Ste-Agathe-des-Monts (Ville de) |
2014 QCCLP 3458 |
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[1] Le 27 février 2013, Ville de Ste-Agathe-des-Monts (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 6 décembre 2013 relative à la lésion professionnelle qu’a subie le travailleur, le 21 mai 2009. La CSST déclare que la preuve n’a pas démontré qu’une blessure ou une maladie est survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus par le travailleur pour sa lésion professionnelle ou de l’omission de tels soins. L’employeur sera donc imputé pour la totalité du coût des prestations.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme, le 5 novembre 2013. Le procureur de l’employeur a avisé le tribunal de son absence à l’audience et a demandé un délai pour produire une argumentation écrite. Celle-ci a été produite le 6 décembre 2013. Le tribunal a pris le dossier en délibéré à cette date.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à un transfert des coûts en vertu de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), et ceci pour les coûts générés par la lésion professionnelle à partir du 23 novembre 2010.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert des coûts. Pour ce faire, il lui faut déterminer s’il y a lieu d’appliquer l’article 327 de la Loi.
[6] La reconnaissance d’une lésion professionnelle du type décrit à l’article 31 de la Loi a un effet au niveau de l’imputation des coûts de cette lésion en vertu de l’article 327 :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
[Nos soulignements]
[7] Tout d’abord, le tribunal peut examiner une requête sur l’imputation des coûts sous l’angle de l’article 327 de la Loi et ceci, même si aucune décision n’a été rendue jusque-là par la CSST en vertu de l’article 31 de la Loi.
[8] Comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Pâtisserie Chevalier inc.[2], le processus de contestation devant la Commission des lésions professionnelles est un processus de novo.
[9] Étant donné que le processus est de novo, une partie peut faire valoir une preuve nouvelle de même qu’une argumentation nouvelle.
[10] En évoquant l’article 327 de la Loi et par le fait même l’article 31 de la Loi, l’employeur doit d’abord démontrer la présence d’une blessure ou d’une maladie et celle-ci doit être bien identifiée et distincte de la lésion professionnelle initiale[3]. Ainsi, les conséquences de la lésion initiale ne sont pas visées par ces deux articles qui concernent plutôt la survenance d’une blessure ou d’une maladie précise qui doit être attribuable aux soins reçus à la suite d’une lésion professionnelle ou à l’omission de ces soins[4]. Puisque l’article 31 de la Loi ne vise pas l’évolution ou les conséquences de la lésion professionnelle initiale, il faut donc faire une importante distinction entre la lésion initiale, donc la lésion pour laquelle des soins sont reçus, de celle qui survient par le fait ou à l’occasion des soins[5].
[11] L’employeur doit ensuite démontrer que cette nouvelle lésion est attribuable aux soins reçus pour la lésion professionnelle initiale du 13 octobre 2006 ou à l’omission de tels soins[6].
[12] Toutefois, la lésion évoquée doit avoir un lien relationnel avec les soins reçus ou l’omission de soins. Elle ne peut être une condition directe et indissociable de la lésion professionnelle[7].
[13] Effectivement, la jurisprudence reconnaît également qu'une complication peut être assimilée à une blessure ou maladie au sens de l'article 31 de la Loi, pourvu qu'elle ne soit pas une conséquence indissociable de la lésion d'origine ou du traitement qu’elle a nécessité « telle la cicatrice qui résulte inévitablement d’une chirurgie ou la complication médicale qui résulte de l’évolution de la lésion elle - même »[8]. Dans l’affaire Bombardier Aéronautique[9], après une revue de la jurisprudence, le tribunal a suggéré ce critère de la « conséquence indissociable » lorsque la preuve présentée requiert de faire la distinction entre un phénomène inhérent à la lésion initiale et celui qui est proprement attribuable aux conséquences de son traitement.
[14] Ce critère de la « conséquence indissociable » a été repris dans l’affaire Structures Derek inc.[10], où la Commission des lésions professionnelles ajoutait le critère de la lésion qui découle d’une complication « qui ne survient pas dans la majorité des cas » :
[31] Il faut donc faire la distinction entre un phénomène qui est inhérent à la lésion initiale et celui qui est proprement attribuable aux conséquences de son traitement8. Ainsi, si une lésion constitue une conséquence directe et indissociable de la lésion initiale, il n’y aura pas ouverture à l’application de l’article 3279. Cependant, le tribunal estime qu’il y aura lieu d’appliquer l’article 327 lorsque la lésion qui découle des soins reçus pour une lésion professionnelle n’en est pas une conséquence automatique et indissociable et qu’elle constitue plutôt une complication qui ne survient pas dans la majorité des cas.
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8 Bombardier Aéronautique, [2002] C.L.P. 525; Unival (St-Jean-Baptiste) et Gaudreault, [1997] C.A.L.P. 612.
9 Brown Boverie Canada inc. et Désautels, C.A.L.P. 55197-05-9311, le 14 août 1995, M. Denis.
[15] Par ailleurs, comme l’enseigne la jurisprudence plus récente, la non-prévisibilité de la complication ne constitue pas un critère prévu à l’article 31 de la Loi puisque presque toutes les complications qui peuvent survenir, même de façon exceptionnelle, sont prévisibles[11].
[16] Par exemple, une complication, qui peut survenir après avoir subi une chirurgie, qui est dissociable de la lésion professionnelle et qui ne résulte pas d’une conséquence normale peut être considérée comme une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la Loi.
[17] Qu’en est-il en l’instance ? Y a-t-il eu une nouvelle lésion ou une complication qui est dissociable de la lésion professionnelle initiale et qui est survenue en raison des soins ou de l’omission de soins pour la lésion professionnelle ?
Évolution de la lésion professionnelle
[18] Le tribunal retient les faits suivants.
[19] Le 21 mai 2009, le travailleur fait une chute et tombe sur la main droite, en frappant son auriculaire. Le doigt est entré dans une grille et aurait effectué une déviation latérale cubitale. Le doigt est resté en abduction après la chute, mais le travailleur l’a replacé lui-même, malgré la douleur.
[20] Le jour même, il consulte un médecin qui indique qu’il y a une «fracture probable post luxation» au cinquième doigt droit. Il prescrit le port d’une attelle durant quatre semaines ainsi qu’un arrêt de travail.
[21] Le 27 mai 2009, un autre médecin diagnostique plutôt une contusion de la main droite avec une rupture tendineuse probable au cinquième doigt. Des traitements de physiothérapie et un analgésique sont prescrits. Le travailleur est dirigé en plastie. Une assignation temporaire est acceptée.
[22] Le travailleur consulte le docteur J.-P. Borsanyi, chirurgien plasticien, le 4 juin 2009. Le médecin diagnostique une luxation métacarpo-phalangienne ainsi qu’une déchirure du ligament collatéral radial, au niveau de l’articulation métacarpo-phalangienne, du cinquième doigt droit. Il prescrit un arrêt de travail et des traitements d’ergothérapie.
[23] Le docteur Borsanyi assure le suivi médical régulier du travailleur.
[24] À la demande de l’employeur, le 11 août 2009, le docteur J. Paradis examine le travailleur et produit une évaluation écrite. Tout comme le docteur Borsanyi, il retient le diagnostic de luxation métacarpo-phalangienne de l’auriculaire droit, mais estime que cette lésion est consolidée depuis longtemps. Le temps normal de consolidation pour cette lésion est de deux mois selon lui. La lésion ne nécessite aucun traitement, quoique le docteur Paradis préconise et souligne l’importance de l’usage d’un polytape « dans le but d’éviter un mouvement ou un geste accidentel pour amener le cinquième doigt en déviation cubitale forcée maximale ».
[25] Le 9 septembre 2009, le docteur Borsanyi maintient son diagnostic de luxation et effectue une infiltration.
[26] Mais le 2 novembre 2009, le docteur Borsanyi effectue une première chirurgie, une réparation du ligament collatéral radial, car, à l’exploration chirurgicale, il a pu observer la présence d’une déchirure ligamentaire au cinquième doigt droit.
[27] Dans un rapport complémentaire du 6 novembre 2009, et en réponse à l’avis du docteur Paradis, le docteur Borsanyi parle d’une entorse du ligament collatéral radial. Il indique que le travailleur a eu une chirurgie, mais qu’il présente, lorsque le doigt est en position de flexion à 90 degrés, une nette instabilité à l’articulation métacarpo-phalangienne de l’auriculaire droit, en comparaison avec le gauche.
[28] À la demande de l’employeur, le 24 novembre 2009, le docteur A. Léveillé, plasticien, examine le travailleur. Il préfère retenir le diagnostic de luxation métacarpo-phalangienne de l’auriculaire droit, plutôt que celui d’entorse, en soulignant le fait que la luxation est en réalité l’aboutissement en position extrême d’une entorse.
[29] Compte tenu, entre autres, de la laxité anormale observée, de la douleur persistante, et de l’état de déchirure ligamentaire observée lors de la chirurgie récente de type réparation ligamentaire, le docteur Léveillé estime que la chirurgie qui a été effectuée était indiquée.
[30] Le 28 novembre 2009, le médecin autorise une assignation temporaire.
[31] Le 29 avril 2010, le docteur Borsanyi note que l’instabilité est persistante et prévoit effectuer une « reconstruction ligamentaire ».
[32] Cette deuxième intervention chirurgicale, soit une réparation ligamentaire, sera faite le 9 juin 2010, puis le travailleur aura des traitements d’ergothérapie.
[33] Le 25 août 2010, le docteur Borsanyi maintient son diagnostic de luxation métacarpo-phalangienne du cinquième doigt droit. Il recommande des exercices de renforcement et un suivi six semaines plus tard. Cependant, il note que l’amputation est possible si la condition de s’améliore pas.
[34] Mais, le 6 octobre 2010, le docteur Borsanyi opte plutôt pour une arthrodèse qu’il prévoit effectuer en novembre 2010. Il prescrit un arrêt de travail, le 15 novembre 2010.
[35] Le 23 novembre 2012, le médecin note que le travailleur présente une douleur chronique en raison de la luxation. Malgré deux tentatives de réparation du ligament collatéral du côté radial, le médecin rapporte qu’un craquement au niveau de l’articulation persiste lors de stress en axial et il y a une douleur à la face interne.
[36] Une troisième intervention chirurgicale est donc effectuée ce jour-là, le 23 novembre 2010 : le docteur Borsanyi fixe l’articulation métacarpo-phalangienne par une chirurgie d’arthrodèse.
[37] Dans le protocole opératoire, le docteur Borsanyi décrit qu’il a «exposé la tête du 5ième méta et de la base du P1», puis il a effectué une excision osseuse dans l’angle désiré avec une scie oscillante. Il a effectué une coaptation des deux fragments osseux avec une position d’environ 35-40 degrés de la métacarpo-phalangienne, et ceci, «afin d’obtenir une maximum de poigne sans gêner le port d’un gant ou le passage de la main dans les zones plus étroites lorsqu’il travaille». Puis, à l’aide de trois vis, le médecin procède à une immobilisation de l’articulation, dans l’angle souhaité.
[38] Le tribunal note que la chirurgie d’arthrodèse effectuée le 23 novembre 2010 impliquait nécessairement la création d’une fracture afin de créer l’angle souhaité, puis de fixer, à l’aide de vis, les deux fragments osseux dans un angle fonctionnel.
[39] Incidemment, le médecin a observé une petite fracture du rebord dorsal de la base de la troisième phalange témoignant du traumatisme. Cependant, il prend soin de préciser qu’elle ne cause pas de douleur, celle-ci étant surtout au niveau palmaire et radial.
[40] Le médecin prescrira ensuite une orthèse de protection.
[41] Mais malgré cette intervention de novembre 2010, le 5 janvier 2011, sur une prescription pour de l’ergothérapie, le docteur Borsanyi indique qu’il y a «non union» métacarpo-phalangienne de l’auriculaire droit.
[42] Le 20 janvier 2011, l’ergothérapeute note que le médecin a demandé une «immobilisation complète D4-D5». Une orthèse est alors confectionnée.
[43] Le 2 février 2011, le médecin mentionne qu’il y a eu une arthrodèse récente, mais qu’il n’y a pas assez de cal osseux.
[44] Le 4 mars 2011, le docteur Borsanyi estime qu’il faut reprendre la chirurgie d’arthrodèse.
[45] Le 31 mars 2011, l’ergothérapeute indique qu’une chirurgie pour greffe osseuse est prévue à l’auriculaire droit, car «l’arthrodèse ne fonctionne pas».
[46] Le 19 avril 2011, le docteur Borsanyi effectue une quatrième intervention chirurgicale, une greffe osseuse.
[47] Cette chirurgie sera la dernière au dossier. Le 3 août 2011, le docteur Borsanyi complète un rapport final et consolide la lésion.
[48] Cependant, les notes évolutives de la CSST du 13 septembre 2011 indiquent qu’une exérèse des vis est prévue le 21 septembre 2011 par le docteur Borsanyi. Le 26 septembre 2011, on note que l’exérèse a été effectuée.
[49] Les notes évolutives du 14 novembre 2012 indiquent que le rapport final du docteur Borsanyi fait état de l’existence de limitations fonctionnelles, mais qu’aucun rapport d’évaluation médicale n’a été fait. Cependant, la CSST a rendu une décision d’emploi convenable le 16 décembre 2011 et elle n’a pas été contestée. Le travailleur a débuté un emploi le 19 décembre 2011. La CSST considère que le travailleur a démontré sa capacité à occuper l’emploi convenable.
[50] À ce sujet, le tribunal note que la décision du 4 janvier 2012 indique que l’emploi convenable est disponible, mais que le travailleur aura droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu, laquelle sera révisée dans deux ans.
Position de l’employeur
[51] Le 31 juillet 2012, l’employeur produit une demande de partage de coût en vertu des articles 327 et 31 de la Loi. Il souligne le fait que le travailleur aura subi cinq chirurgies (en incluant celle pour le retrait des vis à l’automne 2011) en un peu plus de deux ans, et que cela a « prolongé et compliqué l’ensemble du dossier ».
[52] L’employeur souligne le fait qu’il y a une complication rapportée peu après la première chirurgie du 2 novembre 2009, puisque le 6 novembre 2009, le docteur Borsanyi rapporte qu’il y a une nette instabilité lors de la mise en tension du ligament avec la métacarpo-phalangienne à 90 degrés.
[53] L’employeur soutient que le fait qu’il y ait eu cinq chirurgies pour une même lésion est tout à fait inhabituel et souligne que le docteur Paradis était d’avis que le délai normal de consolidation était de deux mois seulement. L’employeur constate que ce délai est largement dépassé.
[54] Le 6 décembre 2013, le procureur de l’employeur soumet une argumentation écrite ainsi qu’une opinion médicale sur dossier par le docteur A. Bois, en date du 29 novembre 2013.
[55] Le docteur Bois estime que l’évolution de la lésion professionnelle a été normale jusqu’à la quatrième intervention, la greffe osseuse du 19 avril 2011. Il indique que l’immobilisation, l’ergothérapie et la physiothérapie étaient indiquées en traitement initial, mais qu’il était aussi indiqué que, « face à une évolution négative » le docteur Borsanyi effectue une chirurgie de réparation ligamentaire, le 2 novembre 2009. Étant donné qu’il s’agit d’une chirurgie délicate, « il est toujours possible qu’il y ait en quelque sorte un échec à cette chirurgie. Il y avait donc indication de ré-intervenir le 9 juin 2010 ». Puis, après cette deuxième chirurgie au niveau ligamentaire, il y a eu persistance d’un phénomène douloureux lors de la mobilisation du doigt et, dans ce contexte, le docteur Borsanyi a envisagé la possibilité d’une amputation en absence d’amélioration ou de fixer l’articulation métacarpo-phalangienne par une chirurgie d’arthrodèse, laquelle sera faite le 23 novembre 2010.
[56] Le docteur Bois constate que le protocole opératoire de l’arthrodèse de novembre 2010 est standard. Il est d’avis que, normalement, le tout aurait dû se consolider sur le plan osseux, c’est-à-dire, que les deux os, le métacarpe et la première phalange, donc « le tout aurait dû se souder sans causer une non-union ». L’arthrodèse est « une chirurgie “non négligeable” puisque le chirurgien doit exciser l’ossature, soit la tête du cinquième métacarpien et de la base de la première phalange pour ainsi mettre à vif et rebouter les deux extrémités dans un angle fonctionnel et fixer le tout à l’aide de vis ». Or, selon le docteur Bois, elle aurait dû être « un succès chirurgical ».
[57] Le docteur Bois conclut donc que la non-union de cette arthrodèse qui a été observée par le docteur Borsanyi est la conséquence du traitement ou de la chirurgie du 23 novembre 2010. Il estime qu’il est « inhabituel de voir une telle évolution et plus particulièrement cette malchance en relation avec les suites négatives de la chirurgie du 23 novembre 2010 qui a évolué vers une non-union ou une pseudoarthrose ».
Conclusions du tribunal
[58] Le tribunal ne peut en venir aux mêmes conclusions que le docteur Bois. Il n’y a pas eu ici de nouvelle lésion due au traitement de la lésion professionnelle. Au contraire, les interventions qui ont été effectuées l’ont toutes été dans le cadre du traitement de la lésion professionnelle elle-même.
[59] Le tribunal constate qu’au départ, la lésion professionnelle est une luxation de l’articulation métacarpo-phalangienne, puis une déchirure du ligament collatéral radial, au niveau de l’articulation métacarpo-phalangienne, du cinquième doigt a été observée.
[60] Ces lésions ont ensuite fait l’objet de traitements, parmi lesquels il y a eu des traitements d’ergothérapie et, le 9 septembre 2009, une infiltration.
[61] Mais, la condition du doigt causant toujours problème, le suivi et le traitement se sont poursuivis auprès du docteur Borsanyi, chirurgien plasticien.
[62] Tel que l’a déclaré le docteur Bois lui-même, devant une « évolution négative », il convenait justement d’envisager une chirurgie. Le docteur Borsanyi a décidé d’intervenir chirurgicalement, et a effectué une réparation du ligament, toujours à l’articulation métacarpo-phalangienne, le 2 novembre 2009, puis a repris cette réparation ligamentaire, le 9 juin 2010.
[63] Or, il va de soi qu’un échec chirurgical est toujours possible lors de toute intervention. C’est ce qui s’est passé. Puis, tel que l’a déclaré le docteur Bois, « il est toujours possible » qu’il y ait un échec à une chirurgie et qu’il y ait donc indication de ré-intervenir. Le docteur Bois convient que c’est ce qui s’est produit : suite à l’échec de la première réparation ligamentaire du 2 novembre 2009, il y a eu une deuxième réparation ligamentaire, le 9 juin 2010.
[64] Mais cette deuxième intervention non plus n’a pas eu de succès, puisque des douleurs et des difficultés de mobilisation de l’articulation étaient toujours présentes. En fait, dès le 6 novembre 2009 et en avril 2010, le docteur Borsanyi faisait mention d’une instabilité métacarpo-phalangienne de l’auriculaire droit. Alors une autre modalité de traitement a été envisagée par le docteur Borsanyi qui a même parlé d’une possibilité d’amputation en l’absence d’amélioration. Cependant, il a préféré opter pour une solution radicale, mais moins radicale qu’une amputation, et a prévu de procéder à une arthrodèse.
[65] Tel que l’admet le docteur Bois, jusque-là, donc jusqu’à l’arthrodèse du 23 novembre 2010, il y a rien d’anormal dans le suivi médical et les traitements.
[66] Étonnamment, pour ce qui est de l’effet de l’arthrodèse de novembre 2010 et la nécessité de recourir à une greffe osseuse le 19 avril 2011, le docteur Bois ne tient pas le même raisonnement que celui tenu pour les interventions précédentes.
[67] En ce qui concerne la première réparation ligamentaire, le docteur Bois souligne qu’un échec chirurgical est toujours possible, rendant ainsi nécessaire de ré-intervenir chirurgicalement. Pourtant, en ce qui concerne l’arthrodèse, qui est, convient-il, quand même une chirurgie « non négligeable », le médecin a une tout autre position : il estime cette fois qu’un échec chirurgical n’aurait pas dû se produire, mais que l’arthrodèse « aurait dû être un succès chirurgical ».
[68] Or, le tribunal le répète, un traitement, y compris une intervention chirurgicale, peut réussir tout comme il peut s’avérer un échec. C’est alors que d’autres traitements ou procédures peuvent être envisagés. Tout cela s’inscrit dans le suivi normal d’une lésion, jusqu’à sa consolidation.
[69] Le tribunal est d’avis que c’est ce qui s’est passé en l’instance.
[70] Ainsi, la quatrième chirurgie du 19 avril 2011, pour une greffe osseuse de l’articulation métacarpo-phalangienne, qui correspond au site de lésion initial, a été rendue nécessaire en raison de l’échec du traitement précédent, de l’arthrodèse du 23 novembre 2010.
[71] Or, tel que l’a rappelé la jurisprudence et tel que mentionné plus haut, l’évolution et les conséquences de la lésion initiale ne sont pas visées par les articles 327 et 31 de la Loi. La nouvelle lésion invoquée par un employeur en vertu de ces articles, doit être distincte de la lésion initiale et ne peut être une condition directe et indissociable de la lésion professionnelle ou du traitement qu’elle a nécessité[12].
[72] Ainsi, une complication médicale qui résulte de l’évolution de la lésion elle-même ne peut être assimilée à une blessure ou une maladie au sens de l’article 31 de la Loi. Pour qu’une telle complication réponde aux critères de l’article 31, il faut que « la lésion qui découle des soins reçus pour une lésion professionnelle n’en est pas une conséquence automatique et indissociable et qu’elle constitue plutôt une complication qui ne survient pas dans la majorité des cas » [13].
[73] En l’instance, tout comme l’a fait le docteur Bois, le tribunal note que l’arthrodèse a été envisagée en raison de l’échec des traitements précédents.
[74] Cependant, le tribunal est d’avis qu’il en va de même pour la greffe osseuse. C’est ce que démontrent les faits dans ce dossier.
[75] En effet, les documents médicaux indiquent que, malgré l’arthrodèse de novembre 2010, l’état de « non union » métacarpo-phalangienne de l’auriculaire droit est constaté par le docteur Borsanyi, le 5 janvier 2011. Plus tard, le 2 février 2011, ce médecin rapporte aussi l’insuffisance de cal osseux. Le tribunal est d’avis que, devant cette situation, tout comme il avait envisagé de reprendre la toute première intervention chirurgicale pour la lésion professionnelle, soit la réparation ligamentaire de novembre 2009, le 4 mars 2011, le docteur Borsanyi décide de « reprendre l’arthrodèse » et finira par effectuer une greffe osseuse.
[76] Donc, c’est justement en raison de l’échec de la chirurgie d’arthrodèse, que le docteur Borsanyi a effectué une greffe osseuse : en effet, il n’y avait pas eu suffisamment de formation de cal osseux après l’arthrodèse si bien qu’il y avait non-union métacarpo-phalangienne.
[77] Or, le tribunal ne peut conclure que la «non union» métacarpo-phalangienne constitue une lésion en soi. Il s’agit simplement d’une constatation, d’un fait. En réalité, la non-union métacarpo-phalangienne était déjà présente suite à l’arthrodèse. Elle est simplement demeurée présente.
[78] Car, lors de l’arthrodèse, le docteur Borsanyi est intervenu au niveau osseux. En coupant avec une scie oscillante, il a effectué une coaptation des deux fragments osseux, soit la tête du 5ième métacarpe et la base de la première phalange, qu’il avait préalablement exposés, et ceci, avec une position fonctionnelle de 35-40 degrés.
[79] Le tribunal constate donc qu’il y avait, déjà, et du fait de l’arthrodèse elle-même, une non-union métacarpo-phalangienne.
[80] Cette non-union est donc une conséquence directe, indissociable et même inévitable de l’arthrodèse.
[81] Il ne s’agit certes pas d’une lésion distincte.
[82] On est très loin de la notion de « complication qui ne survient pas dans la majorité des cas. »
[83] Il est vrai qu’au cours des semaines qui suivent une arthrodèse, on s’attend normalement à une formation suffisante de cal osseux pour qu’il y ait union des deux os. Mais cela n’a pas été le cas. Le tribunal est d’avis qu’il s’agit simplement d’une évolution de la lésion elle-même qui n’a pas bien répondu aux différents traitements jusque-là. C’est alors que le plasticien a décidé de recourir à la greffe osseuse, qui a été un succès finalement, puisque le docteur Borsanyi a consolidé la lésion en août 2011.
[84] Ainsi, le tribunal estime que la greffe osseuse, tout comme l’arthrodèse, s’inscrit dans le cadre des différents traitements prodigués au travailleur afin de soigner la lésion professionnelle elle-même.
[85] Dans la série d’interventions, le tribunal y voit simplement une gradation dans les types de traitements utilisés pour la lésion professionnelle, une luxation à l’auriculaire droit et une déchirure du ligament collatéral de l’articulation métacarpo-phalangienne au même doigt.
[86] Quant à l’intervention à l’automne 2011 pour enlever l’instrumentation utilisée lors de l’arthrodèse, soit les vis, il s’agit simplement de la suite de l’arthrodèse. Il n’y a pas eu de nouvelle lésion.
[87] En conclusion, le tribunal estime qu’il y eu une évolution négative d’une lésion professionnelle, malgré les différents traitements et chirurgies. Or, ce genre de situation n’est pas une maladie distincte et n’est pas visée par les articles 31 et 327 de la Loi.
[88] Le tribunal rejette donc la requête de l’employeur.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Ville de Ste-Agathe-des-Monts, l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 février 2013 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’en ce qui concerne la lésion professionnelle que le travailleur a subie le 21 mai 2009, l’employeur n’a pas droit à un transfert des coûts en vertu de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, y compris pour les frais défrayés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail après le 23 novembre 2010 et après le 19 avril 2011.
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Daphné Armand |
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Me François Bouchard |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] RLRQ., c. A-3.001
[2] C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal.
[3] Structures Derek inc., C.L.P. 243582-04-0409, 17 novembre 2004. J.-C. Clément.
[4] Innovabois inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 305095-63-0612, 20 février 2008, J.-P. Arsenault, (citant Roland Boulanger & Cie et Commission de la santé et de la sécurité du travail [2006] CLP 1252).
[5] Innovabois inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée note 4.
[6] Coopérative forestière Haut Plan Vert, C.L.P. 247916-01A-0411, 30 août 2005, R. Arseneau; Accès Formation inc., C.L.P. 281742-61-0502, 7 juin 2006, S. Di Pasquale.
[7] Les entreprises P.P.P., C.L.P. 247534-07-0411, 5 octobre 2005, M. Langlois, révision rejetée, 15 mars 2006, N. Lacroix; Commission scolaire de la Rivière-du-Nord, C.L.P. 297673-07-0609, 1er mars 2007, S. Séguin.
[8] Bombardier Aéronautique, [2002] C.L.P. 525, Bois-Francs inc., C.L.P. 271016-01A-0509, 24 mars 2006, R. Arseneau (sur la déhiscence d’une plaie attribuable aux conséquences inattendues du traitement de la lésion professionnelle initiale, soit l’enlèvement d’une partie des points de suture)
[9] Bombardier Aéronautique, précitée note 11; Bois-Francs inc., précitée note 8.
[10] Précitée note 3; Voir aussi Hyperescon, C.L.P. 328840-63-0709, 11 août 2008, J.-P. Arsenault.
[11] Structures Derek inc., précitée note 3.
[12] Structures Derek inc. Précitée note 3
[13] Structures Derek inc. Précitée note 3.
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