Beaulieu et Produits forestiers Anticosti inc. |
2011 QCCLP 17 |
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[1] Le 29 mars 2010, monsieur Reno Beaulieu (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 11 mars 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision en maintient une rendue initialement le 22 décembre 2009 qui reconsidérait une décision du 23 septembre 2009 et déclarait qu’il n’existait pas de relation entre le diagnostic d’anxiété situationnelle et la lésion professionnelle survenue le 5 août 2005.
[3] L’audience s’est tenue le 21 octobre 2010 à Rivière-du-Loup en présence du travailleur et de son procureur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de disposer d’un moyen préliminaire portant sur la légalité de la reconsidération effectuée par la CSST et de convoquer à nouveau les parties dans l’éventualité où le tribunal rejetterait ce moyen préliminaire.
[5] Compte tenu du sérieux du moyen soulevé par le travailleur et en raison de la complexité de la preuve qui devra être administrée sur le fond du litige, la Commission des lésions professionnelles accepte de n’étudier la preuve que sur le moyen préliminaire soulevé par le travailleur et de réserver sa compétence pour convoquer à nouveau les parties le cas échéant.
[6] Le travailleur soutient que la décision reconsidérant celle ayant reconnu la relation entre l’anxiété situationnelle et la lésion du 5 août 2005 est d’une nullité absolue puisque non conforme à la loi. Ses prétentions sont à l’effet que la CSST n’identifie aucune erreur donnant lieu à la reconsidération, contrairement aux prescriptions de l’article 365 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), et subsidiairement, qu’elle n’a pas informé les parties de son intention de reconsidérer sa décision.
LES FAITS SUR LE MOYEN PRÉLIMINAIRE
[7] Le travailleur est victime d’une lésion professionnelle le 5 août 2005 lorsque le camion qu’il conduit sur un chemin forestier subit un bris mécanique. Pour éviter de quitter la route, il doit donner un coup de volant, en raison du bris de la direction. De façon contemporaine, à la survenance de sa lésion professionnelle, un diagnostic de tendinite de l’épaule gauche et bursite de la coiffe des rotateurs et d’épicondylite est posé.
[8] Par le passé, le travailleur avait déjà subi des discoïdectomies pour hernies discales lombaires. Le 16 février 2006, la docteure Emmanuelle Dudon, chirurgienne orthopédiste, pose un diagnostic de tendinite des épaules et de sténose spinale cervicale avec hernie discale C6-C7. La docteure Dudon estime qu’il est trop tôt pour évaluer les limitations fonctionnelles découlant de l’accident survenu le 5 août 2005.
[9] Le 18 mai 2006, la docteure Dudon procède à l’évaluation médicale des conséquences de la lésion du 5 août 2005. Elle suggère l’attribution d’un pourcentage d’atteinte permanente de 11 % en raison de séquelles de hernie discale cervicale et de séquelles de tendinite de l’épaule gauche, et recommande l’octroi de limitations fonctionnelles visant à protéger ces deux sites anatomiques.
[10] À la suite des conclusions émises par la docteure Dudon, la CSST détermine que le travailleur n’est pas en mesure de reprendre l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion professionnelle et détermine pour lui un emploi convenable de mécanicien de véhicules légers. Le travailleur s’inscrit alors à une formation qui se tient à Chicoutimi.
[11] Le 18 janvier 2007, alors qu’il est à suivre sa formation, le travailleur fait une chute dans un local de l’école et se blesse au niveau lombaire.
[12] Le 9 février 2007, le docteur Royer pose un diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche.
[13] Le 7 mars 2007, la CSST rend une décision acceptant la réclamation pour lésion professionnelle du 18 janvier 2007, y associant un diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche.
[14] Le 14 mars 2007, la CSST rend une première décision en reconsidération modifiant sa décision du 7 mars 2007 pour y préciser que la lésion professionnelle est survenue dans le cadre du plan individualisé de réadaptation.
[15] Le 16 mai 2007, le travailleur subit une chirurgie pour décompression lombaire.
[16] Le 24 octobre 2007, le docteur Roy procède à l’évaluation de l’atteinte permanente découlant de la lésion lombaire survenue le 18 janvier 2007. Il recommande un pourcentage d’atteinte permanente de 23 %.
[17] Le 17 janvier 2008, la CSST rend une décision où elle entérine le pourcentage d’atteinte permanente suggéré par le docteur Roy.
[18] Le 4 avril 2008, la CSST procède à une deuxième reconsidération d’une de ses décisions. Ainsi, elle reconsidère la décision du 17 janvier 2008 portant sur l’atteinte permanente et l’augmente à 27,5 %.
[19] Le 8 octobre 2008, le travailleur présente une réclamation pour une nouvelle rechute au niveau lombaire, laquelle l’oblige à arrêter de travailler; elle est acceptée par la CSST le 4 février 2009.
[20] Le 21 avril 2009, la docteure Royer rapporte des symptômes dépressifs en lien avec l’arrêt de travail.
[21] Le 9 juin 2009, le travailleur informe son agent qu’il doit maintenant prendre des antidépresseurs et en demande le remboursement.
[22] Le 21 septembre 2009, un médecin régional de la CSST émet l’avis qu’il n’existe pas de relation probable entre un diagnostic d’anxiété situationnelle et l’événement de 2005.
[23] Le 22 septembre 2009, madame Katy Bouffard, agente d’indemnisation à la CSST, procède à l’évaluation de l’admissibilité d’une réclamation pour rechute avec un diagnostic d’anxiété situationnelle. Elle indique dans ses notes :
Analyse nouveau diagnostic : syndrome dépressif
Considérant l’IMC au MD TX qui retient comme DX psychiologique une anxiété situationnelle
Considérant les DX acceptés à l’évènement et en RRA
Considérant la consolidation avec séquelles et L.F.
Considérant l’opinion du MD TX quant à l’étiologie du DX psychique soit qu’il puisse être d’ordre personnel et relié à l’évènement
Considérant les stresseurs personnels rapportés par le Md TX soient : son inquiétude face à son avenir, situation familiale, incertitude fac à sa condition médicale, les délais du système de santé…
Considérant l’analyse médicale
Il y a relation entre le diagnostique d’anxiété situationnelle et l’évènement d’origine (Notre soulignement)
[24] Le 23 septembre 2009, la CSST, sous la plume de madame Katy Bouffard, rend une décision déclarant qu’il existe une relation entre l’anxiété situationnelle et l’évènement du 5 août 2005.
[25] Le 22 décembre 2009, la CSST reconsidère pour une troisième fois l’une de ses décisions, invoquant l’application de l’alinéa 1 de l’article 365 de la loi. Cette fois, c’est la décision du 23 septembre 2009 acceptant le diagnostic d’anxiété situationnelle qui est reconsidérée; la CSST déterminant qu’il n’y a pas de relation entre ce diagnostic et l’évènement du 5 août 2005.
[26] Le dossier constitué devant la Commission des lésions professionnelles est silencieux quant aux motivations ayant amené la CSST à reconsidérer sa décision. Il en est de même du complément de dossier produit par le travailleur lors de l’audience. Ni le travailleur ni la Commission des lésions professionnelles n’ont été en mesure de retracer les éléments ayant amené la CSST à reconsidérer sa décision.
[27] Le travailleur a brièvement témoigné devant la Commission des lésions professionnelles. Il indique qu’au départ, madame Katy Bouffard lui avait indiqué que le diagnostic d’anxiété situationnelle était accepté et que la CSST rembourserait le coût de sa médication. En décembre 2009, il a reçu une lettre de la CSST l’informant du fait que le diagnostic n’était plus retenu, il a alors appris que la médication ne serait plus remboursée par cet organisme. Personne ne l’a informé de ce changement d’orientation avant qu’il reçoive la décision.
[28] Malgré la décision refusant la relation entre le diagnostic d’anxiété situationnelle et sa lésion professionnelle, la CSST paie les services d’un psychologue que le travailleur rencontre en raison de cette situation. Par contre, la CSST refuse toujours de rembourser les médicaments.
L’AVIS DES MEMBRES
[29] Tant le membre issu des associations d’employeurs que le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir le moyen préliminaire soulevé par le travailleur. Ils considèrent que l’erreur à laquelle fait référence le législateur à l’article 365 de la loi doit être spécifiquement identifiée par la CSST pour donner lieu à une reconsidération.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[30] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la reconsidération effectuée par la CSST est conforme à la loi.
[31] Le législateur a prévu que la CSST avait la possibilité de reconsidérer ses décisions lorsque surviennent des situations spécifiques énumérées à l’article 365 de la loi, lequel se lit comme suit :
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.
Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.
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1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.
[32] La décision en reconsidération du 22 décembre 2009 indique clairement que c’est en vertu du premier alinéa de l’article 365 que la CSST a décidé de reconsidérer sa décision d’admissibilité sur le diagnostic d’anxiété situationnelle. La CSST indique donc qu’elle entend corriger une erreur et n’indique nullement de quelle erreur il s’agit. La Commission des lésions professionnelles n’a d’ailleurs pas été en mesure, à partir des documents dont elle disposait, de retrouver la mention de l’erreur à laquelle on fait référence.
[33] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est à l’effet d’interpréter de façon très large la notion de toute erreur[2]. Par contre, il demeure que l’existence de cette erreur doit être démontrée au moyen d’une preuve probante et convaincante[3]. La Commission des lésions professionnelles estime qu’au niveau de la validité d’une reconsidération, elle doit se contenter de la démonstration de l’existence d’une erreur. C’est au stade de l’étude de la justesse de la décision reconsidérant une décision initiale qu’elle en évaluera le bien fondé.
[34] La CSST n’a jamais identifié l’erreur qu’elle considère justifier une reconsidération. Il n’appartient pas au tribunal de faire cet exercice à sa place. L’article 365 de la loi en est un d’exception au principe de la stabilité des décisions et son premier alinéa défère un pouvoir discrétionnaire appartenant en propre à la CSST. Le législateur a même prévu que le refus de la CSST de reconsidérer pour corriger toute erreur, ne peut faire l’objet d’une contestation, tel que prévu au deuxième alinéa de l’article 358 de la loi.
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[35] À défaut d’avoir identifié clairement l’erreur qui justifie à ses yeux la reconsidération d’une décision, la CSST ne pouvait appliquer le premier alinéa de l’article 365 de la loi.
[36] La possibilité pour la CSST de reconsidérer une décision pour corriger une erreur constitue une exception au principe de la stabilité des décisions. Il ne faudrait pas y voir un mode alternatif de gestion des réclamations. Lorsqu’elle en est à sa troisième reconsidération d’une de ses décisions pour corriger une erreur dans un même dossier, l’équité exige que l’administration informe l’administré de la nature de l’erreur commise.
[37] Dans les faits, il est difficile pour le tribunal de suivre la démarche adoptée par la CSST. Dans un premier temps, elle accepte de reconnaître la relation entre le diagnostic d’anxiété situationnelle en relation avec l’évènement du 5 août 2005; par la suite, elle reconsidère sa décision et refuse ce diagnostic et, dans un troisième temps, elle défraie les services d’un psychologue que le travailleur consulte en raison de ce diagnostic. La CSST n’explique jamais pourquoi elle assume les frais des traitements avec le psychologue. Ce comportement laisse songeur et crée une confusion quant à la nature de l’erreur qui aurait pu exister dans la décision du 23 septembre 2009.
[38] Le moyen préliminaire soulevé par le travailleur doit donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par le travailleur, monsieur Reno Beaulieu ;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 11 mars 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nulle la décision de la CSST du 22 décembre 2009 qui reconsidère sa décision du 23 septembre;
RÉTABLIT la décision du 23 septembre 2009 ;
DÉCLARE qu’il existe une relation entre le diagnostic d’anxiété situationnelle et l’évènement du 5 août 2005.
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Michel Larouche |
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Me Pierre Caux |
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MÉNARD, MILLARD, CAUX |
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Représentant de la partie appelante |
[1] L.R.Q., c. A-3
[2] Crook et Motel Castel de l’Estrie, C.L.P. 106386-62B-9810, 10 juin 1999, G. Marquis; Turcotte et Hôpital La Providence, C.L.P. 178211-05-0202, 30 juillet 2002, L. Boudreault.
[3] Couture et Manipul Express, C.L.P. 355680-31-0808, 09-10-19, A. Quigley; Hyprescon inc et Atrash, C.L.P. 263504-61-0506, 07-11-12, S. Di Pasquale.
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