Thibeau c. Côté

2018 QCCQ 2927

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ARTHABASKA

LOCALITÉ DE

VICTORIAVILLE

« Chambre civile »

N° :

415-22-006975-159

 

 

 

DATE :

23 avril 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN TRUDEL, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

FRANÇOIS THIBEAU

Demandeur/Défendeur reconventionnel

c.

FRÉDÉRIC CÔTÉ

et

ÉRIC DESCHÊNES

Défendeurs/Demandeurs reconventionnels

et

AUDREY LECLERC

Intervenante/Demanderesse reconventionnelle

et

ISABELLE ST-JEAN

Intervenante/Demanderesse reconventionnelle

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          On dit que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Mais où exactement doit-on tracer la ligne qui délimite les droits de chacun selon la tolérance réciproque que se doivent des voisins?

[2]          Telle est la principale question que soulève le litige.

[3]          Alléguant que ses voisins ont volontairement nui et brimé sa qualité de vie en le harcelant psychologiquement, en l’intimidant et en perturbant sa quiétude par le dépôt injustifié de plaintes aux autorités policières au moindre soubresaut, le demandeur réclame 16 000 $ en dommages.

[4]          À l’origine, le recours du demandeur vise les défendeurs Frédéric Côté et Éric Deschênes qui demeurent respectivement au […] à Victoriaville, résidences voisines de celle du demandeur. Par acte d’intervention volontaire, leurs conjointes respectives, Audrey Leclerc et Isabelle St-Jean, se joignent au recours.

[5]          Les défendeurs et intervenantes (ci-après appelés « les défendeurs ») contestent la réclamation. Ils nient les allégations du demandeur à leur endroit.

[6]          Le couple Côté-Leclerc demande que la requête du demandeur soit déclarée abusive et se porte demandeur reconventionnel. Les conjoints réclament chacun du demandeur la somme de 12 400 $ et le remboursement de la totalité des honoraires professionnels et déboursés encourus pour assurer leur défense.

[7]          Le couple Deschênes-St-Jean se porte également demandeur reconventionnel et réclame chacun 25 000 $ en dommages compensatoires et dommages punitifs en plus du remboursement total des honoraires extrajudiciaires encourus pour sa défense.

Mise en contexte

[8]          En 2008, le demandeur et sa conjointe Émilie Laveault acquièrent un terrain et construisent une résidence familiale au [adresse 2] à Victoriaville.

[9]          La rue Montcalm est une rue paisible située dans un quartier résidentiel prisé par les jeunes familles et où règnent généralement la quiétude et le respect entre les voisins.

[10]        À la même époque, le couple Côté-Leclerc s’installe au […]. Ils ont, dans les années suivantes, leurs deux enfants, âgés, au moment de l’audition du procès, de 5 et 7 ans.

[11]        Le couple Deschênes-St-Jean habite quant à lui au [adresse 1] avec leur jeune fille et ce, depuis l’été 2010.

[12]        Entre 2012 et 2015, la relation entre le demandeur et les couples défendeurs s’envenime pour des raisons que nous détaillerons plus en détail au chapitre des faits pertinents retenus aux fins du présent jugement.

[13]        Le 23 juin 2015, le demandeur tient un rassemblement à son domicile auquel participent plus d’une quinzaine de parents et amis à l’occasion de la fête de la Saint-Jean-Baptiste. L’intensité des festivités amène les autorités policières à intervenir à deux reprises chez le demandeur qui se voit alors remettre un billet d’infraction pour nuisance.

[14]        Persuadé être victime d’un stratagème de ses voisins visant à l’empêcher de jouir pleinement de sa propriété, le demandeur retient les services d’un avocat afin de faire valoir ses droits.

[15]        Ceci met la table. Maintenant, il y a lieu de revoir plus en détail les faits qui sont à l’origine de la judiciarisation de ce litige.

Les faits retenus comme pertinents à la solution du litige

[16]        Depuis l’arrivée du demandeur dans la rue Montcalm jusqu’à la saison estivale 2012, la cohabitation entre les résidents est sans histoire.

[17]        Adeptes d’un mode de vie festif, le demandeur et sa conjointe ont une vie sociale active et bien remplie où les rencontres entre amis et en famille prennent une grande place et sont célébrées pleinement, avec intensité et parfois même au prix de certains débordements.

[18]        Entre 2012 et 2015, le demandeur tient plus d’une cinquantaine de rassemblements ou fêtes d’amis et de parents à son domicile auxquels participent, selon l’occasion, entre 5 et 30 personnes de tous âges.

[19]        Il est bon de noter qu’à certaines occasions, ces rassemblements se tiennent parfois de manière commune avec l’un ou l’autre de deux amis et voisins de la rue Montcalm, soit MM. Olivier Dufour et Maxime Roux qui partagent également dans une certaine mesure, le mode de vie festif du demandeur et de sa conjointe.[1]

[20]        Chaque rassemblement, où, faut-il le préciser, l’alcool coule à flot, s’accompagne de nombreux va-et-vient de personnes et de voitures dans la rue Montcalm, de musique forte émise par des systèmes de son performants et sophistiqués, de chants, de cris et hurlements parfois festifs, parfois agressifs, de feux d’artifice, de bruits de grondement de moteurs et de crissements de pneus qui s’éternisent jusqu’aux petites heures du matin.

[21]        S’ils tolèrent la situation pour un certain temps, la fréquence soutenue et l’intensité grandissante des évènements amènent à différentes occasions les défendeurs à souligner au demandeur leur inconfort, en vain.

[22]        Le demandeur fait la sourde oreille aux avertissements de ses voisins, d’abord plutôt polis et par la suite plus sentis, qui se plaignent du bruit de ses comportements irrespectueux et ceux de ses invités à leur endroit. Évidemment, on comprend que dans de telles circonstances, la communication entre voisins est difficile.

[23]        En août 2013, le couple Deschênes-St-Jean porte plainte à la Sûreté du Québec contre le demandeur pour vacarme nocturne.

[24]        Le 8 septembre 2013, le couple Deschênes-St-Jean, excédé par le bruit provenant d’une fête tenue chez le voisin Olivier Dufour, à laquelle participe le demandeur, contacte la Sûreté du Québec qui dépêche un patrouilleur sur les lieux afin d’intervenir auprès de ce dernier et faire cesser le bruit. Un billet d’infraction pour nuisance est émis à l’attention d’Olivier Dufour. Dès le départ des policiers, la situation dégénère. Les élans de frustrations et les menaces contre le couple Deschênes-St-Jean provenant du demandeur et de certains des invités d’Olivier Dufour fusent de toutes parts. Les policiers sont à nouveau appelés sur les lieux, mais n’ont pas l’occasion d’intervenir en temps opportun.

[25]        Le dimanche 29 septembre 2013, vers 1 h, le couple Deschênes-St-Jean est à nouveau réveillé par des bruits de moto et de musique provenant cette fois de la résidence du demandeur et remarque que ce dernier court et danse, torse nu, bière à la main sur la voie publique, devant leur propriété.

[26]        Deschênes va à la rencontre du demandeur et de son ami Olivier Dufour en même temps que le défendeur Côté qui est furieux de la situation. Côté exige que le bruit cesse immédiatement. Le demandeur refuse d’obtempérer et crie aux défendeurs « je peux vous acheter et vous revendre à rabais… j’ai une vie sexuelle moi… ». Il clame agir de la sorte pour « challenger » Deschênes et St-Jean.

[27]        Le demandeur et son ami Olivier Dufour expliquent à Deschênes être furieux d’avoir fait l’objet de plaintes à la police et qu’ils s’en prennent à lui et à sa conjointe pour les avoir dénoncés aux services policiers.

[28]        Le couple Deschênes-St-Jean porte plainte à la Sûreté du Québec contre le demandeur. Au moment de recevoir le billet d’infraction émis en vertu du règlement municipal de la Ville de Victoriaville concernant la nuisance[2], le demandeur arrogant et de toute évidence en état d’ébriété, informe l’agente Julie Langelier que ça ne le dérange pas du tout de recevoir des billets d’infraction et qu’elle pouvait en émettre pour un million de dollars si elle le croyait nécessaire.

[29]        Après le départ des policiers, le demandeur baisse le volume de la musique qui perdure toutefois jusqu'à 3 h du matin.

[30]        Craintif pour sa sécurité, cet événement convainc le couple Deschênes-St-Jean d’installer des caméras de surveillance à leur résidence.

[31]        Le billet d’infraction fait l’objet d’un plaidoyer de culpabilité et est acquitté par le demandeur le 5 novembre 2013.

[32]        Se percevant victime d’un complot ourdi par les défendeurs, le demandeur développe une frustration envers eux. Sa considération pour le voisinage ne s’améliore pas et prend alors une tangente inversement proportionnelle à l’intensité et la fréquence des réunions festives qu’il tient à son domicile.

[33]        En 2013, le demandeur tient plusieurs fêtes à son domicile.[3] Les soirées sont accompagnées de musique forte, de cris, hurlements et insultes adressées aux voisins.

[34]        Le manège se répète en 2014. À différentes occasions, les services policiers sont appelés sur les lieux et interviennent auprès du demandeur, sans véritable collaboration de sa part. Les autorités policières suggèrent d’ailleurs aux défendeurs de procéder par mises en demeure et lettres de paix adressées au demandeur afin qu’il change son comportement.

[35]        Les activités du demandeur ne sont pas que nocturnes. Régulièrement, la musique à fort volume provenant de sa résidence est perçue par les défendeurs autant le jour que la nuit.

[36]        Au risque de se répéter, les rencontres festives sont, à chaque fois, l’occasion de faire jouer de la musique à tue-tête, de cris et hurlements où le demandeur et ses invités investissent la voie publique pour danser, boire et lancer au voisinage et plus particulièrement aux défendeurs, railleries et insultes, sans aucune retenue.

[37]        À titre d’exemple, le 3 octobre 2014, une fête commune se tient chez le demandeur et son voisin Mathieu Roux. Vers 22 h 30, la musique cesse. Un véhicule entre en scène et exécute dans la rue Montcalm des « survirages[4] » à grands coups de crissements de pneus et de grondement de moteur.

[38]        Côté sort de sa résidence applaudissant de manière sarcastique le conducteur du véhicule. Les services policiers sont appelés sur les lieux. L’incartade qui s’en suit amène à nouveau le demandeur à se vanter d’avoir planifié ce tapage pour se venger des voisins qui salissent son nom et portent plainte à la police, sans raison. Le demandeur menace le défendeur Côté de poursuite en raison de harcèlement constant dont il se dit victime.

[39]        La tension monte entre les parties.

[40]        Les défendeurs anticipent avec anxiété la saison estivale 2015 et le retour des immanquables soirées festives du demandeur et des nuits d’insomnie qui les accompagnent. À cette période, la défenderesse St-Jean est en arrêt de travail en raison d’une grande fatigue et le défendeur Deschênes, au chômage, se voit prescrire également une médication pour fatigue chronique.

[41]        Le tout culmine le 23 juin 2015, jour de la Fête nationale du Québec[5], alors qu’une réunion familiale s’organise chez le demandeur.

[42]        Dès 14 h, la musique nuit à la quiétude du voisinage.

[43]        Malgré deux visites des policiers au cours de cette journée, lors desquelles ces derniers constatent le volume agressant de la musique, l’utilisation de microphones, les bruits de klaxons, les cris, chants et les feux d’artifice, le demandeur et ses invités continuent les festivités ne se souciant aucunement de leur environnement.

[44]        Thibeau répond aux policiers avec arrogance que ses invités et lui célèbrent une fête nationale et qu’il n’entend pas modifier son comportement.

[45]        Un constat d’infraction est émis[6] en vertu du règlement de nuisance de la Ville de Victoriaville pour lequel le demandeur enregistre cette fois un plaidoyer de non-culpabilité.

[46]        Le 29 juin suivant, par l’intermédiaire de son procureur, il met en demeure ses voisins Frédéric Côté et Éric Deschênes de cesser de nuire à sa qualité de vie, de l’intimider et de le harceler, notamment en appelant la police aux moindres soubresauts qualifiant au passage de « croisade » leurs agissements à son endroit.

[47]        Les défendeurs répondent à la mise en demeure par la voie de leur procureur respectif les 9 et 22 juillet 2015 dénonçant immédiatement la stratégie adoptée par le demandeur de se poser en victime et d’inverser les faits en sa faveur.

[48]        À la fin du mois de juillet suivant, le demandeur loge une requête introductive d’instance réclamant à ses voisins Côté et Deschênes la somme de 16 000 $ en compensation pour les inquiétudes et bouleversements, la perte de jouissance de la vie et l’atteinte à son intégrité physique et psychologique découlant des allégations de comportement répréhensible à son endroit.

[49]        Plus précisément, le demandeur plaide que les défendeurs ont volontairement nui et brimé sa qualité de vie :

a)    En le harcelant psychologiquement à plusieurs reprises;

b)    En le perturbant en faisant preuve à son égard et ce, à plusieurs reprises, d’intimidation;

c)    En le perturbant en appelant sporadiquement la police pour formuler des plaintes au moindre soubresaut.

[50]        Les défendeurs contestent évidemment la demande et plaident faire l’objet d’une attaque en règle par laquelle on leur reproche essentiellement les sévices qu’ils subissent et qui découlent du comportement répréhensible du demandeur.

[51]        En cour municipale, le demandeur est trouvé coupable de l’infraction susmentionnée le 7 mars 2016. L’amende est acquittée le 14 mars suivant.

[52]        En 2016, le demandeur et sa famille quittent le Québec pour aller vivre pendant une année à l’extérieur du pays. À leur retour au Québec, ils vendent leur demeure de la rue Montcalm et déménagent dans un autre secteur de la Ville de Victoriaville.

Analyse et Décision

[53]        Avant de procéder à l’analyse de la preuve, le Tribunal tranche une objection soulevée par le procureur du demandeur et prise sous réserve en cours d’audition.

a)    Objection à la preuve

[54]        Les défendeurs Éric Deschênes et Isabelle St-Jean désirent mettre en preuve différents enregistrements vocaux et bandes vidéo pris par le défendeur Deschênes pour démontrer la nature des propos tenus par le demandeur lors des rassemblements et l’intensité de la musique provenant de son domicile. Ces enregistrements ont été communiqués au demandeur comme Pièce D-I-7.

[55]        Le demandeur s’objecte à la production de cette preuve au motif que le défendeur n’a pas fait la démonstration de la garantie de fiabilité des fichiers électroniques transmis sur support USB. Il plaide que l’admission en preuve de ces fichiers audio et vidéo, dont l’authenticité n’est pas démontrée, pourrait déconsidérer l’administration de la justice.[7]

[56]        Le Tribunal estime que les enregistrements sont des documents technologiques au sens de l’article 3 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[8].

[57]        Le demandeur ne soulève aucun moyen qui permettrait de conclure à une atteinte à l’intégrité de ces enregistrements.

[58]        En fait, la preuve démontre que ces fichiers ont été créés et tirés d’appareils numériques de type caméscope ou autre système audio portatif pour être transférés sur clé USB et qu’en aucun temps ces bandes audio et vidéo n’ont été altérées de quelque manière que ce soit.

[59]        Dans les circonstances, le défendeur Deschênes n’a pas à démontrer que le support du document sur clé USB permet d’assurer leur intégrité, selon les dispositions de l’article 7 de la loi précitée. Les fichiers contenus à la Pièce D-I-7 proviennent d’une technologie fiable et éprouvée et l’authenticité des enregistrements ne fait aucun doute.

[60]        Il y a lieu de rejeter l’objection soulevée par le demandeur.

[61]        Ajoutons que par ailleurs, de manière générale, le demandeur ne nie pas le contenu des bandes audio et vidéo, ni la teneur des propos qui y sont relatés, admettant, pour les plus pertinents, les avoir tenus en y apportant toutefois des explications.

b)   La demande principale

[62]        Le demandeur soutient que ses voisins ont volontairement nui et brimé sa qualité de vie en le harcelant psychologiquement, en l’intimidant et en perturbant sa quiétude par le dépôt injustifié de plaintes aux autorités policières au moindre soubresaut. Il réclame 16 000 $ en dommages.

[63]        S’il admet que sa conjointe et lui ont une vie sociale active et bien remplie, le demandeur plaide que la réaction disproportionnée des défendeurs à son endroit et leur intolérance face aux inconvénients qui découlent de l’exercice, somme toute raisonnable de son droit de propriété, notamment lorsqu’il tient des fêtes de famille ou rassemblements d’amis et enfin le dépôt de plaintes aux autorités policières au moindre sursaut constituent du harcèlement et de l’intimidation qui briment sa qualité de vie et celle de sa famille.

[64]        À l’étude de la preuve, cette prétention choque l’esprit. Rien n’est moins vrai.

[65]        La réclamation à l’endroit des défendeurs est non fondée et n’est soutenue par aucune preuve qui vaille, tant à l’égard de leur responsabilité alléguée que des dommages réclamés.

[66]        Le témoignage du demandeur et celui de sa conjointe ne font ressortir aucun élément pertinent au soutien des reproches de harcèlement, d’intolérance et d’intimidation formulés contre les défendeurs. Il n’a pas non plus été démontré que ces derniers ont déposé des plaintes déraisonnables ou non fondées aux autorités policières dans le seul et strict but de nuire. Le recours aux services policiers pour faire cesser une telle nuisance est un droit fondamental dont l’exercice réfléchi et parcimonieux fait par les défendeurs ne peut, d’aucune façon, entraîner quelque responsabilité que ce soit.

[67]        Ajoutons que les plaintes ou appels téléphoniques faits aux services policiers ont résulté pour la plupart en interventions justifiées et nécessaires auprès du demandeur et que la décision d’émettre des billets d’infraction en conséquence n’appartient aucunement aux défendeurs, mais bien aux autorités concernées.

[68]        La preuve que les défendeurs aient pu contrevenir à une quelconque règle de civisme ou à leur obligation de tolérance face aux inconvénients normaux du voisinage est inexistante.

[69]        En fait, les faits avérés de cette affaire permettent de conclure tout au contraire.

[70]        Dans les circonstances, les explications bancales et peu crédibles du demandeur pour justifier son recours soulèvent un sérieux questionnement sur ses réelles motivations à judiciariser le litige intervenu avec les défendeurs. Nous y reviendrons plus en détail lors de l’analyse des demandes reconventionnelles déposées contre lui.

[71]        Non seulement la demande principale doit-elle échouer, mais le mépris des règles les plus élémentaires de civisme et de bon voisinage démontré par le demandeur donne un « effet boomerang » à la judiciarisation du litige qui se retourne maintenant contre lui.

c)    Les demandes reconventionnelles

[72]        Les demandes reconventionnelles des défendeurs et intervenantes découlent également de la difficile relation de voisinage existant avec le demandeur.

[73]        Les défendeurs reprochent essentiellement au demandeur d’avoir, à maintes reprises, troublé la paix du quartier où ils demeurent et multiplié à leur endroit les gestes de malice, d’harcèlement et d’intimidation affectant leur quiétude et leur qualité de vie.

[74]        Ils précisent que depuis 2013, la tenue de nombreux rassemblements festifs sur la propriété du demandeur jusqu’aux petites heures du matin, la musique émise à des niveaux sonores inacceptables et modulés à son gré de jour comme de nuit, les bruits délibérés de voiture (grondements de moteur et crissements de pneus), les cris et hurlements, parfois festifs, parfois agressifs, du demandeur et de ses invités en pleine nuit, les invectives, railleries et insultes, constituent des troubles de voisinage au sens de l’article 976 du Code civil du Québec.

[75]        Ils ajoutent qu’en agissant de la sorte, le demandeur abuse de ses droits et porte atteinte de manière illicite et intentionnelle à leur droit à la vie privée, à la jouissance paisible de leur propriété, à l’inviolabilité de leur demeure, leur dignité, leur honneur et leur réputation.

[76]        Après analyse de la preuve, de la crédibilité des témoignages en demande et en défense, le Tribunal accueille les demandes reconventionnelles contre le demandeur. Voici pourquoi et dans quelle mesure.

d)   Les troubles de voisinage

[77]        L’article 976 du Code civil du Québec énonce :

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

[78]        Cet article crée un régime de responsabilité sans faute dans le cas d’un trouble de voisinage lorsqu’il est démontré que l’usage que l’un des voisins fait de son droit de propriété est incompatible avec la jouissance du droit de propriété de l’autre.[9]

[79]        La Cour d’appel a tout récemment rappelé les conditions de mise en œuvre de ce régime de responsabilité sans faute dans l’affaire Vidéotron c. Titus[10] de la manière suivante :

« [10] L’article 976 C.c.Q. énonce une obligation positive, soit celle de supporter les inconvénients « normaux » de voisinage. Il introduit donc un « droit de nuire » entre voisins tant que la nuisance n’excède pas le seuil de tolérance requis dans un contexte donné.

[11] La particularité de l’article 976 C.c.Q. réside dans l’examen des inconvénients allégués et leur normalité plutôt que sur le comportement de leur auteur.

[12] C’est ainsi que la Cour suprême définit le régime de responsabilité établi par l’article 976 C.c.Q. :

[86] Malgré son caractère apparemment absolu, le droit de propriété comporte néanmoins des limites. Par exemple, l’art. 976 C.c.Q. établit une autre limite au droit de propriété lorsqu’il dispose que le propriétaire d’un fonds ne peut imposer à ses voisins de supporter des inconvénients anormaux ou excessifs. Cette limite encadre le résultat de l’acte accompli par le propriétaire plutôt que son comportement. Le droit civil québécois permet donc de reconnaître, en matière de troubles de voisinage, un régime de responsabilité sans faute fondé sur l’art. 976 C.c.Q., et ce, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la notion d’abus de droit ou au régime général de la responsabilité civile. La reconnaissance de cette forme de responsabilité établit un juste équilibre entre les droits des propriétaires ou occupants de fonds voisins.

(Références omises) »

[80]        Le recours pour troubles de voisinage demande donc la démonstration que les parties sont voisines, que les troubles découlent de l’exercice par l’une d’elles de son droit de propriété et qu’il en résulte des inconvénients anormaux.

[81]        Pour déterminer le caractère anormal ou exorbitant des inconvénients, le Tribunal tient compte entre autres de la gravité des troubles, du caractère des lieux, de la légalité de l’activité, de l’occupation antérieure, du bien-être de la collectivité et de la conduite du défendeur. La récurrence des gestes reprochés est également un élément important de l’équation.[11]

[82]        Les défendeurs ont fait la démonstration que les nombreuses festivités tenues au domicile du demandeur et son comportement désobligeant à leur endroit sont la source de nombreux inconvénients.

[83]        La tenue de nombreux rassemblements festifs sur la propriété du demandeur jusqu’aux petites heures du matin, la musique émise à des niveaux sonores inacceptables et modulés à son gré de jour comme de nuit, les bruits délibérés de voiture (grondements de moteur et crissements de pneus), les cris et hurlements, parfois festifs, parfois agressifs, du demandeur et de ses invités en pleine nuit, les invectives, railleries et insultes en sont des exemples patents.

[84]        Ajoutons que les autorités policières interviennent à plusieurs reprises sur les lieux afin de calmer le jeu sans réel succès. En fait, entre 2013 et 2015, une quinzaine d’interventions policières sont effectuées au domicile du défendeur et de sa conjointe pour faire cesser ces inconvénients.

[85]        La récurrence des rencontres festives du demandeur dans un quartier paisible où demeurent de jeunes familles, l’émission de bruit de tout genre et l’utilisation abusive de la musique à toute heure du jour et de la nuit en contravention à la réglementation municipale sur la nuisance et enfin les nombreux dérangements causés par son comportement empreint de manque de civisme, amènent le Tribunal à conclure à la gravité des inconvénients subis, principalement par les défendeurs, mais également par l’ensemble des résidents de la rue Montcalm et à leur caractère anormal et excessif.

[86]        L’on conclut aisément que les inconvénients subis pendant plusieurs années par les défendeurs ne peuvent être qualifiés de simple inconfort. Il s’agit de troubles de telles gravité et récurrence qu’ils en deviennent insupportables.

[87]        Il est clairement anormal et excessif que les défendeurs, citoyens demeurant dans un quartier paisible, aient à supporter le mode de vie excessif, envahissant, bruyant et méprisant du demandeur qui s’impose et agit comme seul et unique maître de la rue, sans aucune considération pour autrui.

e)   L’abus de droit et le caractère intentionnel des agissements du demandeur

[88]        La preuve démontre que le demandeur a verbalisé à plusieurs reprises sa frustration envers ses voisins pour avoir dénoncé son comportement aux autorités policières alors que ces derniers n’exigeaient que le maintien du calme et de la sérénité habituelle qu’on connaît d’un quartier résidentiel normal.

[89]        Il n’y a qu’à référer aux paroles et moqueries suivantes du demandeur, dirigées parfois directement aux défendeurs ou criées à tous vents et relevées précédemment dans l’énoncé des faits de l’affaire pour s’en convaincre :

·      « Amènes-en des tickets je m’en fous, j’ai de l’argent. Je peux vous acheter et vous revendre à rabais »;

·      « J’ai une vie sexuelle, moi, j’ai des femmes à satisfaire, je peux vous acheter (…) »

·      « Mes voisins n’ont pas de vie, c’est des moins que rien… »;

·      En référant au couple Deschênes-St-Jean : « Eux-autres, ils appellent la police : Ils n’ont pas de vie »;

·      S’adressant au défendeur Deschênes : « On a fait ça pour vous challenger, toi et Isabelle »[12];

·      S’adressant au défendeur Côté : « J’ai callé la shot, le bruit, c’est pour challenger Éric et Isabelle… »;

·      Au soir d’un rassemblement particulièrement bruyant[13] : « Ça sent la police à soir… ».

·      Au soir d’un rassemblement bruyant, s’adressant à ses voisins: « Prenez des notes : les "pas de vie»[14];

·      Au soir d’un rassemblement particulièrement bruyant « On est en mode "fireworks" : ça va péter en tabarnak »[15].

[90]        Ajoutons à cela le comportement du demandeur à l’endroit des forces de l’ordre. Les témoignages des défendeurs à ce sujet sont corroborés par la déclaration juste et crédible de l’agent Julie Langelier qui confirme l’attitude défiante, arrogante et irrespectueuse du demandeur à son endroit et celui des défendeurs lors de ses interventions requérant la cessation des nuisances.

[91]        De toute évidence, le demandeur se considère au-dessus des lois et croit que personne ne peut lui dicter son comportement. Il abuse de son droit de propriété à outrance dans le strict but de nuire à autrui.

[92]        L’abus de droit et le caractère intentionnel des agissements du demandeur à l’endroit des défendeurs ne font pas de doute.

f)     Les dommages

[93]        La preuve révèle que la paix et la quiétude des défendeurs sont grandement perturbées au cours des années 2012 à 2015. Les quatre défendeurs témoignent sensiblement des mêmes dommages et préjudices découlant des troubles de voisinage et du comportement fautif du demandeur.

[94]        De manière générale, ils développent du stress et de l’anxiété vis-à-vis la situation conflictuelle avec le demandeur, subissent de l’humiliation et du harcèlement et craignent les représailles. L’installation de caméras de sécurité s’impose aux défendeurs Deschênes-St-Jean.

[95]        La constante anticipation de nuits sans sommeil, le désagrément de croiser un voisin insultant et méprisant et le climat tendu causé par le comportement du demandeur créent chez les défendeurs un stress et un malaise nuisibles pour leur quiétude et causent une perte de joie de vivre.

[96]        Les défendeurs sont plus impatients et fatigués, la qualité de leur sommeil et leur performance au travail en souffrent. Ils limitent leurs sorties à l’extérieur de leur maison et évitent le demandeur et sa famille. Ils couvrent le bruit de musique omniprésente par l’utilisation de climatiseur et de bouchons pour les oreilles. Le sommeil des enfants est perturbé, certains doivent être médicamentés pour favoriser leur récupération.

[97]        Le sentiment d’impuissance face à la situation crée chez les défendeurs beaucoup d’anxiété et d’inquiétudes dont les effets se répercutent sur leur vie de couple et leur relation avec leurs enfants.

[98]        Ils sont dévastés par la poursuite judiciaire intentée contre eux, ce qui ajoute encore à leur stress et suscite des inquiétudes d’ordre financier.

[99]        Pour les troubles et inconvénients subis, l’atteinte à la dignité et à la vie privée et la perte de jouissance de leur propriété, les défendeurs méritent compensation.

[100]     Les défendeurs Deschênes-St-Jean réclament chacun un montant de 15 000 $ à titre de dommages non pécuniaires et 10 000 $ en dommages punitifs.

[101]     Quant à eux, les défendeurs Côté-Leclerc réclament chacun un montant de 12 400 $ qui se ventile comme suit :

-             Abus de droit :                                                                                  4 000 $

-             Troubles de voisinage :                                                                   4 000 $

-             Atteinte à la dignité :                                                                        2 000 $

-             Atteinte à la jouissance paisible de ses biens :                           2 400 $

-             Total :                                                                                               12 400 $

[102]     Après analyse de la preuve de dommages et de la jurisprudence en semblable matière[16], le Tribunal arbitre les dommages et octroie à chacun des défendeurs Éric Deschênes, Isabelle St-Jean, Frédéric Côté et Audrey Leclerc, un montant de 10 000 $ qui est juste et raisonnable dans les circonstances et permet de compenser les troubles, ennuis et inconvénients découlant des troubles de voisinage et de l’abus de droit, la perte de jouissance de propriété et l’atteinte à la dignité subis en raison du comportement du demandeur à leur endroit qui a perduré pendant plus de trois ans.

[103]     Est-ce que les faits de la présente affaire donnent ouverture à une condamnation pour les dommages punitifs?

[104]     L’attribution de dommages punitifs vise notamment à dénoncer un comportement fautif et à empêcher qu’il ne se reproduise. Ils ont un objectif de punition et d’exemplarité et ne peuvent pas équivaloir à compensation.

[105]     Les articles 1621 du Code civil du Québec et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne servent d’assises juridiques à l’attribution de tels dommages. Ils se lisent comme suit :

« 1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »

« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[106]     Ainsi, si la preuve permet de conclure que les comportements du demandeur représentent une atteinte illicite et intentionnelle à la sauvegarde de la dignité, de l’honneur, de la réputation des défendeurs ou à leur vie privée ou encore à la jouissance paisible des biens, il y a ouverture à une condamnation à des dommages punitifs.[17]

[107]     Le Tribunal estime que les faits et gestes du demandeur à l’égard des défendeurs Deschênes et St-Jean portent atteinte à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur, de leur réputation, à leur vie privée ou encore à la jouissance paisible de leurs biens. Ces gestes sont graves et ont été posés de mauvaise foi et dans un but avoué de nuire. Leur caractère répétitif, leur fréquence et leur durée dans le temps appuient favorablement cette conclusion.

[108]     Afin de dissuader le demandeur à poursuivre dans cette voie et sanctionner son comportement fautif, le Tribunal octroie aux défendeurs Deschênes et St-Jean un montant de 2 000 $ chacun en dommages punitifs.

g)   Les allégations de poursuite abusive (article 51 C.p.c.)

[109]     Les défendeurs reprochent au demandeur d’avoir logé contre eux un recours judiciaire dans le seul et unique but de les intimider et les bâillonner pour pouvoir continuer de mener sa vie à sa guise, sans le moindre souci de l’impact de ses gestes et comportements sur autrui.

[110]     Ils requièrent que la requête introductive d’instance soit déclarée abusive et que cet abus soit sanctionné par la condamnation du demandeur au paiement des honoraires extrajudiciaires et déboursés engagés pour faire face au recours frivole et dilatoire du demandeur.

[111]     Les articles 51 et suivants du Code de procédure civile[18] se retrouvent au chapitre traitant du pouvoir des Tribunaux de sanctionner les abus de la procédure. Ils se lisent ainsi :

« 51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.

L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.

52. Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l’acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l’introduit de démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit.

La demande est présentée et contestée oralement, et le tribunal en décide sur le vu des actes de procédure et des pièces au dossier et, le cas échéant, de la transcription des interrogatoires préalables à l’instruction. Aucune autre preuve n’est présentée, à moins que le tribunal ne l’estime nécessaire.

La demande faite au tribunal de se prononcer sur le caractère abusif d’un acte de procédure qui a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public est, en première instance, traitée en priorité.

(…)

54. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine ou, s’agissant de la Cour d’appel, celle-ci peut alors renvoyer l’affaire au tribunal de première instance qui en était saisi pour qu’il en décide. »

[112]     Le 29 juin 2015, le demandeur met les défendeurs Deschênes et Côté en demeure de cesser de nuire à sa qualité de vie, en l’intimidant et en formulant des plaintes à la police de manière abusive au moindre soubresaut, les menaçant au passage d’un recours en dommages et intérêts au montant de 15 000 $.

[113]     Les défendeurs répondent à cette mise en demeure par la voie de leur procureur respectif les 9 et 22 juillet 2015.

[114]      Le Tribunal note que la requête introductive d’instance a été logée par le demandeur après quelques années de relation de voisinage difficiles avec les défendeurs lors desquelles ces derniers lui ont fait part de leurs doléances face aux inconvénients découlant de son comportement et qu’il a fait l’objet de moult avis et billets d’infraction des autorités policières.

[115]     La preuve démontre qu’en revanche, avant l’envoi de la mise en demeure du 29 juin 2015, le demandeur n’a jamais fait de reproche formel ni porté quelque plainte que ce soit aux autorités au sujet d’un soi-disant comportement harcelant ou intimidant des défendeurs à son endroit.

[116]     Sa mise en demeure est adressée aux défendeurs dans la foulée des évènements du 23 juin 2015 qui ont nécessité l’intervention des autorités policières en raison des nuisances découlant de son propre comportement et celui de ses invités.

[117]     La requête introductive d’instance est déposée au greffe de la Cour le 29 juillet 2015, soit un peu plus d’un mois suivant l’envoi de la mise en demeure.

[118]     Or, à l’audition, le demandeur ne présente aucune preuve au soutien de sa réclamation contre les défendeurs. Son témoignage, comme celui de sa conjointe, est muet quant à un quelconque harcèlement de la part des défendeurs et n’est principalement constitué que d’explications sur son mode de vie et l’importance qu’il accorde à ses activités sociales et au plaisir qu’il en retire sans jamais se remettre en question.

[119]     Rappelons que les témoins annoncés par le demandeur lors du dépôt de la demande d’inscription pour instruction et jugement n’ont finalement pas été invités à témoigner à l’audience au soutien des allégations de la demande.

[120]     En fait, le témoignage du demandeur vise essentiellement à souligner au Tribunal son incompréhension vis-à-vis l’attitude rabat-joie des défendeurs et à normaliser l’impact de ses propres comportements et ceux de ses invités sur son voisinage.

[121]     Il explique maladroitement avoir mandaté un avocat pour tenter d’ouvrir le dialogue avec les défendeurs. Or, il n’en est rien. Cette allégation n’est soutenue par aucune preuve probante.

[122]     À la lecture de la mise en demeure et des allégations de la requête introductive d’instance, il est difficile d’y voir là une invitation au dialogue et à la médiation. Le Tribunal y voit plutôt la continuité d’un comportement intimidant et agressant envers les défendeurs dans le but d’arriver à ses fins.

[123]     Le dépôt d’un acte de procédure est un geste important et significatif qui ne doit pas être pris à la légère et n’être motivé que par des considérations stratégiques ou en vue d’intimider une autre personne.

[124]     De toute évidence, ce recours a été intenté par le demandeur dans le strict but de se venger des défendeurs et de les museler pour lui permettre de continuer à agir à sa guise en toute impunité. Le Tribunal conclut que le demandeur a déposé une requête introductive d’instance frivole et abusive contre les défendeurs et qu’il a ainsi détourné les fins de la justice en utilisant cette procédure judiciaire à mauvais escient.

[125]     Dans les circonstances, usant de la discrétion qui lui est dévolue par les dispositions de l’article 54 C.p.c., le Tribunal octroie aux défendeurs le remboursement partiel des honoraires et déboursés extrajudiciaires encourus pour assurer leur défense face au recours du demandeur et qui sont arbitrés de la manière suivante :

·        Pour les défendeurs Deschênes-St-Jean :                    5 000,00 $

·        Pour les défendeurs Côté-Leclerc :                                5 000,00 $


Conclusions

[126]     En matière de relation de voisinage, il est parfois bien difficile de tracer la ligne qui délimite les droits de chacun selon la tolérance réciproque que se doivent des voisins.

[127]     Ici, le demandeur a clairement repoussé cette ligne bien au-delà des limites du raisonnable en adoptant à l’égard des défendeurs et du voisinage entier un comportement teinté de mauvaise foi, de mépris et de manque de respect, sans se soucier des conséquences de ses comportements sur les autres.

[128]     La preuve des inconvénients découlant des agissements du demandeur est convaincante et permet de conclure à leur gravité et leur caractère anormal.

[129]     Dans les circonstances, le demandeur engage sa responsabilité et doit compenser les victimes pour les préjudices subis. L’attribution de dommages punitifs vise de plus, pour l’avenir, à dissuader tout comportement de même nature.

[130]     Par ailleurs, son utilisation abusive de la procédure judiciaire est inacceptable et est sanctionnée par une condamnation au paiement d’une partie des honoraires et déboursés extrajudiciaires engagés par les défendeurs pour leur défense respective.

[131]     Enfin, le demandeur doit assumer les entiers frais de justice.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[132]     REJETTE la requête introductive d’instance;

[133]     ACCUEILLE partiellement la demande reconventionnelle du défendeur Éric Deschênes;

[134]     CONDAMNE le demandeur à payer au défendeur Éric Deschênes la somme de 10 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 novembre 2015;

[135]     ACCUEILLE partiellement la demande d’intervention de l’intervenante Isabelle St-Jean;

[136]     CONDAMNE le demandeur à payer à l’intervenante Isabelle St-Jean la somme de 10 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 novembre 2015;

[137]     CONDAMNE le demandeur à payer au défendeur Éric Deschênes un montant de 2 000 $ en dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du présent jugement;

[138]     CONDAMNE le demandeur à payer à l’intervenante Isabelle St-Jean un montant de 2 000 $ en dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du présent jugement;

[139]     ACCUEILLE partiellement la demande reconventionnelle modifiée du défendeur Frédéric Côté et de l’intervenante Audrey Leclerc;

[140]     CONDAMNE le demandeur à payer au défendeur Frédéric Côté la somme de 10 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 18 novembre 2015;

[141]     CONDAMNE le demandeur à payer à l’intervenante Audrey Leclerc la somme de 10 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 18 novembre 2015;

[142]     DÉCLARE que la requête introductive d’instance du demandeur est abusive au sens de l’article 51 et suivants du Code de procédure civile;

[143]     CONDAMNE le demandeur à payer au défendeur Éric Deschênes et à l’intervenante Isabelle St-Jean la somme de 5 000 $ à titre d’honoraires professionnels et déboursés extrajudiciaires encourus pour se défendre à la poursuite abusive intentée par le demandeur, le tout avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du présent jugement;

[144]     CONDAMNE le demandeur à payer au défendeur Frédéric Côté et à l’intervenante Audrey Leclerc la somme de 5 000 $ à titre d’honoraires professionnels et déboursés extrajudiciaires encourus pour se défendre à la poursuite abusive intentée par le demandeur, le tout avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du présent jugement;


[145]     LE TOUT, avec entiers frais de justice.

 

 

__________________________________

ALAIN TRUDEL, J.C.Q.

 

Me Christian Lajoie

Lajoie & Pearson Avocats inc.

Procureur du demandeur

 

Me Dominique Bertrand

Cabinet Guy Bertrand inc.

Procureur du défendeur et demandeur

reconventionnel Éric Deschênes et de

l’intervenante/Demanderesse reconventionnelle Isabelle St-Jean

 

Me Gabriel Thériault

Gagné Bélanger Thériault, avocats

Procureur du défendeur et demandeur

reconventionnel Frédéric Côté et de

l’intervenante/Demanderesse reconventionnelle Audrey Leclerc

 

 

 

Date d’audiences :

24 et 25 octobre 2017

 



[1]     La preuve démontre que l’implication des voisins Dufour et Roux dans les faits pertinents retenus par le Tribunal aux fins du présent jugement est limitée et de moindre importance. Le Tribunal souligne que bien que le demandeur ait annoncé leur présence à la Cour lors de la mise en état du dossier, ce dernier n’a pas considéré utile de les faire entendre au procès.

[2]     Pièce D-I-8 en liasse.

[3]     La preuve démontre que les rencontres festives se tiennent chez le demandeur majoritairement au printemps et à la fin de l’été et à l’automne puisque ce dernier et sa famille prennent des vacances à l’extérieur du pays à compter de la fin juin jusqu'à la mi-août de chaque été. Les réunions tenues au cours de la saison hivernales sont généralement moins dérangeantes.

[4]     Le témoin utilise l’expression consacrée : « faire des beignes ».

[5]     Anciennement connue sous le nom de la Fête de la Saint-Jean-Baptiste.

[6]     Pièce D-I-8 en liasse.

[7]     Article 2858 du Code civil du Québec.

[8]     RLRQ, c. C-1.1.

[9]     Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, C.S. Can., 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392.

[10]    2018 QCCA 538.

[11]    Plantons A et P inc. c. Delage, C.A., 2015 QCCA 7.

[12]    Soirée du 29 septembre 2013.

[13]    Soirée du 29 août 2014.

[14]    Soirée du 10 janvier 2015.

[15]    Soirée du 23 juin 2015.

[16]    Voir notamment les affaires Landry c. Coutu*, C.S., 2017 QCCS 3945; Paquette c. Liboiron, C.Q., 2015 QCCQ 10970; Gauthier c. Lalonde, C.Q., 2008 QCCQ 13694.

[17]    Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, articles 4, 5 et 6.

[18]    RLRQ, c. C-25.01

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.