Droit de la famille — 171523 |
2017 QCCS 2885 |
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(Chambre de la famille) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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N° : |
450-12-028345-165 |
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DATE : |
3 juillet 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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M... H... |
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Demanderesse |
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c. |
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J...P... |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Ce jugement porte sur une demande en divorce et, subsidiairement, en annulation de mariage.
[2] Madame a fait un voyage dans un hôtel de Cuba en 2010 et y a fait la rencontre du défendeur, de près de 25 ans son cadet, qui travaillait à l’hôtel comme danseur.
[3] À la suite de cette rencontre, madame se rend à Cuba à tous les trois mois passer quelques jours avec monsieur dans un hôtel, séjours qu’elle défraye en totalité pour eux deux.
[4] Très éprise de monsieur, madame l’épouse à Cuba le 2 décembre 2011 et les démarches en vue de faire immigrer monsieur au Canada sont entreprises dès que possible par la suite. Madame continue à se rendre à Cuba à tous les trois mois. Elle lui paie un cellulaire avec une carte pour appeler au Canada.
[5] Les autorités canadiennes refusent la demande d’immigration de monsieur. Selon la preuve présentée devant le soussigné, ce refus repose essentiellement sur deux motifs qui amènent les autorités de l’immigration à douter de la sincérité du mariage : la différence d’âge entre les époux et la courte période écoulée entre le mariage et la demande d’immigration.
[6] À la suite de cette décision, madame se prévaut d’une procédure qui, selon ce qu’elle a expliqué lors de son témoignage devant le soussigné, lui permet d’être reçue en entrevue par les autorités d’immigration pour donner son point de vue et tenter d’obtenir la révision de la décision. Cette entrevue a lieu et madame tente de convaincre le décideur de l’authenticité du mariage, mais sans succès. La décision de refuser d’autoriser le défendeur à immigrer au Canada n’est pas révisée.
[7] Madame consulte ensuite un avocat spécialisé en immigration qui lui conseille de laisser passer quelques années afin que l’historique du mariage soit suffisamment long pour, à l’occasion d’une seconde demande, convaincre les autorités de son authenticité.
[8] C’est ainsi que madame continue à se rendre à tous les trois mois à Cuba et qu’une nouvelle demande d’immigration est formulée par monsieur en 2014, avec l’aide de l’avocat payé par madame. À cette époque, à l’insu de madame, monsieur entretient une relation intime avec V..., une employée de l’hôtel où il travaille alors à Cuba.
[9] Ce n’est qu’au procès que monsieur reconnaîtra cette relation puisque vis-à-vis madame, qui avait trouvé des traces de cette relation sur facebook[1], monsieur avait toujours nié l’affaire.
[10] Toujours à la fin de 2014, monsieur fait croire à madame vouloir se rendre en Équateur où, dit-il, un cousin pourrait l’aider à immigrer plus facilement au Canada. Il a besoin d’argent pour le billet d’avion et le séjour, argent que madame lui donne. En fait, monsieur s’en va plutôt passer un mois en France. Madame ne le découvrira que plus tard lorsqu’elle sera en mesure de consulter le passeport de monsieur.
[11] Fort de l’assistance de l’avocat payé par madame, monsieur voit sa seconde demande d’immigration acceptée et il immigre au Canada en mars 2015.
[12] Il s’installe chez madame qui habite alors Ville A. Pendant quelques mois, madame estime avoir une vie maritale normale avec monsieur et elle est sous l’impression que c’est là l’intention de monsieur également. Madame paie toutes les dépenses du couple et elle achète une automobile à monsieur.
[13] Au printemps 2015, madame obtient une promotion dans son emploi qui l’amène à travailler à Ville B. Le couple déménage dans cette ville. Monsieur fait la rencontre d’hispanophones avec qui il se lie d’amitié et il s’inscrit à des cours de francisation. Madame continue de pourvoir à tous les besoins du couple.
[14] Après son arrivée à Ville B, le couple se détériore rapidement.
[15] Monsieur sort la nuit pendant que madame dort. Il a des conversations assidues par facebook dont il ne veut rien lui révéler.
[16] Il lui dit occuper un emploi dans un centre de coiffure de Ville C et elle le rencontre, par hasard, dans le stationnement d’une épicerie à Ville B alors qu’il est censé être au travail. Il change sa version, disant qu’il travaille plutôt dans un salon de coiffure à Ville B.
[17] À compter de juin 2016, monsieur s’installe au sous-sol et fait chambre à part. Madame découvre des condoms dans son auto. Par facebook, elle découvre la relation de monsieur avec V.... Comme déjà dit, monsieur nie tout. En août ou septembre 2016, monsieur quitte la résidence de madame. Elle entreprend ses procédures de divorce le 27 septembre 2016.
[18] Jusqu’à ce jour monsieur continue, contre la volonté clairement exprimée de madame, d’utiliser l’adresse de celle-ci en prétendant faussement qu’il s’agit de sa propre adresse résidentielle.
[19] Lorsqu’il est assermenté devant le soussigné, il veut d’abord donner l’adresse de madame et, questionné par le Tribunal qui lui demande de donner plutôt l’adresse où il habite réellement, monsieur ne donne pas de réponse claire.
[20] La demande en divorce est présentée en chambre de pratique devant le soussigné le 8 décembre 2016, pour jugement de divorce du consentement des parties, avec preuve par affidavit.
[21] Les parties ne sont pas présentes et sont toutes deux représentées. Le Tribunal refuse de rendre jugement sur la seule foi des affidavits et demande à entendre les parties.
[22] L’instruction a lieu le 8 mai 217 et chaque partie témoigne. Madame modifie sa demande en divorce pour ajouter des conclusions en annulation du mariage.
[23] À l’issue de l’instruction, le Tribunal émet, à la demande de madame, une ordonnance de sauvegarde donnant acte à l’engagement de monsieur, souscrit devant le tribunal, d’aviser les autorités (SAAQ, agences du Revenu, etc.) qu’il n’habite plus à l’adresse de madame dans un délai de 15 jours.
L’ANALYSE
[24] L’adultère est un motif de divorce et en l’espèce l’adultère commis par monsieur est amplement prouvé. Le Tribunal estime cependant qu’il doit plutôt déclarer nul le mariage s’il vient à la conclusion que l’un des conjoints a contracté ce mariage sans avoir la volonté de faire vie commune, dans le but d’obtenir la citoyenneté canadienne, puisqu’il s’agit là d’une question qui met en cause l’ordre public.
[25] Voice ce qu’écrit la Cour d’appel dans un arrêt du 4 septembre 2015[2] :
[7] La jurisprudence reconnaît que, aux fins de l'article 380 C.c.Q., « le fait, pour un conjoint, de contracter un mariage dans l'unique but d'obtenir la citoyenneté canadienne et où est absente toute volonté de faire vie commune met en cause l'ordre public »[2] et constitue une cause de nullité du mariage. Or, le juge a conclu en l'espèce que l'appelante « a trompé le demandeur au moment du mariage, puisque sa seule et réelle intention n'était pas de vivre maritalement avec lui, mais plutôt d'obtenir un statut de résidente permanente ». Cette détermination est-elle viciée par une erreur manifeste et déterminante qui y ferait obstacle[3]? De l'avis de la Cour, l'appelante ne s'est pas déchargée du fardeau de cette démonstration, qui lui incombait.
[8] Certes, ce n'est pas sans précaution qu'un tribunal en viendra à la conclusion qu'un mariage doit être annulé pour ce genre de raison. Comme le souligne la Cour dans Droit de la famille - 091179[4] :
[36] Parce qu'il concerne une institution fondamentale, le recours en nullité du mariage doit faire l'objet d'un examen particulièrement sérieux pour éviter de dissoudre trop facilement les unions irréfléchies. […]
[9] Qu'un examen sérieux soit requis n'empêche pas que le même standard de preuve - celui de la prépondérance, que prescrit l'article 2804 C.c.Q. - s'applique en cette matière comme dans les autres matières civiles, le législateur n'ayant pas alourdi ses exigences à cet égard. Pareillement, le fait qu'une preuve soit contradictoire (ce qu'elle était ici) ne signifie pas que le juge soit privé de conclure, après analyse, qu'elle penche, par prépondérance, d'un côté plutôt que de l'autre.
[10] En l'occurrence, le juge, considérant tous les éléments qui lui ont été soumis, a statué que la preuve prépondérante allait dans le sens des prétentions de l'intimé et permettait de conclure que l'appelante n'avait jamais eu l'animus requis par le mariage, dont elle s'est servi comme instrument pour entrer au Canada et y obtenir le statut de résidente permanente. La revue de la preuve ne permet pas de défaire cette conclusion, qui repose à la fois sur l'appréciation des témoignages des parties et sur une série de documents, dont, notamment, la pièce P-5, dans laquelle l'appelante, entre autres choses, admet n'avoir aucune intention de venir au Canada et n'avoir « jamais imaginé venir chez toi ». Elle a tenté d'expliquer ce propos par un accès de colère, mais le juge n'a pas cru son explication, du reste fort succincte.
[4] Droit de la famille - 091179, 2009 QCCA 993 (CanLII), paragr. 67.
[26] En l’espèce la preuve prépondérante convainc le Tribunal que le défendeur n’a jamais eu l’intention de faire réellement vie commune, comme mari et femme, avec la demanderesse et qu’il s’est plutôt servi d’elle pour berner les autorités responsables de l’immigration et immigrer au Canada.
[27] Voici les éléments qui amènent le Tribunal à conclure de la sorte par prépondérance de preuve (art. 2804 C.c.Q.).
[28] Le défendeur est un homme de très belle apparence, de 24 ans et 3 mois plus jeune que la demanderesse. Madame tombe authentiquement amoureuse de lui dès la première rencontre. Monsieur s’en rend évidemment compte.
[29] Tous les efforts pour maintenir les fréquentations sont par la suite faits par madame. Monsieur profite de la situation.
[30] Une première demande d’immigration est faite par monsieur rapidement après le mariage. Cette demande est rejetée par les autorités qui selon la preuve ne croient pas à l’authenticité du mariage.
[31] Lors de son témoignage, monsieur tente de faire croire au tribunal que c’est par amour pour madame qu’il a fait le sacrifice d’immigrer au Canada ce qui l’obligeait à abandonner famille et amis. Pourtant, quand en contre-interrogatoire on lui demande s’il retournera vivre à Cuba une fois le divorce prononcé, pour retrouver ainsi sa famille et ses amis, il répond que non au motif qu’il est bien installé ici, lui qui refuse de donner l’adresse où il demeure.
[32] Les motifs qu’il donne pour avoir épousé madame, dans le contexte de l’ensemble de l’affaire, sonnent faux, et particulièrement quand on voit et qu’on entend monsieur témoigner.
[33] Dans Stoneham et Tewkesbury c. Ouellet, la Cour suprême écrit à la page 195[3] :
« Dans une affaire civile où la règle est celle de la prépondérance de la preuve et des probabilités, quand la partie témoigne et qu’elle n’est pas crue, il est possible pour le juge du procès de considérer ses affirmations comme des dénégations et ses dénégations comme des aveux, compte tenu des contradictions, des hésitations, du temps que le témoin met à répondre, de sa mine, des preuves circonstancielles et de l’ensemble de la preuve. Les réponses du témoin tendent alors à établir le contraire de ce que le témoin voudrait que le juge croie. Ainsi, lorsque l’intimé affirme que les frères Wright tenaient des propos injurieux vis-à-vis les autorités municipales, et qu’il nie lorsqu’on lui demande si ce n’était pas plutôt lui qui tenait ces propos aux deux frères pour discréditer les autorités municipales, le premier juge est en mesure de se rendre compte, quelle que soit la réponse, si le coup a porté, et il a le droit d’en tirer des déductions défavorables à l’intimé. »
[34] En l’espèce ce n’est pas à la légère que le soussigné tire sa conclusion à l’effet que le défendeur était animé de motifs impropres pour épouser madame. Cela apparaît clair quand on voit et qu’on entend son témoignage. Les faits subséquents à la célébration du mariage viennent confirmer et renforcer cette conclusion.
[35] Sa relation amoureuse avec V... et l’exploitation financière de madame à laquelle s’est livré monsieur - entre-autre se faire payer un voyage en France chez un ami par madame sous le faux prétexte qu’il s’agirait d’un voyage en Équateur qui faciliterait son immigration ici - vont en ce sens.
[36] L’explication maladroite et malhonnête de ce dernier événement donné par monsieur lors de son témoignage est un modèle du genre ; il aurait, dit-il, appris que son voyage projeté d’un mois en Équateur - aux frais de madame - n’aiderait pas vraiment sa demande d’immigration au Canada. Il a donc décidé d’utiliser l’argent du voyage pour aller plutôt en France, ce qui lui permettrait de démontrer son sérieux auprès de l’Immigration canadienne, du fait qu’il serait sorti de Cuba et ensuite rentrer volontairement par la suite. Cependant, dit-il toujours, cela aurait insécurisé madame s’il lui avait dit qu’il allait en France plutôt qu’en Équateur...
[37] Ayant été profondément éprise du défendeur et ayant englouti toute l’équité de sa résidence dans ses voyages pour le fréquenter à Cuba et dans les démarches pour son immigration, la demanderesse a voulu croire que le défendeur l’aimait réellement. Ce n’est qu’à l’audience qu’elle a eu la confirmation par monsieur de sa relation à Cuba avec V..., relation que monsieur avait toujours nié jusqu’à ce jour. C’est aussi uniquement à l’audience que monsieur a fourni une explication, aussi boiteuse que fausse, pour avoir utilisé l’argent que lui donnait madame pour aller en Équateur - et ainsi prétendument faciliter sa demande d’immigration au Canada - pour aller plutôt en France chez un « ami ».
[38] Il aura également fallu l’intervention du Tribunal pour que monsieur consente finalement à cesser d’utiliser faussement l’adresse résidentielle de madame comme étant la sienne.
[39] Le Tribunal est conscient qu’une personne peut avoir l’animus nécessaire lors du mariage et le perdre ensuite, l’amour n’était souvent pas éternel. Ce n’est cependant pas ce qui s’est produit en l’espèce.
[40] L’ensemble des faits comporte suffisamment d’indices graves, précis et concordants pour conclure par prépondérance de preuve qu’au moment où il a épousé madame à Cuba le 2 décembre 2011, monsieur n’avait pas l’animus nécessaire au mariage et qu’il a contracté mariage dans le seul but de berner les autorités de l’Immigration afin d’immigrer au Canada.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[41] DÉCLARE nul à toutes fins que de droit le mariage intervenu entre les parties à Santa Marta, Cardenas, Cuba le 2 décembre 2011 ;
[42] DÉCLARE que le défendeur était de mauvaise foi en contractant ce mariage ;
[43] DÉCLARE qu’il n’y a pas eu constitution d’un patrimoine familial et que chaque partie demeure propriétaire des biens lui appartenant ;
[44] DÉCLARE qu’il n’y aura pas de partage ni des REER ni de Fonds de pension ni des gains inscrits au nom de chacune des parties du Régime des rentes du Québec ;
[45] DÉCLARE que la demanderesse n’a aucune obligation alimentaire à l’endroit du défendeur ;
[46] ORDONNE au défendeur de cesser d’utiliser l’adresse de la demanderesse ;
[47] ORDONNE au défendeur de poser tous les gestes nécessaires pour faire modifier les registres de la SAAQ, de la RAMQ, des agences du Revenu du Canada et du Québec, ainsi que de tout autre organisme, en conséquence.
[48] LE TOUT, avec les frais de justice contre le défendeur.
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__________________________________ CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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Me Céline Audet-Otis |
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Therrien Couture Avocats |
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Procureure de la demanderesse |
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Me Juliana Rodriguez |
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Gagnon Rodriguez Avocats |
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Procureure du défendeur |
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Dates d’audience : |
8 décembre 2016 et 8 mai 2017 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.