Modèle de décision CLP - juillet 2015

Ado-Boulot inc.

2019 QCTAT 538

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

653991-64-1712

Dossier CNESST :

89096326

 

 

Laval,

le 4 février 2019

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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Philippe Bouvier

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Ado-Boulot inc.

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

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DÉCISION

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APERÇU

 

[1]           L’entreprise Ado-Boulot inc. œuvre dans le commerce de confiseries notamment la vente et la distribution de chocolat. Dans le but de réaliser ses objectifs d’affaires, Ado-Boulot recrute des personnes, appelées moniteurs. Ces derniers mobilisent des adolescents âgés entre 12 et 16 ans pour vendre le chocolat.

[2]           La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail considère que les moniteurs et les adolescents sont des travailleurs au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) et que Ado-Boulot doit inclure, dans sa déclaration des salaires, les sommes versées aux moniteurs et aux adolescents.

[3]           De son côté, Ado-Boulot prétend que les moniteurs et les adolescents qui vendent le chocolat sont des travailleurs autonomes, des sous-traitants et qu’il n’a pas à inclure leurs revenus dans sa masse salariale.

[4]           Le Tribunal administratif du travail conclut que les moniteurs et les adolescents qui vendent le chocolat sont des travailleurs en raison du lien de subordination qui les unit à l’entreprise Ado-Boulot inc.

CONTEXTE

[5]           Monsieur Stéphane Lemieux préside l’entreprise Ado-Boulot inc. Cette entreprise œuvre principalement dans la vente de chocolat que ce soit pour des campagnes de financement auprès des écoles ou encore de différents organismes. De plus, l’entreprise recrute également des moniteurs et des adolescents pour la vente de chocolat en effectuant du porte-à-porte.

[6]           Le site internet de l’entreprise affiche deux types d’offres d’emplois : l’une afin de recruter des moniteurs et l’autre pour le recrutement d’adolescents. L’offre d’emploi destinée aux moniteurs annonce la perspective d’une carrière intéressante avec une possibilité de revenus se situant entre 40 000,00 $ et 60 000,00 $ pour la première année. L’annonce expose les exigences du poste et invite les candidats intéressés à transmettre leur candidature.

[7]           Monsieur Jean Bélisle est l’un des moniteurs pour l’entreprise Ado-Boulot inc. Il a conclu avec l’entreprise une entente que les parties ont intitulée Convention de services d’un travailleur autonome. Ce document expose la mission d’Ado-Boulot, les obligations du moniteur, le prix de vente du chocolat et les bonifications ainsi que différentes clauses de non-sollicitations et d’exclusivité d’approvisionnement. Cette convention de services est assortie d’un guide des moniteurs.

[8]           Certains moniteurs opèrent une entreprise individuelle, immatriculée au Registre des entreprises du Québec.

[9]           L’offre d’emploi destinée aux adolescents laisse entendre qu’ils peuvent obtenir des gains entre 75,00 $ et 200,00 $ par semaine. Cette offre précise également qu’Ado-Boulot a besoin d’eux deux soirs par semaine et une journée pendant la fin de semaine. Il y est précisé qu’il s’agit d’un travail d’équipe supervisé par un moniteur qualifié et que le transport est fourni.

[10]        Ado-Boulot demande aux parents de remplir un formulaire dans lequel ils autorisent leur enfant à participer à son programme. De plus chacun des adolescents recrutés possède une carte plastifiée au nom d’Ado-Boulot qu’il montre aux personnes sollicitées lorsqu’il fait du porte-à-porte.

ANALYSE

[11]        Le Tribunal administratif du travail doit déterminer si les moniteurs et les adolescents dont les services sont retenus par l’entreprise Ado-Boulot sont des travailleurs au sens de la Loi.

[12]        L’article 2 de la Loi définit les notions de travailleur et de travailleur autonome de la façon suivante :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage, à l'exclusion :

 

[…]

 

« travailleur autonome » : une personne physique qui fait affaires pour son propre compte, seule ou en société, et qui n'a pas de travailleur à son emploi.

 

 

[13]        La distinction entre la notion de travailleur et de travailleur autonome réside dans l’existence d’un contrat de travail entre une personne physique et un employeur. Le Code civil du Québec[2] définit la notion de contrat de travail de la façon suivante :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

 

[14]        Ce qui caractérise donc le contrat de travail, c’est l’existence d’une prestation de travail en contrepartie d’une rémunération et la présence d’un lien de subordination juridique entre la personne qui effectue la prestation de travail et l’employeur. Ce dernier élément est le plus significatif du contrat de travail comme le souligne le regretté Robert P.  Gagnon, dans son ouvrage Le droit du travail au Québec[3] :

 

 

90 - Facteur distinctif - L’élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travail10. C’est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d’autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d’une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d’entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C. c. Q. Ainsi, alors que l’entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l’article 2099 C. c. Q., « le libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l’employeur et dans le cadre établi par ce dernier11.

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Notes omises

 

 

[15]        Cette notion de subordination juridique doit s’apprécier en tenant compte du contexte dans lequel le contrat est invoqué. Dans l’affaire Dicom Express inc. c. Paiement[4], la Cour d’appel détermine une grille d’analyse de cette notion de subordination juridique :

[15]      En l'espèce, l'action est intentée en prenant appui sur le droit civil. C'est donc la notion de contrat de travail du Code civil qui s'applique. L'article 2085 le définit comme « celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur ». Ce qui constitue le trait distinctif du contrat de travail, et le distingue du contrat de service, est cette caractéristique suivant laquelle l'exécution du travail du salarié est subordonnée au contrôle et à la direction d'un employeur.

 

[16]       Le critère de subordination juridique se définit difficilement, mais ne doit surtout pas être confondu avec la dépendance économique. Le fait de n'être lié qu'à un seul client qui impose certains devoirs ou obligations au regard de standards de qualité de service, fixe le prix du produit ou dicte certaines normes de publicité, ne signifie pas pour autant et nécessairement qu'il y a subordination juridique. Inversement, la subordination juridique inclut une dépendance économique5.

 

[17]       La notion de subordination juridique contient l'idée d'une dépendance hiérarchique, ce qui inclut le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution du travail et de sanctionner les manquements. La subordination ne sera pas la même et surtout ne s'exercera pas de la même façon selon le niveau hiérarchique de l'employé, l'étendue de ses compétences, la complexité et l'amplitude des tâches qui lui sont confiées, la nature du produit ou du service offert, le contexte dans lequel la fonction est exercée. L'examen de chaque situation reste individuel et l'analyse doit être faite dans une perspective globale.

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Voir à ce propos l’opinion du juge Brière du Tribunal du Travail dans Ville de Brossard c. Syndicat des employés de Ville de Brossard (C.S.N.), [1990] T. T. 337, D.T.E. 90-865.

 

 

[16]        Les moniteurs et les adolescents sont des travailleurs de l’entreprise Ado-Boulot au sens de la Loi et Ado-Boulot doit inclure les revenus dans sa masse salariale. Ce statut de travailleur réside dans les modalités de recrutement et dans l’encadrement mis en place par Ado-Boulot auprès des moniteurs et des adolescents.

[17]        Au chapitre du recrutement, Ado-Boulot a une structure bien établie qui témoigne d’un contrôle dans le choix des individus. Pour les moniteurs, le site de l’entreprise évoque les perspectives d’une carrière enrichissante et élabore des exigences de sélection requise alors que pour les adolescents il y est fait mention de la notion d’emploi étudiant.

[18]        D’ailleurs, pour ces derniers, les modalités de recrutement et d’encadrement illustrent le lien de subordination entre eux et Ado-Boulot. Un formulaire d’autorisation parentale, au nom d’Ado-Boulot, doit être signé afin de permettre à l’adolescent de travailler pour cette entreprise. De plus, chacun des adolescents lorsqu’il effectue du porte-à-porte pour la vente de chocolat est muni d’une carte prouvant qu’il est encadré et supporté par Ado-Boulot.

[19]        Certes, comme le soulignent messieurs Bélisle et Lemieux, les adolescents peuvent aménager leur horaire. Toutefois, cet aménagement d’horaire est restreint puisque l’avis de recrutement des adolescents précise qu’ils doivent travailler deux soirs par semaine et une journée durant la fin de semaine. Cette autonomie d’horaire s’avère limitée d’autant que, selon la preuve, Ado-Boulot assure le transport des adolescents sur les lieux de travail notamment par l’entremise de ses moniteurs ou en louant des véhicules.

[20]        Les moniteurs doivent être également considérés comme des travailleurs de l’entreprise d’Ado-Boulot. Bien que le contrat entre eux porte l’en-tête de Convention de services d’un travailleur autonome, les obligations dévolues au moniteur témoignent d’un lien de subordination entre Ado-Boulot et ce dernier. Ces obligations sont les suivantes :

Le «MONITEUR» s’engage à:

 

       3.1   Utiliser le guide du moniteur fourni par « ADO-BOULOT » comme outil d’entraînement pour lui-même.

 

  3.2   Faire signer le formulaire d’autorisation des parents dès la deuxième rencontre avec l’adolescent.

 

       3.3   Remettre son rapport hebdomadaire à tous les dimanches soir par l’entremise du site internet « ADO-BOULOT ».

 

       3.4   Payer tous les chocolats commander sur réception.

 

       3.5   Avoir une attitude qui cadre avec la structure, les attentes, l’éthique morale et professionnelle de l’entreprise.

 

     3.6   Mettre en application le système de valeurs d’« ADO-BOULOT » à tous les adolescents de son équipe.

       3.7   Respecter les territoires octroyés par « ADO-BOULOT ». qui peuvent être sujet à un changement sans préavis, selon les circonstances et à la discrétion d’« ADO-BOULOT ».

 

       3.8   S’approvisionner en exclusivité pour tous les produits de financement auprès d’« ADO-BOULOT », étant spécifiquement attendu que le « MONITEUR » ne pourra pas vendre des produits de financement (produits de confiserie et chocolat) de tout autre promoteur pour en faire la vente par colportage et ce, pendant la durée de la présente convention et pour une période additionnelle de deux (2) années à compter de sa terminaison;

[Transcription textuelle]

 

 

[21]        Ces obligations illustrent le rôle majeur que joue Ado-Boulot dans l’organisation du travail et dans l’encadrement des tâches du moniteur. La mise en place d’un guide, la remise d’un rapport hebdomadaire des ventes, le respect de l’éthique morale et professionnelle de l’entreprise ainsi que l’obligation d’appliquer le système de valeurs d’Ado-Boulot à tous les adolescents démontrent que l’entreprise Ado-Boulot établit son contrôle tant à l’égard des moniteurs mais aussi des adolescents.

[22]        De plus, c’est Ado-Boulot qui fixe les territoires de ventes, le prix de vente du chocolat laissant peu d’initiative en ces matières aux moniteurs.

[23]        En somme, les moniteurs et les adolescents acceptent le cadre de travail imposé par Ado-Boulot. En l’espèce, l’analyse du mode rémunération ou de la propriété des outils ou des équipements importe peu puisque les moniteurs et les adolescents suivent et acceptent les directives et les modalités d’exercice du travail élaborées par Ado-Boulot dans ses offres d’emplois, son guide des moniteurs ou encore dans les obligations imposées aux moniteurs et, pour les adolescents, dans le formulaire d’acceptation signé par leurs parents.

[24]        Les témoignages de messieurs Bélisle et Lemieux de même que celui du comptable de l’entreprise ne permettent pas de remettre en question ce lien de subordination. En l’espèce, le fait qu’Ado-Boulot n’effectue aucune retenue à la source ne signifie pas qu’il y ait absence de lien de subordination. De plus, monsieur Bélisle mentionne que son travail de moniteur lui confère une liberté de l’exercice de son travail. Cette liberté qu’il évoque est restreinte par le cadre proposé par Ado-Boulot dans la convention signée entre l’entreprise et ses moniteurs.

[25]        En conséquence, les moniteurs et les adolescents qui vendent le chocolat sont des travailleurs de l’entreprise Ado-Boulot inc.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la contestation de l’entreprise Ado-Boulot inc., l’employeur;

CONFIRME la décision rendue le 6 novembre 2017 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE que les moniteurs et adolescents sont des travailleurs au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que les sommes versées aux moniteurs et aux adolescents doivent être ajoutées à la masse salariale de l’employeur.

 

 

 

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Philippe Bouvier

 

 

 

 

 

 

Me Sylvie Proulx

BARRON, ROY, PROULX

Pour la partie demanderesse

 

Me Olivier Hardy

PAQUET TELLIER

Pour la partie intervenante

 

Date de l’audience : 12 octobre 2018

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]          RLRQ, c. CCQ-1991.

[3]           Robert P. GAGNON (dir.), Le droit du travail du Québec, Cowansville, 6e éd., Éditions Yvon Blais, 2008, 1 000 p.

[4]           2009 QCCA 611.

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