Syndicat du préhospitalier CSN c. Flynn

2019 QCCS 2481

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC 

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

 :

500-17-101209-172

 

 

 

DATE :

18 mars 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE NOLLET, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

SYNDICAT DU PRÉHOSPITALIER CSN

Demandeur

c.

MAUREEN FLYNN

Défenderesse

Et

CORPORATION D’URGENCES-SANTÉ

           Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]   Alors qu’une convention collective en place décrète que le port de l’uniforme est obligatoire pour les ambulanciers, ceux-ci insatisfaits des horaires de travail, organisent des moyens de visibilité qui touchent leur uniforme. Un arbitre fait droit aux griefs de l’Employeur. Le Syndicat se pourvoit en contrôle judiciaire faisant valoir son droit d’exercer des actions collectives dans le cadre du droit d’association et le droit fondamental à la liberté d’expression, même en cours de convention collective.

                        LE CONTEXTE

[2]   En janvier 2013, les salariés d’Urgences-santé (l’Employeur) sont en grève, leur convention collective est échue et en cours de renégociation. Ils sont représentés par le Syndicat du Préhospitalier CSN (le Syndicat).

[3]   Un accord intervient éventuellement suite auquel le Syndicat tient des assemblées syndicales pour présenter certains éléments de l’aménagement des nouveaux horaires.

[4]   Après ces assemblées, le Syndicat publie un communiqué [1]:

Suite aux deux assemblées du 21 et 22 février 2013. L'assemblée a pris la décision à 67,6% de rester sur les horaires 2012 et de participer aux travaux concernant la refonte des horaires entre le Syndicat du Préhospitalier et la direction de la corporation d'Urgences-santé

Prenez note qu'un mandat de moyens de pression a été voté en assemblée et pourra être appliqué, au moment jugé opportun.

[5]   En mars 2013, l’Employeur présente les patrons d’horaire qui ne correspondent pas au mandat obtenu par le Syndicat.

[6]   Les parties négocient une lettre d’entente[2] qui prévoit la mise sur pied d’un comité tripartite (Employeur, Syndicat et MSSS), dont le mandat est d'analyser I ’organisation du travail et les défis de main d'œuvre. Elle contient la clause suivante :

La présente lettre d'entente fait partie intégrante de la convention collective, mais ne peut être soumise à la procédure de grief et d'arbitrage.

[7]   En avril 2013, l’Employeur et le Syndicat signent la nouvelle convention collective[3].

[8]   Suivant les faits retenus par l’Arbitre[4], l’amélioration des horaires de travail et une bonification du temps de réponse (qui est tributaire en partie de l'aménagement des horaires de travail) font partie des revendications depuis plusieurs années[5].

[9]   Parmi les revendications du Syndicat, il y a l’ajout d’effectifs sur la route pour améliorer le temps-réponse. L’Employeur non seulement refuse de les augmenter, mais annonce une baisse d’effectifs pour la fin mai 2013[6].

[10]           Le Syndicat demande donc la reprise des travaux du comité prévu à la lettre d’entente No 5.

[11]           Insatisfait, le Syndicat organise une action concertée. Il choisit de faire valoir son message en utilisant des moyens de visibilité.

[12]           Ces moyens de visibilité affectent le port de l’uniforme. Ils sont les suivants :

  • Le port d’un T-shirt jaune fluo sur lequel il est écrit :

PARAMÉDIC

VOTRE APPEL EST IMPORTANT POUR NOUS TENEZ BON, LE TEMPS QU'UNE AMBULANCE SE LIBÈRE »

  • Le port du pantalon de camouflage ou un jeans en remplacement du pantalon d'uniforme;
  • Le port de couvre-chefs comme des chapeaux à plumes ou de Père Noël;
  • Le port de l'ancienne chemise blanche de technicien-ambulancier, ou son équivalent, avec ou sans épaulettes;
  • Le port d’un brassard bourgogne avec la mention «Paramédic Québec»;
  • Le port d’un chandail noir avec l’inscription «Paramédic»;

[13]           L’Employeur dépose une série de griefs alléguant le non-respect de la convention collective, le refus des salariés de porter l’uniforme obligatoire par des actions concertées en cours de convention.

[14]           Devant l’Arbitre, il est mis en preuve que le port de l’uniforme vise à assurer que le personnel présente, en tout temps, une allure professionnelle et dégage une image positive de l’Employeur. Il assure une identification visuelle sans équivoque auprès de la population. Il vise aussi à assurer le respect des citoyens, des collègues et des visiteurs.[7]

[15]           En plus des moyens de visibilité énoncés ci-dessus, le Syndicat utilise d’autres moyens tels les conférences de presse, les communiqués de presse, des manifestations publiques (sortie des ponts, métro), la publication de bulletins internes, etc.

[16]           Devant l’Arbitre, l'Employeur soutient que les actions concertées du Syndicat contreviennent à l'article 27.01 de la convention collective, lequel déclare le port de l’uniforme obligatoire pour tous les employés. L’Employeur allègue que ces actions ont également causé préjudice à l'image et à la réputation de l'Employeur.

[17]           Le Syndicat invoque que l'article 27.01 n'a jamais été interprété ni négocié comme interdisant la modification de l'uniforme. Le Syndicat tente d’introduire une preuve extrinsèque laquelle est refusée par l’Arbitre, celle-ci concluant à l’absence d’ambiguïté à l’article 27.01.

[18]           Le 24 octobre 2017, dans une longue décision, l’Arbitre conclut :

  • Lorsque la convention est signée, le Syndicat ne peut plus négocier en recourant à des moyens de pression. C’est la paix industrielle. Les parties doivent assurer le respect de la convention collective.
  • L'obligation de respecter la convention collective en période de stabilité ne constitue pas une entrave substantielle au droit d'association.
  • Les recours du Syndicat en cours de convention collective se limitent aux griefs.
  • Les moyens de pression qui contreviennent à la convention collective en vigueur ne peuvent être légitimés par la liberté d'expression.
  • Les parties conservent le droit de s'exprimer, mais elles doivent le faire en conformité des règles contractuelles négociées collectivement et de la législation applicable.
  • Ce ne sont pas toutes les formes d’expression qui sont protégées par la charte; l’expression ne doit pas être délictuelle (encourager le non-respect de la convention collective) ni contrevenir au devoir de loyauté de l’employé.
  • Ne pas porter l’uniforme, étant contraire à la convention collective, constitue un délit et l’action concertée une incitation à la rupture d’un contrat.
  • Rien dans la preuve ne permet de conclure à une quelconque renonciation du Syndicat à l'exercice de son droit à la liberté d'expression.
  • Rien ne permet de conclure que l'Employeur a toléré l'exercice de ces moyens de pression ou de visibilité.
  • Chacune des modifications apportées au port de l'uniforme et visées par les griefs est illégale et n'est pas protégée par la Charte.
  • L’Employeur n’a subi aucun dommage indemnisable ni atteinte à sa réputation.

                        La position des parties

2.1   Position du Syndicat

[19]           La décision de l’Arbitre serait déraisonnable parce qu’elle ne fait pas partie des issues possibles au regard des faits et du droit. Elle serait inintelligible parce que l’Arbitre conclut que le Syndicat, en souscrivant à l’article 27.01, n’a pas renoncé à sa liberté d’expression sans réconcilier cette conclusion avec l’impossibilité d’exercer des moyens de visibilité.

[20]           L’Arbitre tiendrait pour acquis, sans l’analyser, que l’article 27.01 de la Convention et le Code du travail[8] interdisent les moyens de visibilité en cours de convention collective.

[21]           L’Arbitre commettrait une erreur fatale en omettant de qualifier les moyens de visibilité comme étant des activités protégées par la Charte et néglige d’appliquer la hiérarchie des normes prévue par l’arrêt Oakes[9].

2.2   Position de l’Employeur

[22]           L’Arbitre était fondé de conclure que le respect d’une obligation constatée à la convention collective ne porte pas atteinte au droit d’association.

[23]           L’Arbitre s’est bien dirigée en droit en ne procédant pas à l’analyse suivant le cadre de l’arrêt Oakes vu sa conclusion que les moyens de pression utilisés n’étaient pas protégés par la Charte. Celle-ci ne garantit pas un mode spécifique d’expression et d’autres moyens d’expression existent et ont été utilisés.

[24]           Le port de l’uniforme fait partie de la prestation de travail et celle-ci ne peut être modifiée en cours de convention. Au nom de la paix industrielle, les moyens de pression en cours de convention collective ne peuvent contrevenir à un texte non ambigu de celle-ci. Le Syndicat ne peut, en exerçant des moyens de pression, contraindre l’Employeur à négocier en cours de convention.

                        L’analyse

3.1   La norme applicable

[25]           Les parties soumettent que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision de l’Arbitre. Le Tribunal est d’accord.

[26]           Il y a un consensus en jurisprudence que cette norme s’applique aux décisions de l’arbitre de griefs[10] même lorsqu’il s’agit d’examiner l’exercice de la liberté d’expression dans un milieu de travail donné.

[27]           L’arbitre de griefs peut interpréter et appliquer une clause de la convention collective[11], que les questions soumises à l’arbitre soient des questions de droit ou de faits[12].

[28]           La clause privative est complète et rigoureuse. Le Tribunal doit donc faire preuve de grande déférence envers l’arbitre si sa décision fait partie des issues possibles.

3.2   L’application de la norme

3.2.1           La décision raisonnable

[29]           La raisonnabilité de la décision requiert qu’elle soit intelligible, justifiée et transparente et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.[13]

[30]           L’intelligibilité d’une décision dépend de la façon dont le problème est posé et de la motivation des conclusions relativement à ce problème.

[31]           Il est reconnu que le décideur n’a pas à analyser chacun des points soumis ni à en décider s’ils ne sont pas essentiels à la compréhension de ses conclusions[14].

3.2.2           Les droits fondamentaux.

[32]           La Charte droits et libertés de la personne (la Charte)[15] énonce ce qui suit :

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

[…]

9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

3.2.3           Le droit invoqué est-il protégé ?

[33]           L’Arbitre décide que les actions du Syndicat vont à l’encontre de l’article 27.01 de la convention collective qui se lit comme suit :

27 UNIFORMES

SECTION 1 PORT DE L'UNIFORME

27.01 Dans le but de dégager une image professionnelle, l'Employeur fournit un uniforme complet, comme prévu au cahier des charges, à la personne salariée ayant terminé sa période d'intégration et d'évaluation. La personne salariée doit porter cet uniforme de façon à présenter une apparence soignée et professionnelle.

La personne salariée en période d'intégration et d'évaluation doit se vêtir de façon à avoir une bonne apparence.  Elle n'est tenue de porter l'uniforme que si l'Employeur lui en fournit un.

Le port de l'uniforme, fourni gratuitement par l'Employeur, est obligatoire pour toutes les personnes salariées y ayant droit. Il doit être porté au travail seulement.

Il est défendu de rouler ses manches dans le cas de chemises à manches longues ou d'ouvrir le col de sa chemise de plus de deux (2) boutons.

La personne salariée est responsable de l'entretien de son uniforme.

[Le Tribunal souligne]

[34]           De l’avis du Tribunal, la question s’examine en quatre étapes : a) quelle est la signification de la disposition 27.01 de la Convention collective? b) le moyen utilisé est-il un droit protégé par la Charte? c) le moyen utilisé a-t-il perdu la protection de la Charte pour des motifs reconnus par la jurisprudence? et d) à défaut, le moyen contrevient-il au Code du travail?

[35]           Reprenons chacune de ces étapes.

3.2.3.1            Quelle est la signification de la disposition 27.01 de la Convention collective?

[36]           Une clause claire et non ambiguë n’a généralement pas besoin d’être interprétée.

[37]           L’Arbitre est d’avis que la disposition de 27.01 est claire et non-ambiguë.

[38]           Pourtant, le texte de 27.01 n’indique pas qu’aucune modification à l’uniforme n’est permise. C’est nécessairement en interprétant la clause a contrario que l’Arbitre en vient à cette conclusion.

[39]           Suivant ce que le Tribunal retient de la jurisprudence, il faut se méfier des apparences. Une jurisprudence spécifique au droit du travail suggère qu’une analyse contextuelle permet de déceler des ambiguïtés latentes[16].

[40]           La Cour d’appel a récemment rappelé que même lorsqu’un texte contractuel apparait clair, ce qui est ou apparait clair n’est pas toujours exact et peut donc requérir une interprétation[17]. Il faut s’assurer que la clause respecte la volonté réelle des parties. L’Arbitre n’a pas fait cette analyse.

[41]           L’Arbitre devait procéder à une analyse de la clause avant de conclure sur la signification de celle-ci. La question de savoir si elle doit pour y arriver, autoriser la preuve extrinsèque demeure sa prérogative. L’interprétation qu’elle donne à la disposition 27.01 n’est pas la seule possible et pourrait, suivant l’analyse qui demeure à être faite, aller à l’encontre de l’intention des parties.

[42]           Il était prématuré de conclure à l’interdiction d’apporter quelque modification à l’uniforme avant d’avoir analysé la disposition 27.01. Il fallait déterminer si les parties avaient l’intention d’interdire ce moyen d’expression exercé collectivement en cours de convention collective.

[43]           L’Employeur plaide que l’Arbitre n’avait pas à mener une analyse exhaustive de l’intention des parties puisque le Syndicat aurait admis avoir contrevenu à la Convention collective.

[44]           Pour valoir comme telle, une admission doit être sans ambiguïté. Selon le Tribunal, les deux passages auxquels l’Employeur réfère[18] ne sont pas des admissions qui portent sur l’interprétation à donner à la disposition 27.01. L’une d’elles signifie que les syndiqués ont repris le port complet de l’uniforme en question et l’autre qu’ils l’ont modifié en cours de convention collective. Ceci n’est pas une admission qu’ils ont renoncé par la disposition 27.01 à le modifier ou ne pouvaient le modifier.

3.2.3.2            Le moyen utilisé est-il un droit protégé par la Charte?

[45]           Le Syndicat reproche à l’Arbitre d’avoir donné préséance à une disposition de la Convention collective plutôt qu’à un droit fondamental protégé par la Charte.

[46]           Selon l’Arbitre, la Charte ne protège aucun moyen d’expression spécifique et le moyen utilisé n’est pas protégé par la Charte[19].

[47]           L’arbitre accorde une grande importance au fait que la convention collective soit en force.

[48]           Dans T.U.A.C. c. Kmart Canada [1999] 2 R.C.S. 1083, le juge Cory précise au paragraphe [66], dans ce qui peut sembler être un obiter, qu’il importe peu que le moyen d’expression utilisé le soit pendant la négociation ou à l’extérieur du cadre de celle-ci, donc en cours de convention, pour se qualifier à titre de moyen d’expression et ainsi recevoir la protection de la charte canadienne.

[49]           La conclusion de l’Arbitre ici laisse croire qu’une obligation contractée en vertu de la convention collective (l’uniforme obligatoire) primerait sur un droit protégé par la Charte (la liberté d’expression ou d’association).

[50]           Le Tribunal croit que l’Arbitre aurait pu arriver au même résultat en l’exprimant autrement.

[51]           En effet, la Charte protège tous les moyens d’expression qui ont une signification à l’exception de ceux qui sont délictuels ou violents[20].

[52]           Tel que l’a exprimé la Cour d’appel, « Quand il est question de liberté d’expression, tout est question de contexte ».[21]

[53]           La Cour suprême interprétant la liberté d’expression en vertu de la charte canadienne renchérit : « Lorsqu'une activité transmet ou tente de transmettre une signification par une forme d'expression non violente, elle a un contenu expressif et relève en conséquence du champ du mot " expression " utilisé dans la garantie.  Le type de signification transmise n'a aucune pertinence.  L'alinéa 2b) protège tout le contenu de l'expression ».[22]

[54]           L’Arbitre devait donc initialement reconnaître les moyens de visibilité comme des moyens d’expression exercés dans le contexte du droit d’association et protégés par la Charte.

3.2.3.3            Le moyen utilisé a-t-il perdu la protection de la Charte ?

[55]           La protection de la Charte peut, comme indiqué dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), ne pas être reconnue si le moyen utilisé est violent ou délictuel. Dans notre affaire, il n’est pas question de violence.

[56]           L’Arbitre en vient à la conclusion que l’action concertée modifiant l’uniforme obligatoire est une incitation à la rupture de contrat, un délit. Nous l’avons déjà dit, l’interprétation de l’Arbitre sur ce point dépend de la signification donnée à l’article 27.01.

[57]           Plusieurs décisions traitant de la modification d’uniformes examinent le contexte suivant lequel l’uniforme est modifié[23].

[58]           Dans notre affaire, l’analyse du contexte fait par l’Arbitre se limite à deux points : une clause de la convention collective oblige le port de l’uniforme et aucun moyen de pression n’est permis en cours de convention collective.

[59]           L’Arbitre rapporte une quantité importante de preuve, mais il n’est pas aisé, à la lecture de la décision, de déterminer quels éléments de preuve elle retient.

[60]           L’une des décisions citées par les parties, STT de l'Hôtel Méridien de Montréal (CSN) et Hyatt Regency Montréal[24] analyse justement le moyen d’expression utilisé (la modification de l’uniforme) afin de déterminer s’il s’agit d’un moyen protégé par la Charte. Voici ce que cet arbitre écrit :

[55] Dans l’affaire sous étude, après avoir entendu la preuve et, par la suite, lu et relu les témoignages, j’en suis venu à la conclusion que le 14 juillet 2010, sous le couvert d’une activité d’information passive, le syndicat a, en réalité, déclenché un moyen de pression visant à déranger la clientèle de l’hôtel afin d’obliger l’employeur à répondre positivement à ses demandes jusque-là ignorées.

[61]           S’en suit un examen des agissements de ce syndicat et de ses membres pour que l’arbitre, dans cette affaire, conclut que le moyen d’expression utilisé avait perdu la protection de la Charte.

[62]           Même en reconnaissant que les moyens de visibilité sont des moyens d’expression généralement protégés par la Charte, il était tout de même loisible à l’Arbitre de conclure que cette protection avait été perdue parce que la convention collective interdisait toute modification à l’uniforme, si une telle conclusion s’imposait après avoir fait l’analyse de la disposition 27.01. S’il ne s’agissait que de ce point, il n’y aurait pas lieu pour le Tribunal d’intervenir.

3.2.3.4            À défaut, s’agit-il de moyens de pression interdits par le Code du travail?

[63]           En temps de « paix industrielle » et avec un texte non ambigu, dit l’Arbitre, les moyens de visibilité sont des moyens de pression qui contreviennent à la convention collective.

[64]           Selon l’Arbitre l’action initiée collectivement a peu à voir avec les travaux du comité ad hoc prévu à la Lettre d’entente No.5. Elle reconnait qu’aucun grief n’était possible à ce sujet.

[65]           Toutefois, parce que les moyens de visibilité ont débuté avant le début des travaux du comité ad hoc, elle ne s’attarde pas au contexte qui pourrait justifier l’utilisation de ces moyens pour exprimer l’insatisfaction des salariés par rapport aux travaux du comité ad hoc. Elle estime que le concept de paix industrielle n’autorisait pas ces moyens de pression.

[66]           L’Employeur cite les auteurs Morin et Blouin en suggérant qu’en dehors de la période de négociation de la Convention collective « aucune de ces parties ne peut contraindre son vis-à-vis à reprendre la négociation sur des points déjà arrêtés ou sur des points omis ou nouveaux. »[25]

[67]           Le terme le plus important ici est celui de « contraindre ». Clairement, des moyens de pression tels ceux utilisés par le Syndicat ici, n’ont pas ce pouvoir de contrainte. Ce  n’est ni la grève, ni le lock-out pas plus qu’un ralentissement d’activités.

[68]           Pendant que la convention collective est en vigueur, le Code du travail[26] interdit la grève[27], le lock-out[28] ou le ralentissement d’activités[29]. Il faut conclure que l’Arbitre assimile les moyens de visibilité à l’un de ces trois éléments, bien qu’elle ne l’indique pas expressément.

[69]           Le Tribunal ne peut voir dans le Code du travail une prohibition générale d’actions syndicales en cours de convention autre que les interdictions spécifiques qui y sont mentionnées. La liberté d’expression demeure un droit fondamental tout comme la liberté d’association.

[70]           Le professeur Verge écrit que le rapport de travail est l’occasion de l’exercice de la liberté d’expression. L’exercice de la liberté d’expression n’est toutefois pas régi par la législation applicable aux relations de travail.[30]

[71]           Si le droit de grève est interdit dans la législation du travail, seul ce moyen d’expression est interdit. Il s’agit d’une limitation à la liberté d’expression quautorise l’article 9.1 de la Charte.

[72]           Il faudrait retrouver dans la législation du travail une disposition similaire qui interdise en cours de convention collective des moyens de pression autres que ceux spécifiquement exclus par le Code du travail, pour conclure comme l’Arbitre l’a fait ici.

[73]           Même si le raisonnement de l’Arbitre sur ce point s’avérait erroné, le résultat pourrait demeurer le même suivant l’analyse qu’elle doit faire de la disposition 27.01.

3.3   Conclusion

[74]           L’Arbitre conclut au délit de rupture de contrat ou d’incitation à la de rupture de contrat pour décréter que le moyen d’expression utilisé n’est pas protégé par la Charte sans analyser la portée de la disposition 27.01 afin de savoir si l’intention des parties était d’interdire quelque modification que ce soit à l’uniforme même pour exercer un droit fondamental. Sans la démonstration de cette intention commune, il ne peut y avoir de rupture de contrat ni d’incitation à la rupture.

[75]           Le raisonnement de l’Arbitre est amputé de la partie qui aurait pu permettre de comprendre pour quels motifs elle choisit d’interpréter 27.01 comme elle le fait.

[76]           La décision doit donc être considérée déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[77]           ACCUEILLE la demande en contrôle judiciaire;

[78]           ANNULE la sentence arbitrale rendue par Me Maureen Flynn le 24 octobre 2017;

[79]           RENVOIE le dossier devant un nouvel arbitre à être nommé par l’autorité compétente;

[80]           AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

 

__________________________________PIERRE NOLLET, j.c.s.

 

Me Maude Pépin-Hallé

Pour le demandeur

 

Me Jean-Claude Turcotte

Pour la mise en cause

 

Madame Maureen Flynn

Non représentée

 

Date d’audience :

12 décembre 2018

 


[1] P-39 (Lettre d’entente No. 5).

[2] P-44.

[3] P-3.

[4] La partie défenderesse au présent dossier.

[5] P-1, para. 18, 20, 93.

[6] P-1, para. 70 à 72.

[7] P-3 art. 27.01 et P-12, art. 3.

[8] RLRQ c. C-27.

[9] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

[10] Syndicat des employées et employés des magasins Zellers d'Alma et de Chicoutimi (C.S.N.) c. Turcotte, 2002 R.J.Q.2288 et Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28.

[11]  Provigo Québec inc. c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Provigo, entrepôt Armand-Viau, 2014 QCCA 1106 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 19-02-2015, n°36024); Centre de santé et de services sociaux de Saint-Jérôme c. Syndicat des professionnelles en soins de Saint-Jérôme, 2014 QCCA 83.

[12]  Montréal (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301), 2010 QCCA 498; Syndicat des travailleuses et travailleurs du CSSS Haut-Richelieu-Rouville (CSN) c. CSSS Haut- Richelieu-Rouville, 2010 QCCA 496.

[13] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, para.47. 

[14] Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728, 1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805, para. 38.

[15] RLRQ c. C-12.

[16] Sûreté du Québec c. Association des policiers provinciaux du Québec, 2005 QCCA 1051.

[17] Gestion immobilière Begin inc. c. 9156-6901 Québec inc., 2018 QCCA 1935.

[18] Liste d’admissions soumise à l’Arbitre, qui détaille les mots d’ordre syndicaux en lien avec le non-respect de l’uniforme, en terminant par le suivant : « 12. Le 16 avril 2014, les membres du Syndicat ont pris la résolution de porter l’uniforme tel que prévu à la convention collective. » et Correspondance citée à la page 6 du Rapport d’expertise de Me Michel Coutu. Le Syndicat admet avoir organisé des actions concertées ayant pour objet de modifier l’uniforme régi par la convention collective en cours, et ce, afin de dénoncer les effets sur la population du manque d’effectifs ambulanciers sur les territoires montréalais et lavallois ainsi que sur les conditions de travail des paramédics. (…)(Caractères gras de l’Employeur).

[19] P-1, para. 321.

[20] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, para. 48.

[21] Association des pompiers professionnels de Québec inc. c. Québec (Ville de), 2013 QCCA 2084,

[22] Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 RCS 892.

[23] Voir par exemple : Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, AZ-51015783 et d’autres décisions citées dans celle-ci.

[24] 2015 QCTA 288.

[25] F. MORIN et R. BLOUIN avec la collab. J.-Y. BRIÈRE et J.-P. VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de grief, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, n° I.86, p. 55.

[26] RLRQ. c. C-27.

[27]C.t. Art. 107.

[28] C.t. Art. 109.

[29]C.t. Art. 108.

[30] Pierre VERGE, La liberté d'expression est-elle en phase avec I'action syndicale? Les Cahiers de Droit, vol. 53, no 4, cembre 2012, p. 813-829 aux pages 820 et 821.

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