B.B. et Compagnie A |
2014 QCCLP 6325 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 20 novembre 2013, monsieur B... B... (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 4 octobre 2013 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête déposée par le travailleur le 9 août 2011 et déclare que celui-ci n’a pas subi une lésion professionnelle le 23 décembre 2010.
[3] Le 27 décembre 2013, le représentant de [la Compagnie A] (l’employeur) dépose une requête pour recours abusif et dilatoire en vertu de l’article 429.27 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) visant à rejeter la requête en révision déposée par le travailleur.
[4] À cette même date, l’employeur demande également au tribunal de statuer sur le retrait de deux documents annexés à la requête en révision et sur la modification de l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 décembre 2011.
[5] L’audience sur les présentes requêtes s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 29 avril 2014 en présence du travailleur, de son représentant, monsieur R... L..., et du représentant de l’employeur, maître Érik Sabbatini.
L’OBJET DES REQUÊTES INCIDENTES
[6] Le 27 décembre 2013, l’employeur demande de retirer du dossier en l’espèce deux documents annexés à la requête en révision déposée par le travailleur le 20 novembre 2013. Il s’agit d’un projet de transaction et reçu-quittance et d’un courriel de maître Érik Sabbatini daté du 13 juin 2011.
[7] L’employeur demande également de modifier l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 décembre 2011 afin qu’elle s’applique aux documents annexés à la requête en révision déposée par le travailleur le 20 novembre 2013 et à toute preuve additionnelle qui pourrait être déposée dans le cadre de cette requête.
L’AVIS DES MEMBRES SUR LES REQUÊTES INCIDENTES
[8] Les membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs sont d’avis d’accueillir la première requête de l’employeur et d’ordonner le retrait au dossier des documents intitulés « Transaction et reçu-quittance » et d’un courriel de maître Érik Sabbatini daté du 13 juin 2011. En effet, ces documents confidentiels ne sont pas de nature à servir les intérêts de la justice puisqu’ils ont été remis au travailleur dans le cadre d’un processus de conciliation tenu à la suite d’une plainte déposée par celui-ci en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la L.S.S.T.)[2]. Aussi, il ne s’agit pas d’une preuve pertinente au litige.
[9] Par contre, les membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs sont d’avis de rejeter la deuxième requête de l’employeur qui a pour but de modifier l’ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion de renseignements ou de documents qui a été rendue le 14 décembre 2011 par le premier juge administratif. Cette ordonnance s’applique également aux documents déposés après la décision rendue le 4 octobre 2013, soit notamment la requête en révision avec les documents qui y sont annexés.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LES REQUÊTES INCIDENTES
[10] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider s’il y a lieu de retirer du dossier deux documents annexés à la requête en révision du travailleur.
[11] L’article 28 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[3] (du Règlement) prévoit ce qui suit :
28. Le commissaire peut refuser de recevoir une preuve qui n'est pas pertinente, qui est inutilement répétitive ou qui n'est pas de nature à servir les intérêts de la justice.
D. 217-2000, a. 30; D. 618-2007, a. 25.
[12] La Commission des lésions professionnelles accueille la requête de l’employeur et ordonne le retrait au dossier des documents intitulés « Transaction et reçu-quittance » et d’un courriel de maître Érik Sabbatini daté du 13 juin 2011.
[13] Ces documents déposés par le travailleur ne sont pas de nature à servir les intérêts de la justice.
[14] D’une part, ces documents sont confidentiels. En effet, ils ont été remis au travailleur dans le cadre d’un processus de conciliation tenu à la suite de plaintes déposées par le travailleur en vertu de l’article 227 de la L.S.S.T. Par surcroît, ces plaintes ont fait l’objet d’un désistement signé par le travailleur le 24 octobre 2011.
[15] D’autre part, le tribunal considère qu’il ne s’agit pas d’une preuve pertinente au litige en l’espèce. Puisque la décision faisant l’objet de la présente requête en révision porte sur l’admissibilité d’une réclamation du travailleur invoquant la survenance d’une lésion professionnelle le 23 décembre 2010, les documents confidentiels remis au travailleur dans le cadre du processus de conciliation tenu à la suite de plaintes en vertu de l’article 227 de la L.S.S.T constituent une preuve étrangère au litige devant la Commission des lésions professionnelles.
[16] La Commission des lésions professionnelles doit ensuite décider s’il y a lieu de modifier l’ordonnance rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 décembre 2011 afin que celle-ci s’applique également aux renseignements, aux documents et à toute autre preuve produite dans le cadre de la requête en révision déposée le 20 novembre 2013 par le travailleur.
[17] Le 14 décembre 2011, la Commission des lésions professionnelles rend l’ordonnance suivante :
À la conférence préparatoire tenue le 8 décembre 2011, la Commission des lésions professionnelles a mentionné qu’elle émettrait une ordonnance de non-divulgation concernant toute la preuve qui sera présentée devant elle.
L’article 19 du Règlement sur la preuve et la procédure des lésions professionnelles prévoit ce qui suit:
19. La Commission peut, d’office ou sur demande d’une partie, interdire ou restreindre la divulgation, la publication ou la diffusion de renseignements ou des documents qu’elle indique, lorsque cela est nécessaire pour préserver l’ordre public ou si le respect de leur caractère confidentiel le requiert pour assurer la bonne administration de la justice.
Conformément aux pouvoirs énoncés aux articles 377 et 378 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001, il y a lieu d’émettre la présente ordonnance:
Il est interdit à quiconque, sauf à des fins d’expertise médicale, s’il y a lieu, de divulguer, publier ou diffuser les renseignements, documents et toute autre preuve produite dans le cadre de la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, le 9 août 2011, par monsieur B... B....
[sic]
[18] Le 20 novembre 2013, le travailleur dépose une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 4 octobre 2013. Il y joint plusieurs documents.
[19] Le représentant de l’employeur soumet que divers documents annexés à la requête en révision contiennent des informations personnelles, confidentielles ou sensibles.
[20] L’article 19 du Règlement prévoit l’émission d’une ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion de renseignements ou de documents, lorsque le respect de leur caractère confidentiel le requiert pour assurer la bonne administration de la justice.
[21] L’ordonnance rendue le 14 décembre 2011 vise à interdire justement la divulgation, la publication et la diffusion de renseignements, de documents et de toute autre preuve produite dans le cadre de la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles par le travailleur le 9 août 2011.
[22] Or, la requête en révision du 20 novembre 2013 et les documents annexés ont été déposés dans le dossier ouvert à la suite de la requête produite initialement par le travailleur le 9 août 2011. La décision de la Commission des lésions professionnelles faisant l’objet de la présente requête en révision se prononce sur le sort de cette requête du 9 août 2011.
[23] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’ordonnance rendue le 14 décembre 2011 par le premier juge administratif s’applique également aux documents déposés après la décision rendue le 4 octobre 2013, soit notamment la requête en révision avec les documents qui y sont annexés.
[24] Il n’y a donc pas lieu de modifier l’ordonnance rendue le 14 décembre 2011.
L’OBJET DE LA REQUÊTE EN RÉVISION ET DE LA REQUÊTE POUR RECOURS ABUSIF ET DILATOIRE
[25] Le travailleur demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 4 octobre 2013 et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 23 décembre 2010.
[26] L’employeur demande de rejeter la requête en révision déposée par le travailleur le 20 novembre 2013 au motif qu’il s’agit d’un recours abusif et dilatoire.
L’AVIS DES MEMBRES
[27] Les membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs sont d’avis de déclarer sans objet la requête pour recours abusif et dilatoire de l’employeur. En effet, les motifs au soutien de la requête de l’employeur sont les mêmes que ceux invoqués pour rejeter une requête en révision. Il y a donc lieu de se prononcer uniquement sur le bien-fondé de la requête en révision. Par conséquent, la requête pour recours abusif et dilatoire déposée par l’employeur devient sans objet.
[28] Les membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs sont d’avis de rejeter la requête en révision du travailleur. Celui-ci n’a pas démontré une erreur manifeste et déterminante donnant ouverture à la révision de la décision rendue le 4 octobre 2013 par le premier juge administratif. Celle-ci repose sur son appréciation de la preuve. Or, le recours en révision ne permet pas une réappréciation de la preuve. En l’espèce, la requête du travailleur n’est qu’un appel déguisé.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[29] Le travailleur demande au tribunal de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 4 octobre 2013. Par ailleurs, l’employeur demande de rejeter la requête en révision déposée par le travailleur le 20 novembre 2013 au motif qu’il s’agit d’un recours abusif et dilatoire conformément à l’article 429.27 de la loi.
[30] La Commission des lésions professionnelles a entendu les deux requêtes. Cependant, les motifs au soutien de la requête de l’employeur pour recours abusif et dilatoire sont les mêmes que ceux invoqués pour rejeter une requête en révision.
[31] En effet, l’employeur prétend que la requête en révision du travailleur ne spécifie pas le vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision du premier juge administratif. De plus, le travailleur n’invoque que des erreurs d’interprétation, sans en démontrer le caractère grave, manifeste et déterminant. L’employeur soumet également qu’une mauvaise appréciation des faits ne saurait permettre la révision de la décision à la lumière des principes applicables. Par conséquent, l’employeur soutient que la requête en révision du travailleur est une répétition de la contestation initiale et elle s’assimile à un appel déguisé sur la base des mêmes faits et des mêmes arguments.
[32] Puisque les motifs au soutien de la requête de l’employeur pour recours abusif et dilatoire sont les mêmes que ceux invoqués pour rejeter une requête en révision, la Commission des lésions professionnelles entend se prononcer uniquement sur le bien-fondé de la requête en révision. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la requête pour recours abusif et dilatoire déposée par l’employeur, celle-ci étant devenue sans objet.
[33] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 4 octobre 2013.
[34] L’article 429.56 de la loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour les motifs qui y sont mentionnés. Cette disposition se lit ainsi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[35] En l’espèce, le travailleur demande la révision de la décision du 4 octobre 2013 en se fondant sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il prétend que cette décision est entachée de vices de fond de nature à l’invalider.
[36] La Commission des lésions professionnelles a interprété cette notion de « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » dans les affaires Produits forestiers Donohue inc. et Franchellini[4]. Elle a retenu qu’il s’agit d’une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de façon constante par la jurisprudence.
[37] Dans l’affaire Franchellini[5], la Commission des lésions professionnelles précise que le pouvoir de révision ne peut servir de prétexte à un appel déguisé. En effet, l’article 429.49 de la loi énonce qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49.
[…]
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[38] La Cour d’appel s’est prononcée à plusieurs reprises sur l’interprétation de la notion de vice de fond.
[39] D’abord dans l’affaire Bourassa[6], elle mentionne que cette notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Cependant, la Cour d’appel ajoute que le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments.
[40] Ensuite dans l’affaire Fontaine[7], le juge Morissette souligne que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles « d’en faire un vice de fond de nature à invalider une décision ».
[41] Enfin, la Cour d’appel précise dans l’affaire Touloumi[8] qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[42] Dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[9], la Commission des lésions professionnelles mentionne que les jugements de la Cour d’appel invitent et incitent à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée :
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
[notes omises]
[43] Avant d’analyser les motifs de révision, il y a lieu de se prononcer sur la requête de l’employeur demandant de déclarer irrecevables les documents déposés par le travailleur après la production de sa requête en révision. En effet, celui-ci a produit des documents le 14, 15 et 16 avril 2014.
[44] Ces documents sont les suivants :
· Opinion de maître Pierre Daignault datée du 10 février 2014 déposée le 14 avril 2014;
· Notes relatives à un rapport d’enquête déposées le 15 avril 2014;
· « Rapport d’intervention fuite de gaz » déposé le 15 avril 2014;
· Notes relatives au masque personnel de respiration avec cartouche demandé par le travailleur déposées le 16 avril 2014;
· Notes relatives à un rapport d’enquête déposées le 16 avril 2014.
[45] Ces documents sont irrecevables puisqu’une nouvelle preuve ne peut pas être introduite dans le cadre d’un recours en révision. De plus, le travailleur n’allègue pas la découverte d’un fait nouveau au sens du paragraphe 1 de l’article 429.56 de la loi. De toute façon, ces documents étaient disponibles au moment où s’est tenue l’audience initiale devant le premier juge administratif. Enfin, de nouveaux arguments ne peuvent pas non plus être ajoutés au stade de la révision.
[46] En effet, une partie ne peut pas dans le cadre d’une requête en révision combler les lacunes d'une preuve qu'elle a eu l'occasion de présenter devant le premier juge administratif. Elle ne peut pas à l'occasion d'une requête en révision compléter ou bonifier la preuve qu'elle a présentée devant le premier juge administratif.
[47] La Commission des lésions professionnelles déclare donc irrecevables les documents suivants :
· Notes relatives à un rapport d’enquête déposées le 15 avril 2014;
· « Rapport d’intervention fuite de gaz » déposé le 15 avril 2914;
· Notes relatives au masque personnel de respiration avec cartouche demandé par le travailleur déposées le 16 avril 2014;
· Notes relatives à un rapport d’enquête déposées le 16 avril 2014.
[48] Par ailleurs, le tribunal considère que l’opinion de maître Daignault datée du 10 février 2014 peut être admise à titre d’argumentation dans le cadre du recours en révision exercé par le travailleur.
[49] Le tribunal désire maintenant faire un bref rappel des faits ayant conduit au litige devant la Commission des lésions professionnelles. Le premier juge administratif était saisi d’un litige concernant l’admissibilité d’une réclamation du travailleur invoquant la survenance d’une lésion professionnelle le 23 décembre 2010 à la suite d’harcèlement de la part de l’employeur.
[50] Le travailleur occupe un emploi d’opérateur principal (CO) à l’extrusion chez l’employeur depuis novembre 1986.
[51] Le 24 octobre 2009, le travailleur dépose une plainte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) en raison de la présence de vapeurs et de fumée lors du démarrage d’une ligne.
[52] Le 29 octobre 2009, le travailleur déclare un accident du travail. Il décrit l’accident comme suit :
Il y a des vapeurs dans l’air ambiante, qui m’occasionne des picottement dans la gorge, nez sec, yeux qui brûlent, j’ai la vue embrouillé, un gros mal de tête.
[sic]
[53] Le 30 octobre 2009, le directeur de l’usine avise les travailleurs des mesures prises à la suite d’une rencontre avec l’inspectrice de la CSST concernant la plainte déposée par le travailleur. Le directeur de l’usine informe les travailleurs que des mesures de qualité de l’air seront prises lors du démarrage d’une ligne. Des mesures seront également prises pour le système de chauffage et des travaux se poursuivront afin d’améliorer le système d’aspiration. Le directeur de l’usine ajoute qu’à la demande de la CSST, « le port du masque respiratoire complet avec cartouche de filtration lors des démarrages de ligne est obligatoire jusqu’à ce que les analyses soient faites ».
[54] Le 8 décembre 2009, la conclusion du rapport d’intervention de l’inspectrice de la CSST se lit comme suit :
On sait maintenant que les symptômes des travailleurs ne sont pas liés à la présence de produits de dégradation du polystyrène. Les symptômes soulevés par les travailleurs pourraient cependant être causés par des expositions aiguës sporadiques au fluorure d’hydrogène (HF) et/ou au bromure d’hydrogène (HBr). La ventilation à la source n’est pas suffisamment efficace pour évacuer les fumées produites et des modifications doivent être apportées pour optimiser les installations. L’interférence du système de ventilation général du département interfère probablement avec l’évacuation à la source et la situation doit être évaluée plus en détails. D’ici à ce que ces modifications soient apportées, seul le port des masques à cartouches procure une protection adéquate pour les travailleurs concernés.
[sic]
[55] Le 28 octobre 2010, le directeur de l’usine avise le travailleur qu’il est retiré de son équipe et qu’il doit rester chez lui avec solde.
[56] Le 3 novembre 2010, le travailleur dépose un grief alléguant un arrêt de travail abusif et injustifié. Il demande d’être réintégré dans son emploi.
[57] Le 16 novembre 2010, une consultante produit un rapport à la suite de l’enquête effectuée à la demande de l’employeur. Un extrait de ce rapport se lit comme suit :
[…]
En l’absence de résultats positifs dans le passé dans les différentes tentatives de résolution de problèmes, et en raison de l’état actuel des constatations et conclusions, une affectation de M. A à une autre équipe devrait sérieusement être envisagée.
Considérant la relation très proche entre M. A et M. F et les constatations et conclusions, M. F devrait aussi être séparé du couple H et E dans l’exécution du travail.
[…]
Il y aurait également lieu d’aviser formellement M. A et M. F que leur comportement est inacceptable notamment en ce qu’il entraîne un environnement de travail néfaste pour les employés impliqués. Il y aurait lieu d’informer ces employés des attentes de l’employeur face aux relations interpersonnelles entre collègues de travail, qu’aucune forme de harcèlement ne sera tolérée et qu’en cas de récidive des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement seront appliquées.
[…]
[58] Le 30 novembre 2010, le directeur de l’usine adresse cette lettre au travailleur :
Pour faire suite aux recommandations finales de l’enquête externe sur le conflit existant au sein de l’équipe C et après en avoir informé le Syndicat, voici les prochaines étapes qui suivront sous peu afin de vous réintégrer dans une équipe de travail.
1. Vous informer que la principale recommandation est de vous assigner à une nouvelle équipe qui ne sera pas la même que F et H;
2. Déterminer qui seront les personnes qui seront déplacées parmi les autres équipes;
3. Mettre sur pied les nouvelles équipes;
4. Vous rencontrer individuellement pour vous faire part clairement de nos attentes en ce qui a trait à votre contribution et relations avec les membres de votre nouvelle équipe.
Une copie des recommandations sera envoyée à vos représentants syndicaux.
[sic]
[59] Le 23 décembre 2010, le directeur de l’usine avise le travailleur par écrit qu’il sera affecté à l’équipe D à compter du 5 janvier 2011 pour une période temporaire indéterminée. Cette lettre mentionne ce qui suit :
[…]
L’employeur doit offrir à tous ses employés un milieu de travail exempt de harcèlement et ne peut tolérer toute atteinte à la dignité d’un employé ou un milieu intimidant, hostile ou offensif. Tel que nous vous l’avons indiqué, votre comportement est inacceptable en ce qu’il entraîne un environnement de travail néfaste pour les employés impliqués.
En conséquence, nous vous demandons, pour l’avenir, de continuer à exécuter vos tâches tout en agissant de façon à créer un environnement de travail respectueux et exempt de harcèlement, d’intimidation ou d’hostilité. De façon plus particulière, vous devez notamment vous abstenir d’adopter des comportements ou des paroles hostiles, vexatoires ou qui peuvent porter atteinte à la dignité, d’agir ou même d’ignorer les autres employés dans le but de leur nuire ou de les isoler. Dans le même sens, vous devez vous abstenir de contrôler ou de mettre une pression indue sur vos collègues.
Après mûre réflexion, nous avons décidé de vous affecter à une autre équipe et de ne pas vous imposer de mesure disciplinaire. Ceci ne diminue en rien la gravité de votre comportement. Cette lettre constitue donc un avertissement très sérieux et soyez donc avisé qu’aucune forme de harcèlement ne sera tolérée à l’avenir. S’il devait être porté à notre attention que vous avez exercé toute forme de harcèlement dans le cadre de votre travail, vous serez dès lors passible de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
Nous espérons sincèrement que vous saurez vous acquitter de vos tâches de CO de façon professionnelle en offrant à l’équipe D votre soutien et votre leadership dans un esprit de bonne entente et de réussite de l’équipe.
[60] Le 11 janvier 2011, le travailleur dépose un grief à la suite des lettres du 30 novembre 2010 et du 23 décembre 2010.
[61] Le 24 janvier 2011, le travailleur produit une réclamation décrivant les circonstances de sa lésion comme suit :
Plusieurs connotations d’harcèlement de diverses façons, soient orals, par écrits, par gestes et des décisions prisent par l’employeur, à différentes dates, en différents endroits, on fait en sorte de déclancher en moi de anxiété, perte de sommeil, etc, etc…
[sic]
[62] Le 17 mars 2011, le directeur de l’usine informe le travailleur qu’il ne s’est pas présenté au travail et aux rencontres du 16 mars 2011. Considérant ces absences non justifiées, il demande que le travailleur produise des documents justifiant ces absences.
[63] Le 27 mars 2011, le travailleur donne suite à la lettre du 17 mars 2011. Il mentionne qu’il n’a reçu avant le 17 mars 2011 aucun document officiel l’informant des rencontres et de son retour au travail. De plus, aucun médecin n’a indiqué une date de retour au travail.
[64] Le 28 mars 2011, l’employeur congédie le travailleur. La lettre de congédiement se lit comme suit :
Nous donnons suite à notre lettre du 17 mars dernier et à la vôtre du 27 mars, le tout dans le cadre de votre actuelle absence du travail.
Comme vous l’avez-vous-même relevé dans votre lettre, le Dr Martin Tremblay est d’avis que vous êtes «actuellement capable d’effectuer [votre] travail à temps plein sans limitations.»
Malgré le fait que notre médecin considère que vous êtes apte au travail et malgré le fait que vous aviez connaissance que vous étiez requis de vous présenter au travail à partir du 16 mars, vous êtes toujours absent sans raison valable.
Les conséquences de cette absence non justifiée sont telles que décrites à l’article 8.03 de la convention collective, qui se lit comme suit:
«8.03 Un employé perd ses droits d’ancienneté et autres avantages dans les cas suivants:
e) S’il s’est absenté du travail pour plus de trois (3) jours de travail consécutifs sans autorisation et/ou sans raison valable.»
En raison de ce qui précède, nous nous voyons dans l’obligation de mettre fin à votre emploi avec la compagnie A, prenant effet immédiatement. Vous recevrez sous peu votre relevé de fin d’emploi ainsi que toute somme due, le cas échéant.
[sic]
[65] Le 4 octobre 2013, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête déposée par le travailleur et déclare que celui-ci n’a pas subi une lésion professionnelle le 23 décembre 2010.
[66] Dans sa requête en révision, le travailleur soutient que la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 4 octobre 2013 est partiale et ne retient aucun de ses arguments. Il ajoute que la Commission des lésions professionnelles fait preuve d’un parti pris pour l’employeur, au détriment de certains témoignages pourtant évidents.
[67] Dans l’affaire Jobin et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord[10], la Commission des lésions professionnelles a bien exposé les principes et les critères applicables lorsqu’une partie allègue la partialité d’un décideur. Elle s’exprime comme suit :
[18] La Commission des lésions professionnelles est un tribunal quasi judiciaire soumis aux règles de justice naturelle et assujetti aux impératifs d’indépendance et d’impartialité prévus à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne4.
[19] Dans un tel cas, la Cour suprême nous enseigne que lorsqu’une partie allègue la partialité du décideur, le critère à appliquer est celui de la « crainte raisonnable de partialité »5. Ce critère consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne sensée et raisonnable, non scrupuleuse ou tatillonne, bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique6.
[20] De plus, la Cour souligne que les commentaires ou la conduite reprochés ne doivent pas être examinés isolément, mais selon le contexte factuel propre à chaque dossier. En dernier lieu, il revient à la personne qui allègue la crainte raisonnable de partialité d’en faire la preuve.
[21] Par ailleurs, il est clairement établi par la jurisprudence que la partialité ou la crainte raisonnable de partialité à l’égard d’un décideur doit être soulevée à la première occasion par une demande de récusation et ne peut constituer un motif de révision ou de révocation7.
[22] En l’espèce, le représentant de l’employeur n’a pas soulevé la partialité du commissaire à la première occasion. Il est vrai qu’un échange a eu lieu au stade de l’argumentation concernant les éléments mis en preuve; nous y reviendrons plus loin. Cependant, l’argument principal invoqué par le procureur de l’employeur est que le commissaire concerné fait preuve d’un parti pris systématique envers les employeurs, et, il dépose à l’appui de cette allégation, des statistiques qu’il a compilées à la suite de l’analyse des décisions du commissaire.
[23] Or, le présent tribunal n’est pas saisi d’une requête en récusation mais plutôt d’une requête en révision ou révocation. La crainte de partialité ne peut être invoquée comme motif à l’appui d’une requête en révision, comme le souligne la juge Mayrand de la Cour supérieure dans l’affaire Piotr Stachyra et CLP et Siemens Electric ltée et CSST8, puisque la violation du principe d’impartialité d’un décideur doit être alléguée à la première occasion :
29. La doctrine et la jurisprudence font état de l’obligation de la partie de soulever à l’audience la situation qui lui suscite une appréhension raisonnable de préjugé. Le défaut de ce faire, fait qu’elle est présumée avoir renoncé à l’invoquer.iv
30. La partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité doit donc alléguer la violation de ce principe à la première occasion.
31. Pour ces motifs, ce moyen sera également rejeté, la partie n’ayant pas soulevé la crainte de partialité en temps utile, ce défaut lui est fatal.
_______________________
iv Droit administratif, Patrice Garant, 4e édition 1996, vol. 2 Le contentieux, Les Éditions Yvon Blais inc.; Canada (C.D.P.) c. Taylor [1990] 3, S.C.R.; Doyle et Sparling, [1992] R.J.Q. 11 (C.A.); Quérel c. Québec, 500-05-027280-963, 27 mars 1997, juge Pierre Dalphond; Pneus Supérieure inc. c. Tribunal du travail, 500-05-054361-991, 28 avril 2000, juge André Wéry; Seemberg c. Morin, 200-05-013136-002, 29 janvier 2001 juge Raymond W. Pronovost;
[nos soulignements]
[24] L’employeur n’a pas demandé la récusation du commissaire en temps utile et il n’a pas mentionné au commissaire lors de l’audience qu’il réservait ses recours. Il a attendu l’issue du litige. La décision lui étant défavorable, il invoque la partialité du commissaire comme motif de révision.
[25] La Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gauthier et Entreprise Vibec inc. (3191958), précisait ce qui suit au sujet d’une demande de récusation faite après que la décision ait été rendue9:
[35] Le tribunal soumet que la demande de récusation du travailleur est tardive et que celle-ci ne peut être introduite devant le tribunal par le biais d’une requête en révision. En effet, la demande de récusation vise précisément à empêcher qu’un adjudicateur ne soit saisi du dossier et d’empêcher ainsi qu’il rende une décision dans le dossier soumis à son attention précisément parce que l’on soulève des doutes sur son impartialité. Dans le présent dossier, la décision a été rendue sans qu’aucune demande de récusation ne soit soumise par le travailleur ou son procureur.
[36] La jurisprudence a réitéré à plusieurs reprises qu’une demande de récusation doit être soumise à la première opportunité et que le fait de négliger de le faire au moment opportun constitue à toute fin pratique une renonciation à le faire. Au surplus, une requête en révision ne peut aucunement pallier à cette omission du travailleur.
[notre soulignement]
[26] Dans le présent dossier, l’employeur ne demande pas la récusation du commissaire comme le réclamait le travailleur dans l’affaire Gauthier et Entreprises Vibec inc.10. Cependant, les principes énoncés dans cette affaire, entre autres, que l’omission de soulever la partialité du commissaire en temps opportun constitue une renonciation à le faire, sont facilement transposables au présent dossier. En effet, la présente requête en révision ne peut pallier à l’omission de l’employeur d’avoir soulevé la partialité du commissaire à la première occasion.
[27] Donc, d’une part, la crainte de partialité ne peut être invoquée comme motif de révision ou révocation d’une décision puisque cette crainte n’a pas été soulevée en temps utile.
[notes omises]
[68] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles retient de l’affaire Jobin les principes suivants. Selon la Cour suprême, le critère à appliquer est celui de la « crainte raisonnable de partialité » lorsqu’une partie allègue la partialité du décideur. Il s’agit de se demander à quelle conclusion en arriverait une personne sensée et raisonnable, non scrupuleuse ou tatillonne, bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. La personne qui allègue la crainte raisonnable de partialité doit alors en faire la preuve.
[69] Par ailleurs, la jurisprudence enseigne que la partialité ou la crainte raisonnable de partialité à l’égard d’un décideur doit être soulevée à la première occasion par une demande de récusation et elle ne peut constituer un motif de révision ou de révocation.
[70] Or, le travailleur n’a pas soulevé la partialité du premier juge administratif à la première occasion. Maintenant que la décision lui est défavorable, il invoque sa partialité à titre de motif de révision. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la requête en révision déposée par le travailleur ne peut pas remédier à son défaut d’avoir soulevé la partialité du premier juge administratif à la première occasion.
[71] Dans sa requête en révision, le travailleur maintient que l’événement du 23 décembre 2010 a eu sur lui un effet catastrophique et il demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête en révision.
[72] Comme le mentionne le juge Morissette dans l’arrêt Fontaine[11] en reprenant les propos du juge Fish dans l’affaire Godin[12], il ne saurait s’agir dans le cadre d’un recours en révision pour un vice de fond de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. De plus, la Cour d’appel a répété à maintes reprises[13] que le recours en révision ne doit pas être un appel sur la base des mêmes faits.
[73] Par ailleurs, il incombe à la partie qui demande la révision de faire la preuve que la première décision est entachée d’une erreur « dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés »[14]. La Cour d’appel a rappelé récemment que le vice de fond est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même.[15]
[65] Nous l’avons vu, un vice de fond n’est pas une divergence d’opinions ni même une erreur de droit. Un vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même.
[74] La Commission des lésions professionnelles souligne que le premier juge administratif a tenu 13 jours d’audience en l’espèce et qu’il a entendu de nombreux témoins, dont le docteur Martin Tremblay, psychiatre. Il a apprécié la preuve documentaire et testimoniale et il a rendu une décision bien motivée.
[75] Le tribunal est plutôt d’avis que le travailleur est insatisfait de la décision rendue par le premier juge administratif. Il veut refaire le débat qui s’est tenu devant le premier juge administratif et obtenir une nouvelle appréciation de la preuve afin qu’une décision différente soit rendue, ce que le recours en révision ne permet pas. En l’espèce, la requête du travailleur n’est qu’un appel déguisé. Or, les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel en vertu de l’article 429.49 de la loi.
[76] Le travailleur n’est tout simplement pas d’accord avec la décision rendue par le premier juge administratif, ce qui n’est pas un motif justifiant la révision d’une décision. D’ailleurs, la requête en révision déposée par le travailleur contient avant toute chose des commentaires sur la plupart des paragraphes de la décision du 4 octobre 2013. Le tribunal comprend de tous ces commentaires que le travailleur est en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par le premier juge administratif et à la valeur probante accordée aux éléments de preuve.
[77] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles a mentionné à maintes reprises que le recours en révision ne permet pas à un autre juge administratif de substituer son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif.
[78] Par ailleurs, le tribunal ne peut donner suite à la demande du travailleur visant à obtenir le procès-verbal des notes manuscrites de la personne qui a rédigé le rapport d’enquête du 16 novembre 2010. En effet, il s’agit d’une demande qui aurait dû être présentée au premier juge administratif. Celui-ci ayant rendu le 4 octobre 2013 une décision finale et sans appel, la Commission des lésions professionnelles ne peut pas examiner la demande du travailleur.
[79] À l’audience, le représentant du travailleur soutient également que le premier juge administratif n’a pas tenu compte de la gravité de la rencontre du 23 décembre 2010, un événement déterminant, et de ses conséquences sur le travailleur. Il prétend que le premier juge administratif a commis une faute grave lorsqu’il a conclu qu’il ne s’est rien passé le 23 décembre 2010.
[80] Le tribunal est d’avis que le premier juge administratif n’a jamais mentionné qu’il ne s’est rien passé le 23 décembre 2010. Concernant cette rencontre du 23 décembre 2010, le premier juge administratif s’exprime comme suit :
[243] Le 23 décembre 2010, B rencontre le travailleur pour lui lire et lui remettre un document écrit l’avisant qu’il fait dorénavant partie de l’équipe D. Un sérieux avertissement concernant son attitude au travail lui est également servi.
[244] Le docteur Martin Tremblay est d’avis qu’il s’agit d’un événement suffisamment objectif et comportant un facteur de stress significatif pouvant causer un trouble d’adaptation. Ce n’est cependant pas suffisant pour conclure que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 23 décembre 2010.
[245] En ce 23 décembre 2010, B confirme la décision déjà prise de déplacer le travailleur dans une autre équipe. Il exerce son droit de gérance. Il aurait tout aussi bien pu déplacer F ou H et E. Mais ce n’est pas parce qu’il ne l’a pas fait que ça rend sa décision injustifiable. B n’exerce pas son droit de gérance de façon abusive.
[246] En considérant que la lettre du 23 décembre 2010 puisse être prise comme une mesure disciplinaire, il faut retenir que nous nous retrouvons alors dans le domaine des relations de travail.
[247] La Commission des lésions professionnelles n’a pas à déterminer si la « mesure disciplinaire » est justifiée ou non. Elle n’a qu’à décider si le tout s’est fait dans la normalité, ce qu’elle est convaincue. La lettre du 23 décembre 2010, justifiée ou non, ne peut donc être à l’origine d’une lésion professionnelle.
[248] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, que les événements survenus entre août 2009 et le 23 décembre 2010, pris isolément ou dans leur ensemble, constituent un événement imprévu et soudain.
[81] D’abord, le premier juge administratif devait déterminer si le travailleur avait subi une lésion professionnelle le 23 décembre 2010, plus précisément un accident du travail défini ainsi dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[82] Ainsi, le travailleur devait démontrer qu’un événement imprévu et soudain ou des événements imprévus et soudains sont survenus par le fait ou à l’occasion de son travail et que ceux-ci ont entraîné son trouble d’adaptation.
[83] Or, le premier juge administratif conclut que le travailleur n’a pas établi par une preuve prépondérante que les événements survenus entre août 2009 et le 23 décembre 2010, pris isolément ou dans leur ensemble, constituent un événement imprévu et soudain.
[84] Même si le docteur Tremblay est d’avis que la rencontre du 23 décembre 2010 est un événement suffisamment objectif et comporte un facteur de stress significatif pouvant causer un trouble d’adaptation, le premier juge administratif considère que cela n’est pas suffisant pour conclure que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 23 décembre 2010. Il faut préciser que le travailleur a été avisé au cours de cette rencontre qu’il est affecté à l’équipe D à compter du 5 janvier 2011 pour une période temporaire indéterminée et qu’un document écrit lui a été remis à cet effet.
[85] Le premier juge administratif considère alors que l’employeur exerce son droit de gérance et que cet exercice n’a pas été fait de façon abusive.
[86] Il s’agit de l’appréciation de la preuve faite par le premier juge administratif et le recours en révision ne permet pas à un juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif.
[87] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles précise que le premier juge administratif n’a jamais mentionné que la lettre du 23 décembre 2010 constituait une mesure disciplinaire. Le paragraphe pertinent de la décision du 4 octobre 2013 se lit comme suit :
[246] En considérant que la lettre du 23 décembre 2010 puisse être prise comme une mesure disciplinaire, il faut retenir que nous nous retrouvons alors dans le domaine des relations de travail.
[88] Il faut plutôt comprendre de ce paragraphe que le premier juge administratif estime que la lettre du 23 décembre 2010 s’inscrit dans la sphère des relations de travail, même en supposant que cette lettre puisse être considérée comme étant une mesure disciplinaire.
[89] De plus, le premier juge administratif conclut que le document écrit du 23 décembre 2010 ne déborde pas le cadre normal de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail.
[90] Afin de décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle d’ordre psychologique, il s’agit d’un critère à considérer pour décider si un événement imprévu et soudain est survenu. Le premier juge administratif estime que la lettre du 23 décembre 2010 ne constitue pas un tel événement pouvant avoir causé une lésion professionnelle. Il s’exprime comme suit :
[247] La Commission des lésions professionnelles n’a pas à déterminer si la « mesure disciplinaire » est justifiée ou non. Elle n’a qu’à décider si le tout s’est fait dans la normalité, ce qu’elle est convaincue. La lettre du 23 décembre 2010, justifiée ou non, ne peut donc être à l’origine d’une lésion professionnelle.
[91] Par ailleurs, le premier juge administratif mentionne qu’il n’est pas nécessaire de revenir sur chacun des événements allégués par le travailleur comme étant de l’intimidation par le directeur de l’usine. Il est d’avis que la perception des événements par le travailleur est nettement disproportionnée, ce qui a pour effet de déformer la réalité de ce qui se passe.
[92] Il s’agit du contexte dans lequel le premier juge administratif peut même affirmer que le travailleur fabule. Il apprécie la force probante de certains éléments de son témoignage pour écarter des prétentions du travailleur. Les passages pertinents de la décision du 4 octobre 2013 se lisent comme suit :
[237] Lors de son témoignage, le travailleur affirme qu’il peut y avoir jusqu’à trois démarrages de ligne par jour. La preuve non contredite indique que c’est impossible. Au surplus, le travailleur est présent à deux démarrages en 2009 et à cinq en de juin à décembre 2010. Il déforme la réalité.
[238] Le travailleur affirme que, le 16 novembre 2009, il constate que B l’épie et l’intimide depuis plusieurs jours. La preuve non contredite indique que B a pu être en contact avec le travailleur le 16 novembre 2009 seulement, en après-midi. Le travailleur invente un fait qu’il croit réel. Nous sommes encore en présence d’une perception disproportionnée.
[239] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas que le travailleur a été intimidé ou épié par B. Toutes ses prétentions à cet égard ne peuvent être retenues.
[93] Encore une fois, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il s’agit de l’appréciation de la preuve faite par le premier juge administratif et le recours en révision ne permet pas à un juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif.
[94] Le représentant du travailleur ajoute que le cœur de l’histoire en l’espèce est lié au rapport de la consultante du 16 novembre 2010. Ce rapport produit à la suite d’une enquête a entraîné une affectation du travailleur à une nouvelle équipe.
[95] Or, le travailleur a plutôt allégué devant le premier juge administratif toute une série de plusieurs événements qui se sont produits entre le mois d’août 2009 et le début du mois de janvier 2011 et non pas seulement la rencontre du 23 décembre 2010 à titre d’événement déterminant et majeur. Tous les événements invoqués par le travailleur sont décrits au paragraphe [9] de la décision rendue par le premier juge administratif.
[96] La Cour d’appel a affirmé dans l’affaire Bourassa[16] qu’une partie ne peut ajouter de nouveaux arguments dans le cadre d’un recours en révision.
[97] Enfin, contrairement aux prétentions du représentant du travailleur, le premier juge administratif a considéré les antécédents du travailleur. La décision aborde la question de la condition personnelle préexistante du travailleur et elle se lit comme suit :
[205] La preuve médicale révèle que le travailleur a des antécédents psychologiques importants ayant entraîné des arrêts de travail en 2002, 2004 et 2009. Dans le présent dossier, très particulier, il faut préciser quelle est la condition personnelle préexistante du travailleur, car c’est un élément important à considérer pour déterminer si les événements allégués, pris isolément ou dans leur ensemble, constituent un événement imprévu et soudain.
[…]
[208] Considérant la preuve médicale et le témoignage prépondérant et non contredit du docteur Martin Tremblay, la Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur, avant le 23 décembre 2010, présentait un trouble d’anxiété généralisée.
[209] Le 21 avril 2005, le docteur Victoria Tuvivovich pose le diagnostic de dépression majeure, mais ajoute que le travailleur présente une anxiété généralisée.
[210] Le docteur Martin Tremblay explique qu’une dépression majeure, ou un trouble d’adaptation peut être la conséquence d’un trouble d’anxiété généralisée.
[…]
[212] Lorsqu’il voit le docteur Alain Thibert pour une première fois, le 6 avril 2000, le travailleur se décrit comme étant « stressé ++ ».
[213] Le 22 juillet 2002, le travailleur mentionne être fatigué, avoir une perte d’appétit et souffrir d’insomnie.
[214] Le 19 octobre 2004, la psychologue Sylvie Bourcier écrit que le travailleur « se sent constamment sous tension ».
[215] Deux jours plus tard, le psychiatre André Monette rapporte que le travailleur est plus irritable depuis quelques années.
[216] Le 27 octobre 2004, le travailleur mentionne au docteur Marcel Pigeon « qu’il n’est plus tout à fait le même depuis 2 ou 3 ans ». Il dit avoir perçu que son employeur le harcelait.
[217] Le 21 avril 2005, le travailleur mentionne à la psychiatre Victoria Tuvivovich que, depuis cinq ou six ans, il se sent mécontent, triste, moins capable de gérer son stress et « être irritable envers l’ouvrage ».
[218] Le 18 août 2009, dans la période de l’implantation de la nouvelle technologie et avant même que, selon les dires du travailleur, B commence à l’épier et à l’intimider, le travailleur rapporte au docteur Alain Thibert que, depuis six mois, il se sent fatigué et a un problème récidivant de sommeil.
[219] Ce que révèle cet historique médical, c’est que le travailleur présente, depuis plusieurs années et à des intervalles réguliers, des épisodes de fatigabilité, d’irritabilité, de perte d’appétit et des problèmes de sommeil. C’est sa manière de réagir lorsqu’il doit vivre des situations qui comportent un ou des facteurs de stress.
[98] En ce qui a trait à la condition personnelle préexistante du travailleur, le premier juge administratif conclut ainsi :
[249] Le travailleur est porteur d’une condition personnelle préexistante de trouble d’anxiété généralisée et la Commission des lésions professionnelles doit déterminer, en dernier lieu, si cette condition a été aggravée par un accident du travail.
[250] La Commission des lésions professionnelles, ne considérant pas les événements allégués par le travailleur, pris isolément ou dans leur ensemble, comme un événement imprévu et soudain, ne peut conclure que la condition personnelle et préexistante du travailleur a été aggravée par un accident du travail.
[99] Puisque la preuve prépondérante ne démontre pas qu’un événement imprévu et soudain est survenu par le fait ou à l’occasion du travail, le premier juge administratif ne peut décider que la condition personnelle et préexistante du travailleur a été aggravée par un accident du travail.
[100] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur n’a pas démontré que la décision rendue par le premier juge administratif est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, soit une erreur manifeste et déterminante sur l’issue du litige.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE sans objet la requête pour recours abusif et dilatoire de l’employeur, [la Compagnie A];
ACCUEILLE la requête incidente de l’employeur relative au retrait des deux documents au dossier;
ORDONNE le retrait du dossier des documents intitulés « Transaction et reçu-quittance » et d’un courriel de maître Érik Sabbatini daté du 13 juin 2011;
REJETTE la requête incidente de l’employeur afin de modifier l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion rendue le 14 décembre 2011;
DÉCLARE que l’ordonnance rendue le 14 décembre 2011 s’applique également à tous les documents déposés après la décision rendue le 4 octobre 2013;
REJETTE la requête en révision de monsieur B... B..., travailleur.
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Esther Malo |
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M. R... L... |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Érik Sabbatini |
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Fasken Martineau DuMoulin, avocats |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] L.R.Q., C. S-2.1.
[3] RLRQ, c. A-3.001, r. 12.
[4] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.
[5] Précitée, note 4.
[6] Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004, (30009).
[7] CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[8] CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[9] Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).
[10] C.L.P. 250997-64-0414, 12 juillet 2007, S. Di Pasquale.
[11] Précitée, note 7; voir également l’affaire Bourassa c. CLP, précitée note 6.
[12] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[13] Bourassa c. CLP, précitée note 6; CSST c. Fontaine, précitée note 7.
[14] CSST c. Touloumi, précitée note 8.
[15] A. M. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1067.
[16] Précitée, note 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.