Modèle de décision CLP - juillet 2015

Bensaker et Banque Laurentienne du Canada

2017 QCTAT 940

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossier :

611953-61-1607

 

Dossier CNESST :

501348429

 

 

Laval,

le 28 février 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Bernard Lemay

______________________________________________________________________

 

 

 

Moncef Bensaker

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Banque Laurentienne du Canada

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RECTIFIÉE

______________________________________________________________________

 

 

[1]        Le Tribunal administratif du travail a rendu le 23 février 2017 une décision dans le présent dossier;

[2]        Cette décision contient une erreur d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 48 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail RLRQ, c. T-15.1. (la LITAT).

[3]        À la page 7, nous lisons :

            Date de l’audience : 6 janvier 2016

[4]        Alors que nous aurions dû lire :

Date de l’audience : 6 janvier 2017

 

 

 

__________________________________

 

Bernard Lemay

 

 

 

Me Helena P. Oliveira

GINGRAS CADIEUX, AVOCATS

Pour la partie demanderesse

 

Me Guillaume Pelletier

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

Pour la partie mise en cause

 


Bensaker et Banque Laurentienne du Canada

2017 QCTAT 940

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossier :

611953-61-1607

 

Dossier CNESST :

501348429

 

 

Laval,

le 23 février 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Bernard Lemay

______________________________________________________________________

 

 

 

Moncef Bensaker

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Banque Laurentienne du Canada

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 15 juillet 2016, monsieur Moncef Bensaker (le travailleur) dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) un acte introductif par lequel il conteste une décision rendue le 28 juin 2016 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission), à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par sa décision, la Commission confirme celle qu’elle a initialement prononcée le 7 avril 2016 et déclare qu’elle est justifiée de suspendre, à compter du 6 avril 2016, l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur puisque celui-ci a, sans raison valable, omis ou refusé de se rendre aux traitements prescrits pour ses lésions professionnelles.

[3]           Le travailleur est présent et représenté à l’audience qui s’est tenue à Laval le 6 janvier 2017. L’employeur, la Banque Laurentienne du Canada, y est également représenté. L’affaire a été mise en délibéré le 23 février 2017, date à laquelle le Tribunal a reçu du travailleur des documents lui ayant été requis de produire.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande au Tribunal de déclarer qu’il n’y a pas lieu de suspendre son indemnité de remplacement du revenu à compter du 6 avril 2016 et de la rétablir jusqu’au 9 mai 2016.

LES FAITS

[5]           Le travailleur est au service de l’employeur depuis novembre 2012.

[6]           Le 10 mars 2015, le travailleur est victime d’un accident du travail, sous des diagnostics d’entorse lombaire et de contusion. Il est tombé d’une échelle d’une hauteur d’environ deux mètres, sur le dos.

[7]           Le 9 décembre 2015, le travailleur est témoin d’un « hold-up » à sa succursale. La Commission acceptera sa réclamation pour lésion professionnelle, sous un diagnostic de syndrome post-traumatique.

[8]           Le docteur P. Clifford Blais, recommande de la psychothérapie le 11 décembre 2015, en regard de ce dernier événement.

[9]           Le 14 janvier 2016, le docteur Jean-Marc Lafleur devient le médecin ayant charge du travailleur, pour le volet psychique. Il pose un diagnostic de trouble d’adaptation à la suite d’un choc post-traumatique. Il indique que le travailleur rencontrera un psychiatre le 26 janvier 2016.

[10]        Le 16 janvier 2016, le docteur Sambou Dabo prescrit de la physiothérapie avec approche ostéopathique pour traiter une contusion et une entorse lombaire (événement du 10 mars 2015). Il dirige également le travailleur en physiatrie.

[11]        Le travailleur débute de la psychothérapie le 24 février 2016 avec madame Dominique Paré, psychologue.

[12]        Le 17 mars 2016, l’employeur convoque le travailleur à un examen médical auprès de son médecin désigné pour le 29 avril 2016 (pièce T-2).

[13]        Le 21 mars 2016, le travailleur informe la Commission qu’il doit quitter le pays pour aller voir sa mère malade en Algérie.

[14]        Le 26 mars 2016, le docteur Dabo dirige le travailleur à une clinique de la douleur pour traitement d’une douleur persistante depuis un an, reliée à une contusion et entorse lombaire (événement du 10 mars 2015). Il indique dans son rapport médical que le travailleur « peut prendre congé de la physiothérapie », sans toutefois indiquer une raison précise.

[15]        Le 30 mars 2016, le travailleur achète ses billets d’avion pour un départ le 6 avril et un retour le 6 mai 2016 (pièce T-1).

[16]        Le 31 mars 2016, madame Paré écrit une lettre dans laquelle elle donne son autorisation pour le voyage en Algérie, estimant que les bénéfices de ce déplacement sur l’état émotionnel du travailleur l’emportent largement sur les désavantages. Elle indique que son malade n’aura pas de grandes difficultés à reprendre le traitement psychologique dans quelques semaines, puisque celui-ci est déjà bien amorcé et que le travailleur peut travailler certains objectifs par lui-même. De plus, écrit-elle, l’état émotionnel rassuré du travailleur l’aidera probablement à avancer plus rapidement.

[17]        Le 4 avril 2016, madame Paré confirme à la Commission son autorisation pour que le travailleur puisse quitter le pays pour un mois. Le même jour, l’agente d’indemnisation responsable des dossiers du travailleur informe toutefois celui-ci que « le suivi psychologique est toujours nécessaire et [que] le fait de s’absenter pour une période d’un mois ne l’aidera pas dans son évolution ». Elle l’avise donc que s’il quitte, la Commission suspendra son indemnité de remplacement du revenu.

[18]        Le 6 avril 2016, la Commission décide de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, pour les motifs suivants :   

Considérant que le T [travailleur] part à l’extérieur du pays pour la période du 6 avril au 6 mai 2016;

Considérant que les IRR [indemnités de remplacement du revenu] sont versées dans ce dossier;

Considérant que le md [médecin] recommande toujours des tx [traitements] en psychologie et en physio (autre dossier);

Considérant que le md réfère à la clinique de la douleur (autre dossier);

Considérant que le T a été avisé que s’il s’absente à ses tx nous pourrions suspendre ses IRR;

Considérant que E [employeur] avait planifié un 209 [examen demandé en vertu de l’article 209 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles) le 29 avril 2016 (autre dossier);

Considérant que le T n’est pas disponible pour faire ses tx (psychologique et physique) à compter du 6 avril 2016, qu’il n’est pas disponible pour se soumettre à une expertise de E;

Nous suspendons les IRR de T à compter d’aujourd’hui.

 

[19]        Le travailleur s’absente, comme il l’avait prévu. À son retour le 6 mai 2016, il revoit son médecin ayant charge le 9 mai suivant et sa psychologue le 12 mai suivant. La Commission reprend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 10 mai.

[20]        Le travailleur a été entendu à l’audience.

[21]        De façon pertinente à l’objet de la contestation, le travailleur témoigne avoir appris vers le 21 mars 2016 que sa mère âgée de 79 ans a été hospitalisée pour un malaise cardiaque. Comme il ne peut lui parler, ce silence le stresse encore plus et il décide d’y aller à tout prix. Il téléphone donc à l’agente d’indemnisation responsable de son dossier à la Commission pour l’en aviser. Elle lui demande d’obtenir l’autorisation du docteur Dabo et de sa psychologue. Le travailleur dit les avoir remises à la Commission. L’agente d’indemnisation lui téléphone au début du mois d’avril 2016, l’avisant qu’on « ne paie pas pour des vacances », et que les indemnités seront suspendues. Il a été vraiment surpris.

[22]        Le travailleur déclare par la suite qu’il a entrepris la physiothérapie avec approche ostéopathique dans les jours suivant sa prescription. Il a obtenu le report de l’examen médical requis par son employeur après son retour au pays. Finalement, il est toujours en attente d’un rendez-vous à la clinique de la douleur de la Cité de la santé de Laval.

[23]        À la demande du Tribunal, le travailleur produit une attestation d’hospitalisation du Centre universitaire hospitalier de Constantine, en Algérie, démontrant que sa mère y a séjourné du 19 mars au 16 avril 2016, dans le département de cardiologie et chirurgie cardiaque.

LES MOTIFS

[24]        Le Tribunal doit décider s’il y a lieu de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur pour la période du 6 avril au 9 mai 2016.

[25]        L’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) permet à la Commission de réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité, aux conditions suivantes :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[26]        Le Tribunal comprend que la Commission a suspendu l’indemnité du remplacement du remplacement du revenu en s’appuyant sur les alinéas a) et c) du paragraphe 2 de l’article 142 de la loi.

[27]        Qu’en est-il vraiment de ces motifs de suspension invoqués par la Commission?

[28]        En accord avec l’argumentation du travailleur, à la lumière de la jurisprudence[2] qu’il a déposée et de celle[3] que le Tribunal a consultée, il y a lieu de conclure qu’ils sont ici inapplicables.

[29]        En effet, comme l’écrit la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire L.M.L.[4], l’article 142 de la loi est une mesure draconienne qui doit être utilisée de façon judicieuse. Pour suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, il faut être en présence d’un motif sérieux qui soit assimilable à de la négligence ou de la mauvaise foi d’un travailleur.

[30]        Le premier motif de suspension invoqué par la Commission réside en ce que le travailleur omettrait ou refuserait de se soumettre aux traitements de physiothérapie et de psychothérapie prescrits par l’un ou l’autre des docteurs Dabo et Lafleur, de même que d’être évalué par une clinique de la douleur à laquelle il a été dirigé par le docteur Dabo.

[31]        Or, suivant l’ensemble de la jurisprudence consultée, il appert que lorsqu’un travailleur s’absente du pays pour s’occuper d’un proche malade, une période d’un mois apparaît raisonnable pour considérer qu’il a une raison valable de ne pas se soumettre aux traitements médicaux requis pour sa lésion professionnelle, s’il en avise au préalable la Commission et obtient l’autorisation de son médecin ayant charge.

[32]        En l’instance, toutes ces conditions sont remplies. L’absence prévue du travailleur est pour une période d’au plus un mois, du 6 avril au 6 mai 2016. Le déplacement du travailleur en Algérie est motivé par son désir de se rapprocher et de s’occuper de sa mère malade qui est hospitalisée (attestation d’hospitalisation à l’appui). Il a prévenu la Commission en ce sens dès le 21 mars 2016, obtient l’autorisation le 26 mars 2016 du docteur Dabo d’être exempté de ses traitements de physiothérapie et reçoit l’accord de sa psychologue le 31 mars 2016 qui explique en quoi ce déplacement sera bénéfique psychologiquement pour le travailleur et ne nuira pas à sa thérapie. Le Tribunal doit incidemment prêter à cette dernière opinion un poids beaucoup plus prépondérant qu’à celui de l’affirmation bien générale et non motivée de l’agente d’indemnisation de la Commission voulant que « le fait de s’absenter pour une période d’un mois ne l’aidera pas dans son évolution ». Dès son retour au pays le 6 mai 2016, le travailleur reprend rapidement contact avec son médecin ayant charge et sa psychologue.

[33]        Au surplus, la référence par le docteur Dabo à une clinique de la douleur n’est faite que le 26 mars 2016, soit onze jours avant la date prévue de départ du travailleur. Avec les délais inhérents au système de santé québécois, il est fort à parier que même en ayant déposé sa demande dans les jours suivants, il n’aurait pas obtenu rapidement un rendez-vous pour évaluation. La meilleure preuve est que le travailleur est toujours en attente de ce rendez-vous. Ce n’est pas en demeurant au Québec pendant le mois d’avril 2016 que le travailleur aurait réussi à faire accélérer le cours de ses démarches.

[34]        L’autre motif invoqué par la Commission est que par son absence du pays pour un mois à compter du 6 avril 2016, le travailleur aurait donc refusé de se soumettre à un examen médical convoqué par son employeur pour le 29 avril 2016. Or, comme en témoigne le travailleur, il a facilement réussi à faire reporter la date de son rendez-vous après son retour de voyage. L’employeur ne s’est jamais plaint de ce contretemps.

[35]        Le moins que l’on puisse conclure est que la Commission aurait pu faire preuve de plus de discernement dans sa prise de décision du 6 avril 2016.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation du travailleur, monsieur Moncef Bensaker;

INFIRME la décision rendue le 28 juin 2016 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE nulle la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 6 avril au 9 mai 2016;

DÉCLARE que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail doit rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 6 avril au 9 mai 2016.

 

__________________________________

 

Bernard Lemay

 

Me Helena P. Oliveira

GINGRAS CADIEUX, AVOCATS

Pour la partie demanderesse

 

Me Guillaume Pelletier

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

Pour la partie mise en cause

 

Date de l’audience : 6 janvier 2016

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]           L.M.L. Électrique (1995) Ltée et Blouin, 2014 QCCLP 51; Barkley et Service Sani-Tri Cogesis inc., 2011 QCCLP 2578; Iqbal et Revêtements Polyval inc., C.L.P. 289230-71-0605, 27 novembre 2006, L. Crochetière; Rivera et Vêtements Adorable Junior inc., C.L.P. 281897-71-0602, 29 septembre 2006, Anne Vaillancourt; Altomare et Industrie Comfort Design inc., C.L.P. 256739-71-0503, 15 juillet 2005, D. Gruffy.

[3]           Compagnie A et B… M…, 2012 QCCLP 7764; Sraidi et RMB extermination inc., 2011 QCCLP 4382; Gil et Winners Merchants, C.L.P. 346763-05-0804, 2 octobre 2008, M.-C. Gagnon; Elhouari et Pneus André Touchette inc., C.L.P. 343732-71-0803, 3 juin 2008, D. Gruffy; Ghasemkhani et Hôpital général Juif Mortimer B. Davis, 2007 QCCLP 1847.

[4]          Précitée, note 2.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.