Immo Excellence et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2013 QCCLP 5824 |
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[1] Le 19 octobre 2012, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 2 octobre 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 18 juin 2012 et déclare qu’elle est justifiée d’ajouter au dossier de l’employeur les unités 80020 et 90010, et ce, à compter du 1er janvier 2011. Elle conclut qu’elle pouvait déterminer à nouveau la classification de l’employeur pour les années 2011 et 2012.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme les 27 novembre 2012 et 20 juin 2013. Monsieur Pascal Séguin est présent pour l’employeur, Immo Excellence, qui est représenté par Me Madeleine Leduc. Madame Diane Pelletier est présente pour la CSST qui est représentée par Me Mathieu Perron.
[4] Le tribunal accorde un délai à la CSST afin qu’elle évalue sa position quant aux dossiers 436019 et 474807. Me Perron transmet une lettre, le 30 août 2013, avisant le tribunal qu’il y a lieu de mettre le dossier 485536 en délibéré et que les deux autres dossiers feront l’objet d’une conciliation. Le tribunal met le dossier en délibéré à compter de cette date.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande de déclarer que les personnes visées, soit Richard Boileau, Entreprises Griffin, Michel Charron, Richard Labelle, Planchers Michka, François Cadieux et André Jorges Ellias sont des employeurs ou des travailleurs autonomes et qu’il n’est pas tenu d’inclure le salaire de ceux-ci dans sa déclaration de la masse salariale. La CSST considère que le tribunal a compétence pour se prononcer sur cette question malgré l’absence d’une contestation de l’avis de cotisation du 27 juin 2012.
[6] Par ailleurs, la CSST admet que JD Rénovation, Réno-Brio, Frédérick Dumais et Robert Brokaert sont des employeurs et que l’employeur n’est pas tenu d’inclure les montants alloués à ceux-ci dans sa déclaration de la masse salariale.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si les personnes visées œuvrant chez l’employeur sont des travailleurs, des travailleurs autonomes ou des employeurs et si l’employeur doit inclure la rémunération versée à ces personnes dans sa déclaration de la masse salariale.
[8] L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) définit ainsi un travailleur :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage, à l'exclusion:
1° du domestique;
2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;
4° du dirigeant d’une personne morale quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale;
5° de la personne physique lorsqu’elle agit à titre de ressource de type familial ou de ressource intermédiaire;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[9] Par ailleurs, un travailleur autonome est défini ainsi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« travailleur autonome » : une personne physique qui fait affaires pour son propre compte, seule ou en société, et qui n'a pas de travailleur à son emploi.
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[10] Enfin, l’article 9 de la loi prévoit certaines situations où un travailleur autonome peut être considéré ou non comme un travailleur employé par un employeur. Cet article est libellé comme suit :
9. Le travailleur autonome qui, dans le cours de ses affaires, exerce pour une personne des activités similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l'établissement de cette personne est considéré un travailleur à l'emploi de celle-ci, sauf :
1° s'il exerce ces activités :
a) simultanément pour plusieurs personnes;
b) dans le cadre d'un échange de services, rémunérés ou non, avec un autre travailleur autonome exerçant des activités semblables;
c) pour plusieurs personnes à tour de rôle, qu'il fournit l'équipement requis et que les travaux pour chaque personne sont de courte durée; ou
2° s'il s'agit d'activités qui ne sont que sporadiquement requises par la personne qui retient ses services.
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1985, c. 6, a. 9.
[11] L’employeur est une entreprise de rénovation et construction après sinistre qui est classée dans l’unité 80110 Travaux de charpenterie; travaux de menuiserie; travaux de systèmes intérieurs; travaux de peinture; pose de revêtements souples; pose du marbre, du granit, de la céramique ou du terrazzo; travaux de plâtrage ou de tirage de joints; travaux d’isolation.
[12] La CSST rend une décision le 18 juin 2012 à la suite d’une vérification. Elle détermine de nouveau la classification de l’employeur et ajoute les unités de classification 80020 et 90010.
[13] L’employeur demande la révision de cette décision par une lettre datée du 17 juillet 2012 qui se lit comme suit :
La compagnie demande la révision administrative de la décision il n’a aucun salarié à son emploi. La cotisation est non fondée en faits et en droit car ce sont tous des sous traitants qui contractent avec d’autres entrepreneurs. Immo Excellence est une compagnie qui traite avec un ensemble de sous traitants qui eux-mêmes traitent avec d’autres compagnies ayant la même expertise. [sic]
[14] Le 2 octobre 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative et confirme celle rendue le 18 juin 2012. Elle conclut qu’elle pouvait déterminer à nouveau la classification de l’employeur pour les années 2011 et 2012 et qu’elle était justifiée d’ajouter au dossier de l’employeur les unités 80020 et 90010, et ce, à compter du 1er janvier 2011.
[15] Lors de l’audience, monsieur Pascal Séguin témoigne à la demande de l’employeur. Il est le président fondateur de Immo Excellence qui existe depuis 2008. Au début, l’employeur s’occupe de la gestion de projets en autoconstruction, puis il se spécialise dans la rénovation après sinistre. En 2009, il achète une franchise GUS (Groupe urgence sinistre) avec Mario Charron. Il a présentement 19 employés qui exercent les fonctions d’administration, de chargés de projets, dans les opérations et des techniciens en urgence. Il n’a pas de travailleurs de la construction à son emploi.
[16] Il explique le fonctionnement de son entreprise. D’abord, il survient un sinistre chez un éventuel client qui contacte sa compagnie d’assurance. Un expert en sinistre est mandaté par la compagnie d’assurance. Cette dernière le contacte ensuite pour que l’entreprise fasse une estimation des dommages. Il monte un devis avec photos des tâches à réaliser. Si le client ne connaît pas de compagnie pouvant réaliser les travaux, il offre ses services. Si le client est d’accord pour que l’employeur réalise les travaux, il prend entente avec lui pour établir un calendrier.
[17] Son associé, Mario Charron, s’occupe de contacter les corps de métiers afin de coordonner les divers travaux. Son entreprise prend une commission de 30 % sur les devis. Elle s’assure que les travaux ont bien été réalisés conformément aux devis. L’employeur s’assure que l’entreprise choisie pour réaliser les travaux a une licence de la Régie du bâtiment du Québec, possède une assurance responsabilité et a un système de facturation.
[18] Il décrit les fonctions des personnes visées dans le présent dossier. D’abord, Michel Charron, un spécialiste en tirage de joints qui a sa propre entreprise. Monsieur Charron fournit ses outils et les matériaux et il produit une facture à l’employeur en conséquence. Il ne surveille pas les travaux effectués, mais ajoute que l’employeur a la responsabilité de l’ensemble des travaux exécutés. Il mentionne que monsieur Charron peut se faire remplacer par une autre personne.
[19] Monsieur Richard Labelle est un entrepreneur qui a un employé, nommé Victor, qui travaille avec lui. Il lui fournit le devis pour qu’il exécute les travaux. Il a vu monsieur Labelle travailler avec son employé.
[20] Monsieur Richard Boileau engage un employé qui s’appelle Christian. Il lui fournit le devis et l’employeur prend une commission de 30 %. Monsieur Boileau fournit les matériaux et les outils. Il mentionne qu’il ne fait plus affaire avec monsieur Boileau et monsieur Labelle.
[21] Entreprises Griffin est une entreprise de peinture opérée par monsieur Francis Griffin. Il fournit son matériel et n’est pas toujours disponible pour effectuer des tâches, car il a d’autres clients.
[22] Plancher Michka est une entreprise spécialisée dans la pose, le sablage ainsi que le vernissage de planchers et d’escaliers. Monsieur Michel Duguay exploite cette entreprise et il a deux ou trois employés et l’employeur ne lui fournit pas d’équipements. Il a vu monsieur Duguay travailler avec ses employés.
[23] Monsieur François Cadieux fait de la rénovation générale et opère sous le nom de François Cadieux Rénovation. Il exécute des travaux clé en main. Il fait le devis en entier et travaille avec son frère Stéphane.
[24] Monsieur André Jorge Ellias est un tireur de joints qui exécute de petits travaux. Il produit une facture à l’employeur pour les travaux accomplis.
[25] Monsieur Séguin mentionne qu’habituellement, l’employeur ne s’ingère pas dans l’horaire de travail des diverses personnes qu’il engage pour réaliser les travaux. Il demande toutefois de respecter l’entente avec le sinistré. Il ajoute qu’environ 80 % des matériaux sont fournis par les sous-traitants. Par contre, lors de plus gros travaux, il peut faire livrer certains matériaux directement sur le chantier.
[26] Il affirme que les personnes visées travaillent aussi pour d’autres et qu’elles peuvent travailler pour un concurrent. Il arrive parfois que ces personnes ne soient pas disponibles. Il ne fournit pas d’outils à ses sous-traitants. Chaque chantier dure environ de cinq à dix jours. Les sous-traitants n’ont pas d’avantages sociaux de l’employeur et paient une assurance responsabilité. Parmi les personnes visées, seul François Cadieux a le logo de l’employeur sur sa remorque. L’employeur lui octroie un montant pour cette publicité.
[27] Monsieur Michel Charron témoigne à la demande de l’employeur. Il est plâtrier depuis l’âge de 52 ans. Il a un numéro de TPS et de TVQ. Il a quelques clients et ne travaille pas exclusivement pour l’employeur. Il fournit souvent son matériel et facture ensuite le client. Il possède ses outils. Il n’a pas d’assurance responsabilité. Il travaille seul et n’engage pas d’employés. Il évalue son chiffre d’affaires à environ 50 000 $ par année. Il peut facturer un client à l’heure ou à forfait. Il travaille environ 45 semaines par année. Il gère son temps et peut commencer et finir sa journée à l’heure qu’il désire.
[28] Monsieur François Cadieux témoigne à la demande de l’employeur. Il est propriétaire depuis deux ans et demi de François Cadieux Rénovation. Il exécute des travaux à la suite d’un sinistre. Il fournit ses outils ainsi que les matériaux. Il peut faire des travaux pour des particuliers. Il détient une assurance responsabilité et n’a pas d’avantages sociaux de l’employeur. Il travaille seul ou avec une autre entreprise, Gestion Pro Immeuble, qui est exploitée par son frère. Avec ce dernier, ils font les travaux à deux lorsqu’il a un devis provenant de l’employeur. Il n’est pas membre de la Régie du bâtiment du Québec. Il n’engage pas de salariés. Son chiffre d’affaires est de 40 000 $ par année.
[29] Monsieur Cadieux estime que 70 % de son chiffre d’affaires provient de l’employeur. Il ne reçoit pas de directives de la part de l’employeur quant à son horaire de travail. Il lui arrive de refuser un contrat de l’employeur, car il n’est pas disponible. L’employeur ne vérifie pas son travail et il ne reçoit pas de directives quant à la façon de travailler.
[30] Monsieur Stéphane Cadieux témoigne à la demande de l’employeur. Il est entrepreneur en rénovation depuis deux ans. Son entreprise est Gestion Pro-Immeuble. Il est en processus pour obtenir une licence de la Régie du bâtiment du Québec. Lorsqu’il obtient un devis de l’employeur, il fait le travail demandé et fournit ses outils et les matériaux. Son chiffre d’affaires se situe entre 50 000 $ à 60 000 $ par année. Il détient une assurance responsabilité. Il n’a pas d’horaire de travail à respecter et ne reçoit pas de directives de l’employeur. Lorsque les travaux sont terminés, l’employeur vérifie si tout a été fait. Il estime que 75 % de son chiffre d’affaires provient de l’employeur.
[31] Monsieur Francis Griffin témoigne à la demande de l’employeur. Il est entrepreneur-peintre depuis 1989. Il a un numéro de TPS et de TVQ depuis 1992. Lorsqu’il a un contrat avec l’employeur, il doit réaliser le travail durant une certaine période. Il fournit tout le matériel. Il arrive parfois qu’un client fournisse la peinture. Il n’a pas d’employés avec lui. Il détient une assurance responsabilité.
[32] Il ajoute qu’il a d’autres clients que l’employeur. Il estime que le tiers de son chiffre d’affaires provient de l’employeur. Il établit son horaire de travail en fonction des besoins du client. Les seules directives proviennent du devis de travail qu’il doit respecter. Il travaille durant toute l’année.
[33] Madame Diane Pelletier témoigne à la demande de la CSST. Elle est vérificatrice pour la CSST depuis 1998. En mars 2012, elle prend rendez-vous avec la comptable externe de l’employeur, madame Nathalie Bourgeois, afin de procéder à une vérification. Elle constate qu’il y a des travailleurs et des travailleurs autonomes, dont la masse salariale devrait être incluse dans la déclaration de l’employeur. Elle a aussi constaté qu’il y a des sous-traitants qui ont des entreprises incorporées. Celles-ci n’ont pas fait l’objet d’un avis de cotisation à l’employeur.
[34] Elle a contacté monsieur Séguin pour remplir un questionnaire afin d’établir s’il s’agissait de travailleurs ou de travailleurs autonomes. Elle constate que ce ne sont pas des entreprises détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec. Son enquête n’a pas permis de démontrer que Plancher Michka, Richard Boileau et Richard Labelle engageaient des travailleurs. De plus, ces personnes n’ont pas déclaré avoir des employés à la CSST.
[35] Elle mentionne que les personnes visées dans le présent dossier ne sont pas incorporées. Elle ajoute qu’à partir du moment où une personne a un employé, il agit alors comme employeur et sa masse salariale n’a pas à être ajoutée à celle de l’employeur aux fins de cotisation.
[36] Madame Pelletier indique qu’elle a identifié certaines personnes comme étant des travailleurs, car elles reçoivent un salaire horaire et leur gilet est identifié à l’employeur. De plus, elle a tenu compte des réponses de l’employeur au questionnaire. Elle n’a pas vu travailler ces personnes. Elle a considéré d’autres personnes comme étant des travailleurs autonomes, car elles fournissent des matériaux et ne reçoivent pas d’avantages sociaux. Elle n’a pas interrogé les travailleurs visés.
[37] Le tribunal doit analyser, dans un premier temps, si certaines des personnes visées sont des employeurs. Par la suite, le tribunal analysera si ces personnes sont des travailleurs ou des travailleurs autonomes.
[38] Le tribunal retient de la preuve que Richard Boileau, Richard Labelle et Plancher Michka engagent au moins un salarié. La CSST n’a pas interrogé ces personnes et le fait qu’elles ne déclarent pas de salaires ne démontre pas nécessairement qu’elles n’engagent pas de salariés pour réaliser certaines tâches. Monsieur Séguin a vu ces personnes travailler et il a constaté qu’elles travaillaient avec au moins une autre personne.
[39] Dans ce contexte, le tribunal ne peut que retenir qu’il s’agit d’employeurs et que la masse salariale de ces personnes ne peut être ajoutée à celle de l’employeur aux fins de cotisation. Le tribunal conclut que Immo Excellence ne doit pas être cotisé sur les salaires des travailleurs employés par Plancher Michka, Richard Boileau et Richard Labelle.
[40] Par ailleurs, la CSST a admis que certaines personnes étaient maintenant considérées comme des employeurs. Il y a donc lieu de conclure que Immo Excellence ne doit pas être cotisé sur les salaires des travailleurs employés par JD Rénovation, Réno-Brio, Frédérick Dumais et Robert Brokaert.
[41] Il y a lieu maintenant d’analyser si les autres personnes sont des travailleurs ou des travailleurs autonomes.
[42] Dans l’affaire Bédard et Gestion immobilière Majorie inc.[2], la Commission des lésions professionnelles rappelle que la différence entre ces deux catégories de travailleurs réside dans l’existence ou non d’un contrat de louage de services personnels et précise les critères qui doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si nous sommes en présence d’un tel contrat. Le tribunal retient ceci de cette décision :
[39] La différence essentielle entre le travailleur et le travailleur autonome réside dans l’existence d’un contrat de louage de services personnels entre le travailleur et l’employeur. De son côté, le travailleur autonome travaille pour son propre compte et il est généralement lié à ses clients par un autre type de contrat, soit un contrat d’entreprise. C’est donc par la qualification du contrat ayant cours entre les deux parties que le statut d’une personne peut être déterminé.5
[40] L’existence ou l’absence d’un contrat de louage de services personnels s’évalue en fonction de certains critères comme le lien de subordination, le mode de rémunération, les risques de pertes ou de profits et la propriété des outils et du matériel nécessaires à l’accomplissement des tâches.
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5. Poulin et Ferme St-Hilaire et CSST, C.L.P., no 145788-03B-0009, 29 janvier 2001, Me P. Brazeau.
[43] Par ailleurs, l’article 2085 du Code civil du Québec[3] définit le contrat de travail tandis que les articles 2098 et 2099 traitent du contrat d’entreprise ou de service. Ces articles sont libellés comme suit :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
1991, c. 64, a. 2085.
2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.
1991, c. 64, a. 2098.
2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.
1991, c. 64, a. 2099.
[44] Selon l’auteur Robert P. Gagnon[4], l’article 2085 du Code civil du Québec[5] identifie les trois éléments constituant un contrat de travail, soit le travail, la rémunération et la subordination.
[45] Dans l’affaire Dicom Express inc. c. Paiement[6], la Cour d’appel du Québec indique que le lien de subordination juridique doit être considéré avec souplesse, en tenant compte de la nature des fonctions et du contexte où elles sont effectuées. Le tribunal retient ceci de cette décision :
[17] La notion de subordination juridique contient l’idée d’une dépendance hiérarchique, ce qui inclut le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements. La subordination ne sera pas la même et surtout ne s’exercera pas de la même façon selon le niveau hiérarchique de l’employé, l’étendue de ses compétences, la complexité et l’amplitude des tâches qui lui sont confiées, la nature du produit ou du service offert, le contexte dans lequel la fonction est exercée. L’examen de chaque situation reste individuel et l’analyse doit être faite dans une perspective globale.
[46] Dans le présent dossier, il appert que les personnes visées exercent un travail et reçoivent un montant correspondant à celui prévu au devis en soustrayant 30 %.
[47] Toutefois, la preuve ne démontre pas qu’il y a présence d’un lien de subordination entre ces personnes et l’employeur. L’employeur n’exerce pas une direction envers ces personnes, il ne leur donne pas d’ordres ou de directives et elles sont libres d’effectuer leur travail à leur façon. L’employeur ne fait que retenir leur service afin d’exécuter les travaux prévus au devis. Il peut vérifier le travail exécuté à la fin des travaux, mais il n’exerce pas de supervision envers ces personnes. Ces dernières sont libres de leur horaire de travail, et ce, en tenant compte des besoins des sinistrés.
[48] L’employeur ne fournit pas d’outils à ces personnes. Habituellement, elles ont leurs matériaux pour réaliser les travaux. Enfin, l’employeur n’assume pas d’assurance responsabilité et ne leur donne pas d’avantages sociaux.
[49] Le tribunal conclut donc que Michel Charron, André Jorges Ellias, Entreprises Griffin et François Cadieux ne sont pas des travailleurs au sens de l’article 2 de la loi. Il y a lieu de conclure que ce sont des travailleurs autonomes selon la définition de ce même article.
[50] Le tribunal doit maintenant analyser si ces quatre personnes peuvent être considérées être des travailleurs employés par l’employeur en vertu de l’article 9 de la loi.
[51] Dans l’affaire Construction et rénovation EMH inc. et Commission de la santé et sécurité du travail[7], la Commission des lésions professionnelles a fait une revue de la jurisprudence sur la question des activités similaires ou connexes exercées par un travailleur autonome dans un établissement. Le tribunal retient ceci de cette affaire :
[20] La Commission des lésions professionnelles constate, à la lecture de ces jurisprudences, que la notion d’activités connexes ou similaires trouve son assise dans le fait que l’activité visée est nécessaire au maintien de l’entreprise. Dans chacun des cas, si l’activité effectuée par le prétendu travailleur autonome ne l’était pas en réalité, l’entreprise verrait son existence mise en péril. L’activité constitue donc l’essence même de l’entreprise. Il en est ainsi pour les entreprises de couture qui se verraient bien mal en point sans ses couturières, pour l’entreprise de spectacles sans ses techniciens de scène, pour la compagnie de construction sans ses travailleurs de chantier, pour l’entreprise de spectacles érotiques sans ses modèles et, enfin, pour l’entreprise forestière sans ses bûcherons. Mais qu’en est-il du cas sous étude?
[52] Dans l’affaire Salon chez Christine et Commission de la santé et de la sécurité du travail[8], la Commission des lésions professionnelles a conclu que des coiffeuses exercent des activités similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l’établissement de l’employeur, un salon de coiffure.
[53] Dans l’affaire Chalet du boisé Varennois inc. et CSST[9], la Commission des lésions professionnelles a décidé que des massothérapeutes étaient des travailleurs autonomes qui doivent être considérés comme étant des travailleurs qui travaillent pour un employeur. La Commission des lésions professionnelles considère que les activités de ces travailleurs autonomes font partie de l’ensemble des activités de l’entreprise qui ne seraient pas complètes sans celles-ci.
[54] Dans le présent dossier, le tribunal considère que les activités exercées par les travailleurs autonomes visés sont essentielles pour l’employeur. Il s’agit d’une entreprise qui se spécialise dans la construction et la rénovation après sinistre. Les travaux effectués par ces personnes font partie intégrante de l’entreprise. Il s’agit d’une activité essentielle à l’employeur et elle ne serait pas complète sans elle.
[55] Il s’agit d’une activité qui constitue l’essence même de l’entreprise et d’une situation où l’employeur verrait son existence mise en péril.
[56] Le tribunal conclut que les activités exercées par les travailleurs autonomes visés sont similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l’établissement de l’employeur.
[57] Il y a lieu d’analyser si une des exceptions prévues à l’article 9 de la loi peut trouver application. Le travailleur autonome ne sera pas considéré comme un travailleur employé par un employeur s’il exerce ses activités dans l’une des conditions suivantes :
1. « simultanément » pour plusieurs personnes;
2. dans le cadre d'un « échange de services », rémunéré ou non, avec un autre travailleur autonome exerçant des activités semblables;
3. pour « plusieurs personnes à tour de rôle », qu'il « fournit l'équipement requis » et que les travaux pour chaque personne sont de « courte durée »; ou
4. s'il s'agit d'activités qui ne sont que « sporadiquement requises » par la personne qui retient ses services ».
[58] Il ne peut manifestement pas s’agir de l’exception prévue au premier alinéa puisque les travailleurs autonomes n’exercent pas leur activité simultanément pour plusieurs personnes. Il ne peut s’agir d’activités successives pour que cette exception puisse s’appliquer[10].
[59] Par ailleurs, il ne peut non plus s’agir de la deuxième exception puisqu’il n’a pas été question d’un échange de service dans le présent dossier.
[60] Il y a lieu de s’interroger sur la troisième et la quatrième exception puisque les travailleurs autonomes visés exerçaient leur métier pour d’autres clients que l’employeur. De plus, ces personnes fournissaient leurs outils. Toutefois, le travail exercé doit aussi être de courte durée.
[61] Or, dans le présent dossier, les activités des travailleurs autonomes Michel Charron , Entreprises Griffin et François Cadieux étaient régulières pour l’employeur. Monsieur Charron réalise la majorité de son chiffre d’affaires de 50 000 $ par année chez l’employeur tandis que Entreprises Griffin réalise 33 % de ses activités chez l’employeur. Un montant de plus de 20 000 $ a été facturé par Entreprises Griffin à l’employeur pour l’année 2011. Comme il s’agissait de travaux de peinture, 90 % de ce montant a été considéré comme étant du salaire. Du côté de François Cadieux, ce dernier a facturé plus de 50 000 $ à l’employeur en 2011 et il réalise 70 % de son chiffre d’affaires chez l’employeur.
[62] Il ne s’agit manifestement pas d’activités qui sont de courtes durées pour ces trois travailleurs autonomes.
[63] Selon le questionnaire et la grille d’analyse de la CSST afin de déterminer le statut d’une personne physique, la CSST considère qu’un travailleur autonome exerce des travaux de courte durée s’il travaille moins de 60 jours ouvrables, soit 420 heures dans une année, pour une entreprise concernée.
[64] Dans le présent dossier, il appert que les trois travailleurs autonomes visés effectuaient beaucoup plus que 420 heures par année pour l’employeur.
[65] Le tribunal est donc d’avis que les troisième et quatrième exceptions prévues à l’article 9 de la loi ne peuvent pas s’appliquer à la situation des travailleurs autonomes Michel Charron, Entreprises Griffin et François Cadieux. Le tribunal conclut que Immo Excellence doit être cotisé sur les salaires des travailleurs autonomes Michel Charron, Entreprises Griffin et François Cadieux.
[66] Par contre, pour ce qui est du travailleur autonome André Jorges Ellias, il appert que ce dernier a facturé à l’employeur un montant de 780 $ pour l’année 2011. Ce dernier exerçait donc un travail de courte durée pour l’employeur ou à tout le moins, il s’agissait d’une activité sporadique. Dans ce contexte, l’employeur ne doit pas être cotisé sur le salaire versé au travailleur autonome André Jorges Ellias.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de Immo Excellence, l’employeur, du 19 octobre 2012;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 2 octobre 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Immo Excellence ne doit pas être cotisé sur les montants alloués à JD Rénovation, Réno-Brio, Frédérick Dumais et Robert Brokaert;
DÉCLARE que Immo Excellence ne doit pas être cotisé sur les montants alloués à Plancher Michka, Richard Boileau et Richard Labelle;
DÉCLARE que André Jorges Ellias, Michel Charron, Entreprises Griffin et François Cadieux sont des travailleurs autonomes employés par l’employeur;
DÉCLARE que Immo Excellence ne doit pas être cotisé sur le montant alloué au travailleur autonome André Jorges Ellias;
DÉCLARE que Immo Excellence doit être cotisé sur les montants alloués aux travailleurs autonomes Michel Charron, Entreprises Griffin et François Cadieux;
DÉCLARE que les montants alloués aux travailleurs autonomes Michel Charron, Entreprises Griffin et François Cadieux doivent être ajoutés à la déclaration de la masse salariale de l’employeur.
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Michel Lalonde |
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Me Madeleine Leduc |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Mathieu Perron |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C.L.P. 163113-04-0106, 20 décembre 2001, S. Sénéchal.
[3] L.Q. 1991, c. 64.
[4] Robert P. GAGNON et autres, Le droit du travail du Québec, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, 972 p.
[5] Précitée, note 3.
[6] Dicom Express inc. c. Paiement, 2009 QCCA 611.
[7] C.L.P. 325280-03B-0708, 3 juin 2008, M. Cusson.
[8] C.L.P. 367191-07-0812, 20 août 2009, S. Séguin.
[9] [2009] C.L.P. 719.
[10] Voir Les Entreprises Pierre Boivin et CSST, C.L.P. 200056-64-0302, 20 avril 2004, R. Daniel.
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