Kacorri c. Commission des lésions professionnelles |
2012 QCCS 1074 |
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Chambre civile |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-064151-114 |
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DATE : |
15 février 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHAEL STOBER, J.C.S. |
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Dila KACORRI Demanderesse |
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c.
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES Défenderesse
et
9182-0266 QUEBEC INC.
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITE AU TRAVAIL Mises en cause |
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JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE |
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[1] Le Tribunal est saisi d’une requête en évocation (révision judiciaire) en vertu de l’article 846 (1) du Code de procédure civile du Québec.
[2] La demanderesse, madame Dila Kacorri, demande au Tribunal de réviser deux décisions rendues par la défenderesse, la Commission des lésions professionnelles, d’abord, en première instance, le 28 juin 2010 (P-1) et ensuite, le 16 février 2011 (P-3), rejetant une requête en révision de la première décision. Les audiences reliées à ces décisions ont été tenues les 14 mai 2010 et 26 novembre 2010 respectivement.
[3] Ces décisions ont été rendues suite aux décisions de la Commission de la santé et de la sécurité au travail, réfutant une relation entre les diagnostics de la condition médicale de Madame Kacorri et un événement, qui a eu lieu à son travail le 4 janvier 2008. Il était aussi question du pourcentage d’atteinte permanente sur son intégrité physique ou psychique.
[4] Le Tribunal doit décider s’il y a lieu de réviser et d’annuler les décisions de la Commission des lésions professionnelles :
- vu l’ordonnance de production, par la Commission (le 14 mai 2010) du rapport du docteur Marc F. Giroux (l’expert mandaté par madame Kacorri et son avocat), nonobstant le refus de son avocat de le produire et par ce fait, soulevant la question si le droit au secret professionnel fut violé;
- vu la référence dans les motifs (décision du 28 juin 2010), à la docteure Élizabeth Fuvel Girodias, l’auteure d’une note d’intervention, relative à l’aspect médical de madame Kacorri, dans le dossier de la CSST, sans preuve directe qu’elle était médecin.
[5] Pour les raisons qui suivent, la requête est rejetée.
LES FAITS
[6] La chronologie des faits et procédures est résumée dans la requête de madame Kacorri, le mémoire de la Commission des lésions professionnelles, ainsi que dans les décisions du 28 juin 2010 et 16 février 2011.
POSITION DES PARTIES
[7] Madame Kacorri, la demanderesse, plaide que les décisions de la Commission des lésions professionnelles doivent être révisées et annulées pour les raisons suivantes :
(i) le rapport d’expertise du docteur Giroux est protégé par le secret professionnel de l’avocat et en ordonnant sa production, nonobstant le refus de son avocat de le produire, la Commission a violé son droit au secret professionnel;
(ii) malgré l’absence de preuve d’un statut comme médecin de Élizabeth Fuvel Girodias, la Commission a référé à sa note d’intervention sur l’aspect médical de madame Kacorri dans le dossier de la CSST.
[8] La défenderesse, Commission des lésions professionnelles (Commission) et la mise en cause, Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST), avancent qu’en annonçant que le docteur Giroux serait entendu par la Commission et son rapport déposé, madame Kacorri a renoncé au secret professionnel de l’avocat et qu’en recherchant la vérité, la Commission était justifiée d’ordonner le dépôt du rapport.
[9] En ce qui concerne la présumée docteure Girodias, la Commission et la CSST soutiennent que la question de ses notes d’intervention, qui ont été considérées par la Commission, est hypothétique, parce que madame Kacorri ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver un lien entre les diagnostics de sa condition médicale et l’événement qui a lieu à son travail le 4 janvier 2008.
[10] Pour les fins de cette requête, madame Kacorri plaide que le critère d’intervention du Tribunal est « la décision correcte »; la CSST et la Commission des lésions professionnelles plaident que le critère approprié est « la décision raisonnable ».
PRINCIPES
[11] Le Tribunal exerce son pouvoir de surveillance et de contrôle ou de révision en vertu des articles 33 , 46 , et 846 du Code de procédure civile du Québec.
[12] Les parties admettent que la Commission a le pouvoir de faire entendre des témoins et de demander le dépôt des documents (article 378 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, faisant référence à la Loi sur les commissions d’enquête).
[13] De plus, les parties admettent qu’un individu qui met en question son état médical renonce à la confidentialité de son dossier médical; Frenette c. Métropolitaine, [1992] 1 R.C.S. 647 , pages 682-683.
[14] Le débat tourne principalement autour de l’expertise médicale d’une tierce personne (docteur Giroux), mandatée par le procureur de madame Kacorri, pour émettre une opinion d’ordre médico-légal. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un dossier médical ou de notes cliniques d’un médecin, ou d’un autre professionnel de la santé dans le cours ordinaire des soins, traitements, examens et consultations, suite à l’événement en question.
[15] Le mandat donné au docteur Giroux est une extension du mandat de l’avocat. Les communications écrites ou orales de l’expert à l’avocat sont protégées par le secret professionnel de l’avocat. Cette confidentialité peut être perdue si la partie qui en bénéficie y renonce; Poulin c. Prat, EYB 1994-64315 (CAQ), par. 17 - 19.
ANALYSE
Le secret professionnel
[16] Considérant que les faits reliés à la question du secret professionnel ne sont pas contestés, le Tribunal entreprend sa propre analyse de cette question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui ne relève pas du domaine d’expertise de la Commission. Le Tribunal applique la norme de contrôle « la décision correcte » pour trancher ce motif et conclut que la décision de la Commission était la bonne.
[17] Le Tribunal souligne que s’il devait faire l’analyse de la question faisant preuve de déférence à la Commission, compte tenu de son expertise, selon la norme de contrôle « la décision raisonnable », la conclusion serait la même; Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S.190, par. 47 - 64.
[18] En faisant sa demande pour des prestations auprès de la CSST et la Commission, madame Kacorri met en question sa condition médicale. Elle doit démontrer un lien entre l’accident de travail et cette condition médicale.
[19] Madame Kacorri a mandaté Me Michel Cyr (son avocat précédent) de la représenter, selon un document signé par elle le 11 décembre 2009. À la même date, Me Cyr a avisé, par écrit, la Commission de son mandat. La Commission, dans une lettre du 14 décembre 2009, a confirmé avoir reçu l’avis du mandat (P-4, pages 265-68). Me Cyr a remplacé Me Vanier qui avait cessé d’occuper (P-4, page 269-70).
[20] Le 18 décembre 2009, Me Cyr, a annoncé dans une lettre à la Commission, sans aucune réserve et en toute connaissance de cause, son intention de faire entendre le témoin docteur Giroux. Madame Kacorri a reçu copie de cette lettre.
[21] Dans cette lettre (P-4, page 276), Me Cyr a écrit :
DEMANDE DE REMISE
Nous comparaissons pour notre cliente, Madame Dila Kacorri, par qui nous sommes mandatés dans ce dossier.
Concernant l’audience qui est prévue le 15 janvier 2010 à 09h00, nous vous demandons de bien vouloir nous accorder une remise puisque notre témoin expert, le docteur Marc F. Giroux, n’est pas disponible à cette date, et qu’il n’aura pas produit son expertise médicale.
Nous avons tenté à plusieurs reprises de communiquer avec l’employeur, mais sans succès. Nous serions donc prêts à procéder le 14 mai 2010, à 09h00 et ce, pour la journée complète. Nous aurons deux témoins experts, soit le docteur Marc F. Giroux ainsi que le docteur Robert Labine, psychiatre.
Espérant le tout conforme, nous vous prions d’accepter, Cher Monsieur, l’expression de nos sentiments les meilleurs.
(Signé)
MICHEL CYR, AVOCAT
MC/mc
c.c. Madame Dila Kacorri
[22] Il est clair que Me Cyr avait déjà consulté le docteur Giroux.
[23] Les seules raisons, appuyant la demande de remise du 15 janvier au 14 mai 2010, ont été la non-disponibilité du témoin-expert, le docteur Giroux, et le fait que son rapport n’était pas produit. Le 21 décembre 2009, la Commission a donc reporté la séance pour ces raisons et a fixé la nouvelle date (P-4, page 278).
[24] Le Tribunal souligne que Me Marchand a comparu, pour madame Kacorri, le 13 mai 2010, la veille de l’audience. Me Cyr avait cessé d’occuper le 19 mars 2010 (P-4, page 285). Le docteur Giroux a examiné madame Kacorri le 18 février 2010.
[25] Me Marchand, le nouvel avocat de madame Kacorri, a décidé de ne pas produire le rapport du docteur Giroux, vu évidemment les conclusions défavorables qui réfutent un lien entre la condition médicale, qualifiée de « préexistante », de madame Kacorri et l’événement du 4 janvier 2008.
[26] Le 14 mai 2010, la Commission s’est réunie, suite à la demande de l’avocat précédent de madame Kacorri, afin d’entendre le docteur Giroux et de prendre connaissance de son rapport. À cette date, devant le refus du nouvel avocat de madame Kacorri, Me Marchand, de produire le rapport d’expertise du docteur Giroux, la Commission en a ordonné le dépôt. Il est à noter qu’aucune objection ou refus de produire ce rapport ne s’est manifesté avant ladite date, de la part de madame Kacorri ou de l’un ou l’autre de ses avocats.
[27] La situation en l’espèce n’est pas restreinte aux parties échangeant des documents ou discutant de divers sujets lors des négociations du dossier. Une remise de l’audience avait été accordée par le corps décideur, la Commission, sur la base d’un engagement d’une partie.
[28] Pour une saine administration de la justice et une bonne gestion des dossiers, la Commission doit être capable de se fier aux engagements des parties et de leurs procureurs.
[29] En présence d’un rapport défavorable, madame Kacorri ne peut désormais se cacher derrière un bouclier, afin de bloquer l’opinion d’un témoin expert, qu’elle s’était déjà engagée à produire devant la Commission. Aucune preuve n’a été présentée devant les instances démontrant que les gestes du premier avocat, Me Cyr, ont été désavoués par madame Kacorri. Selon Me Marchand, aucune mention n’est faite dans le témoignage de sa cliente le 14 mai 2010.
[30] L’existence d’un privilège ne saurait être invoquée pour entraver le processus judiciaire, surtout pas pour faire obstacle à une audience que le titulaire du privilège a lui-même demandée dans un but spécifique; Frenette précité, page 682. Dans les circonstances en l’espèce, le droit au secret professionnel ne doit pas faire obstacle au droit d’obtenir une justice fondée sur la vérité; voir Catherine Mandeville CAIJ vol. 230, page 3.
[31] Le rapport du docteur Giroux est évidemment pertinent et est directement lié à la question en litige devant la Commission.
[32] Le Tribunal est d’avis que madame Kacorri a renoncé au privilège, que ce soit le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif aux documents préparés en vue d’un litige. Les gestes posés par madame Kacorri, la titulaire des privilèges, ou de son avocat, se révèlent incompatibles avec la volonté de préserver le secret professionnel ou plutôt d’éviter la divulgation de l’information confidentielle à être protégée; Glegg c. Smith & Nephew Inc., [2005] 1 R.C.S. 724 , pages 734-735; Fortier Auto c. Brizard, REJB 2000-15774 (CAQ), par. 25 et 29; Poulin c. Prat, précité, par. 21; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319 .
Le titre d’Élizabeth Fuvel Girodias
[33] Il est vrai que les documents produits devant la CSST et la Commission n’identifient pas Élizabeth Fuvel Girodias comme médecin. Tel que plaidé par Me Marchand, l’avocat de madame Kacorri, le Tribunal ne peut prendre connaissance judiciaire de ce fait.
[34] Par contre, l’avocate de la CSST, Me Giard, soutient que durant la séance du 14 mai 2010 (l’audience de la première décision du 28 juin 2010), la Commission a parlé du docteure Girodias devant Me Marchand et ce dernier n’a rien dit à ce sujet. Me Marchand plaide qu’il a soulevé verbalement ce motif le 26 novembre 2010 (l’audience de la deuxième décision du 16 février 2011). Toutefois, selon Me Giard, il ne l’a pas invoqué dans sa requête interne et par conséquent est forclos de le faire devant le Tribunal.
[35] De plus, la note d’intervention d’Élizabeth Fuvel Girodias, intitulée « nouveaux diagnostics », résume le dossier sous la rubrique « aspect médical ». La Commission a tiré l’inférence que les notes proviennent d’un médecin.
[36] Nous sommes en présence d’une question touchant aux faits. Le Tribunal souligne l’existence d’une clause privative (art. 429.59 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles), ainsi que son obligation de faire preuve de déférence à la Commission, compte tenu de son expertise. Selon la norme de contrôle « la décision raisonnable », le Tribunal est d’opinion que la conclusion tirée par la Commission à ce sujet est raisonnable.
CONCLUSIONS
[37] Le Tribunal conclut que :
(i) l’expertise du docteur Giroux n’a pas été obtenue par la Commission en violation du droit au secret professionnel de l’avocat;
(ii) la référence, dans les motifs de la Commission (dans la décision du 28 juin 2010), à la docteure Élizabeth Fuvel Girodias et de sa note d’intervention sur l’aspect médical, relatif à madame Kacorri dans le dossier de la CSST, est raisonnable.
[38] Bien que non nécessaire au jugement, le Tribunal ajoute ce qui suit.
[39] Advenant le cas où la preuve du docteur Giroux et d’Élizabeth Fuvel Girodias n’était pas devant la Commission, le Tribunal souligne et les parties admettent, que devant toutes les instances, madame Kacorri avait toujours le fardeau de prouver par une prépondérance de preuve, le lien entre sa condition médicale et l’événement à son travail du 4 janvier 2008. Elle ne s’est pas déchargée de ce fardeau et à plus forte raison, les décisions sous révision revêtent un caractère raisonnable (voir P-1, par. 62 de la décision du 28 juin 2010).
[40] Le Tribunal ajoute d’ailleurs, que les décisions sous révision possèdent les attributs de la raisonnabilité, tenant compte de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; Dunsmuir, précité, par. 47.
POUR CES RAISONS, LE TRIBUNAL :
[41] REJETTE la requête;
[42] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ MICHAEL STOBER, J.C.S. |
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Me Mathieu Marchand |
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Avocat de la demanderesse, madame Dila Kacorri |
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Me Marie-France Bernier Avocate de la défenderesse, la Commission des lésions professionnelles
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Me Lucille Giard Avocate de la mise en cause, la Commission de la santé et de la sécurité au travail |
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Dates audience : Transcrit et révisé: |
10 et 15 février 2012 22 février 2012
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.