Modèle de décision CLP - juillet 2015

Pacheco et CSSS de Gatineau

2018 QCTAT 3718

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Outaouais

 

Dossier :

615197-07-1608

 

Dossier CNESST :

501776751

 

 

Gatineau,

le 25 juillet 2018

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DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Michèle Gagnon Grégoire

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Nathalie-Isabelle Pacheco

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

CSSS de Gatineau

 

Partie mise en cause

 

 

 

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DÉCISION

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L’APERÇU

[1]           Le 31 mars 2016, madame Nathalie-Isabelle Pacheco, la travailleuse, dépose une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, alléguant une fasciite plantaire au pied droit. Au moment du dépôt de sa réclamation, elle exerce la fonction d’infirmière-cheffe d’équipe au bloc opératoire du CSSS de Gatineau, l’employeur.

[2]           La Commission rejette la réclamation de la travailleuse alléguant que celle-ci a été déposée à l’extérieur du délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) et qu’aucun motif raisonnable ne justifie ce délai.

[3]           À la suite d’une révision administrative, la Commission juge recevable le dépôt de la réclamation de la travailleuse en tenant compte du moment où il a été porté à sa connaissance qu’elle pouvait être atteinte d’une maladie professionnelle. Sur la question de fond, la Commission rejette la réclamation de la travailleuse puisqu’elle évalue qu’elle n’a pas fait la preuve d’une lésion professionnelle ni d’une maladie professionnelle.

[4]           À l’audience, la travailleuse soutient que la fasciite plantaire au pied droit constitue une maladie professionnelle en raison des risques particuliers de son travail d’infirmière et de cheffe d’équipe au bloc opératoire de l’hôpital de Hull. Elle ne réclame pas l’admissibilité de sa réclamation sous l’angle d’un accident du travail.

[5]           Pour sa part, l’employeur est d’avis que la fasciite plantaire au pied droit de la travailleuse provient plutôt d’une condition personnelle que de son emploi. À titre subsidiaire, si sa réclamation est acceptée, il demande au Tribunal de déclarer que cette maladie s’est développée sur une condition préexistante de pied en pronation. Il ne remet pas en question le délai de la travailleuse à déposer sa réclamation à la Commission.

[6]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal détermine que la fasciite plantaire au pied droit de la travailleuse est une maladie professionnelle qui s’est développée sur une condition préexistante de pied en pronation.

L’ANALYSE 

Est-ce que la travailleuse est atteinte d’une maladie professionnelle en raison des risques particuliers de son travail?

[7]           La notion de maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la Loi comme étant une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

[8]           Certaines maladies sont présumées être de nature professionnelle si elles sont prévues à l’annexe I de la Loi et si le travailleur effectue le genre de travail associé à une telle maladie.

[9]           En l’espèce, la docteure Natalie Thérriault, chirurgienne orthopédiste, examine la travailleuse le 23 février 2016. Elle rapporte que la douleur au talon droit de la travailleuse a commencé en septembre 2015. Elle note que son travail s’effectue en position debout et qu’elle fait de longues marches. La douleur augmente au fil de la journée. Elle retient le diagnostic de fasciite plantaire du pied droit.

[10]        Comme la fasciite plantaire n’est pas une maladie faisant partie de celles énumérées à l’annexe I de la Loi, alors la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle.

[11]        Dans un tel cas, l’article 30 de la Loi lui permet de faire reconnaître sa maladie à titre de maladie professionnelle si elle démontre par une preuve prépondérante, dont le fardeau repose sur ses épaules, que cette maladie est caractéristique de son travail ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

[12]        Dans le cas présent, la travailleuse considère que la fasciite plantaire à son pied droit est reliée directement aux risques particuliers de son travail d’infirmière et de cheffe d’équipe. Elle effectue ces emplois depuis une douzaine d’années. Auparavant, elle a exercé sa profession d’infirmière dans divers départements pendant cinq ans chez l’employeur.

[13]        Compte tenu de la demande de la travailleuse et de la preuve soumise, le Tribunal procèdera à l’analyse de sa réclamation uniquement sous l’angle des risques particuliers au travail.

[14]        Lors de son témoignage, la travailleuse explique qu’elle est infirmière-cheffe d’équipe au bloc opératoire. Elle détient un poste s’effectuant sur un quart de jour, cinq jours par semaine, du lundi au vendredi, de 7 h 30 à 15 h 45. En tenant compte de deux pauses de 15 minutes et de celle de 45 minutes pour le repas, alors elle exerce son emploi pendant sept heures. Elle doit aussi travailler une fin de semaine sur deux ou trois, selon la disponibilité du personnel, à titre d’infirmière de garde. Dans ce cas, elle est en congé le vendredi et le lundi. En plus de sa tâche régulière par deux semaines, elle effectue en moyenne cinq à six quarts de travail en heures supplémentaires pendant cette période. Ce travail se fait généralement à l’urgence, à l’unité de débordement, à la salle de réveil ou au bloc opératoire, selon les besoins.

[15]        Il y a six salles d’opération au bloc opératoire de l’hôpital de Hull :

Salle 2 : traumatologie et orthopédie;

Salle 4 : orthèse et prothèse;

Salle 8 : chirurgie cardiovasculaire;

Salle 9 : chirurgie maxillo-faciale;

Salle 10 : chirurgie générale;

Salle 11 : neurochirurgie.

 

[16]        Chaque infirmière-cheffe d’équipe a sa spécialité. Dans le cas de la travailleuse, elle est attitrée aux chirurgies cardiovasculaires (mardi et jeudi) et aux chirurgies maxillo-faciales (lundi et mercredi). Le vendredi elle est affectée aux autres salles d’opération puisqu’il n’y a pas de chirurgies dans ses spécialités.

[17]        Pour toutes les chirurgies, trois infirmières incluant la cheffe d’équipe sont en fonction. Leurs principales responsabilités sont les suivantes :

·         L’infirmière interne est aussi appelée « l’infirmière brossée ». Elle assiste le chirurgien et elle lui donne les instruments.

·         L’infirmière externe 1 fournit le matériel stérile à l’infirmière interne. Il lui appartient de s’assurer que cette dernière ne manque d’aucun instrument. Elle procède au compte et au décompte des instruments. Elle remplit les documents.

·         L’infirmière externe 2 est dédiée au patient. Elle l’accueille et elle procède à la cueillette de données. Elle effectue diverses vérifications avec l’inhalothérapeute. Elle procède au transfert du patient de la civière à la table d’opération. Elle le place dans la bonne position en vue de la chirurgie. Elle inscrit les données sur une feuille de suivi.

 

 

[18]        La travailleuse dessine un plan des salles d’opération où elle est affectée, lesquelles sont les plus petites salles du bloc opératoire. Elle identifie les endroits où se placent les infirmières de même que le patient, le chirurgien, l’anesthésiste et l’inhalothérapeute. Elle commente les déplacements des infirmières à l’intérieur de la salle pendant une opération.

[19]        La travailleuse décrit en détail les exigences physiques de son emploi selon le rôle qu’elle occupe dans la salle d’opération. Elle est appelée à effectuer les trois rôles, selon les situations. L’attribution des rôles dans la salle d’opération fait partie de ses responsabilités de cheffe d’équipe. Pour sa part, elle tient compte des intérêts et de l’expérience des infirmières faisant partie de son équipe.

[20]        Dans la salle maxillo-faciale, la première chirurgie est généralement de plus longue durée et l’infirmière interne ne s’absente pour son dîner que lorsque cette chirurgie est terminée, à moins que celle-ci soit prévue pour toute la journée. Elle se tient toujours debout à proximité du chirurgien, et ce, jusqu’à la fin de la chirurgie. Elle est presque toujours en position statique. Elle peut être appelée à se déplacer près de la tête du patient pour procéder à l’irrigation. Les infirmières externes se déplacent un peu plus, car elles ont différentes tâches à effectuer, notamment celle de vérifier que tout le matériel nécessaire est disponible dans les armoires. Les chirurgies de l’après-midi sont habituellement de plus courte durée afin de limiter les heures supplémentaires des infirmières. En général, il y a alternance des rôles des infirmières en avant-midi et en après-midi. En ce qui concerne les chirurgies cardiovasculaires, ses tâches sont assez semblables. Pour certaines chirurgies, elle doit porter un tablier de plomb. Elle estime devoir le porter de quatre à dix heures par semaine. Elle s’est procuré son propre tablier qui pèse 14 livres.

[21]        La travailleuse explique qu’il n’y a pas de poste d’infirmières à l’intérieur des salles d’opération. À partir de photos, elle mentionne qu’un comptoir d’une hauteur de trois pieds et sept pouces permet d’écrire les notes dans un dossier tout en restant debout. Elle affirme qu’elle a toujours procédé de cette façon en utilisant une planchette sur laquelle sont placées les feuilles. Elle ajoute que le banc du chirurgien, s’il est disponible, n’est pas utile, car il est trop bas. Les seuls autres bancs sont ceux attitrés à l’inhalothérapeute et à l’anesthésiste de même que celui destiné au patient afin qu’il puisse appuyer ses pieds, s’il est assis.

[22]        La travailleuse affirme que ses tâches s’effectuent la plupart du temps à l’intérieur des salles d’opération. Ses responsabilités requièrent qu’elle reste debout ou qu’elle marche. Elle ajoute qu’il n’y a pas de délai entre les chirurgies prévues une même journée, car les listes d’attente sont longues. S’il arrive qu’un patient ne se présente pas à l’heure prévue, il y a toujours d’autres patients en attente qui sont déjà prêts pour l’opération.

[23]        La travailleuse estime qu’elle passe presque tout son quart de travail en position debout, car, contrairement à d’autres spécialités, il n’y a pas de chirurgie qui s’effectue en position assise. Il peut arriver qu’elle puisse s’asseoir lorsqu’elle est affectée au bloc opératoire les fins de semaine. Mais, cela est rare puisque seules les chirurgies urgentes sont pratiquées à cette période. Lorsqu’elle est affectée à la salle d’orthopédie, elle travaille en position debout, sauf si la chirurgie est de longue durée.

[24]        Lorsque la travailleuse effectue des heures supplémentaires à la suite de son quart de travail régulier, elle est généralement affectée aux urgences. Elle estime travailler debout la moitié du temps, soit trois heures et demie par quart de travail. Lorsqu’elle est de garde, elle peut quitter l’hôpital et ne revenir que si sa présence est requise.

[25]        À partir de feuilles de présence, la travailleuse explique ses horaires de travail selon qu’elle est affectée en heures supplémentaires ou de garde.

[26]        À titre de loisirs, la travailleuse fait de la marche. Elle a aussi fait un peu de marche rapide. Elle nie avoir pratiqué le jogging. Pour se rendre à son travail, elle n’y va pas à pieds, car ce serait trop long et non sécuritaire.

[27]        La travailleuse explique l’évolution de ses symptômes à compter de la fin de l’été 2015. Elle mentionne qu’elle est en vacances du 4 au 21 août 2015. Elle n’a rien fait de particulier pouvant solliciter son pied droit. Elle reprend le travail le lundi 24 août 2015 et elle fait des heures supplémentaires tous les jours. Étant donné qu’elle travaille pendant la fin de semaine, soit le 29 et le 30 août 2015, alors elle est en congé le vendredi 28 août 2015 et le lundi 31 août 2015.

[28]        La travailleuse rapporte qu’elle est affectée à une longue garde les 29 et 30 août 2015. À partir du relevé de présences, elle fait ressortir les informations suivantes :

Date                 Horaire                         Repas              Total                 Code

29 août             07:30 à 15:45                00:45                07:30                Régulier

                       15:45 à 23:00                00:00                07:15                x 1.5

30 août             01:30 à 06:00                00:00                04:30                Appel

                       07:30 à 12:00                00:45                03:45                AANP

                       12:00 à 15:45                00:00                03:45                Régulier

                       15:45 à 00:00                00:00                08:15                x 1.5

 

 

[29]        La travailleuse dit que ses symptômes ont commencé peu de temps après son retour de vacances et après cette période de garde. Avant cette période, elle n’a jamais eu de douleurs ou de symptômes à son pied droit. La douleur a commencé à se manifester au talon droit alors qu’elle doit rester en position debout sans possibilité de bouger, mais aussi en marchant. Elle compare cette douleur à celle d’une aiguille qui transperce son talon. Au début de son quart de travail, la douleur est plus faible, mais elle augmente si elle occupe le poste d’infirmière interne. Elle s’automédicamente et elle continue à effectuer son travail tout en acceptant les demandes d’effectuer des heures supplémentaires. La douleur est moins importante en marchant, puisque son poids est réparti sur ses deux pieds.

[30]        Deux semaines après avoir ressenti une première douleur, elle en fait part à un des orthopédistes du bloc opératoire qui lui suggère de consulter un podiatre. Il n’y a pas d’inscription à son dossier puisqu’il s’agit d’une consultation informelle.

[31]        Le podiatre Bélanger la voit le 9 et le 28 septembre 2015. Il procède à un taping du pied droit et il lui prescrit du Naproxen. Des diagnostics de fasciite plantaire et de panniculite au talon droit sont posés. Le 6 octobre 2015, il lui administre une injection de cortisone qui lui procure un soulagement pendant trois à quatre semaines. Des tâches modifiées lui sont confiées. Elle est retirée du bloc pendant deux semaines pour être affectée à la salle de réveil.

[32]        Comme la douleur au talon droit ne disparaît pas, la travailleuse consulte aussi la docteure Thérriault sur une base informelle lorsqu’elle la côtoie au bloc opératoire. Puis, le 23 février 2016, cette dernière procède à un examen de son pied droit et elle diagnostique une fasciite plantaire. C’est à ce moment-là que la travailleuse établit un lien avec son travail puisque la docteure lui mentionne que cette maladie est reliée à son travail en raison de la posture debout pendant une longue période.

[33]        Par la suite, c’est le podiatre Hajj qui poursuit les traitements. Il procède à des injections de cortisone, à la remise de nouvelles orthèses et à un traitement au laser. Il attribue les douleurs au pied droit de la travailleuse aux longues heures debout qu’exige son emploi.

[34]        Le 22 juin 2016, la docteure Thérriault recommande un arrêt de travail de la travailleuse. Elle lui prescrit de nouvelles orthèses. Le 20 juillet 2016, elle note une diminution de la douleur. Le 19 août 2016, elle permet un retour au travail, seulement si celui-ci peut se faire en position assise. Le 21 décembre 2016, elle note que la patiente va beaucoup mieux. Elle maintient le plan de traitement et elle note que lors du prochain rendez-vous, elle envisagera la possibilité de permettre un retour au travail. Le 30 janvier 2017, elle note une amélioration de la condition de la travailleuse en raison des traitements de physiothérapie. Elle autorise un retour au travail à temps partiel.

[35]        Le 22 février 2017, la docteure Thérriault note une légère augmentation des douleurs. Elle maintient le retour au travail progressif. Le 29 mars 2017, la progression du retour au travail est maintenue, malgré une légère augmentation des douleurs. Le 10 mai 2017, la patiente va mieux. Elle travaille à temps plein, mais elle ne fait pas de garde.

[36]        Lors de son témoignage, la travailleuse qualifie de « stagnante » l’évolution de sa condition médicale au pied droit, sans plus de précisions ou de détails.

[37]        La travailleuse porte des orthèses plantaires sur une base continuelle depuis plus d’une dizaine d’années, puisqu’elle a les pieds plats. Elles n’ont été remplacées qu’à l’automne 2015 pour la première fois.

[38]        Madame Roseanne Payette est cheffe de service du bloc opératoire, des chirurgies d’un jour et de la clinique préadmission de l’hôpital de Hull. Elle témoigne à l’audience. Parmi ses expériences de travail, elle a déjà été infirmière au bloc opératoire et elle a déjà été une collègue de travail de la travailleuse. Au moment des faits et à ce jour, elle est sa gestionnaire.

[39]        Elle confirme la description des lieux faite par la travailleuse à l’exception de la disponibilité de bancs. Elle affirme qu’il y a une vingtaine de bancs mis à la disposition des infirmières ou du personnel à proximité des salles d’opération.

[40]        Madame Payette décrit les tâches et les responsabilités des infirmières affectées au bloc opératoire. Plusieurs éléments de son témoignage recoupent celui de la travailleuse. Cependant, elle précise qu’en chirurgie maxillo-faciale, une bonne partie du travail de l’infirmière interne est reliée à l’irrigation de telle sorte qu’elle doit se déplacer près de la tête du patient. Pour ce faire, elle doit faire une dizaine de pas en contournant le chirurgien de telle sorte qu’elle ne travaille pas en position statique. L’infirmière externe est appelée à préparer du matériel, tel que monter du fil dentaire. Cette tâche se fait en position assise, ce qu’admet la travailleuse. Cependant, elle dit qu’elle ne l’exécute pas chaque semaine.

[41]        Madame Payette mentionne qu’il peut y avoir des annulations de chirurgie de dernière minute. Dans ces cas, il y a des délais avant que le patient suivant soit prêt pour la chirurgie. Il peut aussi y avoir des pauses pour le dîner.

[42]        Elle explique que certaines chirurgies nécessitent la présence de la cheffe d’équipe en salle de radiologie au deuxième étage de l’hôpital. Son rôle est très important, car une coordination est requise entre le bloc opératoire situé au troisième étage de l’hôpital et la salle de radiologie. Au sujet de cette chirurgie, la travailleuse mentionne qu’elle doit effectuer beaucoup de déplacements afin de vérifier que tout se passe bien. Elle doit aussi s’assurer que tout le matériel requis pour la chirurgie est disponible.

[43]        Madame Payette commente un document de 539 pages constitué des relevés et des fiches de présence de la travailleuse en salle d’opération ainsi que les données de gestion de l’information des chirurgies (GIC) pour la période du 9 août 2015 au 5 mars 2016.

[44]        À titre d’exemple, le 24 août 2015, la patiente Karine T. doit subir une chirurgie maxillo-faciale par le docteur Dumas. Pour cette chirurgie, la travailleuse agit à titre d’infirmière interne. Notons que tous les patients sont d’abord dirigés à la salle de chirurgie d’un jour avant d’être amenés à la salle d’opération.

[45]        Le rapport GIC fournit les informations suivantes :

·         La patiente entre à la salle de chirurgie d’un jour à 6h25 et en sort à 7h40 pour être dirigée à la salle d’opération numéro 9;

·         Elle entre dans la salle 9 à 7h45;

·         L’anesthésie débute à 7h50;

·         La chirurgie commence à 8h35 et elle se termine à 12h40;

·         L’anesthésie se termine à 13h15 et la patiente sort du bloc au même moment.

 

 

[46]        Lorsque le patient entre dans la salle d’opération, les trois infirmières sont dans la salle. Les heures de début et de fin de l’intervention correspondent au premier coup de bistouri du chirurgien et au dernier point de suture. Lorsque le patient sort de la salle d’opération, les activités des infirmières sont pratiquement terminées.

[47]        Selon madame Payette, ce document constitue le cœur du système, car il sert à fournir des statistiques et des informations notamment au ministre et aux coroners. Il est aussi utilisé pour la reddition de comptes ministérielle. Elle estime la fiabilité de ce document à 100 %. Elle explique que le personnel du bloc opératoire cumule manuellement les informations qui sont retranscrites par une agente administrative en vue de produire les rapports informatiques.

[48]        Contre-interrogée, elle convient à partir de quelques fiches qui lui sont présentées par la procureure de la travailleuse qu’il peut y avoir eu quelques oublis concernant certaines informations qui auraient dues se retrouver dans les rapports. Elle mentionne que le personnel n’est pas toujours pleinement conscient de l’importance de bien inscrire toutes les informations le plus fidèlement possible à la réalité. Un rappel sera fait au personnel à ce sujet.

[49]        Madame Payette s’attarde aux responsabilités de la travailleuse de certaines journées à compter de son retour de vacances de la fin août 2015 jusqu’au début du mois d’octobre 2015. Elle commente les chirurgies auxquelles elle a participé de même que les implications sur le plan physique. Elle signale les possibilités pour la travailleuse de s’asseoir. Elle décrit ses horaires de travail. Étant donné que la travailleuse est cheffe d’équipe, elle affirme qu’elle n’est pas toujours dans une salle d’opération. Elle est plus en retrait que les autres infirmières puisqu’elle doit voir à l’organisation et à la planification du travail.

[50]        À son avis, il est très rare qu’une chirurgie nécessite une position statique d’une durée de quatre à six heures. Par expérience, elle affirme qu’il est toujours possible de bouger un peu. Elle ajoute que les pauses santé font partie de la convention de travail, alors elle ne pense pas qu’une infirmière assume à elle seule une chirurgie d’une durée de quatre heures.

[51]        Madame Payette affirme qu’elle a déjà vu la travailleuse s’asseoir lors de chirurgies pouvant se faire en étant assise. Mais, elle ne peut quantifier la durée et la fréquence puisqu’elle n’est pas à ses côtés en tout temps.

[52]        À partir de l’ensemble des données, l’employeur a dressé un tableau cumulatif du temps que la travailleuse a passé à titre d’infirmière externe ou interne, de même que celui passé en salle de réveil. Le calcul s’est fait en tenant compte uniquement de la durée des interventions chirurgicales. Ce tableau fournit les informations suivantes :

Infirmière externe                      313 :05 minutes                        44,41 % du temps

Infirmière interne                         87 :07 minutes                        12,36 % du temps

Salle de réveil                           304 :45 minutes                        42,23 % du temps

 

 

[53]        En enlevant le temps en salle de réveil, l’employeur évalue que la travailleuse passe 78,24 % de son temps à titre d’infirmière externe et 21,76 % de son temps à titre d’infirmière interne.

[54]        À partir de ces statistiques, la travailleuse dépose un tableau cumulatif qui tient compte du temps passé en salle d’opération et non pas seulement du temps consacré à la chirurgie. À son avis, elle passe beaucoup plus de temps en position debout que ce que l’employeur prétend.

[55]        À titre d’exemple, en reprenant les données pour la journée du 24 août 2015, l’employeur évalue que la travailleuse a effectué 4 h 5 à titre d’infirmière interne. Or, la travailleuse estime ce temps à 5 h 30 puisqu’elle juge que l’on doit tenir compte des heures d’entrée et de sortie de la patiente en salle d’opération et non pas seulement de la durée de la chirurgie.

[56]        Pour la période du 24 août 2015 au 4 septembre 2015, la travailleuse fait ressortir que le temps passé en salle d’opération est généralement de cinq heures sur un quart de travail de sept heures, et ce, si elle a pris toutes ses pauses santé et pauses repas ce qui n’est pas toujours le cas. À ce temps, à son avis, il faut ajouter le temps passé debout lors de ses quarts de travail en heures supplémentaires.

[57]        Pour cette même période, selon le tableau de l’employeur, le temps passé en salle d’opération selon le temps de chirurgie est la plupart du temps inférieur à cinq heures. Il est plutôt de trois à quatre heures, la plupart du temps.

[58]        Le 4 juillet 2017, le docteur Richard Lambert, physiatre, examine la travailleuse à la demande de sa procureure. Il décrit ses tâches et ses horaires de travail. À ce sujet, à l’audience, la travailleuse apporte des corrections à son rapport. Elle précise qu’elle est à l’emploi du CSSS de Gatineau depuis 1995 et non seulement depuis 2015. En retirant le temps de ses pauses santé et de son dîner, elle estime être debout 80 % de son temps en salle d’opération et non pas 100 %. Elle doit demeurer en position stationnaire entre quatre à six heures par jour et non six à sept heures. Son tablier de plomb pèse 14 livres et non 20 livres.

[59]        Le docteur Lambert note que la travailleuse porte des orthèses plantaires pour obtenir une meilleure posture. À l’audience, la travailleuse précise qu’elle les porte depuis une dizaine d’années et non pas trois à quatre ans, tel que le mentionne le médecin.

[60]        Le docteur Lambert décrit l’évolution de la condition de la travailleuse de même que les traitements reçus. Il note que l’arrêt de travail a été justifié par un épisode de convulsions ainsi qu’une douleur au pied droit. Prenant connaissance des notes et des rapports de la docteure Thérriault, il observe que pendant son arrêt de travail, les douleurs de la travailleuse ont nettement diminué tant au fascia qu’au court péronier, soit à la face latérale du pied droit. Il signale une légère diminution de la douleur au pied droit de la travailleuse un mois après son arrêt de travail du 22 juin 2016. Par la suite, une amélioration de sa condition est notée. À compter du 1er février 2017, un plan de retour au travail progressif est mis en place. En mai 2017, la patiente va mieux, elle travaille à temps plein, mais sans faire de garde.

[61]        Les douleurs de la travailleuse au moment de l’examen du docteur Lambert sont décrites comme étant améliorées de 90 % et non constantes. Elles sont plus importantes lors des premiers pas du matin. La marche est tolérée de 20 à 30 minutes. Les douleurs augmentent à la position debout stationnaire de plus de 15 minutes et elles sont pires avec le port du tablier de plomb. La travailleuse a l’impression que les douleurs augmentent de nouveau lentement et progressivement.

[62]        À la suite de son examen, le docteur Lambert note que les pieds de la travailleuse sont en pronation avec un affaissement de l’arche transversale bilatéral. Un appui au niveau de la tête du 2e méta distal, à gauche plus qu’à droite, est noté de même qu’un début d’orteil marteau au 2e orteil, droit plus qu’à gauche, et très léger au 3e orteil droit. Il y a une douleur à l’insertion proximale et interne du fascia plantaire sur le calcanéum ainsi qu’une très légère douleur à gauche. Une légère douleur à la base du 5e méta à droite est notée. Les amplitudes en dorsiflexion, inversion et éversion de la cheville droite sont réduites par rapport à celle de gauche, à l’exception de la flexion plantaire. La mise en tension des divers tendons entourant la cheville et les orteils démontre que l’éversion en flexion plantaire à droite, plus que la dorsiflexion, est douloureuse. La marche sur les talons et la pointe des pieds est difficile à droite, lorsqu’elle marche sur les talons à cause de la douleur.

[63]        Le docteur Lambert confirme le diagnostic de fasciite plantaire au pied droit. Il ajoute une possible tendinopathie d’insertion au niveau du court péronier distal causée par la marche en inversion de la travailleuse pour éliminer la pression sur la face interne du fascia plantaire qui est plus douloureux à son insertion sur la face interne du calcanéum.

[64]        Le docteur Lambert est appelé à se prononcer sur la relation causale entre le diagnostic de fasciite plantaire et l’emploi de la travailleuse. À partir de la littérature médicale, il note qu’aucun lien n’est établi entre le port d’un tablier de plomb lors de certaines chirurgies et sa maladie. Toutefois, en ce qui concerne la station debout prolongée et les pieds en pronation, il opine qu’il s’agit de facteurs de risque. À son avis, les conditions de travail de la travailleuse rendent la relation probable avec l’apparition de la fasciite plantaire puisqu’elle doit travailler en position debout prolongée. Il ajoute que la travailleuse présente une condition personnelle préexistante, soit des pieds en pronation, pouvant contribuer à l’apparition de la fasciite plantaire.

[65]        Selon l’article intitulé Plantar Fasciitis[2], les causes de la fasciite plantaire sont probablement multifactorielles. Les facteurs de risque tels que l’obésité, les emplois exigeant une position debout prolongée, les pieds plats et la pronation excessive des pieds sont des facteurs de risque énoncés dans les études.

[66]        Selon l’article intitulé Risk Factors for Plantar Fasciitis Among Assembly Plant Workers[3], plusieurs facteurs de risque peuvent causer une fasciite plantaire. Parmi ceux-ci : les pieds en pronation, la station debout prolongée sur des surfaces dures de même que la marche prolongée.

[67]        L’article Factors Associated with Chronic Plantar Heel Pain : A Systematic Review[4] identifie aussi la station debout prolongée à titre de facteur de risque de développer une fasciite plantaire. Cependant, selon les auteurs de cet article, aucune des trois études consultées ne donne une définition de ce que signifie une station debout prolongée.

[68]        Le Tribunal juge que la travailleuse a rempli son fardeau de preuve en démontrant par une preuve prépondérante que la fasciite plantaire qui affecte son pied droit est directement reliée aux risques particuliers du travail d’infirmière et de cheffe d’équipe qu’elle effectue depuis une douzaine d’années. Cependant, cette fascitte plantaire s’est manifestée sur une condition personnelle préexistante de pied en pronation.

[69]        La littérature médicale à laquelle réfère le docteur Lambert dans son expertise médicale reconnaît la station debout prolongée à titre de facteur de risque de développer une fasciite plantaire, mais sans être en mesure de la définir ou d’en quantifier la durée. Il n’est pas spécifié que la posture doive être statique. La condition personnelle des pieds en pronation est aussi identifiée à titre de cause d’une fasciite plantaire. Cette preuve n’est pas contredite.

[70]        À partir du témoignage de la travailleuse, le Tribunal retient qu’au moment où ses douleurs au pied droit commencent à se manifester, vers la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre 2015, elle occupe un poste d’infirmière-cheffe d’équipe au bloc opératoire. En sus de son quart de travail régulier de 35 heures se déroulant sur cinq jours par semaine, la travailleuse effectue en moyenne cinq à six quarts de travail supplémentaire sur une période de deux semaines.

[71]        Tant la travailleuse que madame Payette confirment que les trois infirmières sont à l’intérieur de la salle d’opération lorsque le patient entre dans la salle. Lorsqu’il sort de la salle, le travail des infirmières à l’intérieur de la salle est terminé pour ce patient, et ce, jusqu’à l’entrée du patient suivant. Entretemps, les infirmières vaquent à d’autres tâches.

[72]        Le Tribunal retient que, même si des bancs sont disponibles, la travailleuse effectue ses tâches la majeure partie du temps en position debout. Elle n’utilise pas les bancs, soit parce qu’ils ne sont pas adaptés aux tâches qu’elle effectue, soit parce qu’ils sont déjà utilisés ou soit parce que les chirurgies auxquelles elle est affectée ne permettent pas le travail en position assise.

[73]        Les infirmières du bloc opératoire ne disposent pas d’un poste d’infirmière comme sur les étages de l’hôpital. La travailleuse explique qu’un comptoir d’une hauteur de trois pieds et sept pouces est situé à l’intérieur des salles d’opération. Or, en raison de sa hauteur, elle doit rester debout lorsqu’elle rédige ses notes.

[74]        Certes, madame Payette dit qu’elle a déjà vu la travailleuse effectuer son travail en position assise. Mais, elle n’est pas en mesure de préciser le nombre de fois ou la durée puisqu’elle ne travaille pas en tout temps avec elle. De toute façon, à ce sujet, la travailleuse n’a pas nié exécuter certaines tâches en s’assoyant et le Tribunal la croit lorsqu’elle dit que cela n’arrive pas très souvent.

[75]        Une longue preuve a été administrée par l’employeur au sujet des données cumulées au bloc opératoire. Contrairement à l’affirmation de madame Payette, le Tribunal constate que ces données ne sont pas fiables à 100 %. En effet, à partir de quelques exemples, des données erronées ou incomplètes ont été répertoriées. Il ne s’agit pas de faire un reproche à l’employeur à ce sujet. Ces données n’ont pas pour but premier de constituer une preuve devant le Tribunal en raison d’une réclamation d’une travailleuse pour une maladie professionnelle. Toutefois, puisque des erreurs sont constatées, on ne peut retenir son affirmation d’une fiabilité totale. Quel est le pourcentage de fiabilité? Le Tribunal l’ignore.

[76]        Mais, de toute façon, même à partir des données fournies par l’employeur, le Tribunal considère qu’il ne doit pas tenir compte uniquement de la durée de l’opération d’un patient pour estimer le temps où la travailleuse exerce ses fonctions en position debout. Il faut plutôt considérer le temps pendant lequel la travailleuse se trouve à l’intérieur de la salle d’opération. Or, il est plus réaliste de tenir compte du délai entre l’entrée et la sortie du patient de la salle pour estimer ce temps. Puisque la travailleuse s’assoit rarement lorsqu’elle s’y trouve pour les raisons déjà mentionnées, il est permis de croire que son travail s’effectue la majeure partie du temps en position debout prolongée.

[77]        À titre d’exemple, en prenant en considération la période de la fin du mois d’août et du début de septembre 2015, soit celle où la travailleuse commence à ressentir des douleurs au pied droit, le Tribunal constate que la travailleuse passe en général cinq heures en salle d’opération sur un quart de travail de sept heures, et ce, si elle a pris toutes ses pauses santé et ses pauses repas ce qui n’est pas toujours le cas. À ce temps, il faut ajouter le temps passé debout lors de ses autres tâches et lors des quarts de travail en heures supplémentaires. De tels écarts se reflètent aussi pour les autres dates faisant partie des tableaux déposés par l’employeur et la travailleuse.

[78]        En effet, outre le temps passé en salle d’opération, le Tribunal retient que la travailleuse peut être affectée à la salle de réveil. Dans ces cas, elle surveille les patients en étant en mouvement et en colligeant des informations sur leur état. Sans pouvoir dire le temps précis de la posture debout, il est possible de considérer que cela se produit à une certaine fréquence. Lorsque la travailleuse travaille en salle d’urgence en heures supplémentaires, elle estime passer la moitié de son temps en position debout. La preuve démontre qu’à l’époque concernée, la travailleuse fait entre cinq et six quarts de travail par deux semaines. Cette preuve n’est pas contredite.

[79]        Lors du témoignage de madame Payette, cette dernière mentionne qu’il arrive qu’en tant que cheffe d’équipe la travailleuse doive sortir de la salle d’opération pour vaquer aux responsabilités spécifiques à cette fonction. Or, la preuve ne révèle pas que ces activités s’effectuent nécessairement en position assise.

[80]        De cette preuve, il apparaît probable que la travailleuse effectue son emploi dans des conditions qui nécessitent la position debout prolongée. Cela ne signifie pas qu’elle soit toujours debout pour l’exercer. De toute façon, ce n’est pas le sens de son témoignage.

[81]        Lors de son témoignage, la travailleuse a qualifié de « stagnante » l’évolution de sa condition médicale pendant son arrêt de travail du 22 juin 2016 jusqu’au 10 mai 2017, date où elle a repris son emploi régulier à temps complet. L’employeur soutient qu’il s’agit d’un indice important pour refuser le lien causal entre la fasciite plantaire et son travail.

[82]        Or, les rapports médicaux de la docteure Thérriault laissent plutôt voir une amélioration de sa condition au niveau de son pied droit. C’est aussi ce qui se dégage de l’analyse du docteur Lambert.

[83]        Bien qu’il puisse y avoir une apparence contradictoire entre la preuve médicale et l’appréciation de la travailleuse de son état, le Tribunal juge que cela n’est pas fatal à la recevabilité de sa réclamation. En effet, il est possible qu’aux yeux de la travailleuse l’évolution de son état ne soit pas à la hauteur de ses espérances ou encore que lors de son témoignage, son souvenir ne soit pas précis. Toutefois, comme le fait régulièrement le Tribunal en présence de versions différentes livrées par un travailleur quant à la description d’un fait accidentel par exemple, il y a lieu d’accorder davantage de poids aux notes cliniques contemporaines de la docteure Thérriault qui font ressortir une amélioration de la condition de la travailleuse lorsque celle-ci est en arrêt de travail. Il s’agit d’un élément sérieux à la reconnaissance du lien de causalité entre la maladie alléguée et le travail.

[84]        En ce qui concerne le lien de causalité, le docteur Lambert explique bien les motifs qui le portent à établir une relation causale entre les exigences de l’emploi de la travailleuse et la fasciite plantaire au pied droit. Le Tribunal prend acte des quelques mentions erronées dans son rapport tel que précisé par la travailleuse. Toutefois, ces erreurs n’apparaissent pas déterminantes au point de ne pas pouvoir tenir compte de son opinion. Ajoutons que le médecin tient aussi compte de la condition personnelle de la travailleuse à titre de facteur de risque, à savoir qu’elle présente des pieds en pronation.

[85]        Le Tribunal note que la relation causale entre la condition de la travailleuse et le fait que son emploi nécessite la station debout semble aussi retenue par la docteure Thérriault et le podiatre Hajj.

[86]        La jurisprudence déposée par la travailleuse et par l’employeur reconnaît que la station debout prolongée constitue un facteur de risque de développer une fasciite plantaire. Ce sont plutôt les faits en cause qui scellent le sort des décisions.

[87]        Dans l’affaire Brunelle et Pâtisserie Gaudet inc.[5], le travailleur travaille en position debout environ 6 h 30 sur un quart de travail de 8 h. Bien qu’un banc soit mis à sa disposition, il ne l’utilise pas et l’employeur ne l’oblige pas à l’utiliser. Il travaille pour le même employeur depuis une quarantaine d’années, mais ce n’est qu’en 2013 qu’il commence à ressentir des symptômes aux pieds. Le diagnostic de fasciite plantaire est posé en 2015 et le travailleur produit sa réclamation en 2016. Le travailleur porte des orthèses depuis quelques années avant le dépôt de sa réclamation. Le Tribunal juge que le travailleur travaille majoritairement en position debout et qu’il marche sur une surface dure. Il s’agit de facteurs de risque de développer une fasciite plantaire. Le Tribunal précise que la présence d’une condition personnelle n’est pas une fin de non-recevoir et qu’elle peut contribuer à la maladie. La réclamation du travailleur est acceptée.

[88]        Dans l’affaire Duplessis et West Penetone inc.[6], le travailleur opère un chariot élévateur en position debout six à sept heures par quart de travail de huit heures, sans les pauses. Ses douleurs au pied gauche se manifestent une quinzaine d’années après le commencement de cet emploi. La Commission des lésions professionnelles reconnaît l’adéquation entre le travail en position debout prolongée sur des surfaces dures et le diagnostic de fasciite plantaire. La présence d’une condition personnelle n’est pas une fin de non-recevoir à la reconnaissance d’une maladie professionnelle. L’amélioration de la condition du travailleur lors de son retrait du travail et l’absence d’activités personnelles expliquant sa maladie, constituent des éléments clés dans la prise de décision. La réclamation du travailleur est acceptée.

[89]        Dans l’affaire Barbaud et Société canadienne des postes[7], la Commission des lésions professionnelles rappelle que le degré de preuve requis en matière d’admissibilité d’une réclamation pour une maladie professionnelle n’est pas aussi exigeant qu’en médecine. En droit, la certitude raisonnable est celle de la probabilité supérieure, c’est-à-dire plus de 50 %.

[90]        Dans l’affaire Gauthier et CHUQ (Pavillon CHUL)[8], la Commission des lésions professionnelles rejette la réclamation de la travailleuse en raison de la preuve médicale contradictoire. De plus, la travailleuse allègue la présence de douleurs non pas lors de la station debout prolongée, mais seulement lorsqu’elle effectue une tâche en particulier soit celle de l’irrigation de la cornée du patient. Or, la preuve démontre qu’elle n’effectue pas cette tâche très longtemps.

[91]        Dans l’affaire Garneau et 90164922 Québec inc.[9], la travailleuse réclame des prestations non seulement en raison d’un diagnostic de fasciite plantaire mais aussi de six autres diagnostics. L’ensemble de la preuve factuelle milite davantage vers une condition personnelle que vers une maladie professionnelle.

[92]        Dans l’affaire Eugene et Produits alimentaires Viau inc.[10], le Tribunal rejette la réclamation du travailleur puisqu’il considère la preuve du nombre d’heures de travail en position debout nettement exagéré.

[93]        Dans l’affaire Belizaire et Centre hospitalier de soins longue durée Mont-Royal[11], la réclamation de la travailleuse est rejetée en raison de la preuve médicale prépondérante qui ne reconnaît pas la relation causale selon les faits soumis.  

[94]        Dans l’affaire Harvey et Casse-croûte L’Express St-Marc[12], la preuve de la travailleuse ne repose que sur son témoignage et sur un avis de son médecin établissant une relation causale entre son travail et la fasciite plantaire sans fournir aucune explication.

[95]        Dans l’affaire Berrouard et Charcuterie la tour Eiffel inc.[13], le travailleur réclame l’admissibilité de sa réclamation sous l’angle d’une lésion professionnelle plutôt que sous celui d’une maladie professionnelle.

[96]        Dans le cas particulier soumis à l’attention du Tribunal, il y a lieu de considérer que le travail d’infirmière-cheffe d’équipe au bloc opératoire nécessite de travailler majoritairement en position debout. Notons que la travailleuse effectue beaucoup d’heures supplémentaires, soit cinq à six quarts de travail sur une période de deux semaines, en sus de son horaire régulier. Bien que des bancs soient disponibles, la travailleuse les utilise peu et son employeur n’exige pas qu’elle le fasse. Lorsque la travailleuse a commencé à ressentir des douleurs, elle venait de compléter une séquence de travail lors de laquelle elle a effectué plusieurs heures supplémentaires. Son retrait du travail a permis une amélioration de sa condition suivant les notes cliniques de son médecin. Finalement, l’opinion du docteur Lambert de même que la littérature médicale à laquelle il réfère n’ont pas été contredites.

[97]        Aux yeux du Tribunal, il y a prépondérance de preuve que la travailleuse effectue un emploi nécessitant la station debout prolongée pouvant causer une fasciite plantaire.

[98]        Toutefois, la preuve révèle aussi que la travailleuse est affectée d’une condition personnelle à savoir des pieds en pronation. Il s’agit notamment d’un des facteurs de risque identifiés dans la littérature médicale déposée par le docteur Lambert. De plus, la travailleuse porte des orthèses depuis une dizaine d’années. C’est pourquoi le Tribunal considère que la travailleuse souffre d’une fasciite plantaire au pied droit sur une condition personnelle de pied en pronation.

[99]        En conséquence, le Tribunal conclut que la fasciite plantaire au pied droit sur pied en pronation dont souffre la travailleuse depuis le 23 février 2016 est reliée aux risques particuliers de son travail chez l’employeur de telle sorte que sa réclamation pour une maladie professionnelle est accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation déposée le 24 août 2016 par madame Nathalie-Isabelle Pacheco, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 15 août 2016 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse est atteinte d’une maladie professionnelle, soit une fasciite plantaire au pied droit sur un pied en pronation et qu’elle a le droit de recevoir des prestations en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Michèle Gagnon Grégoire

 

 

 

Me Lucie De Blois

F.I.Q.

Pour la partie demanderesse

 

Me Maryse Lepage

BML AVOCATS INC.

Pour la partie mise en cause

 

 

Date de la dernière audience :      20 juin 2018

 


 

Jurisprudence déposée par la travailleuse

Brunelle et Pâtisserie Gaudet inc., 2017 QCTAT 4591.

 

Duplessis et West Penetone inc., C.L.P. 318067-63-0705, 9 avril 2008, I. Piché.

 

Dupont et Exeltor inc., [2007] QCCLP 6414.

 

Barbaud et Société Canadienne des postes (santé-sécurité), C.L.P. 172965-62-0111, 11 mars 2005, G. Robichaud.

 

Cousineau et Société Canadienne des postes, C.L.P. 119784-31-9907, 21 décembre 2000, J.-L.Rivard.

 

 

Jurisprudence déposée par l’employeur

Eugene et Produits alimentaires Viau inc., 2016 QCTAT 3753.

 

Bergeron et CSSS du Grand Littoral, [2010] QCCLP 352.

 

Laplante et Pavillon St-Joseph (Infirmerie des Sœurs de Sainte-Croix), C.L.P. 274357-71-0510, 26 mars 2008, L. Crochetière.

 

Belizaire et Centre hospitalier de soins longue durée Mont-Royal, C.L.P. 210026-72-0306, 25 août 2003, N. Lacroix.

 

Gauthier et C.H.U.Q. (Pavillon C.H.U.L.) (SST), C.L.P. 150207-31-0011, 22 novembre 2002, R. Ouellet.

 

Harvey et Casse-Croûte L’express St-Marc, C.L.P. 172717-31-0111, 10 mai 2002, J.-F. Clément.

 

Berrouard et Charcuterie la Tour Eiffel inc., C.L.P. 149482-31-0010, 9 novembre 2001, J.-L. Rivard.

 

Garneau et 90164922 Québec inc., C.L.P. 140824-64-0006, 30 novembre 2000, J.-F. Martel.

 

 

Doctrine

R. BUCHBINDER, « Clinical Practice : Planter Fasciitis », (2004) 350 New England Journal of Medicine, pp. 2159-2166.

 

D.B. IRVING, J.L. COOK et H.B. MENZ, « Factors Associated with Chronic Plantar Heel Pain : A Systematic Review », (2006) 9 Journal of Science and Medicine in Sport, pp. 11-22.

 

R.A. WERNER et al., « Risk Factors for Planter Fasciitis among Assembly Plant Workers », (2010) 2 PM & R : The Journal of Injury, Function, and Rehabilitation, pp. 110-116.

 

V.H. CHUTER et X.A. JANSE DE JONGE, « Proximal and Distal Contributions to Lower Extremity Injury : A Review of Literature », (2012) 36 Gate & Posture, pp. 7-15.

 

J.D. GOFF et R. CRAWFORD, « Diagnosis and Treatment of Plantar Fasciitis », (2011) 84 American Family Physician, pp. 676-682.



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           R. BUCHBINDER, « Clinical Practice : Plantar Fasciitis», (2004) 350 New England Journal of Medicine, pp. 2159-2166.

[3]           R. A. WERNER et al., «Risk Factors for Plantar Fasciitis Among Assembly Plant Workers », (2010) 2 PM & R : The Journal of Injury, Function and Rehabilitation, Vol. 2, pp. 110-116. Voir aussi : V.H. CHUTER et X.A. JANSE DE JONGE « Proximal and Distal Contributions to lower Extremity Injury : A Review of the Literature », (2012) 36 Gait & Posture, , pp. 7-15; J.D. GOFF et R. CRAWFORD., « Diagnosis and Treatment of Plantar Fasciitis », (2011) 84 American Family Physician, pp. 676-682.

[4]           D.B.IRVING, J.L. COOK et H.B. MENZ, «Factors Associated with Chronic Plantar Heel Pain : A Systematic Review », (2006) 9, Journal of Science and Medicine in Sport, pp. 11-22.

[5]           2017 QCTAT 4591.

[6]           C.L.P. 318067-63-0705, 9 avril 2008, I. Piché.

[7]          C.L.P. 172965-62-0111, 11 mars 2005, G. Robichaud.

[8]           C.L.P. 150207-31-0011, 22 novembre 2002, R. Ouellet.

[9]           C.L.P. 140824-64-0006, 30 novembre 2000, J.-F. Martel.

[10]         2016 QCTAT 3753.

[11]         C.L.P. 210026-72-0306, 25 août 2003, N. Lacroix.

[12]         C.L.P. 172717-31-0111, 10 mai 2002, J.-F. Clément.

[13]         C.L.P. 149482-31-0010, 9 novembre 2001, J.-L. Rivard; Voir aussi : Laplante et Pavillon St-Joseph (Infirmerie des Sœurs de Sainte-Croix), C.L.P. 274357-71-0510, 26 mars 2008, L. Crochetière.

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