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Ikon Solutions de bureau inc. c. Docu-Plus Conseillers en gestion de documents inc.

2009 QCCS 123

 

JS 0816

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

N° :

500-17-047046-084

 

 

 

DATE :

Le 19 janvier 2009

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JUGE JEAN-PIERRE SENÉCAL, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

IKON SOLUTIONS DE BUREAU INC.,

             Demanderesse

c.

DOCU-PLUS CONSEILLERS EN GESTION DE DOCUMENTS INC.,

CLAUDE BOURDEAU,

MAGGIE GILBERT,

SÉBASTIEN LACHAPELLE,

CLAIRE DANIEL et

FRANÇOIS PAYANT,

             Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Ikon demande à la Cour de prononcer une injonction permanente contre une entreprise concurrente, Docu-Plus, qui a embauché cinq de ses employés après avoir remporté un appel d’offres contre elle auprès d’une cliente de Ikon, en l’occurrence Imperial Tobacco.  Le litige met en jeu la validité de clauses de non-concurrence signées par les ex-employés.

[2]                Ikon offre des services d’impartition aux entreprises et sociétés (bureaux d’avocats, comptables, courtiers, etc.).  Elle peut s’occuper de fournir, selon les ententes, des équipements ou des services.  Chez Imperial Tobacco, elle ne fournissait que des services dits «cléricaux».  Ses employés s’occupaient pour Imperial des tâches suivantes :

§         réception et distribution des courriers, télécopies, lettres et colis destinés aux employés d’Imperial ;

§         tournée des postes de travail pour la récupération du courrier, des colis et des télécopies à transmettre ;

§         livraison à la banque des chèques et bordereaux de dépôts ;

§         gestion de l’entrée, de la sortie et du classement de la documentation aux archives ;

§         empaquetage et envoi de certains cartons de cigarettes donnant droit à une récupération de taxes, accompagnés des formulaires appropriés (complétés par les employés d’Ikon) ;

§         fourniture de services au département des télécommunications d'Imperial : commande auprès des fournisseurs (désignés par Imperial) et distribution des téléphones cellulaires, services Internet, cartes de passeport pour portables et certains autres équipements ; commande auprès des fournisseurs (désignés par Imperial) des casques d’écoute des téléphonistes et autres accessoires, et tenue de l’inventaire pour ceux-ci ; gestion et mise à jour de la liste téléphonique ; préparation des rapports mensuels d’activités ;

§         fourniture des services de deux téléphonistes-réceptionnistes ;

§         confection et tenue d’un «Livre des procédures» pour la salle de courrier et d’un autre pour la salle des télécommunications.

[3]                Ikon a œuvré pour Imperial de 2003 à la fin de novembre 2008.  Elle a perdu son contrat lorsque Imperial a décidé d'aller en appel d’offres et que Docu-Plus l'a remporté le 10 novembre 2008.  Son contrat a ainsi pris fin le 30 novembre.  Ikon a annoncé la nouvelle à ses employés chez Imperial vers le 12.  Elle les a informés qu’elle les garderait à son emploi et les ferait travailler chez d’autres entreprises.  Trois de ses employés travaillant sur les lieux lui ont remis leur démission quelques jours plus tard, choisissant de travailler dorénavant pour Docu-Plus chez Imperial dans des fonctions à peu près inchangées.  Il s’agit de :

§         Claude Bourdeau, qui y était «gérant du site» et qui gérait le personnel d’Ikon chez Imperial, en plus d’effectuer lui-même certaines tâches cléricales (envoi, réception et distribution du courrier, approvisionnement de papeterie, etc.) depuis novembre 2003 ; son salaire était de 46 000 $ par année ;

§         Maggie Gilbert, qui était assistante-gérante du site d’Ikon chez Imperial et qui s’occupait de la gestion des équipements mobiles de télécommunication des employés d’Imperial depuis décembre 2006 ; son salaire était de 33 200 $ par année ; et de

§         Claire Daniel, qui était adjointe-administrative pour Ikon chez Imperial et s’occupait de la gestion des dossiers en archives, l’envoi et la réception du courrier, la distribution du courrier interne et externe et l’approvisionnement en papeterie et articles de bureau depuis mai 2008 ; son salaire était de 29 100 $ par année.

[4]                Pour leur part, François Payant et Sébastien Lachapelle avaient antérieurement travaillé chez Imperial pour Ikon mais travaillaient pour celle-ci chez d’autres entreprises au moment de la perte du contrat d’Imperial.  Ils ont remis leur démission à Ikon à la fin de novembre dans le but exprès d’aller travailler pour Docu-Plus chez Imperial.  Leur titre chez Ikon était «On-Site Specialist».  Les deux effectuaient des tâches cléricales : envoi et réception de courriers ou de télécopies ; distribution de documents ; numérisation et reliure de documents ; approvisionnement de papeterie, timbres et articles de bureau ; etc.   Le salaire de Payant chez Ikon était de 24 500 $ par année et celui de Lachapelle de 10,79 $ l’heure.

[5]                Le «recrutement» s’est apparemment fait par le patron de Docu-Plus à l’occasion du «job shadowing» qui a eu lieu après l’octroi du contrat à Docu-Plus.  La période de «job shadowing» est celle «au cours de laquelle le nouveau fournisseur [de services] observe l’exécution des opérations par l’ancien fournisseur afin de se familiariser avec ces opérations», suivant la définition retenue par les parties.  C’est donc pendant cette période d’«observation» que le dirigeant de Docu-Plus a fait connaître aux employés en place (ou certains d'entre eux) son intérêt qu’ils travaillent pour lui et restent sur les lieux, si cela les intéressait.  La nouvelle a été connue même à l’extérieur d'Imperial et s’est rendue aux oreilles de Payant et Lachapelle par Bourdeau.  La majorité des employés de Ikon chez Imperial sont restés avec Ikon.

[6]                Celle-ci a initialement fait valoir dans ses procédures que les cinq employés qui l’ont quittée et qui sont allés travailler pour Docu-Plus détenaient des informations confidentielles et des «secrets de fabrique» lui appartenant.  Elle a demandé qu’il leur soit ordonné «de cesser et de s’abstenir d’utiliser ou de divulguer toute information confidentielle obtenue dans le cadre de leur emploi auprès de Ikon».  Les cinq employés étaient de fait liés par une convention de confidentialité et de non-divulgation des informations confidentielles et «secrets de fabrique» de Ikon signée lors de leur embauche ou en cours d’emploi.

[7]                La preuve révèle que les défendeurs antérieurement employés par Ikon n’ont jamais divulgué d’informations confidentielles ni de «secrets de fabrique» de Ikon, tant après leur démission qu’avant.  En réalité, ces employés n’ont jamais détenu d’informations confidentielles ni de «secrets de fabrique» de Ikon, sauf, pour Bourdeau, sur un point très précis (mais dont il n’a jamais fait usage).  En effet, le travail effectué par les cinq employés n’impliquait aucune connaissance particulière, ni la détention d’informations confidentielles, encore moins la connaissance de «secrets de fabrique».  Le travail était en réalité «banalement» clérical et semblable à celui que l'on retrouve dans n’importe quel bureau.  Même le travail de Bourdeau (gestion des employés) n’impliquait aucune information confidentielle (sauf sur un point mentionné précédemment), ni la connaissance d’un quelconque «secret de fabrique».

[8]                Quant aux Livres des procédures, seuls éléments d’information confidentielle expressément allégués, ils n’ont pas été déposés et n’ont pu être vus par la Cour, ayant été détruits par Ikon après le début des procédures.  La preuve prépondérante indique qu’ils étaient accessibles à tous les employés d’Imperial et n’étaient pas gardés sous clé.  Ikon admet qu’ils ont été confectionnés par les défendeurs Bourdeau et Gilbert, mais à partir des informations fournies par Imperial (qui a toujours prétendu en être seule propriétaire).  À défaut d’avoir pu voir les documents, le Tribunal croit pouvoir s’en remettre aux témoignages des auteurs des livres et des témoins, et conclut que ces documents ne contenaient d’aucune façon des informations confidentielles en ce qui concerne Ikon et ne constituaient d’aucune façon des «secrets de fabrique».  Le fait que Bourdeau et Imperial les aient réclamés après leur enlèvement par Ikon n’y change rien : les livres contenaient simplement un calendrier et des dates dont on avait besoin pour assurer la régularité de l’exécution.

[9]                Par ailleurs, la preuve révèle que Docu-Plus a obtenu le contrat d’Imperial avant même tout contact avec l’un ou l’autre des ex-employés de Ikon concernés par la présente procédure.  Dans les circonstances, aucune «information» qui aurait été en leur possession n'a été et n'aurait pu être utilisée pour l'obtention du contrat de Docu-Plus, le cas échéant.

[10]            C’est sans doute pour toutes ces raisons que les procureurs de la demanderesse n’ont d’aucune façon insisté dans leurs représentations et plaidoiries sur cet aspect du dossier.  Dans ce contexte, même la question des «Livres de procédure» est devenue relativement sans intérêt.  Les procureurs de la demanderesse ont admis que l'objet réel de la contestation était les clauses de non-concurrence.

[11]            Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de rendre quelque ordonnance en regard des «informations confidentielles» et «secrets de fabrique».

[12]            Le débat a donc porté sur la concurrence et, essentiellement, sur les clauses signées par les ex-employés qui s'y rapportent.

[13]            En effet, à moins de cas exceptionnels où l’entreprise de l’ancien employeur est mise en péril par des tactiques déloyales, les tribunaux ne peuvent rendre d’injonction fondée sur l’article 2088 du Code civil, soit sur le devoir d’agir avec loyauté, afin d'interdire à un ex-employé de travailler chez un concurrent [Concentrés Scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco nutrition inc., [2007] QCCA 676 (C.A.), par. 42 ; Dufresne c. Groupe Christie ltée, [1992] R.D.J. 546 (C.A.), 547].  En l’espèce, Ikon n’a évidemment pas été mise en péril par le départ des cinq employés visés par la demande.  L’article 2088 C.c.Q. est donc ici inapplicable.

[14]            Le débat a ainsi porté sur l’application et la validité de l’entente de non-concurrence signée par chacun des ex-employés de Ikon impliqués dans les présentes procédures.

[15]            Ikon reproche à ses ex-employés d’avoir violé leur clause de non-concurrence en allant travailler pour Docu-Plus immédiatement après la perte de son contrat.  Elle reproche à Docu-Plus de les avoir incité à le faire et d’avoir ainsi violé son obligation de ne pas inciter quiconque à violer un contrat [Trudel c. Clairol, [1975] 2 R.C.S. 236 ].  Tous répondent que la clause de non-concurrence signée par les ex-employés ne respecte par les exigences de la loi, est illégale et sans valeur.

[16]            L'entente signée est la même pour tous, sauf quant à sa durée d’application et à sa limitation territoriale.  Quatre employés ont signé le texte français et une, Maggie Gilbert, le texte anglais.  Les passages pertinents de l’entente signée par Claude Bourdeau se lisent comme suit :

CONVENTION DE […] NON-CONCURRENCE

 

CONVENTION INTERVENUE À Montréal CE 20 JOUR DE Novembre,2003 ENTRE IKON SOLUTIONS DE BUREAU INC. (ci-après désignée «IKON») ET Claude Boudreau (ci-après désigné(e) l’«Employé(e)»).

CONSIDÉRANT que IKON exerce des activités de vente, d’entretien et de location d’équipement de bureau, y compris de machines à copier, de télécopieurs, de matériel graphique, de machines à reproduire, d’ordinateurs, d’équipement d’impression offset, de machines à écrire, d’imprimantes et de calculatrices ainsi que des services de gestion de bureau (y compris la gestion d’installations et de sous-traitance de services de reproduction et de balayage à la fine pointe de la technologie) ainsi que la fourniture, l’aménagement, la vente, le service et la distribution de réseaux intégrés et de produits de réseaux intégrés et services y afférents (le «Commerce en général»);

[…]

CONSIDÉRANT que l’engagement de l’Employé(e) par des concurrents de IKON et la divulgation des secrets de fabrique et des renseignements confidentiels et privatifs de IKON résulteraient en un préjudice sérieux pour IKON;

PAR CONSÉQUENT, EN CONSIDÉRATION DE LA SOMME DE 1,00$ DONT L’EMPLOYÉ(E) RECONNAÎT AVOIR REÇU ET EN CONSIDÉRATION DE SON EMPLOI CHEZ IKON ET DU SALAIRE ET DES AVANTAGES REÇUS PAR L’EMPLOYÉ(E) EN LIAISON AVEC SON EMPLOI, LES PARTIES AUX PRÉSENTES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

I.               PRÉAMBULE

1.1     Le préambule des présentes fait partie intégrante de la présente convention.

[…]

V.            NON-CONCURRENCE

                   Afin que IKON soit en mesure de profiter pleinement de ses secrets de fabrique et dans le but d’en protéger la valeur et l’utilité pour IKON et celles de tous les droits de IKON en vertu des présentes, l’Employé(e), par les présentes, convient et consent aux restrictions et obligations imposées par l’article V.

                   Par les présentes, l’Employée convient, qu’au cours de son emploi chez IKON et pour une période de trois (3) mois dans la ville de Montréal et à un radius de 100 kilomètres de cette ville, l’Employé(e) ne sera pas à l’emploi d’une entreprise ou société ou autrement engagé(e), directement ou indirectement, dans une entreprise ou société, ni n’aura un intérêt financier quel qu’il soit, à titre de mandant, d’actionnaire d’une société privée, d’actionnaire majoritaire d’une société ouverte, de mandataire, de propriétaire ou de conseiller d’une entreprise ou société :

5.2.1 qui, au moment en cause, directement ou indirectement, est engagée dans la recherche, le développement, la fabrication, la conception, l’exploitation, la mise en œuvre, l’entretien, la mise sous licence, la vente ou la mise en marché de tout produit ou service similaire ou identique à l’un quelconque des produits ou services de IKON qui font l’objet de recherches, qui sont développés, fabriqués, conceptualisés, exploités, entretenus, mis en œuvre, mis sous licence, vendus ou mis en marché par IKON ou qui sont en voie de l’être ; ou

5.2.2  qui fait concurrence à IKON en mettant en marché des produits ou services qui visent le même marché que celui de IKON en offrant des produits ou services qui peuvent être achetés, utilisés ou mis en œuvre par tout client actuel ou potentiel de IKON à la place de quelque produit ou service que ce soit offert par IKON.

                   De plus, pour la période indiquée au paragraphe 5.2, l’Employé(e) ne sera pas à l’emploi des entreprises ou sociétés suivantes, ni autrement, directement ou indirectement, engagé(e) dans ces entreprises ou sociétés, ni n’aura d’intérêt financier quel qu’il soit dans celles-ci, à titre de mandant, d’actionnaire majoritaire, de mandataire, de gérant, de propriétaire ou à titre de consultant :

         XBS, Canon, Pitney Bowes Management Services, AMS, Montréal Plus, Beta Reproduction, Ad Litterum, Solutions ESP Inc.

                   L’Employé(e) reconnaît qu’il(elle) ne pourra pas, pour la période indiquée au paragraphe 5.2 ci-dessus :

a)       directement ou indirectement, inciter une personne à l’emploi de IKON à quitter son emploi ou encore à être engagée, de quelque manière que ce soit, par l’Employé(e) ou par toute personne, entreprise, consortium, société de personnes ou société liée de quelque manière que ce soit à l’Employé(e) sans le consentement préalable écrit de Ikon;

b)       directement ou indirectement, inciter une personne, entreprise, syndicat, société de personnes ou société qui est un client de IKON, ou, qui au cours de la période stipulée au paragraphe 6.2, ou avant la signature des présentes, était en pourparlers pour devenir un client de IKON, à devenir le client de l’Employé(e) sans le consentement préalable écrit de IKON;

                   Les restrictions contenues à l’article V sont reconnues par les parties aux présentes comme étant raisonnables et nécessaires dans les circonstances.

[…]

IX.     INTERPRÉTATION

9.1     La validité et l’interprétation de la présente convention ou de l’une de ses dispositions seront établies en vertu des lois du Québec.

X.      AUTONOMIE DES DISPOSITIONS DE L’ENTENTE

10.1   Toutes les dispositions de la présente convention sont séparables les unes des autres et l’invalidité ou le caractère inexécutoire de l’une quelconque de ses dispositions n’affectera ni ne restreindra la validité ou le caractère exécutoire de toutes les autres dispositions des présentes.  Si l’une des dispositions des présentes est jugée démesurément large, elle devra être interprétée en la restreignant de façon à ce qu’elle soit exécutoire dans la mesure permise par la loi applicable.

XI.     RECOURS

11.1      Par les présentes, l’employé reconnaît que la violation de toute obligation des présentes causerait un préjudice irréparable à IKON dont le montant exact serait difficile à déterminer.  Conséquemment, l’Employé(e) consent par les présentes à ce que IKON soit justifiée, à titre de remède, d’intenter des procédures en injonction provisoire, interlocutoire ou permanente, en sus de tout autre recours pouvant être disponible à IKON en vertu de la loi ou par entente entre les parties.

[17]            La validité de toute clause de non-concurrence est assujettie à l’article 2089 du Code civil qui énonce :

2089.   Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l'employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.

Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur.

Il incombe à l'employeur de prouver que cette stipulation est valide.

[18]            La Cour d’appel résume comme suit dans l’arrêt Copiscope inc. c. T.R.M. Copy Centers (Canada) Ltd, J.E. 99-77 (C.A.), p. 19, les principes derrière l'article 2089 :

« The validity of the Noncompetition Covenant must be determined on the basis of well settled principles set out in the jurisprudence.

1) Undertakings in restraint of trade are generally against public order ;

2) there may, within reasonable limits, be contractual restrictions on the freedom to conduct a specified commercial activity ;

3) the validity of such restrictions is dependant on their being reasonable, particularly regarding the length of time that they are to apply and the territory where they are to be applicable ;

4) furthermore, it must be shown that the restrictions are necessary for the reasonable protection of the interests of the party in whose favour they are granted ;

5) if the restrictions do not meet the test of reasonability they will be struck down as being contrary to public order. »

[19]            L’article 2089 C.c.Q. est donc d’ordre public et ne saurait être écarté par des clauses comme «l’engagement de l’employé par des concurrents de Ikon […] résulterait en un préjudice sérieux pour Ikon» ou «les restrictions contenues à l’article V sont reconnues par les parties aux présentes comme étant raisonnables et nécessaires».  Seule la réalité des faits est importante pour appliquer l’article 2089, rien d’autre.

[20]            C’est parce que l’ordre public favorise la libre concurrence, la liberté de commerce et la liberté d’emploi que les clauses de non-concurrence sont toujours assujetties au contrôle des tribunaux.

[21]            C’est par ailleurs l’employeur qui a le fardeau de démontrer la validité des clauses de protection qu’il invoque.

[22]            Enfin, la défaillance d’un élément essentiel d’une clause de non-concurrence emporte son invalidité complète : Restaurant Chez Doc inc. c. 9061-7481 Québec inc., J.E. 2006-202 (C.A.), par. 29 ; Beau-T Stop Distribution inc. c. Maillot, [2001] R.J.D.T. 1145 (C.S.), par. 40 ; Graphiques Matrox inc. c. Nvidia Corp., J.E. 2001-1591 (C.S.) ; Marie-France BICH, «La viduité post-emploi : loyauté, discrétion et clauses restric­tives», dans Développements récents en droit de la propriété intellectuelle - 2003, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 287-288.

[23]            Un contrat de travail est par ailleurs pour la plupart des employés un contrat d’adhésion.  Un tel contrat est défini à l’article 1379 du Code civil comme un contrat dont «les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et […] ne pouvaient être librement discutées».  Cela correspond la plupart du temps au contrat de travail pour la plupart des gens, en raison du «caractère d’inégalité qui entache foncièrement le rapport employeur-employé» [Bich précité, p. 249].

[24]            En l’espèce, le contrat a de fait été imposé par Ikon à ses employés et a été rédigé par elle, pour son compte et suivant ses instructions.  Il ne pouvait être librement discuté.  Il a par ailleurs été signé par des gens qui, comme tous, avaient besoin de travailler.  Des gens qui était en position de faiblesse par rapport à Ikon (tant au plan des connaissances que des moyens financiers).  D'autant que, à l’exception de Bourdeau (qui a eu une heure pour le faire), tous les autres ex-employés en l’espèce se sont vus remettre une masse de documents à signer lors de leur embauche, y compris la convention de non-concurrence, et n’ont eu que quinze minutes pour le faire.

[25]            La demanderesse a ainsi admis que les conventions de non-concurrence signées par ses ex-employés en l’espèce étaient des contrats d’adhésion.

[26]            C’est dire qu’outre qu’elles soient soumises à l’article 2089 C.c.Q., les clauses de non-concurrence ici invoquées sont en outre soumises à l’article 1437 du Code qui énonce :

1437.   La clause abusive d'un contrat de consommation ou d'adhésion est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible.

            Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l'adhérent d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre de ce qu'exige la bonne foi ; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu'elle dénature celui-ci.

[27]            Les clauses de non-concurrence peuvent ainsi en l'instance être annulées s'il est jugé qu'elles sont abusives parce qu'elles désavantagent l'employé d'une manière excessive et déraisonnable.

[28]            Elles sont de même assujetties à l’article 1436 du Code civil aux termes duquel :

1436.  Dans un contrat […] d'adhésion, la clause […] incompréhensible pour une personne raisonnable est nulle si […]  la partie qui y adhère en souffre préjudice, à moins que l'autre partie ne prouve que des explications adéquates sur la nature et l'étendue de la clause ont été données […] à l'adhérent.

[29]            Eu égard aux circonstances du présent cas, le Tribunal est d’avis que les défendeurs ont raison de soutenir que les ententes de non-concurrence que Ikon leur a fait signer ne respectent pas les exigences de la loi et doivent être écartées.  Elles ne sont pas correctement limitées quant au temps, au lieu et au genre de travail visé et ne sont pas non plus limitées à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de Ikon.  Elles excèdent de beaucoup ce qui était nécessaire à la protection des intérêts commerciaux de Ikon.  À plusieurs égards, elles paraissent même grossièrement excessives, déraisonnables et exorbitantes.  Qui plus est, elles sont largement incom­préhensibles pour une personne raisonnable (y compris le juge).

[30]            Sur ce dernier point, la définition des activités de Ikon au tout début de la convention est un véritable charabia.  La formulation «la fourniture, l’aménagement, la vente, le service et la distribution de réseaux intégrés et de produits de réseaux intégrés et services y afférents» est parfaitement incompréhensible.  De même, malgré des efforts considérables, le Tribunal n’est pas parvenu à comprendre le sens de la clause 5.2.1 de la convention (mais a été rassuré lorsque les procureurs n’ont pu eux-mêmes la lui expliquer).  Eu égard aux services rendus par les employés de Ikon chez Imperial (réception et distribution des courriers et télécopies, livraison à la banque des chèques, classement de documents aux archives, empaquetage de cartons de cigarettes, réception d'appels, etc.), il est bien difficile de comprendre ce que signifient les mots «la recherche, le développement, la fabrication, la conception, l’exploitation, la mise en œuvre, l’entretien, la mise sous licence, la vente ou la mise en marché de tout service similaire ou identique à l’un quelconque des produits ou services de Ikon qui font l’objet de recherches, qui sont développés, fabriqués, conceptualisés, exploités, entretenus, mis en œuvre, mis sous licence, vendus ou mis en marché par Ikon».  De même, l'expression «dans la ville de Montréal et à un radius de 100 kilomètres de cette ville» que l'on retrouve dans trois des ententes de non-concurrence est incompréhensible en français, le radius étant un os de l'avant-bras chez l'humain.

[31]            Il arrive, dans le domaine juridique, que «trop fort casse», comme le Tribunal a déjà eu l’occasion de le souligner.  Ne dit-on pas depuis des siècles que «qui trop embrasse mal étreint».  À trop vouloir viser large, le risque est que le texte perde tout sens.  C’est ce qui s'est produit en l’espèce.  Ce n'est pas sans raison que la Pr Bich (telle qu'elle était alors) écrit qu'en matière de clauses de non-concurrence, «la jurisprudence témoigne de ce que le maître mot […] est celui de "modération"» [Bich précité, p. 246].

[32]            En l’espèce, le Tribunal ne doute pas qu’eu égard à la définition des activités de Ikon dans les conventions de non-concurrence, il est bien difficile pour l’ex-employé de savoir à quoi il ne doit pas faire concurrence, pour dire le moins.  La Pr Bich écrit à cet égard :

« Il ne suffit pas que la clause soit écrite, il faut également qu’elle soit rédigée, nous dit l’article 2089, “en termes exprès”.  Que signifie cette exigence?  À notre avis, elle oblige les parties à rédiger leur clause d’une façon claire et précise, qui définisse explicitement les obligations des cocontractants et leur permette de savoir exactement ce à quoi l’un a droit et l’autre s’engage. »   [Bich précité, p. 270]

[33]            La Cour d’appel écrit dans Drouin c. Surplec inc., AZ-50231854 (C.A.) : «Mais, à mon avis, cette rédaction doit toujours se faire en respectant la règle posée par l’article 1373 C.c.Q. : le salarié doit, en tout temps, connaître exactement le contour précis de son obligation» (par. 14). 

[34]            Les choses sont loin d’être claires et précises ici, pour dire le moins.  On ne rencontre ni les exigences de l’article 2089, ni celles de l’article 1436.  Surtout lorsque l’on tient compte des circonstances dans lesquelles les clauses ont été signées.

[35]            Lorsqu’une clause de non-concurrence n’est pas claire, la Cour d’appel enseigne qu’elle doit au minimum être interprétée contre l’employeur [Copiscope inc. c. T.R.M. Copy Centers précité].  Mais elle peut même en venir à devoir être ignorée.

[36]            L’article 2089 C.c.Q. exige que les parties stipulent en termes «exprès».  Le deuxième alinéa énonce que la stipulation «doit être limitée quant au genre de travail».  L’article 1436 C.c.Q. exige que le texte soit compréhensible.  De l’avis de la Cour, les conventions de non-concurrence en l’instance ne remplissent pas ces conditions.  Cela conduit à leur invalidité.

[37]            Il y a plus.  Dans les clauses en français, soit dans quatre cas sur cinq, l'article 5.2 ne dit pas que l’engagement de non-concurrence subsiste après la fin du travail chez Ikon.  Les mots «following termination of employment» qui apparaissent en anglais ont été omis.  Il est ainsi littéralement écrit en français que la clause de non-concurrence ne s’applique à l’employé «qu’au cours de son emploi chez Ikon et pour une période de trois mois» (ou six ou douze mois pour certains).  La clause ne s’applique donc que pendant les trois, six ou douze premiers mois après la signature de l’entente, et au cours de l’emploi chez Ikon uniquement.  Ce n’est sans doute pas ce que Ikon a entendu stipuler, mais c’est bien ce qu’elle a fait.

[38]            Quatre des défendeurs ne sont donc pas mal fondés de prétendre qu’à partir du moment où ils ont cessé de travailler chez Ikon, il n’y avait plus de clause de non-concurrence qui s’appliquait à eux, en l'instance.

[39]            Rappelons le principe énoncé par la Cour d’appel dans Copiscope précitée à l’effet qu’un texte au libellé douteux doit être interprété restrictivement et à l’encontre de l'employeur.  L’article 1432 C.c.Q. ne dit pas autre chose  :

1432.  Dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent [si le contrat est d'adhésion] […].

[40]            Placée dans une situation comme ici, la Cour d'appel n'a pas hésité à refuser de donner effet à une convention de non-concurrence dans Copiscope.  Il doit en être de même ici.

[41]            Tout cela suffirait en soi pour écarter le recours.  Mais il y a encore plus.

[42]            Tenons que les clauses sont applicables «après l'emploi» (c'est le cas pour Gilbert).  Pour être valide, il est essentiel que la clause de non-concurrence soit limitée «à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur».  La stipulation doit être limitée «quant au temps, au lieu et au genre de travail».  C’est le test de la «raisonnabilité».  Quant aux critères à considérer, la Pr Bich écrit :

« Sont par ailleurs considérés, en vue d’évaluer la “raisonnabilité” de la clause, des éléments tels : le fait que le salarié ait ou n’ait pas négocié cet engagement, le fait que le salarié ait ou n’ait pas été en mesure de comprendre l’engagement qu’il a souscrit, le fait que l’engagement n’ait pas été conclu sous la menace d’un congédiement ou d’une sanction, le niveau de rémunération du salarié en comparaison des restrictions qu’il accepte et leur impact sur ses capacités de gagner sa vie.  Il est intéressant de noter ici que ces critères, à certains égards, rappellent la notion de lésion (qui n’est ordinairement pas applicable au contrat entre majeurs) : les tribunaux, pourtant, n’hésitent pas à rappeler qu’un principe de proportionnalité et d’équilibre doit régir ici les obligations des uns et les droits des autres. »   [Bich précité, pp. 269 et 270]   (gras et soulignements ajoutés)

[43]            En l’espèce, l’engagement de non-concurrence n’a jamais été négocié à l’égard d’aucun des employés mais a été imposé.  Pour certains, l’engagement a même été signé en cours d’emploi, et donc sans aucun choix si la personne voulait conserver son emploi.

[44]            On l’a dit, le salarié n’était pas en mesure de comprendre la portée et l’étendue de l’engagement souscrit.

[45]            Les restrictions que Ikon entendait imposer par sa clause de non-concurrence étaient, à l’évidence, extrêmement étendues.  Le texte emberlificoté démontre que l’on entendait viser le plus large possible (avec les résultats désastreux qui s’ensuivent).  Pourtant, ces clauses s’adressaient à des salariés de bas niveau, sinon de très bas niveau, dont le niveau de rémunération était faible (à tout le moins pour Gilbert, Daniel, Payant et Lachapelle).  Même dans le cas de Bourdeau, il ne s’agissait pas d’un cadre important.  Certaines de ses tâches étaient celles d'un «commis».  Sa rémunération était elle aussi limitée (bien que supérieure à celle des autres).  On comprend mal qu’une clause aussi vaste et extensive que la présente puisse s’appliquer à de simples commis ou à des employés d'aussi bas niveau.  Des employés dont les habiletés auxquelles il est fait appel sont si limitées.

[46]            Le présent cas en est un où les restrictions imposées et leur impact sur la capacité de l’employé de gagner sa vie n’avaient aucune commune mesure avec ses fonctions et surtout son niveau de rémunération.  Les clauses de non-concurrence en l’instance ne passent pas le test de la proportionnalité et de l’équilibre.

[47]            C’est encore plus vrai lorsque l’on considère les limitations temporelles et territoriales imposées.  Celles-ci ne reposent sur aucune justification et apparaissent purement arbitraires.

[48]            Au chapitre des limitations temporelles, Bourdeau, le gérant du site, est assujetti à une clause de non-concurrence de trois mois, tout comme Daniel, qui travaillait comme adjointe-administrative aux archives, et Payant, qui était commis.  On voit de cela que Ikon ne faisait pas une grande différence entre le rôle des trois.  Mais la durée passe à six mois pour Gilbert, qui était assistante-gérante, et qui assumait donc des fonctions moins importantes que Bourdeau.  Pire, la durée passe à douze mois pour Lachappelle, un simple commis.

[49]            Tout cela défie toute logique.  On doit conclure que les termes ont été déterminés de façon purement arbitraire, et donc certainement pas suivant le seul critère applicable, soit qu’il soit «nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur».

[50]            Au surplus, un terme de plus de trois mois paraît ici parfaitement injustifié et abusif, si l’on devait tenir que le reste de la convention ne l’est pas.  Cela suffit en soi pour faire tomber toute la clause à l’égard de Gilbert et Lachapelle.

[51]            Rappelons par ailleurs que les «clauses d’ajustement» sont invalides en matière de non-concurrence, puisqu’il est fondamental que l’employé puisse connaître le contour précis de son obligation sans devoir recourir aux tribunaux [Drouin c. Surplec inc., AZ 50231854 (C.A.) ; Graphiques Matrox inc. c. Nvidia Corp., J.E. 2001-1591 (C.S.)].  L’article 10.1 de la convention n’est donc ici d’aucun secours.

[52]            La situation est encore pire en ce qui concerne la limitation territoriale.  En effet, à l’exception de Daniel et Payant dont la clause ne s’applique qu’à Montréal, tous les autres ex-employés ont une clause de non-concurrence qui prétend s’appliquer «dans Montréal et à un radius [sic] de 100 kilomètres de cette ville».

[53]            Ici aussi, les limitations sont inconstantes et arbitraires puisque rien n’explique qu’elles soient différentes (et de façon considérable) pour Bourdeau, Gilbert et Lachapelle, tandis qu’elles sont beaucoup plus limitées (Montréal) pour Daniel et Payant.  Aucune justification n’est fournie par la demanderesse à cet égard, ce qui questionne encore ici le caractère «nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur».

[54]            Par ailleurs, l’expression utilisée est incompréhensible et inapplicable, comme on l'a dit.  D’une part, le mot radius désigne en français un os (on a vraisemblablement omis ici de traduire le mot anglais «radius» qui signifie «rayon»).  D’autre part, la clause n’indique pas le point de référence à Montréal à partir duquel doivent être calculés les 100 kilomètres.  Quand on sait que l’île de Montréal fait plus de 40 kilomètres d'est en ouest, cela fait toute une différence.

[55]            Il y a un problème encore plus important : la portée territoriale de 100 kilomètres est totalement exorbitante et excessive.  Un rayon de 100 kilomètres signifie un écart de 200 kilomètres d'un bout à l'autre.  Cela couvre une superficie de 31 400 kilomètres carrés (p x r2).  Quand on constate que dans l’affaire Copiscope précitée, la Cour d’appel a jugé exorbitant et excessif un rayon de 25 milles couvrant 5 000 kilomètres carrés, force est de conclure en l’instance que l'employeur a dépassé bien des fois le raisonnable [voir dans le même sens Copyfax inc. c. Lambert, J.E. 2000-981 (C.S.)].  Surtout eu égard au type de travail effectué par les employés.  Et tout cela sans aucune justification.

[56]            Ces éléments permettent aussi d’écarter la convention de non-concurrence pour Bourdeau, Gilbert et Lachapelle.

[57]            Les problèmes sont tout aussi graves lorsque l’on examine les activités prohibées.  Elles sont beaucoup trop vastes.

[58]            On l’a dit, les clauses ne sont pas faciles à comprendre en l'instance.  Si l’on devait tenir qu’elles visent entre autres tout travail clérical dans un bureau, comme cela semble être le cas, ce serait absolument déraisonnable et sans aucune justification.  Surtout, encore ici, eu égard au type de travail effectué et à l’absence de qualifications particulières pour l’effectuer.

[59]            Mais la clause va plus loin.  Elle interdit non seulement tout emploi dans une entreprise semblable à Ikon, mais tout engagement de quelque nature qu’il soit, de même que tout intérêt financier et toute participation à titre d’actionnaire ou même simplement de mandant ou de mandataire, dans une telle entreprise.  Cela a été jugé excessif et déraisonnable dans l’affaire Copiscope précitée [voir dans le même sens Aliments Humpty Dumpy Ltée c. Gagnon, [1988] R.J.Q. 1840 (C.S.) ; Graphiques Matrox inc. précitée].  De l’avis de la Cour, il en est de même ici.

[60]            On semble ici en présence d’une clause qui vise non pas à protéger les intérêts légitimes de l’employeur, mais, vu son étendue sans aucune justification, à faire en sorte qu'il soit très difficile pour l'employé de travailler s'il quitte, ce qui bien sûr est interdit, ou, à tout le moins à retenir l'employé au delà de la simple incitation, ce qui n'est pas davantage permis.

[61]            Ce qui nous amène à la question fondamentale posée par l’article 2089 : la clause de non-concurrence que Ikon a fait signer aux défendeurs avait-telle véritablement pour but de «protéger les intérêts légitimes de l’employeur» et était-elle «nécessaire» à cette fin?  Le Tribunal est d’avis que non.

[62]            Les clauses de non-concurrence visent essentiellement à empêcher qu’une entreprise perde des clients où soit limitée dans sa capacité à en recruter de nouveaux parce qu’ils vont vers une autre entreprise.  Ce qui est visé, c’est vraiment la «concurrence», comme la clause le dit.  La détention d’informations ou de «secrets» fait normalement l’objet d’autres clauses et recouvre d'autres concepts.  Ce n'est que si une personne ne peut travailler dans un domaine sans utiliser les informations confidentielles dont elle dispose que la clause de non-concurrence a sa place en lien avec la protection de ce qui est confidentiel.

[63]            C’est la raison pour laquelle on retrouve généralement ce genre de clause pour les vendeurs, courtiers, dirigeants d’entreprise, etc., en somme, des gens qui créent par eux-mêmes une activité économique chez l’employeur et des revenus, et qui sont susceptibles de détourner la clientèle ou d’empêcher qu’une nouvelle soit recrutée s’ils vont travailler ailleurs.  Certes, les clauses de non-concurrence ne sont pas réservées aux seuls cadres de haut niveau ni aux seuls vendeurs ou courtiers et peuvent s’appliquer à tous.  Mais comme il doit toujours exister un caractère «nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur», les clauses de non-concurrence ne peuvent avoir leur place dans n’importe quel contexte, pour n’importe quel genre d’emploi et pour n’importe qui.  Car une clause de non-concurrence ne peut jamais avoir pour seul but d’empêcher un ex-employé de travailler, peu importe dans quel domaine, ni de nuire à la concurrence en général, ni de simplement «nuire aux autres».   C’est sans doute la raison pour laquelle les clauses de non-concurrence sont l’exception plutôt que la règle pour la plupart des employés.

[64]            La demanderesse, en l'instance, paraît avoir voulu empêcher ce qui ne pouvait l'être.

[65]            Étonnamment, elle n’a fait aucune allégation dans ses procédures au sujet de ses intérêts légitimes pouvant justifier ses clauses.  Les conventions indiquent pour leur part, à l’article 5.1, que le but est de permettre à Ikon «de profiter pleinement de ses secrets de fabrique et […] et d’en protéger la valeur et l’utilité».  Une clause de non-concurrence n’est pas en soi utile à cette fin.  Une clause de non-divulgation et de confidentialité est plutôt la mesure appropriée.  On ne peut empêcher quelqu’un de travailler parce qu’il possède des informations secrètes ou confidentielles, s’il ne les utilise pas et s'il peut travailler sans les utiliser.  Le but n’a alors rien à voir avec la «concurrence».

[66]            Les conventions laissent néanmoins la porte ouverte à plus puisque l’article 5.1 réfère en outre à la valeur et l’utilité «de tous les droits de Ikon en vertu des présentes».  L’expression n’est pas définie et peut n'avoir aucun sens comme tous les sens.

[67]            C’est une employée de Ikon, Marie-Ève Bessette, qui travaille au siège social québécois de l’entreprise, qui donne dans son affidavit du 8 janvier 2009 les véritables buts poursuivis par l’entreprise avec sa clause de non-concurrence.  Après avoir insisté sur la protection des «secrets de fabrique» de l’entreprise, elle déclare dans son affidavit :

« [6] Au surplus, parallèlement aux contrats qu’elle signe avec ses employés, Ikon s’assure toujours dans les contrats qu’elle signe avec ses clients que ces derniers n’embaucheront pas directement, ni n’utiliseront par le biais d’un tiers, les services des employés de Ikon affectés dans leurs installations pour exécuter des services similaires à ceux qui leur sont fournis par Ikon et ce, sous peine du versement de droits substantiels […]. 

   [7]   Ainsi, compte tenu de la nature de l’industrie dans laquelle œuvre Ikon, où les joueurs sont peu nombreux et où les employés travaillent directement dans les installations des clients et acquièrent le savoir-faire et les méthodes de travail propres aux besoins spécifiques de ces clients, les engagements de non-divulgation d’informations confiden­tielles et de non-concurrence souscrits par les employés de Ikon sont nécessaires pour éviter que les entreprises concurrentes s’accaparent les clients de Ikon et qu’elles fassent des promesses d’embauche aux employés de Ikon ou qu’elles embauchent lesdits employés ; d’autant plus que le produit que vend Ikon à ses clients en impartition consiste précisément au savoir-faire de ses employés. »

[68]            C’est dans ses procédures que Ikon aurait dû soumettre ses allégations à ce propos, ce qu’elle n ‘a pas fait. 

[69]            Par ailleurs la protection recherchée par Ikon, ainsi Mme Bessette le souligne elle-même, ne peut véritablement être obtenue qu’au moyen de clauses dans les contrats signés par les clients.  On le voit d'ailleurs en l’instance.  Les fonctions exercées par les défendeurs étaient cléricales et ne comportaient aucune influence sur le maintien de la clientèle.  Ce ne sont pas eux qui recrutent cette clientèle.  Par ailleurs, les clauses de non-concurrence des employés n’évitent d’aucune façon que la concurrence enlève ses contrats à Ikon.  D’une part, les services rendus par les employés de Ikon ne sont pas spécialisés et peuvent être effectués par à peu près n’importe qui.  Ils ne requièrent pas ne connaissances particulières ni un savoir-faire spécial.  Au pire, celui qui prend le contrat «forme» son personnel suivant les demandes d’Imperial, ce qui n'est pas très complexe.  Au mieux, il utilise des gens qui connaissent déjà la routine en place, ce qui va plus vite.  D’autre part, lorsque, comme ici, le recrutement des employés de Ikon a lieu après la perte du contrat, force est de constater que leur arrivée ou non chez le concurrent n’a eu d’aucune influence pour la perte du contrat et sur la concurrence.

[70]            Dans ce contexte, la clause de non-concurrence signée par l’employé ne paraît pas «nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur» lorsqu’elle est structurée comme c’est le cas ici.

[71]            Ce n’est pas là le seul problème en l’instance.  Les clauses visent beaucoup trop large, comme on l’a déjà dit.  Outre ce qui a été mentionné précédemment (par. 58 et 59) et qui est inacceptable, elles empêchent même un employé d’occuper dans une entreprise concurrente de Ikon à peu près toute fonction, même si celle-ci n’a rien à voir avec les activités antérieurement exercées pour Ikon.  La clause telle que rédigée empêche en fait tout défendeur antérieurement employé par Ikon de travailler pour Docu-Plus, même comme balayeur, concierge ou cuisinier au siège social de Bureau-Plus.  La clause vise même des services non encore offerts par Ikon (!) chez des clients non encore recrutés (!).

[72]            Cela est nettement déraisonnable et n’entre pas dans le cadre de «ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes» de Ikon.

[73]            On le voit, Ikon paraît avoir beaucoup plus cherché à empêcher le plus possible ses employés de la quitter et d’aller travailler ailleurs, ou de simplement nuire à autrui, ce que ne permet pas la législation.  Ikon ne peut agir comme si ses employés lui appartenaient.  Le Tribunal veut bien croire qu’ils ont pour elle une «valeur» importante.  Mais Ikon ne peut pas les empêcher de travailler où ils veulent, sans un motif nécessaire et légitime.  Elle ne peut pas non plus faire signer une clause de non-concurrence dans le seul but d'embêter ses concurrents.

[74]            À cet égard, la Cour suprême écrit dans Elsey c. Collins Insurance Agencies, [1978] 2 R.C.S. 916 , 924 :

« La question essentielle qui suit est de savoir si la clause n’est pas inexécutoire parce qu’elle vise la concurrence d’une façon générale et ne se limite pas à interdire la sollicitation des clients de l’ancien employeur.

Dans une situation employeur/employé classique, la clause pourrait être jugée invalide pour ce motif. »

[75]            M. le juge Blanchard refusait d’émettre une injonction dans Aliments Humpty Dumpty c. Gagnon précitée dans les termes suivants :

« […] les tribunaux reconnaissent la validité de ces clauses principalement dans les cas où l’employé a une “connaissance spéciale et intime de la clientèle de son employeur éventuel et les moyens de l’influencer”, comme c’est le cas dans Elsey.  Le critère retenu est donc l’influence d’un employé sur les clients de son employeur. »   (p.8)

[76]            Force est de conclure ici, comme dans Copiscope précitée, que les restrictions imposées par Ikon aux défendeurs par la convention de non-concurrence qu’elle leur a fait signer excèdent de beaucoup ce qui était nécessaire à la protection de ses intérêts commerciaux.  La convention est exorbitante et grossièrement excessive.

[77]            Pour tous ces motifs, le Tribunal est d’avis de déclarer excessive, déraisonnable, contraire à l’ordre public et inopposable aux défendeurs les conventions de non-concurrence signées par les ex-employés de Ikon impliqués dans les présentes procédures, et de rejeter la demande d’injonction permanente de Ikon contre ceux-ci.

[78]            Cette décision dispose par le fait même du recours contre Docu-Plus.

[79]            Ajoutons que celle-ci a remporté l’appel d’offres sans aucune aide de ses codéfendeurs.  Ce n’est qu’après sa «victoire» qu’elle a fait connaître son intérêt à travailler avec les employés de Ikon oeuvrant déjà chez Imperial.

[80]            Les ententes contractuelles prévoient une période de «job shadowing» à la fin du contrat de l’entreprise précédente.  Ikon connaît cette façon de faire.  Dans les circonstances, on comprend mal qu’elle se plaigne de ce qu’a fait Docu-Plus.  Elle devait s’attendre à ce que pendant le «job shadowing», les représentants de Docu-Plus viennent en contact avec ses employés.  Ikon admet elle-même avoir profité de cette période dans le passé pour recruter des employés (mais, dit-elle, en l’absence de clauses de non-concurrence).

[81]            En l'espèce, certains employés se sont montrés intéressés à quitter Ikon et à travailler pour Docu-Plus pour des raisons très simples qui ne relèvent pas du complot (et cela malgré que Ikon leur ait offert de les garder ailleurs à son emploi) : le désir de continuer à œuvrer dans un milieu de travail apprécié, l’absence de garanties d’emploi à moyen ou long terme chez Ikon, la crainte qu’il y ait éventuellement surplus de personnel chez Ikon, la baisse des affaires chez Ikon, la conduite de Ikon envers Imperial et Docu-Plus qui en a choqué certains et leur a même paru contraire à l’éthique, etc.  Il n'y a rien là de bien sorcier ou d'illégitime.

[82]            Le recours sera aussi rejeté contre Docu-Plus.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[83]            REJETTE la demande d’ordonnance d’injonction permanente présentée par la demanderesse contre les défendeurs, avec dépens ;

[84]            ACCUEILLE la demande reconventionnelle des défendeurs antérieurement employés par Ikon ;

[85]            DÉCLARE excessives, déraisonnables, contraires à l’ordre public et inopposables à tous les défendeurs les clauses V relatives à la non-concurrence signées par les défendeurs antérieurement employés par Ikon, clauses qui se retrouvent dans les conventions produites en liasse sous P-17, à toutes fins que de droit ;

[86]            ANNULE ces clauses ;

[87]            LE TOUT avec dépens sur la demande reconventionnelle contre la demanderesse en faveur des défendeurs antérieurement employés par Ikon.

 

__________________________________

JEAN-PIERRE SENÉCAL, j.c.s.

 

 

Fasken Martineau DuMoulin

(Me Bernard Synott et Me Lisa Chamandy )

Procureurs de la demanderesse

 

BCF

(Me Jean-Bertrand Giroux))

Procureurs de la défenderesse Docu-Plus

 

Bélanger Sauvé

(Me Yves Robillard)

Procureurs de tous les autres défendeurs

 

Dates d’audience :

Les 13 et 14 janvier 2009

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.