Chatillon c. R. | 2022 QCCA 1072 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(455-01-016160-180) | |||||
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DATE : | 1er août 2022 | ||||
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OLIVIER CHATILLON | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LA REINE | |||||
INTIMÉE – poursuivante | |||||
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ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION L’ordonnance de non-publication prononcée en première instance demeure en vigueur
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[1] Olivier Chatillon (« l’appelant ») se pourvoit contre un jugement rendu le 1er juin 2020 par l’honorable Serge Champoux de la Cour du Québec, district de Bedford, lequel jugement qui le déclare coupable d’un chef d’agression sexuelle sur une enfant.
[2] Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrit le juge Healy, LA COUR :
[3] ACCUEILLE la requête pour autorisation d’appel;
[4] ACCUEILLE l'appel;
[5] ACQUITTE l’appelant.
[6] Pour sa part, le juge Mainville aurait rejeté l’appel au motif que les aveux de l’appelant étaient admissibles.
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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Me Nicolas Lemyre-Cossette | ||
POITRAS FOURNIER COSSETTE AVOCATS | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Maxime Hébrard | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 7 juin 2021 | |
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MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR |
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[7] Olivier Chatillon (« l’appelant ») cherchait de l’aide. Il savait qu’il souffrait d’un problème lié à l’abus de substance et, aussi, d’un problème de la nature d’une déviance sexuelle. Dans une démarche entièrement volontaire pour recevoir des soins, à l’invitation des professionnels qui l’ont reçu en thérapie, l’appelant a avoué ses problèmes qui étaient, dans les circonstances, des crimes.
[8] La question en appel est de savoir si les aveux de son comportement criminel à l’équipe médicale étaient protégés par un privilège en droit criminel, et partant, s’ils étaient admissibles en preuve contre l’appelant. Outre son avis d’appel, une requête pour permission d’appeler a été déférée à la formation.
[9] Le juge du procès a conclu que la preuve de la poursuite pouvait reposer sur les aveux faits aux professionnels qui l’évaluaient. Les parties conviennent, comme ce fut le cas au procès, que la réponse à cette question scelle le sort de l’appel et du verdict.
[10] Pour les motifs qui suivent, je propose d’infirmer la décision du juge, de déclarer les aveux de l’appelant inadmissibles en preuve et de l’acquitter.
Le contexte
[11] L’appelant avait un problème de dépendance à différentes substances intoxicantes. En août 2016, il a vécu une brève relation avec une femme. Il s’est retrouvé seul avec l’enfant de celle-ci, âgée de 4 ans, à deux occasions distinctes. Il a posé sur l’enfant des gestes à caractère sexuel.
[12] Il est admis qu’une première fois, il a frotté son pénis sur les organes génitaux de l’enfant qui était assise sur lui. Les deux étaient vêtus et le contact n’a duré que quelques secondes. La seconde fois, tout en lui cachant les yeux, il a mis son pénis sur la langue de l’enfant, encore pour quelques secondes.
[13] Ce sont les crimes de l’appelant (« les crimes »).
[14] À la fin du mois d’août, pour d’autres raisons, la relation a pris fin et l’appelant n’a plus jamais revu cette famille.
[15] Peu après, il entreprend volontairement une démarche thérapeutique pour sa toxicomanie. Il n’en était pas à sa première thérapie. Cette nouvelle démarche s’est étendue sur une période de plusieurs mois, incluant la désintoxication et la réadaptation graduelle. En cours de thérapie, il a discuté avec un médecin d’une possible déviance sexuelle. Ce médecin l’a alors dirigé vers les professionnels de l’institut Pinel.
[16] À l’institut Pinel, il rencontre d’abord, en mai 2017, la criminologue Geneviève Ruest et le psychiatre Benoit Dassylva. Ces personnes n’ont pas témoigné.
[17] Et, aux fins de l’évaluation initiale, il a tout raconté, y compris les deux événements décrits plus hauts (« les crimes »), survenus quelque neuf mois auparavant. Pour lui, ses propos étaient faits à des professionnels de la santé et devaient être confidentiels, protégés par le secret professionnel, comme ses expériences passées avec d’autres intervenants le lui avaient confirmé. Il n’a pas cru nécessaire d’évoquer la confidentialité de ses propos. Il est formel : la criminologue Ruest ne lui a jamais dit que l’information qu’elle recevait pouvait être transmise à la police.
[18] Quelques jours après, il rencontre le Dr Dassylva qui, selon lui, avait le rapport de la criminologue. Ils parlent des crimes. Le Dr Dassylva ne lui dit pas spécifiquement qu’il a une obligation de dénonciation à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). L’appelant comprend des propos du Dr Dassylva que ce dernier insiste sur la possibilité d’aider la victime, que c’est un processus de thérapie, qu’il doit être honnête et transparent. L’appelant voulait être admis pour recevoir l’aide qu’il cherchait. Il devait mettre cartes sur table et accepter de contacter la DPJ de la même manière qu’il avait participé à des tests, dont un pléthysmographe pénien, pour sécuriser son admission. À une question posée, il dit ne pas se rappeler si la police a été abordée lors de cette rencontre.
[19] Des propos du Dr Dassylva, l’appelant comprend que le fait d’avouer ses crimes est important pour sa thérapie. Il admet qu’on ne lui a jamais présenté, en mots clairs, que l’aveu de ses crimes était une condition pour intégrer la thérapie. Cette compréhension découle des exigences d’honnêteté et de transparence nécessaires à la thérapie que les cliniciens exigeaient de lui. Il voulait cependant être honnête et transparent, comme cela était exigé de lui.
[20] Sur ce point, le juge semble accepter le témoignage de l’appelant à propos du fait que l’honnêteté et la transparence sont des prédispositions à la thérapie. Il dit :
Q Alors c'est normal et ce n'est pas surprenant qu'ils vous disent d'être honnête et transparent? Est-ce que je me trompe? Pour que la thérapie serve à quelque chose?
[21] Une fois ses crimes avoués, l’appelant explique qu’on lui a répété qu’il devait, lui-même, communiquer avec la DPJ pour aider la victime, lui a-t-on dit, afin de déterminer si elle a des séquelles psychologiques et si l’on doit lui offrir des services.
[22] L’appelant est dirigé vers la doctorante en psychologie, Jo-Annie Spearson-Goulet (« Spearson-Goulet »), qui le prend en charge pour une évaluation « préadmission de groupe » pour la thérapie de groupe qu’elle coanimait. La rencontre se déroule le 23 mai 2017.
[23] Spearson-Goulet a peu de souvenirs précis des échanges avec l’appelant lors de cette rencontre relativement aux crimes et à la divulgation anticipée à la DPJ. N’étant pas impliquée au moment de l’accueil, elle ne peut que rapporter la pratique « habituelle » qui est d’informer « les patients de la limite de la confidentialité ». Avec en main les aveux faits lors de cette rencontre d’accueil avec le Dr Dassylva, elle explique qu’elle voulait maintenant déterminer, avec l’appelant, la manière de communiquer l’affaire à la DPJ.
[24] Spearson-Goulet a expliqué au juge avoir offert trois « choix » à l’appelant : elle dévoile le crime à la DPJ, il le fait lui-même ou ils le font « ensemble ». Elle a peu de souvenirs des discussions avec l’appelant à ce moment. Spearson-Goulet estime qu’elle avait l’obligation légale de dénoncer l’affaire à la DPJ.
[25] L’appelant était d’accord pour informer la DPJ, mais il dit ne pas savoir, au moment où l’appel est fait, que ses propos aboutiraient entre les mains de la police puisque cette question n’avait jamais été abordée, ni même pendant la conversation avec la DPJ. Après l’appel, il apprend que la police serait informée, par la DPJ, mais il croyait que c’était pour venir en aide à la victime.
[26] L’intervenante de la DPJ, Gabriella Landry (« Landry »), témoigne qu’elle a bien reçu le signalement. Selon elle, il n’y avait aucun motif de compromission de l’enfant. Elle explique davantage qu’elle doit à son tour, pour chaque signalement d'abus sexuel, faire un signalement à la police.
[27] L’appelant répète qu’il n’a jamais été question de la police lors de cet appel, qu’il n’a jamais eu de mise en garde et qu’il n’aurait manifestement rien dit s’il avait su que les informations pouvaient l’incriminer.
[28] Le service de police a reçu le signalement de la DPJ le 21 juin 2017. L’affaire traîne jusqu’en mars 2018, moment où la première démarche de l’enquêteur est de communiquer verbalement avec Spearson-Goulet afin d’obtenir ses notes d’entrevue avec l’appelant. Elle obtient de l’appelant son autorisation à transférer les notes contenant des aveux à la police. Ce document, signé le 20 mars 2018, est un formulaire institutionnel plutôt générique qui autorise l’établissement à faire parvenir à la Sûreté du Québec la « note évolutive psychologique du 23 mai 2017 » .
[29] Spearson-Goulet a peu de souvenirs de sa discussion avec l’appelant pour donner une suite à la demande de l’enquêteur. Elle dit avoir requis le consentement de l’appelant, après lui avoir expliqué la demande « des enquêteurs » « qu’on pouvait envoyer la note qui confirmait l’information qu’on avait transmise ensemble à la Direction de la protection de la Jeunesse». Elle témoigne :
On lui a... en fait, on a avisé monsieur Chatillon qu’on avait été contactées par les enquêteurs, de la demande qui nous avait été faite. On lui a expliqué que, nous, on avait respecté le secret professionnel, on n’avait pas dit que c’était un patient, mais qu’on avait demandé l’autorisation si c’était un patient... on est dans les suppositions là, mais c’est la façon qu’on a réussi à s’en sortir. On lui a expliqué qu’on pouvait envoyer la note qui confirmait l’information qu’on avait transmise ensemble à la Direction de la protection de la Jeunesse. On lui a demandé s’il était en accord, s’il l’était, de signer une autorisation, ce qu’il a fait. Puis, de mémoire, on lui a présenté la note qui serait envoyée pour qu’il sache, mais... c’est ça. Là, je vous avoue que c’est loin.
[30] L’appelant se souvient plutôt que Spearson-Goulet lui a demandé de signer afin de confirmer que c’était bien lui qui avait fait la déclaration à la DPJ. Il n’a eu aucune mise en garde à ce moment. Il n’aurait pas accepté de signer s’il avait su que la police l’accuserait. Il ignorait tout des démarches des autorités et il croyait encore que la victime avait besoin d’aide. Il admet encore ne pas avoir posé de question parce qu’il faisait confiance à ses thérapeutes.
[31] Spearson-Goulet ne peut dire si l’appelant connaissait les conséquences de l’envoi, mais elle répond par une généralité et qu’il savait que les informations seraient envoyées aux policiers.
[32] Après son arrestation, l’appelant n’a fait aucune déclaration.
La requête et le jugement
[33] Au procès, l’appelant a contesté l’admissibilité de ses aveux. Il dépose une requête en exclusion de la preuve, invoquant une violation des articles 7 et 9 de la Charte. Il ajoute, dans le corps de sa requête, une argumentation s’appuyant sur le privilège selon le test de Wigmore afin de protéger la relation entre lui et les professionnels de l’Institut Pinel.
[34] Le juge rejette tous les arguments : R. c. Chatillon, 2020 QCCQ 2044. Son analyse est assez sommaire sur plusieurs des questions.
[35] Le juge s’attarde davantage, sous l’angle du respect du secret professionnel, à l’analyse du privilège selon Wigmore. C’est à l’intérieur de cette analyse que le juge conclut que les professionnels avaient l’obligation de dénoncer les comportements de l’appelant à la DPJ, nonobstant le secret professionnel qui caractérise la relation thérapeutique.
[37] Le juge conclut que les circonstances ne satisfont pas au premier et second critères, principalement parce que l’appelant accepte des discussions de groupe et qu’il participe à la divulgation à la DPJ : Chatillon, précité, par. 55-59. Il reconnaît que le troisième critère est satisfait : Chatillon, précité par. 60. Puis, il conclut que le quatrième ne l’est pas. Il dit que la preuve ne soutient pas l’argument qu’il vaut mieux permettre à un agresseur de chercher de l'aide que de découvrir la vérité dans un procès criminel. De plus, il note que personne n’a forcé l’appelant à révéler les crimes. Il estime que l’argument ressemble à « un "chantage" entre l'ouverture à la thérapie sans accusation et la poursuite des agresseurs » et qu’il faut neutraliser la dangerosité de l’agresseur : Chatillon, précité, par. 64-69.
[38] Le juge rejette donc l’idée que les aveux de l’appelant étaient frappés d’un privilège.
[39] Au cours de son analyse, le juge retient, comme question de fait, que « Olivier Chatillon a confessé un crime avant de savoir qu’il existait une obligation d’en faire le signalement. » : Chatillon, précité, par. 65 (souligné du juge).
[40] Il souligne que, selon lui, la DPJ n’a pas illégalement transmis le dossier à la police parce qu’elle a elle-même fermé le dossier au sein de son service. Le juge écrit qu’il y avait absence de danger pour l’enfant, mais que l’appelant représentait peut-être un danger pour d’autres : Chatillon, précité, par. 75 et 77.
[41] Le juge ne retient pas davantage que la loi obligeait l’appelant à s’incriminer. Cet argument n'est pas repris en appel, il n’est donc pas utile de s’y attarder.
[42] Le juge rejette aussi l’idée que les professionnels étaient des personnes en autorité puisque l’appelant lui-même croyait le contraire et que les professionnels ne le dénonceraient pas. Il accepte que le consentement de l’appelant à transmettre à la police, en mars 2018, les notes de sa psychologue était valide. Le juge estime que le témoignage de cette dernière « est très clair sur les circonstances de sa signature et de son consentement » : Chatillon, précité, par. 100.
APPEL
[43] En appel, trois questions sont soulevées :
1. Le juge de première instance a-t-il erré en fait et en droit dans son application des critères de Wigmore pour déterminer si les déclarations de l'accusé étaient privilégiées ?
2. Le juge de première instance a-t-il erré en droit en refusant de statuer sur l'allégation de violation du droit au silence ?
3. Le juge de première instance a-t-il erré en fait en concluant que la partie appelante avait consenti de façon libre et volontaire à la transmission de sa déclaration aux policiers ?
ANALYSE
[44] La pièce R-1 contient les aveux de l’appelant et constitue l’unique preuve, avec le témoignage de Spearson-Goulet, de sa culpabilité.
[45] Au moment où Spearson-Goulet veut relater les aveux dans son témoignage, l’avocat de l’appelant rappelle que les crimes sont décrits dans la note R-1 et ils ne sont pas contestés.
[46] Par ailleurs, Spearson-Goulet témoigne que lorsqu’elle communique avec la DPJ, elle transmet l’information figurant à la pièce R-1 concernant les crimes. Puisque l’appelant avait fait ces aveux aux professionnels précédemment consultés, cette information demeure du ouï-dire pour Spearson-Goulet jusqu’au moment où l’appelant approuve ou lui confirme ses propos, selon son témoignage. En outre, l’appelant aurait participé activement à la dénonciation à la DPJ, d’abord avec son accord général et ensuite en donnant quelques détails directement à Landry, intervenante de la DPJ.
[47] La culpabilité de l’appelant repose donc sur sa confirmation des aveux, à sa psychologue Spearson-Goulet, fait le 23 mai 2017, informations qui sont consignées dans la note R-1.
[48] Contrairement à ce que retient le juge, je ne suis pas convaincu que la situation révélait un état de compromission de l’enfant. Par conséquent, les professionnels consultés n’avaient pas l’obligation légale de dévoiler les crimes à la DPJ. L’intervenante Landry témoigne d’ailleurs de l’absence de compromission (M.A., p. 183) et Spearson-Goulet témoigne « que dès qu’il n’y a pas de contacts avec... puis c’est extra-familial, qu’il n’y a pas de contacts avec l’enfant, donc la DPJ n’a pas besoin de rester au dossier » (M.A., p. 100). Je ne suis pas convaincu, non plus, que la loi imposait à l’intervenante de la DPJ de faire un signalement à la police. L’intervenante Landry témoigne d’ailleurs être incapable de justifier pourquoi elle devait le faire (M.A., p. 182-183).
[49] Toutefois, l’admissibilité des aveux et donc le sort de l’appel ne dépendent pas des conclusions relativement aux actions subséquentes des professionnels, je m’attarde à l’analyse du privilège invoqué par l’appelant, lequel ferait obstacle à l’admissibilité en preuve des aveux.
[50] Il n’est pas contesté que l’analyse de l'approche proposée par le professeur Wigmore est ici en cause : WIGMORE J.H., Evidence in Trials at Common Law, vol. 9, Toronto, Little & Brown, 1961, par. 2285. Le juge fait l’énoncé, que j’ai rappelé au paragraphe [30], des « critères ou test de Wigmore » : Slavutych v. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, 282.
[51] Les rapports entre un patient et son médecin, psychiatre, psychologue ou thérapeute peuvent faire l’objet d’un privilège circonstancié ou non générique : R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, par. 29.
[52] Le fardeau appartient à la partie qui invoque le privilège de démontrer que chacun des facteurs ou critères à son application est satisfait : R. c. National Post, [2010] 1 R.C.S. 477, par. 64; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, 293.
[53] À mon avis, le juge commet une erreur lorsqu’il analyse les deux premiers critères du test qu’il estime non satisfaits. D’abord, il conclut que l’appelant divulgue ses crimes avant de savoir que les intervenants pourraient transmettre l’information à un tiers, la DPJ. Il retient ensuite le fait que la thérapie en groupe annihile l’attente de confidentialité. Or, la possibilité d’une divulgation à un tiers d’un élément n’écarte pas l’attente de confidentialité : M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, par. 24; R. c. S.(R.), (1985) 19 CCC (3d) 115, 131 (C.A.O.).
[54] À mon avis, les trois premiers critères sont satisfaits. Le quatrième doit maintenant être analysé. Ce critère repose sur les circonstances propres à une affaire, si bien que la conclusion n’établit pas une règle immuable, voire générale. Des faits différents peuvent mener à des conclusions différentes.
[55] Comme le rappelle la Cour suprême, « [l]a quatrième condition veut que l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emporte sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige » : M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, par. 29.
[56] La Cour suprême rappelle que « la common law doit évoluer de manière à refléter les nouvelles valeurs consacrées par la Charte … et que les facteurs soupesés en vertu du quatrième volet du critère applicable pour déterminer l’existence d’un privilège devraient être mis à jour de manière à refléter les valeurs pertinentes de la Charte » : M. (A.) c. Ryan, précité, par. 30 (je souligne).
[57] Avec égards, le juge n’a pas tenu compte de ce facteur.
[58] Plus particulièrement, il est indéniable que doit être considérée dans l’exercice la valeur fondamentale de la Charte qui protège contre l’auto-incrimination : art. 7, 10, 11 et 13 de la Charte. Utiliser les communications confidentielles entre un thérapeute et son patient comme unique preuve de culpabilité entre certainement en collision avec les valeurs de la Charte.
[59] Dans l’arrêt M. (A.) c. Ryan, précité, la Cour a recours à la valeur importante qu’est la vie privée, reflétée notamment par l’article 8 de la Charte afin de l’importer dans une affaire civile où était recherchée la communication de dossiers médicaux de la victime d’une agression sexuelle. Il ne s’agissait pas d’appliquer la Charte au droit civil.
[60] En l’espèce, il ne s’agit pas d’appliquer les garanties constitutionnelles contre l’auto-incrimination dans un contexte d’aveux à des personnes qui ne sont pas des agents de l’État. Il y a cependant lieu de tenir compte de l’importance accordée par la loi suprême à la protection contre l’auto-incrimination lorsqu’il faut évaluer le caractère privilégié des rapports entre médecin-patient, ou plus généralement, entre thérapeute-patient.
[61] L’intimée rappelle l’arrêt R. c. S.(R.), (1985) 19 CCC (3d) 115 (C.A.O.). Dans cette affaire, à la suite de deux vagues de dénonciations d’abus sexuel de la part de l’appelant sur les enfants de sa conjointe, des thérapies familiales de groupe avaient été recommandées par les médecins consultés par la mère. Lors des secondes thérapies, l’appelant s’y est présenté volontairement. À sa connaissance, elles étaient enregistrées. Les abus ont été abordés. L’appelant a été confronté par les révélations de même que par le clinicien qui menait la rencontre. Il est demeuré silencieux devant les accusations. C'est ce silence, très éloquent, selon la Cour, que le ministère public cherchait à mettre en preuve au procès. La Cour d’appel n’a eu aucune hésitation à reconnaître qu’une thérapie de groupe ne faisait pas obstacle à la confidentialité attendue : R. c. S.(R.), précité, p. 131. Placée devant une preuve d’articles contradictoires concernant l’importance de la confidentialité dans la relation médecin-patient, soit le second facteur de la démarche de Wigmore, la Cour préfère ne pas statuer : R. c. S.(R.), précité, p. 132. Le troisième facteur de l’analyse, soit l’importance de préserver les thérapies familiales, était admis, mais la Cour estime également que la législation sur le divorce encourage ces séances, reflétant leur importance comme objectif social.
[62] Le quatrième facteur de l’approche de Wigmore n’était cependant pas satisfait. De façon générale, la Cour d’appel conclut que, dans un procès criminel portant sur des abus sexuels à l’égard d’enfants, la recherche de la vérité l’emporte sur les besoins de thérapies familiales. La Cour note que de nombreuses juridictions, dont l’Ontario, ont adopté des lois forçant la divulgation de maltraitance et d’abus sur les enfants, ce qui démontre que l’intérêt public prévaut sur la confidentialité des propos tenus aux psychiatres. Le juge Lacoursière, pour la Cour, écrit :
It is sufficient to say that the information obtained in the course of psychiatric counselling or treatment where child abuse is involved does not meet the test adopted in Slavutych v. Baker et al. (1975), 55 D.L.R. (3d) 224, [1976], 1 S.C.R. 254, 38 C.R.N.S. 306. Society considers the detection and prevention of child abuse more important than the confidentiality of psychiatric counselling. I would therefore conclude that the learned trial judge did not err in ruling that the evidence of Dr. Sawa and the tapes and transcript of the counselling session were admissible. I would not give effect to this ground of appeal.
R. c. S.(R.), (1985) 19 CCC (3d) 115, 136 (C.A.O.).
[63] Je note que, dans cet arrêt de 1985, la Cour d’appel ne soupèse aucunement les valeurs de la Charte puisqu’il précède évidemment l’arrêt M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157.
[64] L’intimée s’appuie sur un certain nombre d’autres décisions pour écarter le quatrième volet de l’analyse de Wigmore, certainement le plus difficile à démontrer. D’abord, elle table sur l’arrêt Verret de notre Cour où la situation opposait la confidentialité des révélations à propos d’un meurtre commis plusieurs décennies auparavant, dans le contexte d’un traitement pour un problème de consommation d’alcool : R. c. Verret, 2013 QCCA 1128, paragr. 21-33. Je note ici que la nature du crime est différente, que l’appelante avait en sus fait des aveux à sa colocataire, et qu’une preuve d’ADN était disponible. Cela dit, l’appelante avait avoué à son intervenante avoir été complice de meurtres et elle avait rédigé une lettre destinée à une des deux victimes, sa sœur. La Cour explique que les propos de la lettre sont fiables et déterminants pour la preuve de la poursuite, tout comme le témoignage de l’intervenante. Ensuite, la Cour note que les trois premiers critères du test de Wigmore étaient satisfaits, mais pas le quatrième. Elle tient également compte, même si ce n’était pas déterminant, du fait que l’appelante avait accepté que son intervenante partage sa confidence avec sa supérieure. Enfin, elle retient l’analyse du juge qui compare la lettre à un « écrit que l'on pourrait qualifier d'intime, confectionné par l'accusée dans un moment d'intimité » : R. c. Verret, précité, par. 33.
[65] Je partage le résultat auquel parvient la Cour. D’une part, dans cette affaire, le lien entre la démarche thérapeutique dans le cadre d’un programme visant à résoudre un problème d’alcool et l’aveu d’un meurtre est ténu, voire inexistant. Il tient davantage à une révélation plutôt périphérique. D’autre part, même si la preuve était importante, comme le sera sans doute toute forme d’aveu, elle demeurait circonstancielle et d’autres éléments de preuve restaient disponibles.
[66] L’intimée s’appuie également sur l’arrêt R. c. Karasek, 2011 ABCA 161. Dans cette affaire, le psychiatre avait dévoilé aux policiers deux récidives récentes de son patient Karasek, qu’il traitait déjà pour une déviance sexuelle en raison d’une agression sexuelle commise sur un enfant quelques années auparavant.
[67] Dans cette affaire, je retiens que Karasek avait plaidé coupable, qu’il représentait un danger pour d’autres victimes et que le psychiatre témoignait dans le cadre de la détermination de la peine et, plus particulièrement, de la détermination de délinquant dangereux. Manifestement, cet arrêt offre un contexte nettement différent où l’appelant avait plaidé coupable et que la dénonciation était motivée par sa dangerosité, une exception reconnue : Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455.
[68] Enfin, l’autre arrêt cité par l’intimée est R. c. G.D., 1998 CanLII 13015 (C.A.Q.) dans lequel la Cour refuse de reconnaître un privilège à l’aveu de deux meurtres, soit deux enfants, commis en 1979 à la suite d’une agression sexuelle. Au moment de l’aveu, l’appelant purgeait une peine dans un pénitencier et il avait volontairement entrepris, auprès des autorités et plus particulièrement des professionnels agissant pour les libérations conditionnelles, une thérapie axée sur une déviance sexuelle. La Cour note que l’appelant s’adressait à un agent de l’État qui les rapporterait aux autorités pour évaluer les modalités de sa libération conditionnelle, qu’il avait directement rencontré les policiers enquêteurs et qu’il avait fait une déclaration écrite complète et admissible, pour ensuite relever les professionnels traitants de leur secret professionnel.
[69] Encore une fois, les faits de cette affaire sont bien loin de ceux qui sont en cause dans le présent appel. S’il y a un rapport avec un professionnel qui promettait le secret, je doute qu’il y ait eu une véritable démarche thérapeutique et que cette dernière ait été véritablement au cœur de la relation. Il apparaît davantage des faits de l’affaire que l’appelant visait à obtenir une libération conditionnelle prochaine. Enfin, la Cour, à l’instar de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. S.(R.), précité, n’examine pas l’impact des valeurs de la Charte sur le privilège.
[70] Je n’ignore pas l’importance de mener à terme les procès criminels et qu’il se présentera des cas où les aveux d’une personne serviront contre elle, même lorsqu’ils sont donnés dans le cadre d’une relation thérapeutique. Les arrêts cités par l’intimée peuvent en être des manifestations. En l’espèce toutefois, la situation m’amène à conclure que les déclarations de l’appelant étaient privilégiées et inadmissibles en preuve.
[71] Il m’apparaît injuste et contraire aux valeurs de la Charte d’utiliser contre l’appelant ses aveux faits dans le cadre d’une démarche thérapeutique volontairement entreprise auprès d’un organisme traitant les déviances sexuelles afin de discuter de déviance sexuelle. Si, bien sûr, une déviance sexuelle n’a pas à constituer un crime, il demeure que la nature même des aveux est ici au cœur de la problématique et de l’aide recherchée. Il s’agit d’un élément contextuel important.
[72] Qui plus est, cette démarche fondamentalement personnelle et guidée par absolument aucun autre objectif que de vouloir régler un problème grave a été entreprise de bonne foi et en toute honnêteté.
[73] Je note enfin que la preuve révèle, et que le juge est d’accord, que l’appelant n’a jamais été informé, avant de faire ses aveux, que ceux-ci pouvaient servir à l’incriminer. Il est étonnant que l’organisme en cause n’ait pas un protocole plus clair pour l’accueil des candidats que ses représentants peuvent aisément expliquer, sachant, de toute évidence, que si tous les déviants sexuels n’ont pas commis un crime, ce sera le cas pour d’autres, comme l’appelant.
[74] Enfin, aucun danger n’exigeait la neutralisation de l’appelant ou une action immédiate. Comme la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. S.(R.), l’intérêt social d’intervenir auprès des jeunes victimes en état de compromission indique l’importance de cet objectif. Il faut cependant tenir compte que les lois autorisent les professionnels à se libérer du secret et de la confidentialité de leurs rapports avec leurs patients uniquement dans des circonstances précises. L’état de compromission d’un enfant est l’exception édictée par la Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ c. P-34.1, article 38 à 39.1. Cette exception n’était pas constatée dans la présente affaire. Les lois prévoient également des mécanismes pour faire face aux dangers imminents que présentent certaines personnes qui consultent des professionnels tenus au secret et qu’ils peuvent alors prendre des mesures : voir notamment Code des professions, RLRQ c. C-26, art. 60.4; Code de déontologie des psychologues, RLRQ c C-26, r 212, art 18; Code de déontologie des médecins, RLRQ c M-9, r 17, art 20.
[75] Ces dispositions renforcent l’idée que notre société accorde une importance au secret des rapports entre les professionnels et leurs patients et s’accordent avec les valeurs de la Charte.
[76] Ne pas reconnaître qu’un privilège protège un aveu dans les circonstances de la présente affaire me semble aller à l’encontre du bon sens et décourage les personnes aux prises avec des déviances sexuelles de rechercher l’aide requise par leur état. Si la preuve ne permet pas de conclure avec certitude qu’un candidat ne se présenterait pas à une thérapie qui le mènera devant la cour criminelle, poser la question est sans doute y répondre. Contrairement au juge d’instance, j’estime qu’il s’agit d’une inférence probable, autorisée par la preuve et qui découle du bon sens.
[77] Puisque le ministère public admet que l’inadmissibilité des aveux de l’appelant entraîne son acquittement, je propose donc d’accueillir la requête pour permission d’appeler, d’accueillir l’appel et d’acquitter l’appelant.
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MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
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[78] J’ai lu les motifs de mon collègue le juge Vauclair et je ne puis y souscrire. Voici pourquoi.
[79] Quatre éléments sont déterminants dans cette affaire :
(a) dans le cadre d’une relation thérapeutique entreprise initialement pour traiter un problème de toxicomanie, l’appelant a avoué qu’il avait agressé sexuellement une enfant de quatre ans, notamment en lui plaçant son pénis sur la langue;
(b) la véracité de ses aveux n’est pas remise en question;
(c) l’appelant a consenti à ce que ses aveux soient transmis à la Direction de la protection de la jeunesse et a aussi autorisé par écrit que les notes contenant ses aveux soient transmises à la Sûreté du Québec;
(d) l’admissibilité des aveux dans le cadre du procès criminel constitue le fondement de la déclaration de culpabilité prononcée à l’égard de l’appelant.
[80] Comme le note mon collègue, l’appel porte pour l’essentiel sur l’admissibilité des aveux de l’appelant en l’application de l’analyse dite de Wigmore comportant quatre critères, à savoir : (1) les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées; (2) le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties; (3) les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment; et (4) le préjudice permanent que subiraient les rapports à la suite de la divulgation des communications doit être plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision.
[81] Mon collègue conclut que le juge de première instance s’est trompé sur l’application de ces critères. Dans un premier temps, le juge aurait erré en concluant que les deux premiers critères du test ne seraient pas satisfaits. Quant au quatrième critère, mon collègue est d’avis qu’il serait injuste et contraire aux valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés d’utiliser contre l’appelant des aveux énoncés dans le cadre d’une démarche thérapeutique volontairement entreprise.
[82] À l’instar de mon collègue, je conviens que l’on peut douter de l’admissibilité, dans un procès criminel, d’aveux énoncés de façon confidentielle dans le cadre d’une démarche thérapeutique entreprise de bonne foi, et ce, malgré l’obligation de signalement énoncée dans la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec. Or, il n’est pas nécessaire de traiter ou de décider de cette question dans le cadre du présent appel.
[83] En effet, en consentant à la divulgation de ses aveux, notamment à la Sûreté du Québec, l’appelant a explicitement renoncé au caractère confidentiel de ceux-ci. Il en résulte que les critères de l’analyse de Wigmore ne sont pas satisfaits de façon à empêcher l’admissibilité de ces aveux comme éléments de preuve dans le cadre d’un procès criminel.
[84] Notons que les prétentions de l’appelant quant au caractère vicié de son consentement à la divulgation de ses aveux ont été rejetées par le juge de première instance. Le juge a conclu que ces prétentions étaient « farfelues » et ne pouvaient donc être retenues (par. 101 du jugement). Cette conclusion de fait repose sur l’évaluation de la crédibilité des divers témoins entendus lors du procès, laquelle bénéficie d’une grande déférence en appel.
[85] Cette appréciation de la crédibilité des témoignages est d’ailleurs fort raisonnable, vu que l’appelant a consenti par écrit à la divulgation à la Sûreté du Québec, qu’il savait que cette dernière est un corps de police qui enquête sur des crimes et que les gestes d’agression sexuelle qu’il a avoués constituent des crimes. Il est d’ailleurs contraire au bon sens de croire qu’une divulgation d’une agression sexuelle à la Sûreté du Québec ne pourrait mener à une enquête policière et à d’éventuelles accusations criminelles.
[86] Quoi qu’il en soit, même si le juge s’était trompé à cet égard, la seule croyance subjective de l’appelant voulant que son consentement à la divulgation à la Sûreté du Québec ne puisse mener à des accusations criminelles serait insuffisante pour empêcher l’admissibilité des aveux dans le cadre du procès criminel. Outre le fait que le consentement à cette divulgation, quelle que soit la croyance subjective de l’appelant quant à l’utilisation de celle-ci par la police, suffit pour écarter les deux premiers critères de l’analyse de Wigmore, le quatrième critère ne saurait non plus être satisfait dans de telles circonstances. Il m’apparaît en effet difficilement concevable qu’une croyance subjective erronée de cette nature puisse constituer le type de situation envisagé par l’analyse de Wigmore permettant d’écarter une juste décision judiciaire fondée sur la vérité.
[87] Je rejetterais donc l’appel pour ces motifs.
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.