Modèle de décision CLP - juin 2011

Péloquin et Rôtisseries de Sherbrooke inc.

2012 QCCLP 4515

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

17 juillet 2012

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

350579-05-0806-R

 

Dossier CSST :

129926986

 

Commissaire :

Johanne Landry, juge administratif

 

Membres :

Nicole Girard, associations d’employeurs

 

Jacques Généreux, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

Renel Péloquin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Les Rôtisseries de Sherbrooke inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 9 août 2011, madame Renel Péloquin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 29 juin 2011,  par la Commission des lésions professionnelles.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille le moyen préalable de Rôtisseries de Sherbrooke inc. (l’employeur), déclare que la contestation de la travailleuse en date du 9 juin 2008 à l’encontre de la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 avril 2008 est hors délai, déclare que la travailleuse ne fait valoir aucun motif raisonnable permettant de la relever de son défaut et déclare irrecevable sa contestation du 9 juin 2008. En conséquence, elle confirme la décision du 9 avril 2008.

[3]           L’audience sur la présente requête s’est tenue à Sherbrooke le 22 mars 2012, en présence de la travailleuse et de son représentant ainsi que du représentant de l’employeur. La CSST, partie intervenante au dossier, est absente.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           La travailleuse demande de réviser la décision du 29 juin 2011, au motif qu’elle contient des vices de fond de nature à l’invalider. Elle demande de déclarer recevable sa contestation du  9 juin 2008 et de convoquer les parties afin qu’elle soit entendue sur le fond du litige.

LES FAITS

[5]           Le 4 mai 2006, la travailleuse est victime d’un accident du travail alors qu’elle exerce chez l’employeur, ses fonctions de serveuse.

[6]           Le 21 décembre 2007, la CSST rend une décision relative aux frais de déplacements.

[7]           Le 14 janvier 2008, la travailleuse en demande la révision. Elle indique que monsieur Philippe Poisson du CTTAE[1] est son « conseiller » et demande qu’une copie complète de son dossier lui soit transmis. La demande est signée par la travailleuse et par monsieur Poisson.

[8]           Le 15 février 2008, la CSST rend une décision donnant suite à un avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale émis le 31 janvier 2008. Elle retient un diagnostic d’entorse lombaire, consolidée le 5 juillet 2007, avec suffisance de soins et traitements à compter de cette date, sans séquelle fonctionnelle objectivée et sans limitations fonctionnelles. Elle déclare également que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 14 février 2008 et que son droit à recevoir des indemnités de remplacement du revenu prend fin à cette date.

[9]           Le 25 février 2008, la travailleuse demande la révision de cette décision. La demande est signée par la travailleuse et par monsieur Philippe Poisson du CTTAE.

[10]        Le 29 février 2008, la CSST en révision administrative déclare sans objet la décision du 21 décembre 2007. Sur cette décision, monsieur Poisson du CTTAE est identifié comme étant le représentant de la travailleuse.

[11]        Le 8 mars 2008, Me Louise Lachance, avocate de la travailleuse, dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation de cette décision.

[12]        Le 9 avril 2008, la CSST, en révision administrative, rend une décision par laquelle elle confirme celle du 15 février 2008. Sur cette décision, monsieur Poisson du CTTAE est identifié comme étant le représentant de la travailleuse.

[13]        Le 9 juin 2008, Me Louise Lachance dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation de la décision du 9 avril 2008. Sur sa requête elle indique :

Je représente la travailleuse. Je demande que la travailleuse soit relevée du défaut d’avoir contesté la décision à l’intérieur des délais légaux. La travailleuse a apporté la décision à mon bureau avec d’autres documents médicaux. La décision a été classée au dossier et ce n’est que samedi le 7 juin que j’ai pris connaissance de la décision. La travailleuse croyait que la contestation avait été faite. Concernant le litige au fonds, la décision est mal fondée en faits et en droit.

 

[Notre soulignement]

 

 

[14]        Lors de l’audience tenue devant le premier juge administratif (juge administratif), la question en litige concernait donc la recevabilité de la requête du 9 juin 2008 considérant qu’elle avait été déposée après l’expiration du délai de 45 jours prévu par l’article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

[15]        La travailleuse était représentée par Me Lachance et l’employeur ainsi que la CSST, partie intervenante, étaient représentés.

[16]        Dans sa décision, le juge administratif rapporte la preuve qui lui est soumise :

[67]      En ce qui concerne la contestation à l’encontre de la décision rendue par la CSST le 9 avril 2008 à la suite d’une révision administrative et déposée par sa procureure le 9 juin 2008 (dossier 350579 du tribunal), la travailleuse répond d’abord aux questions de cette dernière.

 

[68]      Elle explique qu’au moment où est rendue la décision datée du 9 avril, elle est représentée par un intervenant d’un organisme voué à la défense des droits des accidentés et dit croire alors que c'est ce dernier qui va « terminer le dossier » et donc qu’il avait « déjà contesté la décision ». Elle ajoute que son intention du moment était de la contester et qu'elle en avait fait part à cet intervenant qui lui aurait alors dit « d’aller voir un avocat ». Ce qu’elle dit avoir fait deux jours après la réception de la décision puisqu’à cette époque, elle doit se rendre au centre-ville de Sherbrooke les lundis et mercredis pour des cours. La travailleuse affirme avoir alors apporté des documents au bureau de sa procureure et les avoir remis à la secrétaire sur place, sans lui donner de mandat à elle ou à qui que ce soit d’autre et ne pas avoir non plus référé à un document particulier parmi ceux qu’elle apportait à ce moment.

 

[69]      Contre-interrogée par le procureur de l’employeur, la travailleuse reconnaît qu’elle est représentée par sa procureure depuis le mois de mars 2008. Elle dira ensuite ne pas avoir souvenir de la réception de la décision datée du 9 avril 2008. Questionnée à savoir si elle aurait alors apporté cette décision à sa procureure, la travailleuse répondra « j’ai amené une chemise ». Elle dira ensuite ne pas pouvoir situer dans le temps le premier rendez-vous avec sa procureure.

 

[70]      La procureure de la travailleuse témoigne ensuite. Elle affirme avoir rencontré la travailleuse pour la première fois en mars 2008 en lien avec la contestation relative aux frais de déplacement. À cette occasion, elle précise lui avoir demandé de lui apporter son dossier complet, ce qui fut fait par la suite, incluant la décision datée du 9 avril 2008, mais sans être informée qu’il contenait cette décision à contester. Elle dit en avoir pris connaissance le samedi 7 juin et l’avoir contestée devant le tribunal le lundi suivant, le 9 juin 2008.

 

[17]        Après avoir énoncé les dispositions pertinentes de la loi, le juge administratif en vient à la conclusion que la requête est irrecevable pour les raisons suivantes :

[109]    Le tribunal ne dispose d’aucune preuve directe de la date à laquelle la travailleuse aurait reçu et pris connaissance de la décision rendue par la CSST le 9 avril 2008 à la suite d’une révision administrative. En fait, la travailleuse dira avoir apporté la décision à sa procureure deux jours après sa réception au moment où elle se rend suivre une formation à Sherbrooke à raison de deux jours par semaine, soit les lundi et mercredi.

 

[110]    Comme toute personne, dans des circonstances dites normales et habituelles, et à défaut de preuve contraire, la travailleuse est présumée avoir reçu cette décision par courrier dans les quelques jours qui suivent son envoi tenant compte d’un délai de livraison postale qui varie généralement entre trois jours et cinq jours7. Puisque le 9 avril 2008 est un mercredi, le tribunal considère que la travailleuse a, selon toute probabilité, reçu cette décision le lundi suivant, soit le 14 avril 2008.

 

[111]    En conséquence, et conformément aux dispositions de l’article 40 du Règlement modifiant les Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles, le délai de 45 jours prévu à l’article 359 de la loi se calcule à compter du mardi 15 avril. Le 45e jour est donc le jeudi 29 mai.

[112]    D’une part, puisque la travailleuse dit avoir apporté la décision à sa procureure deux jours après sa réception, qu’elle dit le faire au même moment où elle se rend à Sherbrooke afin d’y suivre des cours, et que ces cours se donnent les lundis et mercredis, le tribunal considère que c’est donc le mercredi 16 avril 2008 qu’elle dépose la décision au bureau de sa procureure aux soins de la secrétaire alors présente sur place.

 

[113]    D’autre part, puisque la procureure de la travailleuse dépose la contestation au tribunal le 9 juin 2008, celle-ci est manifestement logée en dehors du délai de 45 jours.

 

[114]    La travailleuse a-t-elle fait valoir un motif raisonnable pour expliquer ce retard  pour ainsi permettre au tribunal de la relever de son défaut?

 

[115]    Cette notion de motif raisonnable réfère à un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion8. L’appréciation en est faite par le tribunal en fonction des faits propres à chaque cas.

 

[116]    Qu’en est-il ici?

 

[117]    La preuve démontre que la travailleuse est représentée par la même procureure depuis le 6 mars 2008 puisque c’est elle qui initie la toute première contestation devant le tribunal relativement aux frais de déplacement. Il s’agit d’une procureure chevronnée en matière de contestations devant la Commission des lésions professionnelles et dont la parole ne saurait par ailleurs être mise en doute.

 

[118]    Le témoignage de la travailleuse est par contre imprécis et ambigu quant au rôle prétendument joué par un intervenant d’un organisme voué à la défense de droits des accidentés relativement à la contestation de la décision du 9 avril 2008. En effet, la travailleuse dira d’un côté qu’elle croit que cet intervenant « terminera le dossier » alors que de l’autre, elle affirme lui avoir manifesté son intention de contester cette décision et que celui-ci lui aurait alors dit de consulter un avocat.

 

[119]    Puisque la travailleuse dit avoir bel et bien reçu la décision du 9 avril 2008, qu'elle est déjà représentée par procureure depuis le 6 mars 2008, qu’il était déjà prévu à la suite du premier rendez-vous avec cette dernière qu’elle devait lui apporter son « dossier complet » et, enfin, qu’elle dit avoir apporté la décision du 9 avril 2008 à sa procureure en même temps que d’autres documents (une chemise), le tribunal conclut donc que la travailleuse n’a pas confié le mandat audit intervenant de contester la décision du 9 avril. Tout au plus lui a-t-elle fait part de son intention de la contester, celui-ci lui conseillant alors de « consulter un avocat ». Ce que selon toute vraisemblance fait la travailleuse. Dans le cas contraire, il eut fallu pour la travailleuse faire entendre cet intervenant, ce qu’elle n'a pas fait.

 

[120]    La preuve démontre que le délai pour contester la décision du 9 avril 2008 se termine le 29 mai.

 

[121]    Le tribunal reconnaît que la travailleuse a tout d’abord fait preuve de diligence en apportant à sa procureure dès le 16 avril 2008 la décision rendue le 9. Cependant, il n'est pas permis d’en dire autant de sa conduite à compter du 16 avril 2008.

 

[122]    Toute personne prudente et diligente se serait assurée après coup, à un moment ou à un autre, du suivi donné à cette décision si son intention clairement arrêtée était alors effectivement de la contester devant le tribunal. Or, la preuve est complètement muette sur les agissements de la travailleuse une fois les documents déposés au bureau de sa procureure. En fait, aucune preuve ne fut administrée à cet égard, si ce n’est que sa procureure dit avoir pris connaissance de la décision du 9 avril, le samedi 7 juin, au moment de consulter le dossier de la travailleuse, sans savoir qu’elle s’y trouvait et l’avoir ensuite contestée le lundi 9 juin 2008.

 

[123]    Le tribunal ne peut conclure en l’espèce, comme il l’a déjà fait en d’autres circonstances, que c’est l’erreur de la procureure de la travailleuse qui est seule à l’origine du fait que la décision du 9 avril n’est contestée devant le tribunal que le 9 juin 2008. En fait, il n’existe aucune preuve que la procureure de la travailleuse ait commis quelque erreur que ce soit, n’ayant jamais été mandatée pour exécuter quelque mandat que ce soit.

 

[124]    La preuve est limpide et démontre plutôt que la travailleuse a déposé la décision du 9 avril 2008 ainsi qu’un certain nombre d’autres documents au bureau de sa procureure le 16 avril 2008 en son absence. Elle les a remis aux soins d’une secrétaire sur place, et ce, sans aucune espèce de commentaire, de mandat, de référence ou d’indication relatif au contenu de la chemise qu'elle apporte ni non plus à la décision du 9 avril 2008 qu’elle contient. Dans le cas contraire, le témoignage de cette secrétaire aurait été de mise, ce qui, encore là, ne fut pas le cas lors de l'audience du 25 mai 2011. Il ne faut donc pas se surprendre outre mesure dans les circonstances que cette décision ne soit contestée par la procureure de la travailleuse que le 9 juin suivant.

 

 [125]   La travailleuse n’a pas fait preuve de diligence et de prudence dans l’administration de son dossier. D’abord, en ne faisant pas connaître clairement son intention de contester la décision du 9 avril 2008 au moment de remettre son dossier le 16 avril 2008, et, si tel était réellement le cas, en ne s’assurant pas dans les semaines qui suivirent de faire connaître cette intention afin qu’il y soit donné suite.

 

[126]    En fonction de la preuve administrée, le tribunal ne peut conclure que la travailleuse fait valoir un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion lui permettant d’être relevée de son défaut. Sa contestation sera donc déclarée irrecevable.

________________

7           Jobin et Groupe-Conseil en PVA-Mécanique inc., C.L.P. 375852-31-0904, 20 janvier 2010, J.-L. Rivard.

8                      Chrétien et Société canadienne des postes, C.L.P. 232023-01B-0403, 4 mai 2006, L. Desbois.

 

 

[18]        Dans sa requête en révision, le procureur de la travailleuse reproche au juge administratif de n’avoir accordé aucun poids à l’aveu de Me Lachance, laquelle a admis avoir commis une erreur dans la gestion de son dossier et d’avoir au contraire, considéré, au paragraphe 123, qu’il n’existe aucune erreur. Il rappelle que le juge administratif retient que la décision du 9 avril 2008 a été apportée au bureau de Me Lachance le 16 avril 2008. Or, celle-ci a admis n’avoir pris connaissance des documents en question, que le 7 juin 2008. Il soutient que l’avocate a manqué à son obligation de prudence et de diligence dans la prise en charge du dossier qui lui a été confié, car si elle avait pris connaissance des documents remis dans un délai raisonnable après le dépôt à son bureau, la contestation aurait été déposée dans le délai légal.

[19]        Le procureur de la  travailleuse reproche également au juge administratif de faire porter tout le blâme à la travailleuse, alors que le fait qu’elle ait apporté la décision au bureau de son avocate dès le 16 avril 2008 est amplement suffisant pour conclure à sa diligence. Il considère déraisonnable de déclarer sa contestation irrecevable pour le  seul motif qu’elle n’a pas fait de suivi ou de démarche après la remise de son dossier à son avocate. Cette conclusion implique que la travailleuse aurait dû surveiller sa procureure, laquelle est une intervenante spécialisée dans le domaine des contestations devant la Commission des lésions professionnelles. Il souligne qu’en outre, n’ayant plus en sa possession la  décision du 9 avril 2008, la travailleuse était placée dans l’impossibilité d’agir.

[20]        Le procureur de la travailleuse soutient que le juge administratif commet aussi une erreur manifeste et déterminante au paragraphe 123 de la décision, en considérant qu’il est nécessaire pour accorder la prolongation de délai, que l’erreur du procureur soit seule à l’origine du défaut. Il souligne que les conséquences sont énormes pour la travailleuse puisqu’elle perd son droit d’être entendue, alors qu’il n’y a aucune preuve que le retard à contester a causé un quelconque préjudice aux autres parties.

[21]        Finalement, le procureur de la travailleuse allègue que celle-ci n’a pu être entendue adéquatement parce que Me Lachance ayant agi comme représentante et comme témoin lors de l’audience du 25 mai 2011, elle avait des intérêts opposés relativement à la question du hors-délai, puisque d’un côté, elle tentait d’obtenir une prolongation du délai mais de l’autre côté, elle mettait en jeu sa responsabilité professionnelle.

[22]        À l’audience tenue devant le tribunal, le procureur de la travailleuse reprend essentiellement les arguments de sa requête écrite et plaide que le juge administratif se trompe dans son interprétation de la preuve. Il souligne que Me Lachance n’a pas respecté le code de déontologie des avocats en témoignant dans une cause qu’elle défend. Il en découle que la travailleuse n’avait personne pour interroger cette dernière.  De plus, il reproche au premier juge administratif de retenir au paragraphe 124, que la travailleuse aurait dû faire témoigner la secrétaire de Me Lachance. Il signale qu’une telle démarche aurait créé une situation pour le moins « particulière ».

[23]        De son côté, le procureur de l’employeur plaide que le juge administratif s’est livré à l’appréciation des faits mis en preuve et a évalué la crédibilité de la travailleuse. Il est arrivé à la conclusion que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle avait donné à sa procureure le mandat de contester la décision du 9 avril 2008. Sa décision ne contient aucune erreur manifeste et déterminante.

L’AVIS DES MEMBRES

[24]        La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales estiment que l’omission par juge administratif d’avoir tenu compte de l’admission faite à l’audience par la procureure de la travailleuse, constitue un vice de fond de nature à invalider la décision du 29 juin 2011. Ils sont d’avis que la requête en révision de la travailleuse doit être accueillie.


LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[25]        La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision (le tribunal), doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 29 juin 2011.

[26]        Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Restriction.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

___________

1997, c. 27, a. 24.

 

[27]        Dans le présent dossier, la travailleuse allègue que la décision est entachée de vices de fond au sens du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de « vice de fond [...] de nature à invalider la décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[3] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.

[28]        Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.

[29]        La Cour d’appel a également été appelée à plusieurs reprises à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[4], elle rappelle la règle applicable en ces termes :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)   Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[30]        La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[5] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish, dans l’arrêt Godin[6], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[31]        La Cour d’appel nous invite donc à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée[7].

[32]        Dans un premier temps, le tribunal rappelle qu’il n’est pas le forum approprié en ce qui concerne l’allégation relative au code de déontologie des avocats.

[33]        Dans un second temps, le tribunal estime que l’argument soulevé par le procureur de la travailleuse concernant la conclusion retenue par le juge administratif au paragraphe 123, à savoir qu’« il n’existe aucune preuve que la procureure de la travailleuse ait commis quelque erreur que ce soit, n’ayant jamais été mandatée pour exécuter quelque mandat que ce soit », est bien fondé. Il s’agit effectivement d’une erreur manifeste et déterminante qui donne ouverture à la  révision de la décision du 29 juin 2011.

[34]        En effet, cette conclusion est une erreur manifeste, car elle est contraire à la preuve soumise au juge administratif, soit l’admission par l’avocate de la travailleuse, que le retard à produire la requête en contestation à la Commission des lésions professionnelles lui est imputable, et elle est déterminante parce qu’elle amène le juge administratif à conclure à l’irrecevabilité de la contestation de la travailleuse.

[35]        La soussignée a écouté l’enregistrement de l’audience tenue devant le juge administratif. Le procureur de l’employeur ne s’est pas objecté au témoignage de Me Lachance et le premier juge administratif l’a permis. Celle-ci a confirmé qu’elle a rencontré la travailleuse en mars 2008, pour la contestation de la décision du 29 février 2008 et qu’elle lui a demandé de lui apporter « des documents supplémentaires ». Toutefois, elle était absente lorsque la  travailleuse s’est présentée à son bureau avec les documents et elle n’a donc pas été informée que la décision du 9 avril 2008 devait être contestée. Le dossier a été classé et par la suite, au début de juin 2008, lorsqu’elle l’a ressorti, elle a constaté que la décision du 9 avril 2008 n’avait pas été contestée. MLachance admet alors que : « C’est une erreur de ma part ».

[36]        Les admissions faites par le représentant d’un travailleur lors de l’enquête sont des aveux judiciaires[8] et un aveu, judiciaire ou extrajudiciaire, est un moyen de preuve[9].  

[37]        Ainsi, à partir du moment où le juge administratif a accepté le témoignage de Me Lachance et que celle-ci, témoignant sous son serment d’office, a admis son erreur de façon formelle, il ne pouvait ignorer cet élément de preuve qui devenait déterminant dans le contexte du litige dont il était saisi, d’autant plus que cette admission est appuyée par certains des faits mis en preuve.

[38]        De plus, Me Lachance avait déjà admis implicitement dans sa requête écrite du 9 juin 2008, que le retard à contester découlait d’une erreur de sa part. En effet, elle mentionne que : « La travailleuse a apporté la décision à mon bureau avec d’autres documents médicaux. La décision a été classée au dossier et ce n’est que samedi le 7 juin que j’ai pris connaissance de la décision ». De cet allégué, le tribunal comprend que bien que la travailleuse ait apporté la décision du 9 avril 2008 au bureau de Me Lachance à l’intérieur du délai légal de contestation, cette décision a été classée dans son dossier sans être vue par l’avocate. Il s’agit de toute évidence, d’une erreur commise par l’avocate ou par un membre de son personnel. 

[39]        Rappelons que le juge administratif mentionne au paragraphe 117, que Me Lachance est une procureure chevronnée dont la parole ne saurait être mise en doute. 

[40]        La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles considère que le fait de ne pas tenir compte d’un élément de preuve important, voire majeur, constitue une erreur manifeste et déterminante[10].  

[41]        Par conséquent, le tribunal accueille la requête en révision de la travailleuse.

[42]        Procédant à la révision, le tribunal estime que la travailleuse a démontré un motif raisonnable tel que prévu à l’article 429.19 de la loi, lequel se lit ainsi :

429.19.  La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[43]        Le tribunal constate que la demande de révision d’une décision initiale émise le 21 décembre 2007 avait d’abord été déposée par un représentant du CTTAE le 14 janvier 2008. Puis, la contestation de la décision rendue par la révision administrative le 29 février 2008 a été produite par Me Lachance le 6 mars 2008.

[44]        Cette façon de procéder s’est répétée pour la décision du 15 février 2008. C’est d’abord un représentant du CTTAE qui a déposé une demande de révision le 25 février 2008, puis, tel qu’il appert du témoignage de la travailleuse relaté aux paragraphes 68 et 69 de la décision du juge administratif, celui-ci a de nouveau dirigé la travailleuse vers Me Lachance pour le dépôt d’une contestation devant la Commission des lésions professionnelles, de la décision rendue par la révision administrative le 9 avril 2008, laquelle confirmait la décision initiale du 15 février 2008.

[45]        Il est tout à fait plausible et crédible que dans ces circonstances, la travailleuse ait cru de bonne foi que la décision du 9 avril 2008 serait elle aussi contestée par Me Lachance. 

[46]        D’ailleurs, lors de l’audience initiale, Me Lachance a souligné le fait  qu’il y avait eu un « suivi conjoint avec monsieur Poisson » et que la travailleuse « est passé de l’un à l’autre ». Cet élément à lui seul explique l’imbroglio dans lequel la travailleuse s’est retrouvée.

[47]        Par ailleurs, il est établi que la travailleuse a remis la décision du 9 avril 2008 au bureau de Me Lachance, le 16 avril 2008, alors qu’elle était encore largement dans le délai légal pour contester cette décision. La travailleuse a donc été diligente et le hors-délai de la contestation de la décision du 9 avril 2008 ne lui est aucunement imputable.

[48]        Le tribunal considère que, puisque la travailleuse a apporté son dossier CSST à une « procureure chevronnée en matière de contestations devant la Commission des lésions professionnelles », elle était justifiée dès lors de s’attendre que celle-ci, à tout le moins, en prenne connaissance et communique avec elle, dans le délai approprié.  

[49]        De plus, comme le soulignait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Vanessa Paquette et Pharmacie Jean Coutu[11], la Cour supérieure rappelle l’importance pour les tribunaux administratifs de faire preuve d’une certaine souplesse en matière de procédure et souligne que les organismes administratifs doivent cesser d’être plus rigides que les tribunaux de droit commun quant à la procédure puisque rarement devant un tribunal judiciaire, un justiciable perd un droit à cause de la procédure[12].

[50]        Pour ces raisons, le tribunal conclut, conformément à l’article 429.19 de la loi, que la travailleuse doit être relevée des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai prescrit par l’article 359 de la loi, puisqu’elle a démontré l’existence d’un motif raisonnable et qu’il n’y a aucune preuve établissant qu’une autre partie en subit un préjudice grave.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision de la travailleuse, madame Renel Péloquin ;

RÉVISE la décision rendue le 29 juin 2011 par la Commission des lésions professionnelles ;

DÉCLARE recevable la contestation de la travailleuse du 9 juin 2008;

CONVOQUERA de nouveau les parties, incluant la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à une audience sur le fond de la contestation déposée par la travailleuse.

 

 

__________________________________

 

Johanne Landry

 

 

 

 

Me Jean-Christian Blais

BUREAU D’AIDE JURIDIQUE

Représentant de la partie requérante

 

 

Me François Bouchard

LANGLOIS, KRONSTRÖM, DESJARDINS

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Isabelle Vachon

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           Comité des Travailleurs et Travailleuses Accidentés de l’Estrie.

[2]           L.R.Q. c. A-3.001.

[3]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[4]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.). La Cour d’appel réitère cette interprétation quelques semaines plus tard dans CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).

[7]           Hébert et Groupe ADF inc., 2011 QCCLP 6065 .

[8]           Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, 1633 p., paragraphes 853-854.

[9]           Article 2811 , C.c.Q.

[10]         Avon Canada et Mathieu, C.L.P. 112860-62C-9903, 28 septembre 2000, L. Landriault;  Lahaie et Municipalité de St-Lin, C.L.P. 160268-63-0105, 15 avril 2003, L. Nadeau, (03LP-31).

[11]         C.L.P. 391070-71-0910, 18 février 2010, A. Vaillancourt.

[12]         Cantin c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Québec, 200-17-011649-092, 15 janvier 2010, j. Ouellet.

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