Modèle de décision CLP - juillet 2015

Bensimon et Ministère des Anciens Combattants

2020 QCTAT 3279

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Outaouais

 

Dossiers :

421060-07-1009  421088-07-1009  424676-07-1011 

425167-07-1011  426140-07-1012 

Dossier CNESST :

135622546

 

 

Gatineau,

le 14 septembre 2020

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Jason W. Downey

______________________________________________________________________

 

421060     424676     426140

421088     425167

 

 

Serge Bensimon

Ministère des Anciens Combattants

Partie demanderesse

Partie demanderesse

 

 

et

et

 

 

Ministère des Anciens Combattants

Serge Bensimon

Partie mise en cause

Partie mise en cause

 

 

et

et

 

 

Emploi et Développement Social Canada

Emploi et Développement Social

Canada

Partie Intervenante

Partie intervenante

 

 

 

 

[1]          Le 8 décembre 2009, monsieur Serge Bensimon, le travailleur, fait une chute dans un couloir intérieur d’un établissement géré par le Ministère des Anciens Combattants, l’employeur.

[2]          Dans les jours qui suivent, il dépose une réclamation auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la CSST, pour des lésions professionnelles au niveau de la cheville gauche et du genou droit, qui sera acceptée.

[3]          Quelques mois plus tard, il dépose une nouvelle réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation, à savoir une hernie discale. Cette réclamation sera refusée par la CSST.

[4]          Suivant un passage au Bureau d’évaluation médicale, les diagnostics de lésion professionnelle sont consolidés le 14 juin 2010, avec suffisance de soins et traitements à cette date, sans atteinte permanente, sans limitations fonctionnelles. La CSST rend alors une décision entérinant ces conclusions et se prononce sur sa capacité d’exercer son emploi à compter de cette date.

[5]          Au cours de l’année qui suivra, d’autres décisions rendues par la CSST seront contestées, tant par le travailleur que par l’employeur, comme en témoignent les cinq numéros de dossier aux présentes. Ces dossiers sont tous pendants devant le Tribunal administratif du travail, le Tribunal[1].

[6]           Ces dossiers se prolongent ensuite dans le temps.

[7]           Il y a plusieurs dates d’audience qui sont fixées et reportées, de conférences téléphoniques tenues et de multiples échéanciers convenus, mais qui ne sont pas respectés par le travailleur.

[8]           Le 4 avril 2019, l’employeur demande le rejet sommaire de la présente affaire en vertu de l’article 9 al. 2 (1°) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2], la LITAT.

[9]           Par décision du 17 avril 2019, cette requête est suspendue et le Tribunal accorde au travailleur un délai pour fournir une information précise et détaillée sur son état de santé et des traitements à venir.  Cette information est apportée le 10 juillet 2019.

[10]        Plusieurs tentatives de rejoindre le travailleur échouent par la suite, au point où le Tribunal fixe une conférence téléphonique le 9 septembre 2019; le travailleur fait défaut de s’y joindre. Un nouvel échéancier est fixé pour obtenir de nouvelles précisions sur son état de santé à la fin du mois d’octobre 2019; cet échéancier n’est pas respecté par le travailleur[3].

[11]       Le 12 décembre 2019, l’employeur demande au Tribunal de se prononcer sur sa requête pour rejet sommaire.  Un délai est accordé au travailleur pour lui permettre de faire valoir ses arguments sur le rejet sommaire.

[12]       L’employeur est d’avis que les contestations du travailleur, qui durent depuis 2010 et qui font systématiquement l’objet de remises depuis,  sont dilatoires, que le travailleur n’apporte aucune solution qui pourrait permettre de procéder et qu’il paralyse le processus judiciaire. L’employeur prétend que les demandes de remise répétées du travailleur sont abusives et ultimement son manque de collaboration, vont à l’encontre d’une saine administration de la justice.

[13]        Le travailleur ne répond pas précisément aux arguments de l’employeur sur la demande de rejet sommaire, mais explique que son état de santé est extrêmement fragile et qu’il est en attente d’une décision d’un comité sur l’accès à l’aide médicale à mourir. 

[14]       Considérant ce qui suit, le Tribunal accueille les requêtes en rejet sommaire de l’employeur et rejette les contestations du travailleur.

Contexte

[15]       Afin de bien comprendre la présente affaire, il y a lieu de cerner les enjeux et faire une revue historique du dossier.

[16]       Le 8 décembre 2009, le travailleur subit une lésion professionnelle sur diagnostic d’entorse à la cheville gauche et contusion au genou droit[4]. Il semble qu’à l’époque, le travailleur a déjà un historique de douleurs persistantes à son genou droit qui dateraient depuis 5-6 ans[5].

[17]       Le 9 mars 2010, le travailleur prétend subir une nouvelle lésion professionnelle en lien avec celle du mois de décembre 2009, sur nouveau diagnostic de hernie discale L5-S1. Cette réclamation est refusée par la CSST[6].

[18]        Le dossier du travailleur est éventuellement transmis au Bureau d’évaluation médicale au mois de septembre 2010.  Le docteur Khalil Masri, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, rend son avis. Il consolide les diagnostics à la cheville et au genou en date du 14 juin 2010 (il s’agit de la même date que celle retenue par le médecin désigné de l’employeur), avec suffisance de soins ou traitements à cette date, sans atteinte permanente et sans limitations fonctionnelles.

[19]       Les décisions qui s’ensuivent et qui font l’objet du présent dossier sont les suivantes :

-      421060 et 421088 (deux décisions identiques)[7] - séquences 001 à 005

o   Refus nouveau diagnostic de hernie discale L5-S1;

o   Refus du tarif de 0,43 cent du kilomètre pour déplacements des 22, 23 et 30 juin 2010 (tarif de 0,145 cent utilisé aux fins de remboursement);

o   Contestation par le travailleur des paiements/chèques d’indemnités de remplacement du revenu du 12 au 31 mars 2010, du 7 au 20 mai 2010 et du 21 mai au 3 juin 2010.

 

-      424676 et 425167 (deux décisions identiques) - séquences 006 et 007

o   Décision rendue à la suite de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale;

o   Consolidation de la lésion professionnelle au 14 juin 2010;

o   Suffisance de soins ou traitements;

o   Sans atteinte permanente;

o   Sans limitations fonctionnelles;

o   Capacité de reprendre son travail au 6 octobre 2010.

-      Décision 426140 - séquence 009

o   Réclamation de deux journées d’indemnité de remplacement du revenu versées en trop ($ 212.46).

[20]       Le travailleur et l’employeur contestent les décisions de part et d’autre, sauf dans le dossier 426140 (travailleur seulement).

[21]       Les dossiers sont fixés pour procéder une première fois le 18 avril 2011. Une première demande de remise est alors accompagnée d’un billet médical qui indique que le travailleur ne peut se déplacer en véhicule automobile pour des raisons de santé.

[22]        Entre 2011 et 2014, il y a plusieurs demandes de remise de la part du travailleur. Le dossier est éventuellement fixé pour procéder de façon péremptoire, au 5 mars 2014.

[23]        Au mois de février 2014, le travailleur présente une nouvelle demande de remise. Celle-ci est d’abord refusée par le Tribunal le 5 février 2014. Le juge administratif de l’époque mentionne au procès-verbal que « les motifs invoqués par le travailleur… sont les mêmes que pour sa demande précédente ».

[24]        Sur présentation d’éléments additionnels, la remise est éventuellement accordée un mois plus tard.

[25]        Plus de trois ans après cette remise, le dossier est éventuellement fixé pour procéder à nouveau, le 28 septembre 2017. Le travailleur se représente seul.

[26]        Au mois de juillet 2017, le travailleur présente une nouvelle demande de remise.

[27]         Le 1er août 2017, le Tribunal refuse cette demande suivant l’élaboration de motifs détaillés. Au procès-verbal, le juge administratif mentionne d’ailleurs « qu’il est dans l’intérêt des parties de tenir l’audience à la date prévue ».  

[28]        Sur présentation de preuves médicales additionnelles, la remise est plus tard accordée, le 6 septembre 2017.

[29]        Le dossier est alors fixé pour procéder le 26 juin 2018.

[30]        Au mois d’avril 2018, le travailleur présente une nouvelle demande de remise, accompagnée d’une courte correspondance du docteur Richard Payeur, psychiatre,  attestant que le travailleur a un état de santé précaire et qu’il est en attente de transplantation.

[31]        Le 26 avril 2018, le Tribunal accorde la demande de remise, mais fixe cette fois le dossier pour procéder, de façon péremptoire, au 10 janvier 2019.

[32]       Le 15 novembre 2018, le Tribunal reçoit la transmission de documents médicaux issus du docteur Patrick Legault, omnipraticien, selon lesquels le travailleur ne peut se présenter pour sa convocation, car il est en attente de greffe et que son état de santé ne s’améliore pas. Ce document est accompagné d’un formulaire générique, non signé. Aucune information ni demande spécifique de remise ne sont incluses.

[33]       Le Tribunal comprend qu’il s’agit en fait d’une septième demande de remise.

[34]       Le 22 novembre 2018, l’employeur achemine une correspondance au Tribunal afin de vérifier si le dossier procèdera bel et bien au mois de janvier 2019. L’employeur demande de fixer une conférence préparatoire, afin de certifier la nécessité de s’y préparer.

[35]        À la suite de cette correspondance, le greffe du Tribunal tente de rejoindre le travailleur, mais son numéro de téléphone n’est plus en service. Le 27 novembre 2018, le Tribunal achemine une correspondance certifiée au travailleur lui enjoignant de prendre contact avec le greffe afin de gérer cet incident; le relevé du courrier indique une impossibilité de livraison.

[36]        Considérant entre autres l’historique du dossier et le fait que le dossier est fixé pour procéder de façon péremptoire pour une deuxième fois - considérant aussi le modus operandi identique du travailleur à chaque fois qu’une date d’audience est imminente (télécopie laconique d’un médecin, quelques jours au préalable, attestant d’une incapacité et réclamant une remise dans six mois) - le 11 décembre 2018, le Tribunal rend une décision[8] qui rejette la demande de remise du travailleur et déclare que les dossiers procèderont sur le fond le 10 janvier 2019.

[37]        Le 7 janvier 2019, le travailleur achemine de nouveaux documents au Tribunal[9], contestant la décision du 11 décembre 2018 et proposant comme solution de tenir l’audience au Palais de justice de Maniwaki. 

[38]        Le 9 janvier 2019, le Tribunal initie une conférence téléphonique afin de tenter d’explorer des solutions dans le présent dossier.

[39]        Une des premières représentations du travailleur à l’occasion de cette conférence est de proposer que l’audience se tienne au Palais de justice de Maniwaki. 

[40]        Suivant une vérification avec la représentante de l’employeur et les ressources matérielles du Ministère de la Justice du Québec, une telle audience est tout à fait envisageable[10].  Le Tribunal offre alors cette possibilité au travailleur, à la date qui lui convient - le travailleur la décline aussitôt - invoquant de nouvelles difficultés personnelles et une impossibilité physique de s’y rendre.

[41]        Le Tribunal propose alors des solutions alternatives.

[42]        Une audience par voie téléphonique est offerte au travailleur, mais celui-ci ne se croit pas capable d’y participer. Une audience par visioconférence est ensuite proposée au travailleur, mais celui-ci décline pour les mêmes raisons. Il explique ne pas être capable de « subir » une audience pour des raisons de santé.

[43]        Le Tribunal rassure le travailleur qu’à l’occasion de ces modes alternatifs d’audience, il est ouvert à de multiples adaptations nécessaires afin d’accommoder ses problèmes de santé et pour faciliter le débat[11].  La représentante de l’employeur se montre aussi particulièrement conciliante.  Le travailleur refuse toute forme d’audience.

[44]        Il est ensuite convenu, de consentement entre les parties, que les contestations du travailleur peuvent procéder de façon écrite, sur dossier. Un échéancier est convenu à cette fin.  Le travailleur est d’accord de fournir toute documentation pertinente, ainsi que ses représentations écrites au plus tard le 24 mai 2019. Cet échéancier est péremptoire et le travailleur en est avisé. Le Tribunal avise qu’aucune nouvelle remise ne sera accordée, outre l’hospitalisation pour une greffe du pancréas (dont il dit être en attente) ou un coma (dont le travailleur dit souffrir régulièrement).

[45]        Le 27 mars 2019, le Tribunal reçoit une nouvelle demande du travailleur afin de suspendre l’échéancier. La demande est accompagnée d’une nouvelle correspondance du docteur Payeur, affirmant que le travailleur a subi des comas diabétiques au cours des mois précédents et qu’il faudrait attendre que sa santé se stabilise avant de donner suite à l’échéancier.

[46]        Le 4 avril 2019, l’employeur demande le rejet sommaire des contestations du travailleur pour la première fois.

[47]        Le 17 avril 2019, le Tribunal rend une décision par laquelle il suspend l’échéancier fixé au mois de janvier 2019, en attente d’information additionnelle sur l’état de santé du travailleur, au plus tard le 17 juillet 2019. La requête pour rejet sommaire est ajournée à une date ultérieure, sine die.

[48]        Le 17 juillet 2019, le Tribunal reçoit des documents médicaux en provenance du travailleur.  Un de ces documents porte la date du 7 septembre 2017, alors que l’autre date du 10 juillet 2019 et qu’il s’agit d’une nouvelle correspondance du docteur Payeur. Le docteur Payeur liste une panoplie de conditions qui affectent le travailleur, autant physiques que psychiques.

[49]        Le Tribunal proroge l’ajournement de l’échéancier et quelques semaines plus tard, fixe une nouvelle conférence téléphonique pour le 9 septembre 2019 et en avise le travailleur[12].

[50]        Le 4 septembre 2019, le Tribunal reçoit une nouvelle demande de remise laconique de la part du docteur Payeur, attestant que le travailleur est incapable de répondre aux demandes du Tribunal; le docteur Payeur demande à nouveau un délai de  six mois. Le 5 septembre, l’employeur consent à cette demande.

[51]        Le 9 septembre 2019, le Tribunal initie tout de même la conférence téléphonique prévue à cette date. Le travailleur est absent et la représentante de l’employeur est présente. Cette dernière demande alors s’il est possible de préciser l’état d’incapacité du travailleur; elle ne fait aucune représentation sur la requête pour rejet sommaire qui est toujours suspendue.

[52]        Le même jour, le Tribunal achemine une correspondance au travailleur, qui demande un portrait plus détaillé de son état de santé, au plus tard le 31 octobre 2019.

[53]        Le 28 novembre 2019, le Tribunal reçoit une nouvelle correspondance du docteur Payeur mentionnant simplement : « Son état de santé se détériore et il peut difficilement comparaître au Tribunal - demandons report de 6 mois. Merci ».

[54]        Le 12 décembre 2019, l’employeur demande au Tribunal de se prononcer sur sa requête pour rejet sommaire, jusque-là toujours en suspens.

[55]        Le 7 janvier 2020, le Tribunal demande au travailleur, par correspondance, de fournir ses observations sur la requête pour rejet sommaire, au plus tard le 1er mai 2020.

[56]        Il semble que le travailleur ait mis une correspondance à la poste le ou vers le 18 avril 2020, mais qu’en raison de la pandémie COVID-19, et d’une interruption du service postal au comptoir du Tribunal (à cause de la fermeture des bureaux), cet envoi n’est livré au greffe que le 22 juin 2020.

[57]        De par cet envoi, le travailleur explique qu’il ne cherche pas à faire perdre le temps du Tribunal, alors qu’il lutte pour sa survie.  Il atteste avoir reçu une greffe au niveau de son pancréas, mais qu’il y a eu rejet[13].  Il dit maintenant avoir perdu son combat avec la maladie, alors qu’il produit une demande pour l’aide médicale à mourir[14].  Il dit souffrir de MPOC (maladie pulmonaire obstructive chronique) et que sa condition lombaire lui fait faire des chutes fréquentes, causant des fractures et lésions qui deviennent chroniques.  Il fait également état d’hypersomnie, de nodules pulmonaires, d’hypoglycémie et d’une importante prise de médicaments. Des documents médicaux qui datent de 2010, 2012, 2015, 2016, 2017, 2019 et 2020 accompagnent ses prétentions.

[58]        Il ajoute différents documents attestant de plaintes auprès du syndic du Barreau du Québec concernant un de ses anciens représentants (2010), auprès du syndic de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, concernant un ancien travailleur social (2012), de correspondances auprès de la Fondation pour l’aide aux travailleuses et travailleurs accidentés du Québec (2013) et de demandes auprès de ProBono Québec pour des services juridiques gratuits (2014).  Il semble aussi y avoir une plainte de nature criminelle logée auprès d’un service de police en 2011, contre un ancien représentant.

[59]        Le travailleur inclut également des documents en lien avec des questions de relation de travail avec l’employeur (2012), de prestations d’assurance-salaire privée (Compagnie Sunlife) et de correspondances de sa part qui datent depuis au moins 2012 invoquant que l’employeur l’aurait forcé à signer une « reddition de ses droits » le privant de la protection de la Loi (art. 32 LATMP)[15] et qu’on lui aurait imposé un ultimatum de continuer à travailler ou d’aller au chômage.

[60]        Un courriel du 18 avril 2013, inclus aux documents du travailleur, se lit d’ailleurs comme suit :

« La CLP est en attente depuis 2010 pour que je concède une date d’audience.  Je souffre maintenant de cancer aux poumons, de syncopes à répétition, de douleur chronique non-contrôlée (…) mais aucun médecin de famille ne veut me suivre (cas trop compliqué qui répond mal à la médication).

Je n’ai donc pas eu de soins appropriés et ma vie de travailleur est finie.

L’employeur a été odieux et s’est servi de la LOI 32 LATFP pour me priver de soins, a compromis mon accès à la CSST, a abusé du processus de contestation pour m’enterrer sous une dizaine de contestations frivoles, m’a privé de revenus et soins complets pendant presque 3 ans et employé toutes sortes de méthodes ignobles et illégales pour me faire payer mon audace d’avoir osé déposer une demande à la CSST. »

 

[61]        Le Tribunal retient ce passage, car il rejoint essentiellement les propos du travailleur tenus lors de la conférence téléphonique du 9 janvier 2019, alors qu’il était question de cerner le débat entourant ses contestations et des moyens de preuve qu’il entendait utiliser.

 

[62]        Lors de cette conférence téléphonique, le travailleur invoque ce qu’il qualifie d’un « effet domino » pour appuyer ses contestations devant le Tribunal.

[63]        Il est d’avis que sa lésion professionnelle au genou/cheville subie en 2009 et le traitement négatif qu’il a subi de la part de son employeur dans le suivi de sa réclamation sont, selon lui, la source de tous les problèmes médicaux dont il est victime aujourd’hui (cancer, MPOC, diabète de type 1, insuffisance pancréatique, comas, apnée du sommeil, syncopes, fatigue chronique, arythmies cardiaques, syndrome de douleur chronique, discarthrose, plusieurs fractures osseuses et dépression majeure).

[64]        Il explique que la lésion professionnelle de 2009 est à l’origine de, sinon a causé toutes ces conditions. Il explique qu’il n’est véritablement plus question des décisions de la CSST de 2010 comme telles, mais plutôt, il réclame plusieurs dizaines de millions de dollars en compensation pour une vie qu’il qualifie de ruinée. Il dit alors être en mesure de le prouver, mais que cela requiert au-delà de dix mille pages de documents et qu’il n’est pas en état de s’attaquer à cette tâche pour l’instant, sa santé étant trop fragile.

[65]        Le Tribunal doit maintenant décider du sort des contestations du travailleur, alors que l’employeur demande le rejet sommaire de celles-ci, en plaidant que les procédures du travailleur sont dilatoires et paralysent le processus judiciaire, qu’elles sont condamnées à rester dans une impasse procédurale à perpétuité, que la preuve est insuffisante et que le tout va à l’encontre d’une saine administration de la justice.

[66]        Le Tribunal partage l’avis de l’employeur.

L’ANALYSE

-       Le droit

[67]        Le rejet sommaire existe principalement en vertu de l’article 9 al. 2 (1°) de la LITAT qui se lit comme suit :

9. Le Tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.

En outre des pouvoirs que lui attribue la loi, le Tribunal peut:

1°   rejeter sommairement ou assujettir à certaines conditions toute affaire qu’il juge abusive ou dilatoire;

[]

[68]        Si ce pouvoir est exercé plus régulièrement en matière de relations de travail, il est plutôt rare de voir le Tribunal se prononcer sur une telle requête en matière de santé et de sécurité du travail.

[69]        Cette situation s’explique entre autres par le caractère social la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[16], la Loi, et ses objectifs qui visent la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entrainent pour les bénéficiaires. Il est aussi question de réadaptation physique, sociale et professionnelle d’un travailleur[17].

[70]        La Loi sur la justice administrative[18], quant à elle, prône la qualité et la célérité du processus, l’accessibilité et le respect des droits fondamentaux des citoyens[19].  Il est alors question de mener des débats avec souplesse[20], de façon à faire apparaitre le droit[21], de favoriser le rapprochement des parties[22], de donner l’occasion aux gens de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d’en débattre[23].

[71]        À l’article 45 de la LITAT, on peut aussi apercevoir le souci du législateur à ce que les affaires portées devant le Tribunal soient disposées dans certains délais, dont quelques-uns, sont relativement courts.

[72]        Dans les cas qui l’exigent, le Tribunal peut aussi être appelé à apporter un secours équitable et impartial[24] à une partie qui serait, pour quelconque raison, désavantagée.

[73]        Bien que le Tribunal soit maître de sa procédure, dans le cadre de la conduite d’une audience, celui-ci se gouverne largement en fonction d’un accès très souple et simplifié à la justice.  Il est bien sûr toujours guidé par l’équité procédurale, mais il préconise surtout le droit des citoyens de faire valoir leurs prétentions; il s’agit en fait de la raison d’être du Tribunal.

[74]        Il faut bien comprendre du rejet sommaire qu’il constitue un jugement préliminaire sur les revendications d’une partie.  Si ce jugement a pour caractéristique d’être hâtif, c’est-à-dire qu’il n’accède pas le fond des prétentions de celle-ci, il est juste de dire que les considérations qui alimentent une telle décision n’ont rien de sommaire, bien au contraire.

[75]        Il faut certainement conjuguer le fait de mettre fin précipitamment à un recours, avec des rappels constants des tribunaux supérieurs du caractère social et remédiateur de la Loi, dont l’objectif est de réparer les lésions professionnelles et non de priver les personnes de leurs droits.  Il est d’ailleurs souligné que l’intérêt et l’efficacité de la justice administrative justifient à ce qu’on s’attarde au mérite d’un dossier, plutôt que de mettre fin à un recours sur des bases procédurales[25].

[76]        La décision du Tribunal en cette matière est lourde de conséquences, alors qu’elle a pour conséquence de mettre fin à un recours, non quant à son mérite, mais plutôt parce qu’il revêt un caractère abusif ou dilatoire; il s’agit d’une exception, qui contraste nettement avec les objectifs d’accès à la justice mentionnés plus haut.

[77]        Rappelons d’abord qu’au sens de l’article 9 al. 2 (1°) de la LITAT, une procédure, ou dans le cas qui nous occupe, la conduite d’un dossier doit être qualifiée d’abusive ou de dilatoire afin d’y donner ouverture. Il s’agit de concepts alternatifs et non cumulatifs.

[78]        Aussi, ce n’est pas parce qu’une procédure est qualifiée de dilatoire ou abusive que le rejet doit automatiquement opérer.  Le Tribunal peut toujours agir de façon à tenter de remédier à une situation, en mettant des mécanismes en place, afin de veiller à la continuité des droits, dans les cas qui le permettent.

[79]        Bien que, par le passé, le Tribunal ait recouru aux dictionnaires d’usage commun afin d’interpréter les termes abusif et dilatoire[26], il s’avère plus pertinent de recourir à la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec en matière de rejet d’appel, selon l’ancien article 501 (5°) du Code de procédure civile[27], afin de cibler les critères d’appréciation d’un rejet sommaire.

[80]        Ici, il y a d’abord lieu de se référer à la décision Centre sportif Laprairie inc. c. Place La Citière (1981) inc.[28] qui précise certains critères d’applicabilité pour une telle procédure, mais aussi du devoir de réserve d’un tribunal quand il est question de mettre fin aux droits d’une partie d’être entendue :

« …la Cour ne peut accueillir la requête pour rejet que dans la mesure où l’examen sommaire des motifs d’appel, en regard du jugement attaqué, fait voir leur futilité, leur aspect dilatoire et, en somme, l’absence de chance raisonnable de succès. 

 

[…]

 

Nous devons plutôt rechercher si le plaideur, dont on attaque l’appel, soulève des arguments cohérents et défendables juridiquement, en apparence à tout le moins, même s’ils sont discutables ou même s’ils contredisent les opinions admises.  Lors de l’audition d’une telle procédure, la Cour ne peut non plus s’engager dans l’analyse de la preuve.  Pour adjuger sur la requête, il faut que les arguments puissent être appréciés rapidement sans qu’il soit besoin d’étudier à son mérite et dans toutes ses ramifications une preuve qui souvent n’est même pas disponible.  Le serait-elle qu’on ne saurait transformer cette audition sommaire en un appel au fond accéléré.

 

Lorsque l’appelant présente des moyens en apparence sérieux et raisonnables, il faut respecter son droit d’être entendu par cette Cour au mérite.

 

[81]        Dans la décision Rochard c. Baribeau[29], il est suggéré qu’un dossier peut être qualifié de futile ou de dilatoire, quand il saute aux yeux du décideur que celui-ci ne soulève pas de débat raisonnable, sans même devoir procéder à une étude approfondie de celui-ci, ou d’une incursion générale dans la preuve.

[82]        Dans la décision Vigeant c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (S.P.G.Q.)[30], la Cour d’appel précise la procédure à utiliser au moment où une demande de rejet sommaire est présentée[31].  La Cour fait aussi siens les critères établis dans la décision Dupuis c. Syndicat des employés et employées du Cégep du Vieux Montréal (CSN)[32] à titre de balises à poser lorsqu’on analyse une telle requête.  Ces critères se déclinent comme suit :

·         il faut apprécier avec beaucoup de prudence une requête pour rejet sommaire. Il ne faut pas s’engager dans une analyse approfondie de la preuve, il faut pouvoir apprécier rapidement les arguments;

·         l’examen des motifs doit faire voir leur futilité, leur aspect dilatoire, en fait l’absence de chance raisonnable de succès;

·         les arguments soulevés ne doivent pas être cohérents ni défendables juridiquement, en apparence à tout le moins;

·         si des moyens sérieux sont présentés par une partie, son droit d’être entendu sera respecté;

·         pour conclure au rejet sur le tout, il s’agit d’apercevoir facilement l’absence de chance raisonnable de succès;

·         l’obligation de célérité qui existe dans le Code du travail peut être prise en compte.

 

[83]        Le Tribunal doit demeurer prudent quand il est appelé à trancher une telle question. Lorsque la partie visée soumet des moyens sérieux, cohérents et défendables, le Tribunal doit opter pour la survie du recours, plutôt que d’accueillir une requête pour rejet sommaire.

[84]        La Cour suprême du Canada a  réitéré ces critères dans la décision Canada (Procureur Général) c. Confédération des syndicats nationaux[33], tout en précisant que l’accès à la justice, le droit d’être entendu et de faire valoir ses arguments n’étaient pas absolus. Il vient un temps où la saine administration de la justice devient aussi un élément important à considérer.

[85]        Dans cette affaire, les juges Lebel et Wagner reconnaissent le sérieux des conséquences qu’entraîne la terminaison d’un recours, sans qu’une partie puisse être entendue sur le fond, mais s’expliquent comme suit quant à la saine utilisation des ressources publiques :

            « La saine administration des ressources judiciaires représente une condition essentielle pour assurer le bon fonctionnement du système judiciaire et l’accès des justiciables à une justice de qualité. Pour garantir cette saine administration, les législateurs ont doté les tribunaux d’outils leur permettant de mettre fin à des recours voués à l’échec, et ce, même à un stade pré­liminaire. Au Québec, à titre d’exemple, l’art. 165 du Code de procédure civile, RLRQ, ch. C­25 (« C.p.c. »), fait partie des moyens mis en place pour réaliser cet objectif. Cependant, l’exercice de ce pouvoir impose la prudence aux tribunaux. En effet, si la saine administration de la justice commande que les recours voués à l’échec n’accaparent pas les ressources des tribunaux, le principe cardinal de l’accès à la justice exige en revanche que ce pouvoir soit utilisé avec parcimonie, lorsqu’il est manifeste qu’une demande n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[86]        Dans un contexte tout à fait différent, et en reconnaissant qu’il n’y a pas de lien direct avec la présente affaire, il est aussi intéressant de considérer la décision de R. c. Jordan[34] pour bien saisir la position de la Cour suprême du Canada quant à la saine administration des ressources de l’appareil judiciaire, du rôle des différents acteurs qui y participent et de l’obligation à ce que la justice opère dans un temps utile.

[87]        Cette décision, qui a changé le paysage du droit criminel au Canada, a comme préoccupation centrale l’actualisation des droits des citoyens et du souci à ce que ceux-ci demeurent praticables.  Bien que rendu dans un domaine de droit différent du nôtre, l’arrêt contient tout de même des enseignements utiles, qui sont transposables aux présentes, avec adaptations nécessaires.  À cette fin, le Tribunal retient le passage suivant :

« Toutes les parties travaillaient dans une culture de complaisance à l’égard des délais qui s’est répandue dans le système de justice criminelle ces dernières années. Pour permettre aux tribunaux de maintenir la confiance du public en rendant justice en temps utile, il faut apporter des changements structurels et procéduraux supplémentaires au système en plus de fournir des efforts quotidiens. En fin de compte, tous les participants au système de justice doivent travailler de concert pour accélérer le déroulement des procès. Après tout, c’est l’ensemble de la société qui bénéficiera de ces efforts. Instruire les procès en temps utile est possible. Mais plus encore, la Constitution l’exige. »[35]

[88]        Récemment, le Tribunal a eu l’occasion de se pencher sur un cas semblable[36] à la présente affaire, où le travailleur invoquait différentes incapacités l’empêchant, à toutes fins, de procéder.

[89]        Dans l’affaire Lecompte et Meloche inc.[37], le Tribunal a considéré l’état physique et psychologique du travailleur, ses besoins d’accommodements, et pris acte de son droit d’être entendu et de faire valoir ses arguments. Le Tribunal a souligné que les droits d’un travailleur étaient importants, mais que ceux-ci n’étaient pas absolus. Le respect des droits opère dans un environnement où tous doivent faire leur part et que souvent, ces droits peuvent quand même se réaliser avec quelques aménagements nécessaires[38].

[90]        Le droit d’être entendu d’un justiciable doit se concilier avec les préceptes de la justice administrative que sont l’accessibilité, la célérité, l’efficacité et le devoir de diligence. Bien que ces devoirs soient directement imposés au Tribunal, il faut bien comprendre qu’une saine administration de la justice commande la participation active de tous ses différents acteurs, afin qu’une mise en œuvre de leurs droits s’effectue.

[91]        Comme dans l’affaire Lecompte et Meloche inc.[39], le Tribunal doit ici composer avec une situation qui devient rapidement circulaire.

[92]        Que faire avec un travailleur qui s’accroche à son droit d’être entendu, avec intransigeance, mais du même souffle, se dit incapable de mettre ses droits en œuvre et en demande éternellement le report ?

[93]        Pour répondre à la question, il faut analyser l’interaction entre deux concepts, à savoir, le respect des règles de justice naturelle réclamée par un individu et la saine administration de la justice, qui va parfois au-delà des droits individuels[40]. Les deux commandent tout autant de considération, mais les deux ont également leurs limites.

[94]        Il faut ici regarder les particularités qui se dégagent du présent dossier afin de trouver la solution qui s’impose.

-       Les contestations du travailleur

[95]        En l’espèce, le Tribunal reconnaît l’état de santé précaire du travailleur. 

[96]        Il n’est aucunement mis en doute que ses capacités d’ester en justice sont limitées.

[97]        Il souffre de différentes conditions physiques et psychiques chroniques qui rendent la mise en œuvre de ses droits, sans doute plus difficile que celle d’un autre travailleur. Pire encore, sa condition ne cesse de se détériorer avec le temps. Mentionnons d’emblée que les simples contestations du travailleur ont maintenant dix années révolues, à quelques jours près.

[98]        Cela étant dit, le Tribunal remarque que le travailleur invoque certains de ces mêmes problèmes de santé depuis au moins 2011, au soutien de ses différentes demandes de remise[41].

[99]        Il y a eu au moins sept demandes de remise d’audiences depuis avril 2011, incluant deux refus par le Tribunal et deux contestations successives de ces refus par le travailleur, incluant une « plainte » de sa part pour avoir refusé l’une de ces remises. Il y a au moins deux mises au rôle faites avec la mention que le dossier doit procéder de façon péremptoire à la prochaine date. Aucune audience n’a à ce jour été tenue.

[100]      Toutes ces demandes de remise du travailleur sont en raison de problèmes de santé, sensiblement les mêmes ou sinon, en évolution depuis 2011.  En tout et partout, incluant les différents suivis demandés par le Tribunal, entre 2011 et 2020, le travailleur invoque son état de santé au moins 18 fois à titre d’incapacité de procéder à une audience/rencontre quelconque.

[101]     Notons que les notes médicales du docteur Richard Payeur, et aussi du docteur Patrick Legault, tout au long de cette période, sont pour l’ensemble succinctes et élaborent très peu sur la condition du travailleur.  Le détail ne se manifeste que lorsque les demandes du travailleur sont refusées ou lorsque le Tribunal exige plus de précisions; même-là, disons que le tout demeure souvent bien laconique.

[102]     Le Tribunal a fait preuve de prudence et de patience avec le travailleur, lui accordant toute la latitude possible, compte tenu de son état. Pendant des années, le Tribunal accède systématiquement aux remises sollicitées, souvent six mois à la fois, parfois même pour des périodes de douze mois.

[103]     Une lecture du dossier révèle différentes tentatives, entamées par différentes personnes (autant des membres du personnel que des juges du Tribunal), à différentes époques, afin de tenter différentes solutions pour permettre au travailleur de faire valoir ses droits; aucune de celles-ci ne réussit.

[104]     La conférence téléphonique du 9 janvier 2019 est importante.

[105]     En janvier 2017, alors qu’il réplique à une demande de remise qui lui est d’abord refusée, le travailleur explique que le Tribunal « …doit déplacer l’audience au Palais de justice de Maniwaki… »[42] afin qu’il puisse être entendu. 

[106]     Lors de la conférence préparatoire du 9 janvier, le Tribunal confirme la possibilité d’accéder à la demande du travailleur, à la date qui lui convient.

[107]     Abruptement, le travailleur se rétracte. Le retour en arrière est instantané, dès que sa demande est acceptée. Il se dit soudainement trop faible pour participer à une telle audience et invoque à nouveau son état de santé précaire pour expliquer l’impossibilité de s’y rendre.

[108]     Le Tribunal offre ensuite au travailleur l’opportunité d’être entendu par voie téléphonique (comme celle qui est à ce moment en cours et qui durera plus d’une heure et demie) ou même par visio-audience, qui pourrait être organisée par les responsables des technologies de l’information du Tribunal, sans tracas de sa part; il décline aussitôt se disant incapable - trop faible.

[109]     Lors de cette même conférence téléphonique, le travailleur explique que de toute façon, avant de procéder à quelconque audience, son dossier nécessite l’assemblage, la rédaction et/ou la préparation, de plus de dix mille pages de documents, mais il affirme être incapable de subvenir à cette tâche, encore pour les mêmes raisons médicales.

[110]     Il explique également devoir convoquer certains témoins pour faire valoir des prétentions, mais ignore maintenant où ceux-ci demeurent, il a perdu contact au cours de la dernière décennie; il n’est pas en mesure de les nommer non plus.

[111]     Et là, il admet candidement que son dossier ne porte véritablement plus sur les décisions de 2010, dont il semble même en avoir oublié l’objet et la teneur[43]. Il explique ensuite ce qu’il appelle cet « effet domino » qui aurait provoqué l’ensemble de toutes les autres conditions médicales dont il souffre aujourd’hui; il dit que c’est pour celles-ci qu’il désire procéder devant le Tribunal. Le Tribunal n’est pas saisi de décisions de cette nature.

[112]     Le travailleur est d’avis que cet « effet domino » qui a provoqué multiples conditions chroniques (et maintenant mortelles), au-delà de sa lésion professionnelle au genou et sa cheville, doit être indemnisé. Il réclame donc  plusieurs dizaines de millions de dollars en compensation tant à l’employeur qu’à la CSST, simplement pour avoir « ruiné » sa vie.

[113]     Notons d’abord qu’il n’y a aucun dossier porté devant le Tribunal concernant des réclamations pour d’autres lésions professionnelles, soit individuellement ou à titre de récidive, rechute ou aggravation en lien avec ces conditions/maladies diverses, outre celle qui a été refusée en 2010 (hernie discale L5-S1).

[114]     À l’issue de cette conférence préparatoire, le Tribunal accorde donc cinq mois au travailleur pour fournir ses représentations écrites.  Le travailleur est d’accord avec cette façon de faire et se dit capable de réussir le tout.

[115]     Deux mois plus tard, il fournit de nouveaux documents médicaux attestant de son état de santé précaire et demande de suspendre l’échéancier; le Tribunal suspend l’échéancier et lui accorde jusqu’au 31 octobre 2019 pour aviser de sa condition médicale.

[116]     Le 7 novembre 2019, un autre certificat médical laconique du docteur Payeur est produit. La demande de rejet sommaire est enclenchée par l’employeur en décembre 2019 et le travailleur a jusqu’au 1er mai 2020 pour produire ses observations.

[117]     Maintenant, il plaide sa mort imminente comme incapacité ultime.

[118]     Précisons qu’à ce jour, plus de dix ans plus tard, le Tribunal demeure toujours dans l’obscurité quant aux prétentions du travailleur en ce qui concerne ces décisions de la CSST rendues en 2010.

[119]     Il y a des évidences qui se dégagent de cette affaire.

[120]     Il s’agit de contestations qui ont maintenant dix ans.  Les demandes initiales du travailleur ont été oubliées par lui, sinon complètement dénaturées.

[121]     Avec le temps, sa preuve s’est périmée. Si le travailleur avait des droits légitimes à mettre en œuvre en 2010 ou en 2011, il a depuis longtemps dilapidé ceux-ci, en s’obstinant à ne pas procéder.

[122]     Les recours sont soit maintenant devenus futiles, sinon dépourvus de toute chance de succès.  Depuis le début, le travailleur a piloté ses dossiers avec une attitude d’opposition, envers et contre tous, contraire à un exercice simple et utile de ses recours.

[123]     Une lecture des multiples procédures et correspondances du travailleur au cours de cette décennie porte le Tribunal à conclure que son comportement et l’exercice des recours en question ont maintenant atteint un niveau qu’on ne peut que qualifier d’abusif et de dilatoire.

[124]     Le Tribunal a accordé plusieurs opportunités et d’importants délais au travailleur pour faire valoir ses droits. Quand il n’y arrive pas, le Tribunal lui accorde des délais additionnels, lui propose de nouvelles solutions et tente de l’accommoder à nouveau et par divers moyens, avec souplesse; rien n’y fait. Le dossier n’avance pas, les droits des parties stagnent.

[125]     Une partie qui a été bien patiente dans toute cette affaire, c’est l’employeur.

[126]      En raison de la longueur des procédures, procureurs après procureurs se succèdent au fil des années et reprennent probablement le dossier à zéro, tour à tour.  Les différentes dates d’audience fixées nécessitent toutes une préparation, une allocation de temps et de personnel; il y a un coût à tout cela.

[127]     Et disons simplement que le travailleur refuse toute ouverture pouvant lui permettre de faire valoir ses droits. Il écarte et refuse systématiquement toute piste de solution.

[128]     Certes, il y a ici une question de capacité, mais devant son intransigeance et considérant ses refus répétés de considérer toute alternative, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit davantage d’une question de volonté.

[129]     Au fil de ces années, la condition du travailleur se détériore, et maintenant, le sort fait en sorte qu’il est devenu encore plus difficile pour lui de faire valoir ses droits.

[130]     Il faut dire que le Tribunal est aussi interpellé par la capacité du travailleur de réagir avec vigueur devant les différentes instances d’une audience imminente ou alors qu’une demande de remise lui avait été refusée. Le contraste est frappant entre ces importantes mobilisations et l’incapacité généralisée de présenter sa position quant au fond des contestations.

[131]     Le travailleur ne connaît même plus les enjeux du combat qu’il mène, mais il est désireux de mener ce combat pareil; il s’accroche.  Malgré ce désir impérieux, il ne fait que prolonger, pour des raisons médicales, qui se multiplient et se compliquent avec le temps.

[132]     Le travailleur a aussi complètement quitté la sphère d’opération de la Loi, ne s’en tient même plus à l’objet des décisions en cause, admet à toutes fins leur péremption et demande essentiellement de métamorphoser celles-ci en sorte de litige civil d’indemnisation générale pour faute de mauvais traitement, soit par l’employeur et/ou la CSST; il ne précise pas trop pourquoi.

[133]     Autrement, le Tribunal n’a pas le pouvoir de trancher des recours, de façon à réparer les préjudices, en vertu du régime de responsabilité extracontractuel du droit commun[44]; les demandes d’indemnisation du travailleur excèdent tout simplement le cadre législatif de la Loi.

[134]     Le travailleur ne propose aucune solution, outre que de perpétuer ces remises et de reporter ce dossier indéfiniment. L’infini n’est pas un concept qui se marie bien aux objectifs de la Loi, encore moins la bonne gestion des dossiers.

[135]     Quant à la requête pour rejet sommaire, il présente peu d’arguments, outre, encore une fois, son état de santé, pour justifier la survie de ses recours. Il n y a pas apparence de motif sérieux, d’argument cohérent, juridiquement défendable pouvant permettre la survie de ces recours, même en appliquant toute la prudence qui s’impose.

[136]     Cette histoire doit cesser.

[137]     Il est maintenant devenu évident qu’autant le Tribunal que la collectivité - dont les ressources ne sont pas illimitées et qui sont de plus en plus sollicitées - ne doivent plus investir dans ces recours sans issue. Il s’agit de recours qui ont perdu leur objet, sont voués à l’échec et dont le travailleur n’a ni véritable volonté, ni la capacité de mener à terme.

[138]     Si le travailleur n’est pas en mesure de réaliser le caractère abusif et dilatoire de son combat futile, il appartient maintenant au Tribunal de le faire.

[139]     Le Tribunal est d’avis que la saine administration de la justice nécessite aujourd’hui que les contestations du travailleur déposées en 2010, et jamais sérieusement adressées par lui, depuis, soient rejetées.

[140]     Le Tribunal rejette donc les contestations du travailleur portant les numéros de dossiers 421060-07-1009, 424676-07-1011 et 426140-07-1012 et confirme les décisions de la CSST rendues les 17 septembre, 11 novembre et 24 novembre 2010, à la suite d’une révision administrative.

[141]     Il appartiendra maintenant à l’employeur de préciser ses intentions quant aux dossiers portant les numéros 421088-07-1009 et 425167-07-1011.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

Dossier 421060-07-1009

ACCUEILLE la demande de rejet sommaire de l’employeur, Ministère des Anciens Combattants;

REJETTE la contestation du travailleur, monsieur Serge Bensimon, déposée le 29 septembre 2010;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 septembre 2010.

Dossier 424676-07-1011

ACCUEILLE la demande de rejet sommaire de l’employeur;

REJETTE la contestation du travailleur déposée le 17 novembre 2010;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 novembre 2010.

Dossier 426140-07-1012

ACCUEILLE la demande de rejet sommaire de l’employeur;

REJETTE la contestation du travailleur déposée le 2 décembre 2010;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 novembre 2010.

 

Dossiers 421088-07-1009 et 425167-07-1011

AVISE l’employeur de faire valoir sa position quant aux contestations déposées par lui, à l’intérieur d’un délai de soixante (60) jours et de fixer une date d’audience à cette fin, le cas échéant.

 

 

_______________________

 

Jason W. Downey

 

 

 

Monsieur Serge Bensimon

Pour lui-même

 

 

Me Diane St-Laurent

JUSTICE CANADA

Pour Ministère des Anciens Combattants

 

 



[1]          Depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail assume les compétences autrefois dévolues à la CSST. De plus, le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, la LITAT, est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[2]          R.L.R.Q c. T-15.1

[3]          Tel que nous le verrons plus loin, le Tribunal reçoit une télécopie laconique du médecin du travailleur qui n’assiste pas le Tribunal.

[4]          Attestation médicale du docteur Samir Bekhechi du 15 décembre 2009.

[5]          Rapport d’évaluation médicale du docteur Platon Papadopoulos du 9 juin 2005 et Rapport médical du docteur Paul Korkmaz du 8 juin 2009.

[6]          Décision du 19 avril 2010.  Selon le rapport du docteur Paul Korkmaz du 8 juin 2009, il semble que le travailleur souffre de douleurs lombo-sciatalgiques bilatérales, présentes sur une base intermittente depuis 20 ans, avec multiples épisodes de lumbago, ayant par le passé nécessité une hospitalisation. Il y a déjà, au mois de juin 2009, des résonances magnétiques et une symptomatologie clinique active qui démontrent la présence d’une hernie discale L5-S1 postéro-latérale droite chez le travailleur.

[7]          Il semble que les deux numéros de dossier différents, attribués pour des décisions identiques, sont en raison de contestations de part et d’autre du travailleur et de l’employeur.

[8]          Voir la décision du Tribunal du 11 décembre 2018 pour motifs plus élaborés.

[9]          Reçus au greffe du Tribunal le 9 janvier 2019.

[10]         Le Tribunal a dû ajourner la conférence téléphonique entre 15 : 35 et 16 : 10, le travailleur disant ne pas se sentir bien.  Durant cet ajournement, les vérifications ont été faites auprès du Palais de justice de Maniwaki pour la disponibilité de salles et plusieurs options se sont révélées possibles, à plusieurs dates. Le Tribunal se serait rendu à Maniwaki et la représentante de l’employeur, physiquement située à Ottawa, convenait de s’y déplacer aussi. Le Palais de justice en question est à 130 km du chef-lieu du Tribunal en Outaouais, et fait partie du territoire de la Direction régionale de Gatineau.

[11]         Le Tribunal a d’ailleurs offert au travailleur de prendre des pauses au besoin, d’adapter le rythme de l’audience (ralenti/modéré), de réduire le formalisme, d’adapter le mode d’audience (en personne, téléphonique ou virtuelle, ou même une combinaison de ceux-ci), ou d’utiliser un modèle hybride de représentations écrites/audience active.

[12]         Il est à noter que tous les envois au travailleur sont faits par deux modes de livraison. Un envoi est fait par Purolator, requérant une signature; ces envois, tous consignés au dossier, sont systématiquement refusés par le travailleur et retournés au greffe du Tribunal. Un autre envoi, des mêmes correspondances, est fait par poste régulière : il semble que le travailleur prenne connaissance du courrier régulier, parce qu’il réagit aux dates et aux échéanciers.

[13]         Dans d’autres documents au dossier, le travailleur prétendait être en attente d’une greffe du pancréas. Selon la documentation médicale fournie par le travailleur, il n’a pas subi une greffe du pancréas, mais plutôt des « Islet cell transplants », qu’il s’agit d’une procédure d’administration de cellules qui servent à provoquer la création d’insuline chez le récipient.

[14]         Selon la correspondance (alors qu’il réfère à un processus qui risque d’être long et fastidieux, difficile et stressant) et en vertu d’une correspondance du docteur Patrick Legault du 10 avril 2020, le Tribunal comprend que le travailleur ne rencontre pas les critères d’application de l’article 26 de la Loi concernant les soins de fin de vie (R.L.R.Q. S-32.0001) et qu’il doit procéder par voie d’une demande auprès de la Commission sur les soins de fin de vie.

[15]         Il y a une décision du 5 mars 2010 du conciliateur-décideur, Robert Marcoux, sur l’application de l’article 32 dans le cas du travailleur. Cette décision qui s’appuie sur les décisions CSST et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (C.A.) D.T.E. 2002T-189, ainsi que Purolator Courrier c. Hamelin (C.A.) [2002] R.J.Q. 310, déclare que l’article 32 de la Loi est inapplicable aux entreprises de compétence fédérale et donc que la plainte déposée par le travailleur le 25 février 2010, contre l’employeur à ce niveau, est irrecevable.

[16]         RLRQ, c. A-3.001.

[17]         Article 1 de la Loi.

[18]         RLRQ, c. J-3.

[19]         Article 1 de la Loi sur la justice administrative.

[20]         Articles 4 et 11 de la Loi sur la justice administrative.

[21]         Article 11 de la Loi sur la justice administrative.

[22]         Article 12 (1°) de la Loi sur la justice administrative.

[23]         Article 12 (2°) de la Loi sur la justice administrative.

[24]         Article 12 (3°) de la Loi sur la justice administrative.

[25]         Torres c. Commission des lésions professionnelles, 2016 QCCS 119; Voir également Boissonneault c. Constructions Marquis Laflamme inc. 2017 QCCA 826, par. 28. qui précise que « La L.a.t.m.p., législation d’ordre public à vocation hautement sociale, doit recevoir « une interprétation large et libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin ». Par ailleurs, en matière de déchéance de droit, il paraît raisonnable d'interpréter les dispositions de la loi de manière à protéger les droits du justiciable. C’est certes le cas lorsque la législation dont il s’agit en est une, comme en l’espèce, à vocation sociale. »

[26]         Rénovaprix inc. c. Travailleurs(euses) unis de l’alimentation et du commerce, local 502 [1995] T.T. 187.,  précisant que le terme abusif signifie exagéré, et qu’une procédure dilatoire non seulement retarde le processus, mais qui a pour objectif premier de ce faire (« qui vise à différer, à gagner du temps » : Le Petit Robert).

[27]         R.L.R.Q c. C-25. À noter que le chapitre C-25 a depuis été remplacé par le Code de procédure civile (chapitre C-25.01). (2014, c. 1, a. 833), mais les enseignements des tribunaux supérieurs sont toujours pertinents quant aux critères d’applicabilité.

[28]         [1984] R.D.J. 388 (C.A.).

[29]         [1988] R.D.J. 285 (C.A.).

[30]         2008 QCCA 163.

[31]         Id. paragraphe 47.

[32]         2006 QCCRT 0127.

[33]         2014 CSC 49.

[34]         2016 CSC 27.

[35]         Id., p. 635-636.

[36]         Lecompte et Meloche inc., 2020 QCTAT 1962. Il ne s’agissait pas d’un cas où le Tribunal devait disposer d’une requête pour rejet sommaire, mais bien d’un cas où le travailleur invoquait des incapacités/impossibilités multiples de procéder.

[37]         Id.

[38]         Comme dans la présente affaire, la nature du litige dans Lecompte et Meloche, n’exigeait pas de la part du travailleur un témoignage impliquant des précisions sur une trame factuelle complexe et des modes alternatifs de preuve pouvaient être envisagés; Voir par. 36-37.

[39]         Précitée, note 35.

[40]         Ici, le Tribunal retient que la saine administration de la justice revêt autant des caractéristiques individuelles, à savoir le respect des droits d’une personne, que collectives, c’est-à-dire, les attentes de la société en ce qui concerne une justice accessible, efficace et utile.

[41]         Lettre du 4 mai 2011 du travailleur (reçue au Tribunal le 9 mai 2011) remerciant le Tribunal pour la remise accordée et qui mentionne la « …détérioration progressive de mon état de santé, déjà compromise par toute cette histoire…et toutes les aggravations sur ma subsistance que la perpétuation de cette situation a sur toutes les sphères de ma vie (qui) ne se sont pas résolues. » et « …cette situation a compromis gravement ma santé physique, psychologique et financière… ».

[42]         Correspondance du 7 janvier 2019 de monsieur Serge Bensimon, pages 2 de 3.

[43]         Le 11 janvier 2019, le Tribunal achemine une nouvelle copie complète du dossier du travailleur, sur support papier, indiquant spécifiquement à la table des matières du « Porte-Document » l’endroit où se trouvait les décisions contestées, afin qu’il s’en remémore.

[44]         Article 1457 du Code civil du Québec.

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