effort comme jouer avec ses enfants. Lorsque cela se produit, il doit alors prendre une petite pause.
[27] Par une décision rendue le 4 mars 2015 et confirmée à la suite d’une révision administrative, le 27 avril 2015, la CSST refuse la réclamation du travailleur, d’où l’objet de la présente contestation en l’instance.
[28] Le représentant du travailleur demande au tribunal de reconnaître que ce dernier a subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2015, dont le diagnostic en lien avec celle-ci est un syndrome de vasoconstriction.
[29] Le représentant du travailleur a produit un article de littérature médicale[6] concernant le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible pour soutenir sa prétention voulant que ce dernier soit apparu à la suite d’un effort physique, soit le soulèvement d’un caisson de près de 30 livres par le travailleur le 21 janvier 2015. L’article commence par le résumé suivant et le représentant du travailleur souligne le passage concernant le tableau clinique :
Syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible
S. de Gaalon, R. Bourcier et A. Ducros
Le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible associe des céphalées brutales inhabituelles, le plus souvent en coup de tonnerre, et une vasoconstriction segmentaire diffuse des artères intracrâniennes, régressives en trois mois. Il est attribué à un dysfonctionnement aigu et transitoire de la régulation du tonus vasculaire intracrânien d’évolution le plus souvent favorable. Cependant, des complications comme des infractus cérébraux, des hémorragies intracrâniennes ou un œdème cérébral peuvent survenir soit d’emblée, soit après une phase de céphalées isolées, rendant nécessaire un diagnostic et une prise en charge précoces. Le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible peut être idiopathique, ou secondaire, le plus souvent dans un contexte de post-partum ou de consommation d’agents toxiques ou de médicamenteux vasoactifs. Son traitement consiste en l’éviction d’un éventuel facteur déclenchant, associée à des mesures symptomatiques et de manière empirique à un traitement par inhibiteur calcique vasodilatateur.
[…]
Clinique (Tableau 2)
La céphalée est le symptôme le plus fréquent et le plus précoce du SVCR. Elle reste souvent isolée. Il s’agit typiquement de céphalée en coup de tonnerre, sévère et maximale en moins d’une minute, bilatérale, à début postérieur devenant diffuse, volontiers décrite comme « la pire céphalée jamais ressentie », parfois intolérable avec cris et agitation, souvent accompagnée de nausées, vomissements, phonophobie et photophobie. Sa durée est extrêmement variable, de quelques minutes à plusieurs jours. Bien qu’un accès unique soit possible, les céphalées en coup de tonnerre se répètent typiquement en salve (en moyenne 4) sur une à quatre semaines, avec ou sans fond douloureux intercurrent.
Plus de 80 % des patients rapportent au moins un facteur déclenchant : activité sexuelle (pré-ou perorgasmique), effort physique, défécation, toux, ou toute autre manœuvre de Valsalva, miction, émotion, bain, douche ou mouvement brusque de la tête.
(Références et tableau omis)
[30] Toujours dans cet article, il est ainsi discuté des causes de ce syndrome :
Causes
On distingue les SVCR primaires (37 % dans la série française de 2007, 75 % dans la série américaine et plus de 90 % dans la série taïwanaise) et secondaires. Les différences importantes entre les séries découlent probablement de variations génétiques et environnementales mais aussi de différences de modalités de recrutement.
La liste de causes décrites à ce jour est longue, et le lien d’imputabilité n’a le plus souvent pas été démontré. Les deux causes de loin les plus fréquentes et les plus documentées sont les substances vasoactives d’une part, et le post-partum d’autre part.
[31] La procureure de l’employeur a également produit des articles de littérature médicale[7] concernant le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible.
[32] Le tribunal a pris connaissance de l’ensemble de cette doctrine médicale concernant le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible, n’ayant d’ailleurs jamais eu à procéder à l’analyse d’une réclamation en regard de cette maladie. Une recherche de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a révélé qu’aucune décision n’a été rendue spécifiquement en regard de ce diagnostic.
[33] La Commission des lésions professionnelles doit donc décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2015.
[34] La lésion professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
[…]
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[35] Dans le présent dossier, il n’est aucunement prétendu, ni d’ailleurs soutenu en preuve, que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle antérieure ou qu’il a subi une maladie professionnelle suivant l’article 30 de la loi.
[36] Aussi, la réclamation du travailleur ne sera analysée que sous l’angle de l’accident du travail défini également à l’article 2 de la loi comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[37] En matière d’accident du travail, une présomption ayant pour but de faciliter la preuve de la survenance d’une lésion professionnelle est prévue à l’article 28 de la loi suivant lequel une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
[38] Étant donné que les diagnostics de syndrome de vasoconstriction ou de céphalée à l’effort, qui ont été posés lors du suivi médical du travailleur, ne sont pas considérés comme étant des blessures au sens de l’article 28 de la loi, le travailleur ne peut bénéficier de cette présomption de lésion professionnelle.
[39] Le représentant du travailleur prétend que le travailleur a subi un accident du travail, suivant l’article 2 de la loi, lui ayant causé une maladie, soit un syndrome de vasoconstriction, qui ne constitue pas une blessure. Il s’agit pourtant du diagnostic qui a été posé à une seule reprise par le neurologue Chouinard, ayant examiné le travailleur initialement.
[40] Quant au diagnostic de céphalée à l’effort posé par le docteur Marchand, neurologue traitant ayant pris le travailleur en charge à compter du 13 février 2015, le représentant du travailleur estime qu’il ne s’agit pas d’un diagnostic, mais d’un symptôme découlant du syndrome de vasoconstriction.
[41] Dans le présent dossier, la question du diagnostic n’a pas fait l’objet d’une procédure de contestation auprès du Bureau d’évaluation médicale, de sorte que la CSST, tout comme le Tribunal administratif du travail, est liée par le diagnostic retenu par le médecin traitant, selon l’article 224 de la loi qui prévoit ce qui suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[42] Dans le cas du travailleur, le neurologue traitant, comme confirmé par le travailleur à l’audience, est le docteur Marchand qui a retenu un diagnostic de céphalée à l’effort tout au long du suivi médical du travailleur.
[43] Le diagnostic de syndrome de vasoconstriction n’a été posé qu’à une seule reprise par le neurologue Chouinard et n’a pas été repris par le neurologue traitant, le docteur Marchand.
[44] Dans un tel contexte, la détermination du diagnostic du médecin traitant liant le tribunal aurait pu faire l’objet d’un débat.
[45] Or, dans le cas présent, cette question ne sera pas analysée étant donné que le tribunal en arrive à la conclusion que la survenance d’un événement imprévu et soudain n’a pas été démontrée et que, conséquemment, la question de la relation causale n’a pas à être tranchée.
[46] À défaut d’appliquer la présomption de l’article 28 de la loi, il appartient donc au travailleur de démontrer par une preuve prépondérante qu’il a subi un accident du travail le 21 janvier 2015.
[47] Pour ce faire, il doit prouver chacun des éléments constitutifs de la notion d’accident du travail mentionné précédemment soit, un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenu par le fait ou à l’occasion de son travail et ayant entraîné une lésion professionnelle.
[48] De la description de l’événement donnée par le travailleur à l’audience, le Tribunal administratif du travail conclut que la survenance d’un événement imprévu et soudain n’a aucunement été démontrée.
[49] Le travailleur a expliqué avoir ressenti un intense mal de tête en soulevant un caisson, et ce, de la façon habituelle, normale et régulière. La note de consultation à l’urgence, le 21 janvier 2015, rapporte d’ailleurs l’apparition subite d’une céphalée et l’absence de traumatisme.
[50] Le représentant du travailleur prétend en fait que le syndrome de vasoconstriction a été causé tout simplement lors du soulèvement par le travailleur d’un caisson de 28 à 29 livres et que cela constitue donc un événement imprévu et soudain.
[51] Il est tout à fait impossible pour le tribunal de conclure que la manipulation d’un caisson de 28 ou de 29 livres constitue en soi un événement imprévu et soudain au sens de la loi, en raison uniquement du poids du caisson qui est manipulé.
[52] Non seulement, la manutention de caissons de ce poids fait partie intégrante des tâches du travailleur, mais également des autres membres du personnel qui doivent aussi manipuler ces caissons, comme en a témoigné le travailleur.
[53] En arriver à la conclusion que la manipulation, à elle seule, d’un caisson de ce poids constitue un événement imprévu et soudain au sens de la loi apparaît à sa face même comme étant déraisonnable dans la mesure où bons nombres de travailleurs et de travailleuses œuvrant dans tout genre d’entreprise ont à manutentionner des objets de ce poids tous les jours dans le cadre de leur travail, et ce, à commencer par le travailleur dans son propre milieu de travail. Dans un tel contexte, il est donc impossible de conclure à la manipulation d’une charge excessive, bien que le caisson soit d’un certain poids.
[54] Le tribunal est d’avis que la notion d’événement imprévu et soudain doit toutefois recevoir une interprétation large et libérale lorsque les circonstances s’y prêtent et ainsi ne pas se limiter à la recherche d’un fait unique et précis constituant un événement imprévu et soudain[8].
[55] Suivant cette interprétation, il a été reconnu qu’un faux mouvement, un effort excessif ou inhabituel, ou un mouvement mal exécuté peuvent être assimilés à la notion d’événement imprévu et soudain[9]. Cette interprétation est ainsi exprimée dans l’affaire Germain et Bourassa Automobiles International[10] :
[46] Certes, un événement imprévu et soudain n’a pas à être exclusivement constitué d’un fait différent, détaché, divisible d’autres faits et facilement identifiable ; il peut s’agir d’un fait contigu, indivisible et concomitant à d’autres événements24. Un événement imprévu et soudain peut résulter d’un faux mouvement25, d’un effort excessif26 ou inhabituel27, d’un mouvement mal exécuté28, ou même d’un geste aussi banal qu’une torsion de la colonne pour sortir d’un véhicule de service29. Il peut aussi survenir lors de l’accomplissement, de propos délibéré, d’un geste habituel, car l’un et l’autre ne sont pas incompatibles30. Il peut également être la conséquence de « changements majeurs dans les conditions de travail »31, d’une surcharge de travail32.
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24 Mongrain et Consolidated Bathurst, [1989] C.A.L.P. 701
25 Lapointe et Communauté urbaine de Montréal, [1994] C.A.L.P. 860, requête en révision judiciaire accueillie, [1994] C.A.L.P. 915 (C.S.) appel accueilli, [1998] C.L.P. 943 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 99-09-30 (27140)
26 Lachance et Multi-Marques inc. 121569-03B-9908, 00-01-07, M. Cusson; Bombardier inc. et Verdy, 101357-64-9806, 99-11-04, L. Turcotte
27 Entr. Cara ltée et Boivin, [1998] C.L.P. 1330
28 Centre Le Cardinal inc. et Leclerc, 113953-73-9904, 99-09-30, D. Taillon
29 Communauté urbaine de Montréal c. CALP, [1998] C.A.L.P. 470 (C.S.), appel rejeté, C.A. Montréal, 500-09-006276-984, 01-10-01, jj. Rothman, Brossard, Dussault
30 Barbarakis et 314632 Canada inc., 152223-72-0012, 01-08-22, Y. Lemire; Morin et Twinpak inc. [1993) C.A.L.P. 77; Bourret et Dominion Textile inc., [1992] C.A.L.P. 313, requête en révision judiciaire rejetée, [1992] C.A.L.P. 1179 (C.S.); Labelle-Dagenais et Zeller’s ltée, [1998] C.A.L.P. 316
31 Roussel et Novabus Corporation, 103871-61-9808, 99-01-18, M. Denis
32 Guillemette et Entreprises JGT, 159167-08-0104, 02-04-08, P. Prégent; Martineau et Diogène Café, 105990-31-9810, 99-04-30, G. Godin
[56] Or, dans sa description de l’événement, le travailleur ne fait mention de la survenance d’aucun faux mouvement, d’aucun mouvement rapide, d’aucun effort particulier, d’aucun geste non ergonomique ou exécuté dans une amplitude extrême, d’aucun geste effectué à une cadence élevée, d’aucun geste brusque, d’aucune torsion, d’aucun contrecoup, d’aucun effort de correction à la suite d’une perte de contrôle ou d’un glissement du caisson et d’aucun soulèvement d’un poids ou d’une charge considérée excessive.
[57] Le fait pour le travailleur de ressentir une douleur tout simplement en soulevant un caisson comme il doit le faire tous les jours dans le cadre de son travail ne saurait constituer un événement imprévu et soudain au sens de la loi dans la mesure où ses gestes ont été exécutés de façon contrôlée, sans contrecoup, sans grande amplitude ni cadence élevée.
[58] Bien que la douleur ressentie par le travailleur en soulevant le caisson se soit manifestée de façon imprévisible et soudaine, c’est toutefois l’événement qui doit pouvoir être qualifié d’imprévu et de soudain et non ses conséquences[11]. Ce n'est pas la douleur, la lésion ou la pathologie qui doit être imprévue et soudaine, mais bien l'événement qui la cause[12].
[59] Le tribunal rappelle que le fardeau de preuve du travailleur est de démontrer par prépondérance de preuve qu’il est probable et non seulement possible que sa lésion découle d’un événement imprévu et soudain et qu’il ne peut se contenter de spéculations, d’hypothèses ou de théories[13].
[60] Pour établir la preuve de la survenance d’un événement imprévu et soudain, suivant la prépondérance des probabilités, il est possible de recourir à tous les moyens de preuve disponibles, y compris à la présomption de fait. Cette dernière autorise le tribunal à inférer une conclusion à partir de faits graves, précis et concordants. Cette notion a d’ailleurs été ainsi expliquée par la soussignée dans l’affaire Meloche et Service correctionnel du Canada[14] :
[49] Les présomptions sont précises lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. Elles sont concordantes lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu'il s'agit de prouver. Ainsi, les indices connus doivent rendre probable l'existence du fait inconnu, sans qu'il soit nécessaire toutefois d'exclure toute autre possibilité. Une telle preuve est nécessairement circonstancielle et doit être faite selon la prépondérance des probabilités. Les faits prouvés n'ont pas à justifier une conclusion d'une certitude absolue ni ne doivent exclure toute autre possibilité, mais la conclusion retenue doit être probable12.
[notes omises]
[61] Dans le présent cas, le tribunal estime que le travailleur n’a pas su démontrer de manière probable, à l’aide justement d’éléments précis, graves et concordants, qu’un événement imprévu et soudain est survenu lors du soulèvement d’un caisson d’un certain poids le 21 janvier 2015 et qu’un syndrome de vasoconstriction ou que les céphalées à l’effort résultent de celui-ci. Le fait que le travailleur ne ressentait aucune douleur à la tête en commençant à travailler, le 21 janvier 2015, et la concomitance entre la manipulation du caisson et l'apparition de ses douleurs sont certes des éléments ou des faits à considérer parmi d'autres pour tenter de construire une preuve circonstancielle. Par contre, ces deux éléments ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour permettre de conclure que la manipulation du caisson constitue un événement imprévu et soudain.
[62] Subsidiairement, le représentant du travailleur soumet que le travailleur a pu, le 21 janvier 2015, aggraver ou rendre symptomatique une condition personnelle en manutentionnant le caisson en question.
[63] Il est reconnu que la présence d’une condition personnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle[15]. Pour conclure qu'une aggravation d'une condition personnelle préexistante constitue une lésion professionnelle, il faut toutefois que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail[16].
[64] Or, comme la Commission des lésions professionnelles a conclu que le travailleur n’a pas subi d’accident du travail, le 21 janvier 2015, il lui est donc impossible de conclure à l’aggravation de sa condition personnelle.
[65] La Commission des lésions professionnelles n’a donc pas à statuer sur la relation entre la lésion subie par le travailleur et les gestes qu’il a effectués étant donné qu’il en arrive à la conclusion que la preuve n’a pas démontré la survenance d’un événement imprévu et soudain faisant en sorte que la preuve d’un accident du travail ne peut être établie.
[66] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur et déclare qu’il n’a pas subi de lésion professionnelle le 21 janvier 2015 et qu’il n’a conséquemment pas droit aux prestations prévues à la loi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête déposée par monsieur Yan Beaudin, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 avril 2015, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 21 janvier 2015;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Marlène Auclair |
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François Dupuis |
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C.S.N. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Stéphanie Rainville |
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MONETTE, BARAKETT & ASSOCIÉS. |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de la dernière audience : 6 janvier 2016 |
[1] Le 1er janvier 2016, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) a été remplacée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST).
[2] RLRQ, c. A-3.001.
[3] RLRQ, c. T-15.1.
[4] Le tribunal s’est inspiré de l’analyse de la profession de préposée et préposé au retraitement des dispositifs médicaux suivante pour résumer les tâches effectuées par le travailleur qu’il a décrites à l’audience : QUÉBEC, MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE, DIRECTION DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE et Sonia BERGERON et al., Analyse de profession : préposée et préposé au retraitement des dispositifs médicaux : secteur de formation : santé, [Québec], la Direction, 2015, [En ligne], <http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/formation_professionnelle/15_00330_prepose_retraitement_dispositifs_medicaux.pdf. (Page consultée le 12 janvier 2016).
[5] Les céphalées de Horton ou « cluster headache ».
[6] S. De GAALON, R. BOURCIER et A. DUCROS, « Syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible », dans Encyclopédie médico-chirurgicale - Neurologie, 17-023-A-68, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson, 2014.
[7] T.R. MILLER et al., « Reversible Cerebral Vasoconstriction Syndrome, Part 1 : Epidemiology, Pathogenesis, and Clinical Course », (2015) 36 AJNR. American Journal of Neuroradiology, pp. 1392-1399, [En ligne], <http://www.ajnr.org/content/early/2015/01/15/ajnr.A4214.full.pdf> (Page consultée le 12 janvier 2016); Anne DUCROS, « Reversible Cerebral Vasoconstriction Syndrome », (2012) 11 Lancet. Neurology, pp. 906-917, [En ligne], <http://www.thelancet.com/ pdfs/journals/laneur/PIIS1474-4422(12)70135-7.pdf> (Page consultée le 12 janvier 2016); Ahsan SATTAR, Georgios MANOUSAKIS et Matthew B. JENSEN, « Systematic Review of Reversible Cerebral Vasoconstriction Syndrome », (2010) 8 Expert Review of Cardiovascular Therapy, pp. 1417-1421, [En ligne], <http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3020907/pdf/ nihms258718.pdf> (Page consultée le 12 janvier 2016).
[8] Fortin et 9072-0103 Québec inc., 2014 QCCLP 5992.
[9] Groupe matériaux à bas prix ltée et Lamoureux, C.L.P. 225735-61-0401, 14 septembre 2004, S. Di Pasquale; Noiseux et Bombardier inc., C.L.P. 292784-62B-0606, 19 septembre 2007, J. - F. Clément; Beaulieu et Commission scolaire des Premières-Seigneuries, C.L.P. 360525-31-0810, 25 septembre 2009, M. Racine; Abattoir Ducharme inc. et Chartier Gionet, 2013 QCCLP 1505.
[10] [2003] C.L.P. 553.
[11] Voir à ce sujet : Thiffeault et Scierie Parent inc., C.L.P. 247127-04-0411, 31 mai 2006, D. Lajoie; Les Industries April inc. et Palumbo, C.L.P. 214805-71-0308, 12 octobre 2006, G. Morin.
[12] Desjardins et CHUM Pavillon Notre-Dame, C.L.P. 108624-71-9812, 26 avril 1999, C. Racine.
[13] Nadeau et Groupe conseil Progesco inc., C.L.P. 386114-04B-0908, 21 janvier 2010, M.-A. Roiseux.
[14] C.L.P. 333380-62C-0711, 3 novembre 2008, M. Auclair.
[15] Chaput c. Société de transport de la communauté urbaine de Montréal, [1992] C.A.L.P. 1253 (C.A.), p. 1265.
[16] Paragraphe 16 de l’affaire PPG Canada inc. et C.A.L.P., [2000] C.L.P. 1213.
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