Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Mensah) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) |
2018 QCTDP 5 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-53-000414-142 |
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DATE : |
2 mars 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARIO GERVAIS |
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AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS : |
Mme Judy Gold Me Jean-François Boulais |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de DAVIDS MENSAH |
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Partie demanderesse |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL (SERVICE DE POLICE DE LA VILLE DE MONTRÉAL) |
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MARTIN ROBIDOUX |
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JEAN-MICHEL FOURNIER |
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Parties défenderesses |
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DAVIDS MENSAH |
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Partie victime et plaignante
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JUGEMENT |
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[1] La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission), agissant au bénéfice de M. Davids Mensah (plaignant), réclame des dommages moraux et punitifs à la Ville de Montréal et aux agents Martin Robidoux et Jean-Michel Fournier à la suite d’une intervention policière qui constituerait de la discrimination et du profilage racial.
[2] La Commission soutient que l’intervention des agents Robidoux et Fournier a porté atteinte aux droits du plaignant à la sauvegarde de sa dignité ainsi qu’à la sûreté, l’intégrité et la liberté de sa personne et à son droit de ne pas faire l’objet de fouilles abusives, sans distinction ou exclusion fondée sur la race, la couleur et l’âge, contrevenant ainsi aux articles 1, 4, 10 et 24.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (Charte).
[3] Les défendeurs nient toute forme de profilage racial ou de discrimination. Ils soutiennent que l’intervention policière reprochée s’est d’abord effectuée en toute légalité et légitimité en application du Code de la sécurité routière[2] (C.S.R.). Elle a par la suite requis l’usage légal d’une force justifiée et proportionnelle à l’attitude et aux agissements agressifs de M. Mensah, sans égard à sa race, son âge ou toute autre considération illicite.
1. Lors de leur intervention du 4 juin 2011, les agents Robidoux et Fournier ont-ils eu envers le plaignant un comportement qui constitue de la discrimination par profilage racial?
2. Dans l’affirmative, le plaignant a-t-il subi un préjudice justifiant l’attribution de dommages moraux?
3. Le comportement des agents Robidoux et Fournier justifie-t-il une condamnation au paiement de dommages punitifs?
[4] Le 4 juin 2011, les agents Robidoux et Fournier interceptent le plaignant qui circule en automobile sur le boulevard Henri-Bourassa, à Montréal-Nord.
[5] Diverses vérifications au dossier conducteur du plaignant révèlent des irrégularités au C.S.R. Le plaignant en est informé et contraint de sortir de son véhicule. Il proteste. En peu de temps, la situation dégénère. Les policiers ont recours à la force et procèdent à son arrestation. Ils le menottent, le fouillent et le font monter dans l’auto-patrouille.
[6] Au terme de l’incident, le plaignant est libéré et son véhicule est remorqué. Les policiers lui remettent deux constats d’infraction et un document intitulé « Engagement contracté devant un agent de la paix » l’enjoignant de comparaître devant le percepteur des amendes de la Cour municipale de Montréal.
[7] Le plaignant est un jeune homme d’origine ghanéenne de 23 ans.
[8] En 2011, il étudie en techniques policières au Collège Algonquin à Ottawa. Les fins de semaine, il revient à Montréal pour travailler comme livreur au restaurant Miramar afin de payer ses études et subvenir aux besoins de la famille.
[9] Le 4 juin 2011, vers 4 h du matin, le plaignant quitte le stationnement d’un motel où il a fait une livraison. Il engage son véhicule sur le boulevard Henri-Bourassa en direction ouest et s’immobilise au feu rouge à l’intersection de l’avenue Désy.
[10] Le plaignant remarque à sa gauche une auto-patrouille du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Son regard croise celui du policier passager. Il constate par la suite un court échange entre le conducteur et le passager.
[11] Au feu vert, le plaignant démarre. Les policiers le suivent quelques instants, puis actionnent les gyrophares. Le plaignant immobilise son véhicule sur le côté droit de la chaussée, suivi de l’auto-patrouille qui se gare derrière lui.
[12] Les policiers s’approchent du véhicule, l’un de chaque côté. À la demande de l'un d'entre eux, le plaignant remet son permis de conduire, le certificat d’immatriculation du véhicule qui appartient à sa conjointe et la preuve d’assurance.
[13] Les policiers retournent à l’auto-patrouille faire certaines vérifications. Un policier revient vers lui. Il l’avise que « tout est beau »[3], mais le somme de sortir du véhicule. Le plaignant obéit et le suit calmement à l’arrière de son véhicule.
[14] Le plaignant est informé qu’il est titulaire de deux permis de conduire dont l’un est émis par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et l’autre provient de la province d’Ontario.
[15] Calmement, le plaignant réplique qu’il n’est titulaire que d’un seul permis de conduire, émis en Ontario. Pour l’obtenir, il a remis à un fonctionnaire ontarien son permis de conduire de la SAAQ.
[16] Un policier lui demande s’il est en possession d’un objet tranchant ou de drogue. Le plaignant répond par la négative. Le même agent exige qu’il se retourne. Le plaignant coopère.
[17] Subitement, les agents procèdent à son arrestation. Avec rudesse, le plaignant est saisi par le bras et le cou. Il est brutalement plaqué à l’arrière de son véhicule, le visage contre le pare-brise, puis est menotté les mains derrière le dos.
[18] À trois ou quatre reprises, un agent lui demande « où est la drogue? »[4]. Le plaignant nie toute possession. Il ajoute qu’en tant qu’étudiant en techniques policières, il lui importe de ne jamais en consommer.
[19] Le plaignant est fouillé puis est monté à bord de l’auto-patrouille, sur la banquette arrière. Il ignore toujours les motifs de son arrestation et n’est pas informé de ses droits.
[20] L’agent Robidoux entreprend une fouille complète du véhicule du plaignant.
[21] L’agent Fournier assume pendant ce temps la garde du plaignant. Il le prévient que son permis de conduire est sanctionné, en l’espèce suspendu pour une amende impayée de 400 $. Le plaignant indique qu’il ne dispose pas d’une telle somme sur lui.
[22] Le plaignant demande à téléphoner à sa conjointe ou à son employeur afin d’acquitter le solde. D’un ton arrogant, l’agent Fournier refuse et reproche au plaignant d’être irrespectueux. Il renchérit en déclarant qu’il fera tout en son pouvoir pour l’empêcher de devenir policier.
[23] L’agent Robidoux réintègre l’auto-patrouille. Quelques échanges s’ensuivent, puis l’agent Fournier remet au plaignant un document qu’il doit signer et qui l’enjoint de comparaître le 4 juillet 2011 devant le percepteur des amendes de la Cour municipale de Montréal.
[24] Les policiers libèrent le plaignant. Ils lui permettent de récupérer les deux sièges pour enfant et les recettes de ses livraisons avant le remorquage de son véhicule.
[25] L’agent Fournier remet au plaignant deux constats d’infraction, pour une somme totale de 1 320 $, en lui disant « Viens que je t’explique ton beau ticket »[5]. Il réitère au plaignant qu’il fera obstacle à son projet de devenir policier.
[26] Outré, le plaignant déclare aux policiers qu’il les poursuivra en justice pour tout ce qu’il vient de subir. L’agent Fournier lui réplique qu’il n’aura qu’à prétendre qu’il s’agit de fausses accusations.
[27] Le plaignant demande à être raccompagné à la maison en auto-patrouille. Les policiers refusent et quittent les lieux.
[28] Le plaignant contacte son patron. Un employé est dépêché pour le ramener au restaurant. Pendant le trajet, le plaignant est sous le choc et pleure constamment. La conjointe du plaignant vient ensuite le chercher. Le plaignant est toujours bouleversé et confus. En sanglots, il est incapable de lui relater l’incident.
[29] Dans les jours qui suivent, le plaignant reste enfermé dans son logement, les lumières et les stores fermés. Il ne dort plus, ne mange plus et est apathique.
[30] Le 9 juin 2011, le plaignant consulte un médecin pour une douleur au cou et de l’insomnie.
[31] Dans les jours qui suivent, il dépose une plainte en déontologie policière et une plainte auprès de la Commission.
[32] Le plaignant continue ses études en techniques policières, mais remet en cause sa décision de devenir policier. Il est dégouté de l’intervention des agents Fournier et Robidoux et désabusé par le travail des policiers. La perspective d’avoir un jour à travailler en partenariat avec de tels individus le rebute.
[33] En avril 2012, après trois semestres, le plaignant abandonne ses études au Collège Algonquin.
[34] Le plaignant affirme revivre souvent l’incident du 4 juin 2011. Il a la conviction d’avoir été intercepté en raison de la couleur de sa peau. Il est persuadé que s’il a été ensuite arrêté avec brutalité et questionné au sujet de la drogue, c’est que les policiers ont présumé, encore une fois en raison de la couleur de sa peau, qu’il devait en être un trafiquant.
[35] Traumatisé, il ne conduit plus à ce jour de véhicule au Québec, sinon que de rares fois.
[36] Le plaignant soutient avoir profondément souffert de l’atteinte à sa dignité et que son équilibre psychologique en a été affecté. À l’audience, il déclare : « They took my pride away. It took me five years […] to be where I wanna be. And it took them a couple of seconds to take it away from me »[6].
[37] Le 4 juin 2011, les agents Robidoux et Fournier, policiers à l’emploi du SPVM affectés au poste de quartier 39 (PDQ-39), à Montréal-Nord, effectuent une patrouille de nuit. L’agent Robidoux est conducteur et l’agent Fournier est passager.
[38] Vers 4 h du matin, ils remarquent un véhicule, dont le phare avant droit est brûlé, quitter le stationnement d’un motel et s’engager devant eux sur le boulevard Henri-Bourassa, direction ouest, pour s’immobiliser au feu rouge à l’intersection de l’avenue Désy.
[39] Les policiers constatent également que le véhicule n’est pas muni d’une plaque d’immatriculation. Seul l’agent Fournier aperçoit le certificat d’immatriculation temporaire (transit) sur la lunette arrière du véhicule.
[40] L’agent Robidoux précise toutefois qu’il ne peut encore rien discerner dans l’habitacle du véhicule, mais « déduit » qu’il y a nécessairement un « chauffeur ».
[41] Les agents décident d’intercepter le véhicule du plaignant en raison du phare brûlé et pour vérifier l’immatriculation. Les gyrophares sont actionnés et le plaignant immobilise son véhicule devant eux.
[42] Les agents s’approchent du plaignant, l’agent Robidoux du côté conducteur et l’agent Fournier, un peu en retrait, du côté passager. L’agent Robidoux demande à examiner le permis de conduire du conducteur, l’immatriculation et la preuve d’assurance du véhicule. Pendant ce temps, l’agent Fournier inspecte sommairement l’intérieur du véhicule avec sa lampe de poche pour ensuite se diriger vers l’arrière et examiner le transit.
[43] Les deux agents regagnent l’auto-patrouille pour vérifier la validité des documents remis par le plaignant. Une première recherche à l’aide de l’ordinateur de bord révèle que ceux-ci sont en règle.
[44] Toutefois, comme le permis de conduire fourni par le plaignant émane de l’extérieur du Québec, l’agent Fournier effectue, comme il le fait toujours dans un tel cas, une vérification au Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ).
[45] Cette démarche révèle que le plaignant est aussi titulaire d’un permis de conduire de la SAAQ, mais sanctionné en raison d’une amende impayée. Au surplus, en raison de cette amende, le plaignant fait l’objet d’un mandat d’amener devant le percepteur de la Cour municipale de la Ville de Montréal (mandat percepteur).
[46] L’agent Robidoux retourne vers le plaignant pendant que l’agent Fournier l’attend à l’extérieur, entre les deux véhicules. L’agent Robidoux demande au plaignant de sortir de son véhicule et de le suivre en direction de son collègue. Le plaignant coopère.
[47] L’agent Fournier informe le plaignant des infractions qui lui sont reprochées qui visent pour l’une, la conduite d’un véhicule alors qu’il est titulaire de deux permis de conduire, et, pour l’autre, la conduite d’un véhicule en ayant un permis de conduire sanctionné. Il ajoute que conséquemment, le véhicule sera saisi et remorqué. Il lui révèle l’existence d’un mandat percepteur émis contre lui pour une amende impayée.
[48] Le plaignant conteste avec vigueur les allégations des policiers. Il s’emporte et hausse le ton au point de crier. Il gesticule en fermant les poings. Il affiche un air menaçant.
[49] Devant l’agressivité du plaignant, les agents procèdent à son arrestation pour assurer leur sécurité. Le plaignant se braque. Les policiers ont recours à la force en l’appuyant sur l’arrière de son véhicule pour le maîtriser et le menotter. Ils l’informent qu’il est arrêté pour mandat percepteur et l’informent de ses droits en cas d’arrestation.
[50] Le plaignant demeure néanmoins agité. Il déclare qu’il étudie en techniques policières et que s’il devait être arrêté ou que son véhicule soit saisi, il portera plainte contre les agents en alléguant avoir été battu et avoir eu la tête frappée contre la lunette arrière de son véhicule.
[51] L’agent Robidoux réprouve ces propos et avise le plaignant qu’il en fera état dans son rapport, ce qui pourrait nuire à ses chances d’obtenir un emploi au sein d’un corps de police.
[52] L’agent Fournier s’apprête à effectuer une fouille accessoire à l’arrestation du plaignant pendant qu’ils sont toujours entre les deux véhicules. Il lui demande auparavant s’il a sur lui des objets piquants ou tranchants et s’il possède « quelque chose d’illégal »[7]. Le plaignant répond en niant les infractions à l’origine de son interpellation. La question lui est répétée. Le plaignant réitère ses propos.
[53] La fouille sommaire du plaignant s’avère négative.
[54] Le plaignant est conduit devant la portière arrière de l’auto-patrouille. Il résiste en vain à son déplacement en se raidissant et en tentant de s’arrêter. Il est en colère. Il a une attitude agressive, mais ne pose aucun geste de nature offensive.
[55] L’agent Fournier s’apprête à entreprendre une deuxième fouille sommaire du plaignant. Il lui pose la même question à une différence près, lui demandant cette fois s’il est en possession de drogue. Le plaignant est offusqué par la question, mais y répond en niant toute possession de stupéfiants.
[56] La deuxième fouille sommaire du plaignant se révèle tout aussi négative.
[57] Le plaignant monte à bord de l’auto-patrouille. L’agent Fournier l’entend dire qu’il portera plainte contre eux pour avoir été battu. Le plaignant réitère ses propos quelques instants plus tard.
[58] Pendant que l’agent Robidoux procède à la fouille inventaire du véhicule du plaignant, l’agent Fournier lui demande s’il peut payer l’amende de 400 $. Le plaignant, refermé sur lui-même, ne répond pas véritablement. L’agent en déduit que le plaignant ne dispose pas de cette somme puisqu’il signera plus tard l’engagement à comparaître devant le percepteur des amendes de la Ville de Montréal.
[59] L’agent Robidoux complète la fouille inventaire du véhicule et revient à l’auto-patrouille. À ce moment, différentes options sont offertes au plaignant pour acquitter l’amende, dont le recours à de tierces personnes.
[60] Les documents relatifs à l’intervention policière étant complétés, les agents libèrent le plaignant et lui permettent de récupérer ses effets personnels ainsi que deux sièges pour enfant avant le remorquage de son véhicule.
[61] L’agent Fournier remet par la suite au plaignant les constats pour les deux infractions en cause, le procès-verbal de saisie du véhicule et l’engagement à comparaître devant le percepteur. Par contre, aucun constat n’est remis au plaignant pour sanctionner le phare défectueux, considérant qu’il n’est pas le propriétaire du véhicule.
[62] Les policiers quittent ensuite la scène, laissant le plaignant sur les lieux.
[63] Les dispositions de la Charte qui s’appliquent au présent litige sont les suivantes :
1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne. […]
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
24.1 Nul ne peut faire l’objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives.
[64] La Commission soutient que le plaignant a été victime de discrimination par profilage racial. Qu’en est-il du concept de profilage racial et quelle est la preuve qui doit en être faite?
[65] Dans l’arrêt Bombardier[8], la Cour suprême reprend la définition du profilage racial proposée par la Commission :
Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.
Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée.[9]
[66] Il est reconnu que la discrimination est une notion évolutive et que le profilage racial est l’une des formes de discrimination interdites par la Charte[10].
[67] En l’espèce, la théorie de la cause de la Commission est que le plaignant a été victime de profilage racial sur la base de la couleur de sa peau et de son jeune âge.
[68] Dans l’affaire Rezko[11], le Tribunal indique que la preuve de discrimination par profilage racial doit comporter les éléments suivants :
[177] Les tribunaux spécialisés en droits de la personne ont précisé les éléments spécifiques que la partie en demande doit plus particulièrement démontrer afin d'établir une preuve prépondérante de profilage racial:
1) elle est membre (ou perçue comme membre) d'un groupe caractérisé par un motif interdit de discrimination;
2) elle a été l'objet, dans l'exercice d'un droit protégé par la loi, d'un traitement différencié ou inhabituel de la part d'une personne en autorité;
3) un motif interdit de discrimination a été l'un des facteurs ayant mené cette personne à appliquer ce traitement.[12]
[69] Le Tribunal y précise également que la preuve d’un traitement différencié subi par un individu « exige de se demander si la personne en autorité aurait agi différemment si le plaignant n'avait pas été membre, ou présumé membre, d'un groupe protégé par la Charte »[13].
[70] Pour ce faire, la preuve factuelle et circonstancielle doit être analysée « en vue d'identifier si des écarts de conduite tels que le manque de courtoisie et l'intransigeance du policier permettent de conclure à un traitement différencié ou inusité par rapport aux pratiques usuelles dans des circonstances semblables »[14]. Parmi les autres mesures pouvant être assimilées à un traitement inhabituel ou différencié, le Tribunal énumère « les interventions (poursuites, arrestations, détentions, etc.) effectuées sans motif raisonnable, ou de manière excessive compte tenu des circonstances »[15].
[71] Me Michèle Turenne, dans un article publié en 2009, explique que certains comportements peuvent être des indices de profilage racial. Elle mentionne notamment qu’un comportement inadéquat de personnes en autorité, tels « des comportements intransigeants, suspicieux, harcelants ou des propos à caractère discriminatoire […], de même que des questions inappropriées ou posées sans raison valable […] peuvent permettre de démontrer ou de corroborer le caractère discriminatoire d’une intervention »[16].
[72] Elle ajoute que « [d]es décisions inusitées de la part des agents en situation d’autorité qui se démarquent des pratiques normales, tels un abus de droit ou de pouvoir, des recherches ou investigations exhaustives eu égard aux circonstances […] peuvent démontrer la différence de traitement »[17].
[73] Suivant les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Bombardier[18], la preuve de la discrimination comporte deux volets.
[74] Dans un premier temps, l’article 10 requiert du demandeur qu’il apporte la preuve de trois éléments[19] :
1. une « distinction, exclusion ou préférence »;
2. qui est fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de cet article;
3. qui a pour effet de « détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne ».
[75] Si ces trois éléments sont établis, il y a alors discrimination prima facie ou à première vue. Il s’agit du premier volet.
[76] L’expression prima facie ou à première vue ne modifie aucunement le degré de preuve applicable qui demeure celui de la prépondérance prévu par le Code civil du Québec.
[77] Le demandeur a le fardeau de démontrer qu’il existe un lien entre le motif prohibé de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence. Toutefois, la preuve doit simplement établir que ledit motif a été un des facteurs de la décision[20]. Il est donc suffisant de démontrer que le motif prohibé de discrimination a contribué au traitement préjudiciable. Il s’agit d’une question de fait qu’il incombe au Tribunal d’apprécier.
[78] La preuve de l’intention n’est pas nécessaire pour conclure à la discrimination, les actions ou les omissions discriminatoires pouvant être multifactorielles ou inconscientes[21].
[79] La présentation d’une preuve prépondérante à l’égard des trois éléments sera suffisante pour permettre au Tribunal de conclure à la violation de l’article 10 de la Charte, à moins que le défendeur ne présente soit des éléments de preuve réfutant l’allégation, soit une défense la justifiant, soit une combinaison des deux[22].
[80] Dans un second temps, le défendeur peut tenter de réfuter les allégations ou justifier sa conduite en regard de la Charte. Il s’agit du second volet.
[81] Pour réfuter une preuve prima facie de discrimination par profilage racial, le défendeur doit convaincre le Tribunal par prépondérance de preuve que chacune de ses interventions[23] :
1. était fondée sur des motifs raisonnables ;
2. n’était pas influencée par l’un ou l’autre des motifs interdits de discrimination ;
3. ne constituait pas un traitement différencié ou inhabituel.
[82] Si le défendeur échoue, le Tribunal conclura alors à l’existence d’une discrimination[24].
1ère QUESTION : |
Lors de leur intervention du 4 juin 2011, les agents Robidoux et Fournier ont-ils eu envers le plaignant un comportement qui constitue de la discrimination par profilage racial? |
[83] La version du plaignant s’oppose à celles des agents Robidoux et Fournier. Ces versions sont irréconciliables sur plusieurs aspects, certains étant cruciaux, d’autres portant sur des éléments accessoires de leurs récits.
[84] Conséquemment, le Tribunal doit évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins entendus afin de tirer les conclusions de fait sur lesquelles portera l’analyse des enjeux légaux issus de la Charte.
[85] Au départ, la Cour suprême nous rappelle qu’« apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte »[25].
[86] Il importe de distinguer la notion de crédibilité, qui réfère à la sincérité et à l’honnêteté du témoin, de la notion de fiabilité, qui traite plutôt de la valeur du témoignage et de ce qui le rend digne de confiance. Dans l’arrêt J.R. c. R.[26], la Cour d’appel écrit :
[49] Comme le soutient l'appelant, les notions de fiabilité et de crédibilité sont distinctes. La fiabilité a trait à la valeur d'une déclaration faite par un témoin alors que la crédibilité se réfère à la personne. Mon collègue, le juge François Doyon, expose fort bien la différence qu'on doit faire entre ces concepts :
La crédibilité se réfère à la personne et à ses caractéristiques, par exemple son honnêteté, qui peuvent se manifester dans son comportement. L'on parlera donc de la crédibilité du témoin.
La fiabilité se réfère plutôt à la valeur du récit relaté par le témoin. L'on parlera de la fiabilité de son témoignage, autrement dit d'un témoignage digne de confiance.
Ainsi, il est bien connu que le témoin crédible peut honnêtement croire que sa version des faits est véridique, alors qu'il n'en est rien, et ce, tout simplement parce qu'il se trompe; la crédibilité du témoin ne rend donc pas nécessairement son récit fiable.
(Référence omise)
[87] Dans l’arrêt Pointejour Salomon c. La Reine[27], la Cour d’appel suggère une démarche de résolution des versions contradictoires en les analysant sous ces deux angles, mais en privilégiant l’appréciation de la fiabilité qui fait davantage appel à la logique et à l’objectivité.
[88] Le Tribunal doit tenir compte de tous les éléments intrinsèques et extrinsèques aux témoignages entendus et, le cas échéant, de leurs contradictions, leur corroboration et leur « compatibilité avec l'ensemble des circonstances et des probabilités révélées par la preuve »[28].
[89] Certaines qualités d’un témoignage relèvent du témoin lui-même dans sa façon de témoigner, dans son attitude, sa capacité d’observation et de se rappeler des événements.
[90] D’autres apparaissent dans les propos du témoin, ses nuances, ses réticences, son souci de répondre franchement et complètement aux questions, ses contradictions à l’intérieur du témoignage, ses contradictions ou omissions par rapport à ses déclarations antérieures ou en regard de l’ensemble de la preuve.
[91] Enfin, réitérons le principe bien établi suivant lequel le Tribunal peut retenir en totalité ou en partie le témoignage d’une personne ou ne pas la croire du tout[29].
[92] Une preuve de profilage racial résulte rarement d’une preuve directe. Elle ne peut que s’inférer de l’ensemble des circonstances révélées par la preuve, hormis le cas bien improbable de l’aveu[30].
[93] Conséquemment, le contexte social à l’intérieur duquel les faits en litige se produisent est utile et pertinent pour en saisir tout leur sens et en mesurer la portée[31].
[94] Toutefois, le contexte social ne doit servir qu’à établir une toile de fond. Il ne peut jamais à lui seul constituer une preuve prima facie qu’un acte discriminatoire a été commis. Un rapport tangible doit être démontré entre la preuve circonstancielle de discrimination et la décision ou la conduite contestée[32].
[95] Dès lors, si la preuve du contexte social peut être nécessaire à l’étude rétrospective de l’intervention des agents Fournier et Robidoux le 4 juin 2011, la résolution du présent litige vise d’abord et avant tout à déterminer si lesdits agents ont eu un comportement qui constitue de la discrimination par profilage racial envers le plaignant.
[96] La Commission a fait la preuve d’un contexte social hautement tendu à cette époque entre la population de l’arrondissement de Montréal-Nord et les policiers du PDQ-39 qui a été exacerbé par le décès de Fredy Villanueva en 2008, tombé sous les balles d’un policier.
[97] À ce sujet, les parties ont déposé au dossier un extrait du « Rapport d’enquête d’André Perreault, coroner à temps partiel, sur les causes et les circonstances du décès de Fredy Villanueva survenu à Montréal le 9 août 2008 » (Rapport Perreault)[33] qui établit cette toile de fond.
[98] En outre, les tribunaux peuvent prendre connaissance d’office du fait qu’il existe des préjugés raciaux dans la société canadienne. Dans l’arrêt R. c. S. (R.D.)[34], les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin écrivent :
[46] […] La personne raisonnable est censée connaître le passé de discrimination dont ont souffert les groupes défavorisés de la société canadienne que protègent les dispositions de la Charte relatives aux droits à l’égalité. Il s’agit de facteurs dont le juge peut prendre connaissance d’office. C’est ce qu’a fait le juge Doherty de la Cour d’appel dans Parks […] en déclarant ce qui suit […] :
[traduction] Le racisme, en particulier le racisme anti-noir, est partie intégrante de la mentalité de notre société. Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs. De surcroît, nos institutions, y compris la justice pénale, reflètent ces stéréotypes négatifs qu’elles perpétuent.
(Référence omise)
[99] Confirmant cet énoncé dans l’arrêt R. c. Grant[35], le juge Binnie ajoute :
[154] De plus en plus d’éléments de preuve et d’opinions tendent à démontrer que les minorités visibles et les personnes marginalisées risquent davantage de faire l’objet d’interventions policières « discrètes » injustifiées […]. L’appelant, M. Grant, est de race noire. En pareilles circonstances, les tribunaux ne peuvent se permettre de faire abstraction des considérations raciales.
[100] Là encore, le contexte social ou la connaissance judiciaire ne peuvent jamais, à eux seuls, démontrer que dans une situation donnée, il y a eu discrimination.
[101] Le plaignant relate avec émotion le déroulement des événements survenus le 4 juin 2011. À plusieurs reprises, il pleure en silence, essuyant discrètement ses larmes tout en poursuivant son récit.
[102] Le plaignant est convaincu d’avoir été victime de profilage racial. En dépit des années, la plaie semble toujours vive.
[103] Le Tribunal ne peut cependant faire acte de foi et simplement s’approprier la conviction du plaignant, aussi profonde soit-elle, pour régler le litige. Un examen minutieux de la preuve s’impose en application des considérations précitées.
[104] Si la charge émotive est le premier élément saisissant du témoignage du plaignant, sa mémoire défaillante l’est encore davantage.
[105] En contre-interrogatoire, il répond à environ 170 reprises « Je ne me souviens pas », « I don’t recall » ou « I don’t remember ». Ce nombre est d’autant plus déconcertant que le contre-interrogatoire, bien que s’échelonnant sur deux jours d’audience, n’a été que d’un peu plus de trois heures, abstraction faite du temps consacré aux objections des avocats des parties.
[106] Le Tribunal a même jugé nécessaire d’intervenir à quelques reprises auprès du plaignant afin qu’il saisisse la distinction entre une négation formelle et une absence de souvenir qui, dans ce dernier cas, laisse ouverte toutes les possibilités.
[107] Certains oublis sont sans importance. D’autres peuvent s’expliquer dans une certaine mesure par l’écoulement du temps, par la difficulté à fournir des détails ou, comme le plaignant l’affirme, découler de son besoin de mettre cette affaire derrière lui.
[108] En revanche, plusieurs failles de sa mémoire sont majeures, injustifiables, voire mensongères. Elles traduisent de façon malhabile une volonté évidente d’éluder le contre-interrogatoire.
[109] Ainsi, la preuve révèle que le 4 mai 2013, une intervention policière impliquant un autre agent et le plaignant est survenue. À cette date, le sergent Daniel Théorêt constate qu’un véhicule inoccupé est garé en double et obstrue la circulation sur la rue Saint-Roch, à Montréal. Le policier attend quelques minutes, puis interpelle le plaignant au moment où celui-ci s’apprête à réintégrer son véhicule.
[110] Le plaignant proteste. Il est d’avis qu’aucune infraction n’est commise lorsqu’un véhicule est garé en double pendant moins de deux minutes. Le policier rétorque qu’il l’observe depuis au moins trois minutes.
[111] Comme lors de l’événement du 4 juin 2011, le plaignant invoque sa formation en techniques policières pour appuyer ses propos. Le policier n’en est nullement impressionné et lui délivre un constat d’infraction.
[112] De retour à l’auto-patrouille, le sergent Théorêt constate que le plaignant tarde à quitter les lieux, son véhicule toujours garé en double. Le policier doit revenir vers lui pour lui intimer l’ordre de circuler.
[113] En contre-interrogatoire, le plaignant affirme n’avoir aucun souvenir de cet incident.
[114] Le 13 février 2014, le plaignant est arrêté alors qu’il conduit un véhicule dans l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension. Trois constats d’infraction[36] lui sont remis.
[115] Le premier constat reproche au plaignant d’avoir conduit un véhicule alors que son permis est sanctionné. La réclamation est de 450 $. Les deux autres constats sont relatifs à un transit expiré et d’avoir induit en erreur un agent de la paix. Le véhicule du plaignant est remorqué.
[116] En contre-interrogatoire, le plaignant est appelé à s’expliquer. Il répond n’en avoir aucun souvenir.
[117] Il y a pourtant une certaine analogie entre cet événement et les circonstances de l’intervention policière du 4 juin 2011 : un permis de conduire sanctionné, une amende impayée, une immatriculation par transit, plusieurs constats d’infraction et le remorquage du véhicule.
[118] L’impact d’une telle mésaventure est non négligeable, ne serait-ce que d’avoir encore une fois subi la saisie et le remorquage de son véhicule, ce dont tout individu devrait normalement se souvenir, et la lourdeur des conséquences sur le plan monétaire, particulièrement en raison de la situation financière précaire du plaignant.
[119] Dès lors, le refus du plaignant de reconnaître en contre-interrogatoire l’existence de l’arrestation du 13 février 2014 est troublant.
[120] Ajoutons que le plaignant invoque à plus d’une reprise dans son témoignage ses arrestations antérieures au 4 juin 2011 pour mettre en relief que jamais auparavant les policiers n’avaient soulevé la question de la validité de son permis de conduire. Il ne peut donc avoir oublié l’arrestation nettement plus importante et plus récente du 13 février 2014 sans laisser croire à une mémoire sélective de sa part.
[121] La preuve révèle également un événement significatif survenu le 21 mai 2010 alors que le plaignant est arrêté au volant du véhicule de sa conjointe. L’automobile est remorquée au motif que le permis de conduire de la conjointe du plaignant est sanctionné pour amendes impayées, ce qui en interdit la mise en circulation.
[122] Peu importe que ce dernier événement soit antérieur au litige, l’entêtement du plaignant à prétendre ne pas en avoir conservé un quelconque souvenir ne peut que susciter l’étonnement, comme si, encore une fois, la saisie et le remorquage d’un véhicule pouvaient n’être qu’un fait anodin.
[123] La preuve révèle également que le 25 juillet 2012, le plaignant est victime d’un accident de la route à Montréal. En raison de sa condition, il est conduit en ambulance à l’hôpital. Par mesure de précaution, un collet cervical lui est posé par les ambulanciers. Le plaignant obtient son congé de l’hôpital quelques heures plus tard après avoir subi des radiographies.
[124] En regard de cet événement, la question suivante lui est adressée : « Est-ce que vous vous souvenez d'avoir eu un accident au Québec le 25 juillet 2012 pour lequel vous avez été blessé? »[37]. Le plaignant répond par la négative.
[125] Interrogé à nouveau de manière détaillée, le plaignant rétorque que ce n’est pas tant de l’accident que de la date à laquelle il s’est produit qu’il n’a plus souvenir.
[126] Cette explication du plaignant n’est que l’ajustement de son récit pendant son contre-interrogatoire. L’oubli d’un accident sérieux, bien que corrigé, est peu crédible.
[127] Dans un autre registre d’événements, le 9 mai 2009, la conjointe du plaignant compose le service d’urgence 911. Elle craint le plaignant, tant pour sa sécurité immédiate que pour celle de ses enfants[38]. Sa déposition est recueillie par les policiers.
[128] Lorsque cette plainte et l’intervention policière du même jour sont soulevées, le plaignant déclare n’en avoir aucun souvenir, pas plus que de toute autre plainte de violence conjugale de la part de sa conjointe.
[129] Est-il crédible qu’un individu soit incapable de nier ou d’admettre un incident de violence conjugale en particulier ou tout autre de même nature en général tellement sa mémoire lui fait défaut? La réponse à cette question ne peut qu’être négative.
[130] De surcroît, voilà qu’un autre épisode de violence survient en août 2015. Le couple s’étant séparé en septembre 2014, le plaignant réside à Calgary. Il est de passage à Montréal pour visiter ses enfants. Pour en faciliter l’exercice, l’ex-conjointe lui remet les clefs de son logement pour qu’il s’y installe pendant quelques jours en son absence.
[131] Au moment de réintégrer son logement, l’ex-conjointe constate que le plaignant, selon toute vraisemblance en proie à une crise de jalousie, a tailladé à l’aide d’un couteau le divan de cuir neuf, un repose-pied noir et quatre chaises. En outre, le plaignant lui a subtilisé une enveloppe contenant 1 400 $.
[132] L’ex-conjointe signale l’événement aux autorités policières. Recontactée quelques jours plus tard, elle refuse finalement de porter plainte.
[133] Contre-interrogé à ce sujet, le plaignant admet avoir utilisé un couteau et causé des dommages, mais sans pouvoir nommer les objets qu’il a abîmés. Devant l’énumération des biens détruits par l’avocat des défendeurs, il finira par en reconnaître l’exactitude. Le plaignant avoue également avoir subtilisé l’enveloppe et son contenu, mais n’a aucun souvenir de la somme d’argent qui se trouvait à l’intérieur.
[134] Qu’un événement d’une telle gravité ait d’abord été complètement évacué de son esprit, pour ensuite, devant l’évidence, lui revenir graduellement à la mémoire, est un revirement douteux.
[135] En conclusion, le Tribunal ne croit pas aux nombreuses défaillances de la mémoire du plaignant. Redoutant l’impact de son contre-interrogatoire sur l’issue de sa cause, il a tenté de s’y soustraire en feignant de nombreux oublis invraisemblables.
[136] Le 29 février 2012, le plaignant subit son procès à la Cour municipale de Montréal pour contester les constats d’infraction qui lui ont été délivrés par les agents Fournier et Robidoux le 4 juin 2011.
[137] Devant le juge Florent Bisson, le plaignant explique qu’il ignorait lors de son arrestation que son permis de conduire était sanctionné, mentionnant qu’il était à sa connaissance que le paiement d’une amende était en souffrance, mais sans plus. Il souligne qu’en raison de son statut d’étudiant en techniques policières, il se soucie d’avoir un bon dossier sur le plan du paiement de ses amendes. Au besoin, il veille à prendre un « arrangement »[39] auprès des autorités, ce qu’il croyait avoir fait pour l’amende impayée à l’origine de la sanction de son permis de conduire.
[138] Or, le dossier du plaignant à la SAAQ révèle des interdictions de conduire pour défaut de paiement de constats d’infraction pour les périodes suivantes :
Ø du 23 juillet 2010 au 22 février 2012;
Ø du 28 juin 2012 au 11 décembre 2014.
[139] Il en résulte que sur une période d’un peu plus de quatre ans, le permis de conduire du plaignant n’a été valide que pendant quatre mois. Durant ses études en techniques policières, du mois de janvier 2011 au mois d’avril 2012, le permis de conduire du plaignant a constamment été sanctionné pour amendes impayées, sauf pendant les deux derniers mois.
[140] Le dossier conducteur du plaignant auprès de la SAAQ contredit son témoignage rendu en Cour municipale selon lequel il se préoccupe de ne pas avoir « a ticket on my name […] anything on my name »[40].
[141] Non seulement son affirmation est fausse, mais son dossier conducteur en matière de suspension de permis de conduire pour défaut de paiement d’une amende est médiocre.
[142] Par ailleurs, le plaignant renchérit en signalant que c’est parce qu’il se souciait d’acquitter le solde de cette amende qu’il travaillait en juin 2011 comme livreur au restaurant Miramar[41].
[143] Or, devant le Tribunal, le plaignant offre une version différente. S’il maintient qu’il ignorait la suspension de son permis de conduire, il prétend qu’il en était tout autant de l’existence de l’amende impayée[42].
[144] Cette contradiction entre son témoignage en Cour municipale et celui rendu devant le Tribunal est irréconciliable.
[145] Le plaignant est plus tard contre-interrogé devant le Tribunal sur le thème de la drogue.
[146] La preuve révèle que le 11 mars 2011, le plaignant et sa conjointe ont été arrêtés pour possession et trafic de stupéfiants. L’affaire s’est conclue par un plaidoyer de culpabilité de la conjointe et le retrait de l’accusation contre le plaignant[43].
[147] Questionné à ce sujet, le plaignant reconnaît ce démêlé avec la justice. De surcroît, il précise spontanément que la drogue en cause était de l’ecstasy[44] :
A They said they gonna put a charge on me.
Q. For what?
A. For stupid - having ecstasy in possession, something like that.
Q. Methamphetamine?
A. Yeah.
[148] Contre toute attente, dans les secondes qui suivent, le plaignant niera qu’il vient tout juste de spécifier la nature de la substance en cause. Il dira : « I never said that »[45], « I don’t know »[46] ou prétendra une fois de plus : « I don’t remember »[47].
[149] Dans une vaine tentative de lui soutirer à nouveau le terme « ecstasy », l’avocat des défendeurs demande au plaignant « Methamphetamine or amphetamine, how do you call it »[48]. Celui-ci répond : « I don’t know »[49].
[150] Le plaignant ignore désormais une information qu’il déclarait connaître quelques secondes auparavant.
[151] Quant à l’allégation du phare brûlé, qui est l’un des deux motifs de son interpellation selon les policiers, le plaignant est convaincu de sa fausseté.
[152] À cet égard, il écrit dans sa déclaration du 20 septembre 2013 à l’enquêtrice de la Commission que les policiers ne l’ont à aucun moment informé que son véhicule avait un phare défectueux :
Que ce soit lors de l’interception ou à un autre moment, jamais on ne m’a dit que mon phare avant était brûlé. […] Je n’ai eu aucun avertissement, aucun ticket me signifiant cela.[50]
[153] Cette affirmation du plaignant est contredite par le témoignage de sa conjointe qui informe le Tribunal que le lendemain de l’événement, le plaignant lui a confié avoir à l’origine été arrêté pour une histoire de « lumière »[51] :
Il m’avait dit au départ que c’était pour une lumière et là je comprenais pas parce que … il n’avait pas de problème de lumière. Fais que je pensais que ça allait au-delà de ça.[52]
[154] Du reste, lorsque le plaignant entreprend son récit à partir de l’instant où il est laissé par les policiers sur le trottoir avec ses effets personnels, il indique avoir communiqué avec son patron qui a dépêché un autre employé pour venir le chercher.
[155] Durant le trajet de retour, le plaignant affirme qu’il était sous le choc de l’événement et submergé par ses émotions de telle sorte qu’il n’a pas été en mesure de relater à son collègue ce qu’il venait de subir :
Là, la personne est venue me chercher. Là, elle m'a demandé qu'est-ce que je viens d'arriver. Mais j'ai… I was so terrified and I was crying the whole time, so j'ai pas réussi à lui expliquer qu'est-ce que je viens d'arriver.[53]
[156] À l’inverse, dans sa déclaration du 15 février 2013 à l’enquêtrice de la Commission, il affirme plutôt avoir fait part à son collègue de toute sa mésaventure, à tel point qu’il estime utile de s’engager à lui faire parvenir ses coordonnées pour corroborer ses propos. Il écrit :
J’ai téléphoné à un collègue pour qu’il vienne me chercher. Ce collègue pourrait venir témoigner. Je lui ai raconté tout ce qui venait de se passer.[54]
[157] Lorsqu’appelé à étayer le préjudice moral subi, le plaignant affirme avoir été si perturbé par l’intervention policière du 4 juin 2011 qu’il s’abstient depuis de conduire un véhicule au Québec, pour ensuite nuancer ses propos en déclarant ne le faire que rarement.
[158] Or, comme nous l’avons vu précédemment, la preuve révèle que le plaignant a conduit un véhicule à plusieurs reprises au Québec depuis cette date.
[159] En ce qui concerne la relation qu’il entretient actuellement avec son ex-conjointe, le plaignant avance qu’elle est très positive, voire chaleureuse :
I have moved on. Everybody have moved on but we are still close.[55]
(Nos soulignements)
[160] Cette affirmation est contredite par l’ex-conjointe qui, à l’inverse, dresse le portrait d’une relation sans proximité affective et de communications ne concernant que les enfants :
Strictement pour les enfants. On évite de se parler. On évite de se… de, de, d’entretenir quoi que ce soit, là. On laisse pas encore les enfants.[56]
[161] Devant cette contradiction, la version des faits de l’ex-conjointe est nettement plus crédible. Elle est logique et compréhensible, ne serait-ce qu’en raison de la désorganisation et de la violence dont le plaignant a fait preuve en août 2015.
[162] Au terme de l’analyse du témoignage du plaignant, le Tribunal ne peut y accorder foi, sa crédibilité et sa fiabilité ayant été sévèrement érodées lors du contre-interrogatoire qui a mis en relief ses réticences, son manque de transparence et ses contradictions.
[163] Bref, le lien de confiance minimalement requis pour que ce témoignage puisse faire la preuve de faits contestés n’est pas présent. Il ne peut servir d’assise pour identifier la véritable séquence des événements du 4 juin 2011 et trancher ses aspects litigieux.
[164] L’agent Fournier œuvre depuis le 14 mai 2007 au SPVM, au PDQ-39 qui dessert l’arrondissement de Montréal-Nord. Depuis 2009, il assume des responsabilités de patrouilleur.
[165] Quant à l’agent Robidoux, il est policier au SPVM depuis 2006. D’abord affecté pendant 11 mois au PDQ-39, il y retourne de 2009 à septembre 2011.
[166] Les agents Fournier et Robidoux relatent leur version des faits survenus le 4 juin 2011 et expliquent chacune de leurs interventions. Si la trame factuelle est similaire dans l’ensemble, leurs témoignages révèlent toutefois certaines contradictions.
[167] En tant que témoin, l’agent Fournier limite les informations qu’il transmet et élude les questions qui débordent le cadre de l’événement en litige.
[168] Cette attitude est particulièrement évidente lorsque la Commission tente de lui soutirer des renseignements relatifs au contexte social.
[169] Ainsi, concernant la mort de Fredy Villanueva survenue lors d’une intervention policière impliquant deux collègues œuvrant au sein du même poste de quartier, l’agent Fournier dira[57] :
Q. O.K. Puis, est-ce que vous en avez discuté, lorsque c’est arrivé, de la mort de monsieur Villanueva, est-ce que ça s’est discuté au PDQ-39?
R. Je n’ai plus … Maître Campbell, je n’ai plus souvenance de […] ça.
[…]
R. Alors, pour moi, peut-être je n’y ai fait … je n’y portais a… je n’y apportais pas d’importance, que j’ai … C’est tout simplement ça.
[170] Au sujet de l’émeute survenue le lendemain de la mort de Fredy Villanueva, il en sait tout aussi peu[58] :
R. Je ne travaillais pas cette journée-là.
Q. […] Est-ce que vous rentrez le lendemain?
R. […] j’étais dans ma semaine de vacances.
Q. […] Alors, quand vous revenez de votre semaine de vacances […] est-ce qu’on vous parle de l’émeute à Montréal-Nord qui a suivi la mort de Villanueva?
R. Sincèrement, je ne m’en rappelle plus. Le temps est trop, trop loin. Je ne peux pas … Je ne m’en rappelle plus.
[171] Les 9 et 10 août 2008, la population de l’arrondissement de Montréal-Nord est en émoi. Un jeune homme de 18 ans sans antécédent judiciaire meurt tragiquement, abattu par un policier. S’ensuit une violente émeute. Le PDQ-39 est à l’épicentre de cette crise et l’agent Fournier prétend n’avoir aucun souvenir de la réaction de ses supérieurs et ses collègues qui en a découlé, ni à ce moment, ni par la suite.
[172] L’agent Fournier traite le tout comme un simple fait divers, une crise éphémère survenue pendant sa semaine de vacances sans pouvoir en rapporter un quelconque impact observable à son retour au travail la semaine suivante.
[173] À l’inverse, l’agent Robidoux affirme que la mort de Fredy Villanueva et l’émeute survenue le lendemain ont fait l’objet de discussions entre ses collègues et qu’ils en ont été profondément troublés. Ce drame a affecté les relations entre les policiers et la population qu’ils desservaient pendant de nombreuses années.
[174] L’agent Fournier est tout aussi évasif lorsque l’avocate de la Commission tente d’obtenir des informations sur le phénomène des gangs de rue à Montréal-Nord :
- Est-ce que vous savez c’est quoi les bloods? « Les gangs de rue dans mon secteur, ça ne m’intéresse pas »[59];
- Lorsqu’interrogé sur le phénomène des gangs de rue en général, ou les « bloods » ou les « crisps » plus particulièrement, il n’en a connaissance qu’à travers « les médias et réseaux sociaux […] les nouvelles »[60], sans jamais référer à une quelconque information pouvant provenir d’un collègue ou d’un supérieur immédiat;
- Ces gangs de rue opèrent-ils à Montréal-Nord? « J’en ai aucune idée »[61];
- Sait-il si les « bloods » ou les « crisps » sont racisés? « Non, en toute honnêteté, non »[62];
- En dix ans à titre de policier au PDQ-39, des citoyens lui ont-ils fait part que les « bloods » pouvaient se livrer à des activités criminelles à Montréal-Nord? « Non, pas à ma connaissance »[63];
- Des escouades spéciales ont-elles été appelées à intervenir pour contrer le phénomène des gangs de rues à Montréal-Nord? « Non, je ne suis pas au courant »[64];
- Des programmes ont-ils été établis pour prévenir la criminalité des gangs de rues? « J’en ai aucune idée. […] C’est pas des choses qui m’intéressent »[65];
- A-t-il eu connaissance de directives visant l’accroissement de la visibilité policière afin de favoriser un rapprochement avec la population? « non […] pas en ce qui a trait aux patrouilleurs »[66]. Envers des collègues? « j’en ai aucune idée […] je n’ai plus souvenance »[67];
- Des supérieurs l’ont-ils sensibilisé à une problématique ou à une criminalité propre au quartier ? « non »[68]. L’agent Fournier n’est en mesure que de n’en citer qu’une seule, soit celle visant la sécurité des aînés liée à la circulation[69];
- A-t-il constaté une hausse des effectifs au PDQ-39 à la suite de l’affaire Villanueva? « Je ne me rappelle plus exactement »[70].
[175] De son côté, l’agent Robidoux témoigne que lorsqu’il était en service au PDQ-39, les crimes reliés aux gangs de rue étaient une problématique présente à Montréal-Nord.
[176] Il ajoute que les secteurs de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies sont le berceau des gangs de rue d’allégeance Rouge au Québec. Les membres sont à l’image des gens qui habitent le secteur. Ils sont à majorité d’origine antillaise alors que d’autres sont d’origine latino-américaine, arabe ou québécoise. Certains membres de ces gangs de rue sont notamment associés au trafic de stupéfiants.
[177] L’agent Robidoux explique que l’affaire Villanueva a entraîné une augmentation des effectifs du PDQ-39 qu’il a ainsi pu réintégrer de 2009 à 2011. De l’avis du Tribunal, il est pour le moins ironique que l’agent Fournier n’ait aucun souvenir de cet ajout alors que son partenaire du 4 juin 2011, l’agent Robidoux, faisait partie des policiers supplémentaires affectés à ce poste de police.
[178] En outre, un plan local d’action a été élaboré au PDQ-39 en 2008 afin d’accroitre la visibilité des policiers pour rassurer la population devant le phénomène des gangs de rue dans le quartier.
[179] Les éléments saillants de ce plan de même que des informations concernant chacun des sujets précédemment abordés par les deux agents sont énoncés dans l’extrait suivant du Rapport Perreault.
[180] Sous la rubrique « Le poste de quartier 39 et son plan », il est écrit[71] :
En 2008, le plan d’action local du poste de quartier 39, approuvé par la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal, préconise d’assurer une visibilité policière en favorisant des contacts directs et récurrents avec la population, particulièrement dans des endroits ciblés tels les quartiers et les parcs fréquentés par les gangs de rue.
Les gangs de rue, tant chez les adultes que chez les jeunes, sont présentés comme une priorité locale en raison de la problématique qu’ils constituent dans le secteur du poste 39 qui couvre Montréal-Nord. On souligne que la diversité des origines ethniques des membres de gangs de rue explique certains affrontements entre ceux-ci, affectant ainsi la qualité de vie et le sentiment de sécurité des citoyens. On prévoit donc le maintien des efforts à cet égard.
[…]
L’observation des endroits d’intérêts liés aux gangs de rue est considérée comme une mesure de prévention en matière de gangs de rue, de même que la collecte et l’échange d’information à propos des sujets d’intérêt.
[181] Que l’agent Fournier soit ainsi contredit, qu’il affirme qu’il n’ait pas été porté à sa connaissance ou qu’il ait complètement oublié des informations aussi importantes concernant l’état de la situation de son poste de quartier où il travaille depuis près de dix ans et qu’il patrouille depuis 2009, affecte la crédibilité et la fiabilité de son témoignage. Il en va de même de sa réticence ou de son incapacité à révéler toute caractéristique propre à ce secteur, à plus forte raison lors d’une crise sociale d’une si grande ampleur.
[182] L’explication suivant laquelle ses responsabilités de patrouilleur assigné à la sécurité routière puissent être distinctes de celles de collègues chargés de combattre la criminalité est insatisfaisante pour excuser les failles de son témoignage. Ainsi, le Tribunal ne croit pas l’agent Fournier lorsqu’il affirme n’avoir connaissance du phénomène des gangs de rue dans son quartier qu’à travers les médias, les réseaux sociaux et les bulletins de nouvelles, sans jamais référer à son milieu de travail comme source d’information. Au final, ses réticences visant à limiter ses connaissances en matière de gangs de rue au plus bas niveau de l’information diffusée au public en général heurtent le sens commun.
[183] En conclusion, l’agent Fournier a manifestement tenté d’esquiver le contre-interrogatoire. Son témoignage est évasif à outrance sur certains sujets, au point d’infirmer sa valeur probante[72].
[184] La version de l’agent Robidoux est plus complète et nuancée que celle de l’agent Fournier.
[185] Sur plusieurs points, l’agent Robidoux offre une version qui se révèle plus favorable à la position de la partie demanderesse que celle de son collègue. Considérant que les défendeurs ont des intérêts opposés au plaignant et à la demanderesse, cet élément ajoute de la valeur à son témoignage.
[186] Ainsi, l’agent Robidoux témoigne que du moment de l’interpellation initiale du plaignant jusqu’à ce que celui-ci quitte son véhicule pour être informé par les deux agents des irrégularités relatives à son permis de conduire et du mandat percepteur, le plaignant avait une attitude « exemplaire »[73].
[187] À l’opposé, l’agent Fournier mentionne dans sa déposition à l’enquêtrice de la Commission qu’avant même de quitter l’habitacle de son véhicule, le plaignant était déjà agité et irrespectueux en niant vivement les infractions reprochées. Il écrit[74] :
Nous avons reçu comme information de retour que M. Mensah avait un dossier ouvert au Québec et que son permis du Québec était sanctionné. De plus, […] celui-ci est recherché par la Ville de Montréal pour un mandat percepteur […]. J’informe mon partenaire des validations obtenues et je lui demande de transmettre les résultats à M. Mensah. Jusque-là, tout allait bien. Puis ça commence à se corser. M. Mensah est devenu impoli. Il nie être recherché, il nie posséder deux permis de conduire et il crie après nous dans sa verbalisation,
Ensuite, M. Mensah a été invité à sortir de son auto et à venir discuter avec nous, les trois ensemble.
[188] Le Tribunal note également que lors du contre-interrogatoire, l’agent Robidoux, contrairement à son collègue, répond pleinement et sans réticence à toutes les questions de l’avocate de la Commission concernant le contexte social, la criminalité et le phénomène des gangs de rue à Montréal-Nord.
[189] Si le Tribunal préfère le témoignage de l’agent Robidoux à celui de l’agent Fournier, cela ne signifie pas qu’il soit exempt de tout reproche.
[190] Le Tribunal ne peut passer sous silence le fait qu’à l’occasion d’une pause lors du témoignage de l’agent Fournier, l’agent Robidoux a rejoint son collègue dans un local d’entrevue et a discuté avec lui de son témoignage.
[191] Précisons d’entrée de jeu que cet incident n’implique aucune contravention à l’ordonnance d’exclusion des témoins, étant bien établi qu’une telle ordonnance ne s’applique pas aux parties[75]. Ce n’est pas la présence de l’agent Robidoux en salle d’audience pendant le témoignage de l’agent Fournier qui préoccupe le Tribunal, mais la discussion tenue à l’extérieur par les deux policiers à l’instigation de l’agent Robidoux.
[192] Appelé à se justifier, l’agent Robidoux mentionne qu’il cherchait surtout à détendre son collègue qui semblait « très stressé » en lui parlant de divers sujets sans importance.
[193] Par contre, l’agent Robidoux admet avoir soulevé la question des différents rapports qui ont été rédigés en lien avec l’événement du 4 juin 2011 et de l’interrogatoire subi par son collègue à ce sujet, en lui demandant[76] :
Aïe, quand on t’a demandé quel genre de rapport on a rédigé, pourquoi t’as pas parlé des rapports d’infraction de tickets?
[194] En soulevant cette question, même pour un court échange avec son collègue, l’agent Robidoux donne l’opportunité à l’agent Fournier de corriger son témoignage sur ce point précis, voire de l’adapter.
[195] De surcroît, à partir du moment où preuve est faite d’une conversation entre les policiers portant sur un aspect d’un témoignage en cours, aussi périphérique au litige soit-il, comment ne pas redouter que cette conversation puisse avoir excédé la portée de ce que l’agent Robidoux a bien voulu reconnaître lorsque questionné à ce sujet.
[196] L’agent Robidoux dispose pourtant d’une forte expérience en matière de témoignage devant un tribunal, affirmant s’être livré à cet exercice à plus de 300 reprises dans sa carrière[77]. Il ne pouvait ignorer qu’en tenant une discussion avec son collègue alors que son témoignage n’était pas complété, il s’aventurait en terrain miné.
[197] Que conclure maintenant de toute cette affaire?
[198] L’analyse consiste à examiner, dans une première étape, si les faits prouvés de manière prépondérante établissent prima facie une discrimination par profilage racial.
[199] Soulignons que les défendeurs ne peuvent se retrancher derrière la légalité de l’intervention policière ou son caractère apparemment adéquat pour faire échec à la demande, le Tribunal devant essentiellement déterminer si cette intervention a compromis le droit à l'égalité du plaignant[78].
[200] Pour évaluer s’il y a eu atteinte au droit à l’égalité du plaignant, au sens de l’article 10 de la Charte, il convient de déterminer d’abord si ce dernier a subi un traitement différencié de la part des agents Fournier et Robidoux.
[201] Or, pour déterminer si les policiers ont eu envers lui un comportement différent de celui habituellement adopté dans les mêmes circonstances, la preuve d’une contravention à une autre disposition de la Charte québécoise ou de la Charte canadienne peut être pertinente. À titre d’illustration, une fouille abusive au sens de l’article 24.1 de la Charte québécoise ou de l’article 8 de la Charte canadienne, qui en est l’équivalent, peut constituer un indice de traitement différencié.
[202] Plus la violation est grave et manifeste, plus du même souffle elle s’écarte de la norme et plus elle est susceptible de supporter une conclusion de traitement inhabituel ou différencié, ce qui, dans le contexte de l’ensemble de la preuve, pourra contribuer à une conclusion de conduite discriminatoire.
[203] La prise en compte du caractère légal ou non de l’intervention des policiers n’est ainsi que l’une des facettes de la démarche comparative[79] qui s’impose pour identifier un traitement inhabituel ou différencié. Elle s’inscrit dans un registre beaucoup plus large d’indices de discrimination reconnus par la jurisprudence et répertoriés en doctrine.
[204] En ce qui a trait à l’interception du véhicule du plaignant, il n’existe aucune preuve crédible qu’elle puisse résulter d’un profilage racial. Au contraire, lorsqu’ils actionnent les gyrophares de l’auto-patrouille, les policiers ignorent tout de son conducteur[80].
[205] Le premier motif d’interception soulevé par l’agent Robidoux est le phare défectueux. Cette affirmation est crédible et la justification qu’il apporte pour ne pas avoir donné de constat d’infraction, en exerçant sa discrétion policière, est convaincante.
[206] La seule preuve contraire quant au bon état de fonctionnement du phare provient du témoignage de l’ancienne conjointe du plaignant. Or, celle-ci n’a jamais examiné attentivement le phare de son véhicule avant de le récupérer à la fourrière, ni à tout autre moment[81].
[207] L’ancienne conjointe veillait à cette époque à ce que son véhicule soit entretenu par son garagiste « pour un changement d’huile »[82], sans plus. Elle n’a remarqué aucune autre défectuosité.
[208] Cependant, aucune facture relative à l’entretien du véhicule n’a été déposée au soutien de ses propos qui ont un caractère incertain. Qui plus est, le remplacement de l’ampoule d’un phare n’est qu’une réparation mineure qui aurait pu échapper à son attention.
[209] Cette preuve n’est donc pas suffisamment étoffée et comporte un niveau d’incertitude trop élevé pour en déduire qu’il est davantage probable qu’improbable que le phare ait été en bon état de fonctionnement en date du 4 juin 2011.
[210] À cela s’ajoute un fait indéniable, le plaignant conduisait un véhicule qui n’était pas muni d’une plaque d’immatriculation. Ce deuxième motif invoqué de l’interception conserve toute sa valeur, indépendamment de la visibilité ou non du transit, selon les versions divergentes des policiers.
[211] Le Tribunal conclut que ces deux motifs d’interpellation du plaignant soulevés par les policiers sont les seuls à l’origine de son interception, sans autre motif.
[212] Qu’en est-il maintenant de l’utilisation d’une lampe de poche par les policiers en s’approchant du véhicule du plaignant pour en faire une inspection visuelle de l’intérieur, sans jamais toutefois s’y introduire?
[213] Dans l’arrêt R. c. Mellenthin[83], la Cour suprême reconnait non seulement la légalité de l’examen visuel à l’aide d’une lampe de poche de l’intérieur d’un véhicule intercepté la nuit, mais incite fortement les policiers à agir de la sorte le plus tôt possible. Elle écrit :
On ne saurait reprocher aux agents de police d'avoir procédé à un examen visuel de l'automobile. Le soir, l'examen ne peut se faire qu'à l'aide d'une lampe de poche et il fait nécessairement partie d'un programme de contrôle routier effectué après la tombée de la nuit. L'examen est essentiel à la protection de ceux qui sont affectés au point de contrôle. Trop d'incidents de violence contre les agents de police se sont produits lors de l'interception de véhicules. […] Bien que, pour assurer la sécurité des policiers, il puisse être préférable d'utiliser la lampe de poche le plus tôt possible, celle-ci peut certainement être utilisée à tout moment comme un élément accessoire nécessaire de la procédure de contrôle routier.
[214] Compte tenu des propos de la Cour suprême, les agents Robidoux et Fournier se devaient d’utiliser leur lampe de poche en s’approchant du véhicule du plaignant la nuit et d’en faire une inspection visuelle afin d’assurer leur sécurité, ne serait-ce que pour vérifier la présence d’autres passagers à bord ou d’armes accessibles.
[215] Aucune caractéristique propre au plaignant ni un quelconque traitement inhabituel n’entre en cause à cette étape, d’autant plus que ce n’est qu’une fois l’agent Robidoux rendu près de la portière au niveau du conducteur qu’il constate pour la toute première fois que celui-ci est un jeune homme à la peau de couleur noire, pendant que son collègue prend position du côté arrière droit pour entreprendre l’examen visuel de routine.
[216] Une fois munis des documents remis par le plaignant, les policiers effectuent les vérifications habituelles révélant qu’il est titulaire d’un permis de conduire sanctionné et qu’il fait l’objet d’un mandat percepteur.
[217] Les agents Fournier et Robidoux disposent alors, subjectivement et objectivement, de motifs raisonnables et probables[84] de croire que le plaignant a commis deux infractions :
Ø avoir conduit un véhicule routier au Québec en étant titulaire de plus d’un permis de conduire délivré par une autorité administrative au Canada, en contravention avec l’article 94 alinéa 5(2) du C.S.R.;
Ø avoir conduit un véhicule routier au Québec alors que son permis de conduire fait l’objet d’une sanction, en contravention avec l’article 105 du C.S.R.
[218] Le plaignant est donc sommé de quitter son véhicule avant d’être informé des deux infractions en cause, du remorquage de son véhicule et du mandat percepteur. Selon l’agent Robidoux, cette manière de procéder a deux objectifs :
Ø prévenir la fuite d’un conducteur une fois informé de ce qui précède alors qu’il prend toujours place derrière le volant;
Ø assurer la sécurité de l’agent si le conducteur ainsi avisé devait s’esquiver précipitamment et de manière imprudente.
[219] De l’avis du Tribunal, ces justifications sont raisonnables et légitimes. Cette précaution était de mise compte tenu de la nature des informations que les policiers s’apprêtaient à transmettre au plaignant et des conséquences qui pouvaient en découler. Le témoignage de l’agent Robidoux permet d’écarter la prise en compte d’un motif de discrimination prohibé par la Charte et un traitement différencié envers le plaignant en le sommant de sortir de son véhicule.
[220] Une fois à l’arrière de son véhicule, le plaignant est effectivement informé des infractions en cause, du mandat percepteur et de la saisie de son véhicule. Il est également avisé de son droit au silence et de son droit de consulter un avocat.
[221] L’agent Robidoux relate ensuite l’escalade des attitudes menaçantes et des agissements agressifs du plaignant ayant conduit à son arrestation et la mise des menottes. Le but étant d’assurer leur sécurité et de faire monter le plaignant à bord de l’auto-patrouille, le temps qu’il se calme.
[222] Le Tribunal retient que le plaignant entre subitement dans un état d’agitation élevé. Il proteste vivement. En colère, il hausse le ton, crie et gesticule.
[223] Malgré les désagréments qu’engendre à ce moment l’attitude du plaignant dans le travail des policiers, celle-ci ne saurait justifier son arrestation et le recours à la force.
[224] L’intensification par la suite des réactions du plaignant qui, en paroles et en gestes, manifeste de l’agressivité et une attitude menaçante envers les policiers, doit cependant être examinée en tant que telle et en tenant compte de l’ensemble de ses réactions qui l’ont précédée.
[225] Non seulement le plaignant crie et gesticule, mais il en vient à serrer les poings, froncer les sourcils et afficher un air menaçant.
[226] Conséquemment, le Tribunal conclut, d’une part, à une arrestation fondée sur des motifs raisonnables et à l’usage d’une force proportionnelle, incluant l’utilisation des menottes; le tout étant justifié par le niveau de tension élevée et le risque d’un geste offensif imminent de la part du plaignant.
[227] Mais surtout,
tel étant l’essence véritable du débat, le Tribunal dégage de la preuve en
défense que des considérations de sécurité ont été les seuls facteurs à
l’origine de la prise de ces mesures par les policiers. Celles-ci ne
représentent pas un traitement différencié ou inhabituel des policiers
envers le plaignant « par rapport aux pratiques usuelles dans des
circonstances semblables »[85], fondé sur un motif
interdit de discrimination.
[228] Pendant que les policiers procèdent à son arrestation, le plaignant fixe subitement l’agent Robidoux. Il lui déclare qu’il est étudiant en techniques policières en Ontario et qu’advenant l’exécution du mandat ou la saisie de son véhicule, il se plaindra d’avoir été battu.
[229] L’agent Robidoux est préoccupé par ce qu’il vient d’entendre. Il inscrit les propos du plaignant sur le rapport abrégé d’un des constats d’infraction[86] et l’informe que ceux-ci pourraient lui nuire lors d’une enquête de bonne réputation préalable à l’obtention d’un emploi d’agent de la paix.
[230] De l’avis du Tribunal, le plaignant, en invoquant son statut d’étudiant en techniques policières, cherchait possiblement à obtenir un traitement de faveur[87]. Il a, de surcroît, voulu se doter d’un rapport de force vis-à-vis les policiers en menaçant de les accuser de lui avoir causé des sévices corporels. Que l’agent Robidoux ait jugé opportun d’en prendre note échappe à tout reproche. Qu’il en ait également informé le plaignant était une mise en garde opportune pour qu’il mette fin à sa ligne de conduite.
[231] Par contre, à partir de ce moment, la suite immédiate des événements est préoccupante.
[232] Le Tribunal constate qu’il y a eu atteinte discriminatoire aux droits du plaignant aux stades suivants :
Ø Les deux fouilles accessoires à l’arrestation du plaignant;
Ø Les questions posées au plaignant afin de savoir s’il est en possession de « quelque chose d’illégal » ou de drogue.
[233] L’article 24.1 de la Charte québécoise édicte que « Nul ne peut faire l’objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives ». Cette formule est reprise à l’article 8 de la Charte canadienne qui énonce que « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». En jurisprudence, il n’est pas rare que ces dispositions législatives soient invoquées simultanément tant elles sont apparentées[88].
[234] Le principe de base exprimé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Collins[89], et récemment réitéré dans l’arrêt R. c. Jones[90], est le suivant :
Pour ne pas être abusive et, par conséquent, être conforme à l’art. 8 de la Charte, une fouille doit respecter trois exigences : (1) la fouille doit être autorisée par la loi (2) la loi l’autorisant doit n’avoir rien d’abusif et (3) la fouille ne doit pas être effectuée d’une manière abusive.
[235] Par ailleurs, dans les arrêts Hunter c. Southam[91], R. c. Collins[92] et R. c. Caslake[93], la Cour suprême déclare qu’une fouille sans mandat est présumée abusive. Toutefois, dans l’arrêt R. c. Stillman[94], elle édicte que le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation constitue une exception à cette règle.
[236] Lors de l’arrestation du plaignant, les policiers sont légalement habilités à effectuer une fouille accessoire. Ce pouvoir est issu de la Common Law. Il vise trois objectifs distincts[95] :
Ø assurer la sécurité des policiers et du public;
Ø empêcher la destruction ou la perte d’éléments de preuve;
Ø découvrir des éléments de preuve liés à l’arrestation.
[237] Il suffit qu’un seul de ces objectifs soit recherché par les policiers pour que la fouille accessoire à l’arrestation d’une personne soit valide. La croyance du policier selon laquelle la fouille accessoire à l’arrestation permettra d’atteindre l’objectif recherché doit cependant être raisonnable.
[238] En l’espèce, l’objectif de la fouille du plaignant d’assurer la sécurité des policiers, dans les circonstances de l’arrestation et, à plus forte raison, avant de le faire monter à bord de l’auto-patrouille le temps qu’il se calme, est prudent et raisonnable.
[239] Par contre, tout en étant autorisée par la loi et en visant un objectif valable, une fouille accessoire à l’arrestation ne doit pas être effectuée de manière abusive, sous peine d’être invalidée[96].
[240] Dans l’arrêt R. c. Fearon[97], la Cour suprême invite les tribunaux à examiner avec attention cette dernière étape « fondamentale »[98] de l’analyse.
[241] La Cour d’appel souligne cette même préoccupation dans Kosoian c. Société de transport de Montréal[99]. Le juge Vauclair indique :
[42] […] Je ne saurais trop insister, en rappelant l’arrêt Fearon de la Cour suprême, sur le fait que cette fouille accessoire ne doit pas être abusive […].
[242] La preuve révèle une première fouille sommaire du plaignant entre les deux véhicules et une deuxième juste avant qu’il n’intègre l’auto-patrouille.
[243] Mais pourquoi le plaignant subit-il deux fouilles?
[244] La jurisprudence délimitant le pouvoir des policiers de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation aborde toujours ce concept sous l’angle d’une fouille ou de la fouille accessoire.
[245] Sans conclure dans tous les cas et en toutes circonstances qu’une seule fouille accessoire à l’arrestation n’est permise, il importe de garder à l’esprit qu’en l’espèce, l’intervention policière s’effectue en application du C.S.R. et en exécution d’un mandat percepteur. Aucun crime n’est reproché au plaignant.
[246] Quelle est l’explication apportée ici par les policiers?
[247] L’agent Robidoux émet l’hypothèse que l’agent Fournier a dû vouloir finaliser la première fouille trop sommaire : « J’ai eu cette impression-là parce qu'une fouille plus complète ça prend beaucoup plus de temps, puis il a des choses dans les poches, puis les poches intérieures vont être virées; mais ça s'est pas fait »[100].
[248] D’une part, il ne s’agit que d’une supposition, l’agent Robidoux ne s’étant jamais enquis auprès de son collègue, ni sur le vif, ni par la suite, pour connaître sa motivation à agir de la sorte. Elle ne peut donc faire preuve de son contenu.
[249] D’autre part, le Tribunal n’adhère pas à la théorie mise de l’avant par l’agent Robidoux d’une deuxième fouille plus complète afin de finaliser la première. S’il mentionne que son collègue a cette fois pris le temps requis, il n’en demeure pas moins que la deuxième s’est avérée tout aussi sommaire que la première, chaque fois par palpation, sans prendre véritablement « beaucoup plus de temps » et sans « virer » les poches intérieures des vêtements du plaignant.
[250] Quant à l’agent Fournier, contrairement à l’agent Robidoux, il ne fait état dans son témoignage que d’une seule fouille accessoire à l’arrestation du plaignant. Il est donc entièrement silencieux sur les motifs pour lesquels une deuxième fouille accessoire du plaignant a été nécessaire[101].
[251] Aucune explication satisfaisante n’est donc donnée en défense pour contrecarrer le caractère abusif de la deuxième fouille accessoire et soutenir sa validité.
[252] La deuxième fouille accessoire à l’arrestation du plaignant est donc abusive et contrevient à l’article 24.1 de la Charte québécoise et à l’article 8 de la Charte canadienne. Cette violation, de par sa nature, son contexte et ses circonstances, constitue un indice de traitement différencié ou inhabituel.
[253] À cela s’ajoutent les questions de l’agent Fournier au plaignant avant de le fouiller afin de savoir s’il est en possession d’objets tranchants, de quelque chose d’illégal ou de drogue. Ces questions soulèvent en elles-mêmes une préoccupation quant au caractère abusif de chacune des deux fouilles.
[254] L’agent Fournier justifie le volet relatif à la possession d’objets tranchants de sa question afin qu’il puisse effectuer la fouille par palpation du plaignant sans risquer de se blesser.
[255] Quant au volet de sa question traitant de la possession de quelque chose d’illégal ou de drogue, l’agent Fournier mentionne que si le détenu collabore en remettant immédiatement, par hypothèse, la drogue qu’il a sur lui et que la quantité s’avère négligeable, il en fera la saisie pour destruction sans entreprendre de poursuite criminelle.
[256] Or, en ce qui concerne les interceptions en vertu du C.S.R. accompagnées d’un interrogatoire de nature inquisitoire de la part des policiers, les enseignements de la Cour suprême sont sans équivoques : de telles questions sont prohibées.
[257] Dans l’arrêt Ladouceur[102], tout en reconnaissant la validité de l’interception au hasard des conducteurs par les policiers en regard de la Charte canadienne, la Cour suprême édicte, en contrepartie, que les seules questions qui peuvent être adressées se limitent aux infractions en matière de circulation routière. Tout autre processus inquisitoire ne peut s’enclencher qu’à la stricte condition d’être basé sur des motifs raisonnables et probables.
[258] Cette règle ne se limite pas aux interceptions au hasard. Elle est généralement applicable aux interpellations en vertu du C.S.R., ce que les défendeurs n’ont d’ailleurs pas remis en question.
[259] En l’espèce, l’agitation et l’agressivité du plaignant ne peuvent aucunement justifier les questions relatives à la possession de quelque chose d’illégal ou de drogue.
[260] Pour reprendre les propos de Me Michèle Turenne, il s’agit d’une situation claire de « questions inappropriées ou posées sans raison valable […] »[103].
[261] Il y a absence totale de motifs raisonnables et probables pour l’agent Fournier, tant objectivement que subjectivement, d’interroger le plaignant au sujet de la possession de drogue, ces questions relevant de la spéculation la plus pure.
[262] Le Tribunal souligne avec insistance que l’arrêt Ladouceur a été rendu en 1990. La violation d’un principe aussi solidement établi et depuis si longtemps connu des forces policières en est d’autant plus grave, manifeste et constitue un écart marqué en rapport avec la norme habituelle d’intervention. L’ampleur de l’écart en regard de cette norme constitue un fort indice de traitement différencié.
[263] Au final, les questions répétitives de l’agent Fournier visant l’aveu par le plaignant de la possession de quelque chose d’illégal ou de drogue vicient par le fait même chacune des deux fouilles par palpation qui s’en suivirent.
[264] Les contraventions par les policiers à l’article 24.1 de la Charte québécoise et à l’article 8 de la Charte canadienne, juxtaposées aux circonstances révélées par la preuve, permettent de dégager le portrait suivant :
Ø un contexte social tendu entre la population de l’arrondissement de Montréal-Nord et les autorités policières;
Ø une arrestation aux petites heures de la nuit;
Ø à la sortie d’un motel dans l’arrondissement Montréal-Nord;
Ø d’un jeune homme à la peau noire;
Ø subissant des questions qui, surtout dans leur volet relatif à la possession de drogue :
· sont en violation des Chartes québécoise et canadienne;
· constituent une expédition de pêche;
· comportent un caractère impertinent et offensant.
Ø soumis à deux fouilles accessoires à son arrestation :
· toutes deux en violation des Chartes québécoise et canadienne en étant contaminées par les questions interdites en l’espèce par la Cour suprême sur la possession de drogue ;
· dont la deuxième fouille n’était ni nécessaire ni opportune.
[265] Le Tribunal considère ainsi être en présence d’une preuve prima facie suivant laquelle le plaignant a été victime de profilage racial. L’explication la plus vraisemblable et rationnelle est que les caractéristiques du plaignant, un jeune homme à la peau noire, liées à un stéréotype ou un préjugé de criminalité, notamment en matière de drogue, ont été des facteurs dans l’esprit de l’agent Fournier qui l’ont mené à l’interroger illégalement à trois reprises, soit à deux occasions sur la possession de quelque chose d’illégal et à une occasion sur la possession de drogue, et à procéder à deux fouilles accessoires à son arrestation.
[266] Un lien existant ainsi entre les motifs prohibés de discrimination et ce traitement différencié ayant pour effet de compromettre les droits du plaignant, il reposait sur les défendeurs de réfuter cette preuve ou de justifier la conduite des policiers ou une combinaison des deux. Il leur incombait alors de convaincre le Tribunal que chacune de leurs interventions était fondée sur des motifs raisonnables, sans prise en compte d’un motif interdit de discrimination et ne constituait pas un traitement différencié ou inhabituel.
[267] La décision Rezko[104] résume l’exercice à entreprendre comme suit :
[199] Par ailleurs, comme il est possible de conclure à l'existence de profilage racial lorsque des motifs légitimes au départ sont écartés aux étapes subséquentes d'une intervention, la partie défenderesse doit établir sa défense à chacune des étapes de celle-ci afin de repousser efficacement les allégations qui lui sont reprochées. Elle devra ainsi démontrer qu'à aucun moment des considérations discriminatoires n’ont entaché son intervention, ni entraîné un traitement différencié du plaignant en raison de sa couleur ou de son origine ethnique.
[268] Les défendeurs ont surtout établi des caractéristiques et des particularités propres au plaignant et relevé les contradictions et les invraisemblances de son témoignage pour miner avec succès sa crédibilité. Ils ont également réussi à démontrer en quoi le comportement du plaignant a justifié à plusieurs étapes de l’intervention policière leur conduite, contredisant ainsi avec succès plusieurs de ses prétentions.
[269] Par contre, la preuve des défendeurs visant à repousser cette preuve prima facie de discrimination est mince.
[270] Concernant les questions posées au plaignant[105] avant d’entreprendre les deux fouilles accessoires à son arrestation, l’agent Fournier tente de réfuter qu’il s’agisse d’un acte discriminatoire au motif qu’il pose systématiquement cette question avant de procéder à une fouille par palpation sur une personne.
[271] Si une telle explication devait être retenue, elle équivaudrait à admettre que la violation flagrante des Chartes québécoise et canadienne soit pour l’agent Fournier une méthode de travail normale, usuelle, justifiée et acceptable qui puisse réfuter une preuve prima facie de discrimination ou la justifier.
[272] De surcroît, la conduite pour le moins singulière de l’agent Fournier a cours alors qu’il œuvre au sein de l’arrondissement de Montréal-Nord qui dessert une population d’origine multiethnique[106]. Un comportement systématique dans cette circonstance donnée n’exclut certes pas la possibilité qu’il soit discriminatoire.
[273] Force est de conclure que cette explication est irrecevable et inadmissible. Du coup, elle subit le même sort en regard des deux fouilles accessoires à l’arrestation du plaignant.
[274] Nous avons aussi vu que la deuxième fouille accessoire à l’arrestation du plaignant comporte une raison supplémentaire pour conclure à son caractère discriminatoire, sa pertinence, son utilité ou sa nécessité n’ayant pas été démontrées. Aucune justification n’est avancée par l’agent Fournier qui est totalement silencieux à ce sujet alors que l’agent Robidoux émet une hypothèse qui, au terme de l’analyse, n’est pas fondée.
[275] Bref, la preuve des défendeurs est insuffisante pour réfuter la preuve prima facie de discrimination par profilage racial lors de l’intervention policière du 4 juin 2011.
[276] Le Tribunal conclut que l’agent Fournier a, dans l’exercice de ses fonctions et alors qu’il était en position d’autorité, eu un comportement qui constitue de la discrimination par profilage racial. Le plaignant a ainsi été victime d’une distinction, exclusion ou préférence, fondée sur la couleur et l’âge, qui a eu pour effet de détruire ou de compromettre son droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice de ses droits à la sûreté, à l’intégrité, à la liberté et de ne pas faire l’objet de fouilles abusives, et ce, en violation des articles 1, 10 et 24.1 de la Charte.
[277] Le Tribunal conclut également que la trame factuelle au soutien de cette conclusion de discrimination par profilage racial, tant sur le plan objectif que subjectif[107], constitue une atteinte grave au droit à la sauvegarde de la dignité du plaignant protégé par l’article 4 de la Charte et « un affront particulièrement méprisant envers son identité raciale, ethnique ou autre, et lourd de conséquences pour elle [lui] »[108].
[278] Qu’en est-il de l’agent Robidoux?
[279] Certes, l’agent Robidoux ne procède pas aux fouilles accessoires à l’arrestation du plaignant et ne l’interroge pas sur la possession de quelque chose d’illégal ou de drogue.
[280] Toutefois, est-ce suffisant pour échapper à toute responsabilité?
[281] La jurisprudence ne crée aucun automatisme lors d’une intervention impliquant plus d’un policier, de telle sorte que l’analyse singularisée de l’affaire à l’étude doit être privilégiée.
[282] Qu’en est-il des questions de l’agent Fournier au plaignant, en présence[109] de l’agent Robidoux, alors que la Cour suprême dans l’arrêt Ladouceur a conclu que de telles questions sont interdites et qu’au surplus elles entachent, en l’espèce, chacune des deux fouilles du plaignant.
[283] L’agent Robidoux ne peut qu’avoir pleinement connaissance que l’agent Fournier s’adresse au plaignant pour lui poser, non pas une fois, non pas deux fois, mais à trois reprises des questions qui violent la règle suivant laquelle « les seules questions qui peuvent être justifiées sont celles qui se rapportent aux infractions en matière de circulation. Toute autre procédure plus inquisitoire ne pourrait être engagée que sur le fondement de motifs raisonnables et probables »[110]. Le Tribunal réitère envers l’agent Robidoux ce qu’il a énoncé envers l’agent Fournier, il s’agit d’une violation d’un principe solidement établi et depuis longtemps connu des forces policières.
[284] À l’encontre de ce principe de base, l’agent Robidoux n’est jamais intervenu auprès de son collègue pour qu’il cesse d’interroger le plaignant de manière discriminatoire et abusive.
[285] Le fait que la question ait été répétée une deuxième fois, puis une troisième fois, en substituant les termes « possession de quelque chose d’illégal » par « possession de drogue », sont autant d’occasions manquées d’intervenir qui, au final, en rendent l’agent Robidoux imputable avec son collègue.
[286] En effet, la tolérance de l’agent Robidoux envers les questions de son collègue a contribué à ce que les deux fouilles en soient également viciées sur le plan de leur exécution, les rendant ainsi discriminatoires et abusives. Il en est donc également imputable.
[287] Le Tribunal doit donc conclure que l’agent Robidoux a, dans l’exercice de ses fonctions et alors qu’il était en position d’autorité, eu un comportement qui constitue de la discrimination par profilage racial. Il a fait subir au plaignant une distinction, exclusion ou préférence fondée sur la couleur et l’âge, qui a eu pour effet de détruire ou de compromettre son droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice de ses droits à la sûreté, à l’intégrité, à la liberté, à la sauvegarde de sa dignité et de ne pas faire l’objet de fouilles abusives, et ce, en violation des articles 1, 4, 10 et 24.1 de la Charte.
[288] Qu’en est-il maintenant des étapes subséquentes de l’intervention policière?
[289] Dans Peart v. Peel Regional Police Services[111], la Cour d’appel de l’Ontario indique qu’une preuve convaincante de profilage racial lors d’une des étapes d’une intervention policière n’entraîne pas obligatoirement une conclusion selon laquelle les étapes subséquentes de cette intervention en sont teintées de la même façon, bien que, de fait, tel soit souvent le cas. Elle écrit :
[92] I cannot, however, accept the submission made by the ACLC that if the initial action taken by the police towards an individual is tainted by improper racial considerations, further actions taken towards that individual by the police will always be equally tainted. Often, the initial improper racial consideration will flow through to the subsequent police conduct. There will be situations, however, where despite improper racial profiling in the initial contact, the subsequent acts of the police are based on and justified by non-racial considerations. To take an extreme example, an officer may follow a person of colour on a public highway in part because that person is black. In doing so, even though the officer is not necessarily interfering with the individual’s constitutional rights, the officer is acting improperly. However, if the officer were to observe that person firing a gun at someone and proceed to arrest that person, the arrest would not necessarily be tainted by the initial improper racial profiling. It would be for the trier of fact to decide whether race played any role in the officer’s decision to arrest the person who fired the gun.
[290] Certes, l’hypothèse soulevée à titre d’illustration par la Cour d’appel de l’Ontario se situe à l’autre extrémité du spectre, en mettant en cause l’usage d’une arme à feu et la mise en péril de la vie d’une tierce personne. Néanmoins, elle constitue une démonstration éloquente du piège des automatismes. Encore ici, la discrétion judiciaire doit être privilégiée.
[291] Revenons à la suite des événements.
[292] En ce qui concerne le mandat percepteur, la Commission prétend que les policiers ont agi de manière discriminatoire en faisant obstacle aux démarches qu’aurait pu entreprendre le plaignant pour payer l’amende et ainsi éviter le remorquage de son véhicule.
[293] Cette prétention est mal fondée.
[294] Sur le plan factuel, le Tribunal retient les explications de l’agent Robidoux selon lesquelles différentes modalités ont été offertes au plaignant[112] :
Ø acquitter immédiatement le solde, soit par lui-même ou soit en appelant une personne de son choix pour obtenir le montant requis, auquel cas les policiers pourraient l’y conduire;
Ø comparaître devant le percepteur des amendes.
[295] Le plaignant choisissant la dernière option, les policiers se sont déchargés de leur obligation d’assistance.
[296] Mais surtout, sur le plan légal, le remorquage du véhicule du plaignant n’est aucunement lié à son incapacité d’effectuer le paiement immédiat de l’amende. Il relève, en l’espèce, de la conduite par le plaignant d’un véhicule alors que son permis de conduire est sanctionné par la SAAQ et du pouvoir discrétionnaire dévolu aux agents de procéder à la saisie et au remisage du véhicule. À cet égard, l’article 209.2 du C.S.R. énonce :
209.2 L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire que le conducteur d’un véhicule routier est sous le coup d’une sanction au sens de l’article 106.1, par rapport à la conduite d’un véhicule de la catégorie de véhicule qu’il conduit, peut procéder sur-le-champ, aux frais du propriétaire et au nom de la Société, à la saisie du véhicule et à sa mise en fourrière pour une durée de 30 jours si la sanction a été prononcée en vertu de l’un des articles 180, 183 à 185, de l’un des paragraphes 1° à 4° de l’article 190 ou de l’un des articles 191 ou 191.2, du paragraphe 1° du premier alinéa de l’article 194 ou de l’un des articles 195.2, 202.1.4, 202.1.5, 202.4, 202.5, 328.1, 422.1 ou 434.2.
[297] En ce qui a trait au mandat percepteur résultant de l’amende impayée, les alternatives étaient soit le paiement immédiat, soit un engagement à comparaître devant le percepteur des amendes.
[298] Conséquemment, le remorquage ou non du véhicule du plaignant n’a jamais été tributaire du paiement du solde de l’amende, celui-ci n’étant d’aucun impact à cet égard.
[299] Quant à la fouille inventaire précédant le remorquage, l’agent Robidoux indique qu’elle est systématique en un tel cas et s’effectue comme suit :
Ø examen de l’état général du véhicule, principalement sur le plan des dommages apparents;
Ø inscription du kilométrage apparaissant sur l’odomètre;
Ø vérification des objets à l’intérieur pour prévenir leur vol;
Ø confiscation d’objets dangereux.
[300] En ce qui concerne la recherche d’objets dangereux, il en va de la sécurité des préposés de l’entreprise de remorquage qui auront à déplacer le véhicule et à l’entreposer. S’il devait s’agir, par surcroît, de la présence d’une arme à feu, il est impératif qu’elle soit repérée et confisquée.
[301] Aussi, l’examen de l’état du véhicule et l’inscription de son kilométrage évitent tout litige à ce sujet entre l’entreprise de remorquage et le propriétaire du véhicule confisqué au moment de sa récupération[113].
[302] Les policiers ont-ils toutefois exercé de manière discriminatoire le pouvoir discrétionnaire dont ils disposent en procédant au remorquage du véhicule du plaignant et en lui délivrant deux constats d’infraction?
[303] Le Tribunal ne peut faire abstraction de la situation des plus délicates dans laquelle se trouvaient les policiers.
[304] Il importe de rappeler que la référence par le plaignant à son statut d’étudiant en techniques policières lors de son arrestation laisse entendre qu’il cherchait à obtenir un traitement de faveur. Les policiers auraient été fautifs s’ils avaient choisi d’accommoder un « futur collègue ».
[305] Au surplus, voilà que le plaignant tente d’intimider les policiers en les menaçant de se plaindre faussement d’avoir été battu si son véhicule devait être remorqué.
[306] Dans son témoignage, l’agent Robidoux explique qu’en pareilles circonstances, il ne devait pas « backtracker », c'est-à-dire céder aux pressions du plaignant en le libérant sans autre mesure. L’intervention policière devait suivre son cours.
[307] À plus d’une reprise dans son témoignage, l’agent Robidoux mentionne que le remorquage du véhicule du plaignant « allait de soi » compte tenu de l’infraction au C.S.R. en cause. Le Tribunal en conclut qu’il s’agit du traitement usuel d’un contrevenant en semblable matière dont le plaignant a fait l’objet.
[308] Quant à la délivrance des deux constats d’infraction, d’une part, ceux-ci étaient basés sur des motifs raisonnables et visaient des infractions distinctes commises par le plaignant.
[309] D’autre part, sans vouloir ériger une règle précise à ce sujet, le plaignant n’a pas fait face à un amoncellement de constats.
[310] Enfin, les policiers ont fait preuve d’indulgence, bien que légère, envers la conjointe du plaignant en décidant de ne pas en émettre en raison du phare brûlé de son véhicule.
[311] Dans le contexte de l’attitude précitée manifestée par le plaignant, les policiers se devaient d’agir par la suite de la manière la plus habituelle possible pour demeurer à l’abri de tout reproche, incluant une clémence indue.
[312] Le Tribunal ne peut reprocher aux policiers de ne pas avoir accordé au plaignant un traitement privilégié et de ne pas avoir passé l’éponge sur des infractions dont ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire à leur perpétration.
[313] Le Tribunal considère l’explication de l’agent Robidoux et les faits révélés par la défense suffisamment convaincants pour conclure par prépondérance de preuve à l’absence de discrimination par profilage racial dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire à cette étape.
[314] Le Tribunal conclut que la délivrance des deux constats d’infraction et le remorquage de son véhicule étaient fondés sur des motifs raisonnables. Ils découlaient d’une application régulière et usuelle de la loi, sans traitement inhabituel ou différencié, et surtout, sans prise en compte par les policiers d’une considération prohibée par la Charte.
2e QUESTION : |
Le plaignant a-t-il subi un préjudice justifiant l’attribution de dommages moraux?
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[315] La demande de compensation de la Commission pour les dommages moraux subis par le plaignant est de 25 000 $.
[316] La preuve de préjudice repose sur les témoignages du plaignant et de sa conjointe de l’époque qui en corrobore certains aspects.
[317] Le témoignage du plaignant à ce sujet, défaillant sur le plan de sa crédibilité et de sa valeur probante, n’est d’aucun secours pour en mesurer l’étendue.
[318] Ainsi, les allégations du plaignant de renoncement à ses études en techniques policières résultant des agissements des policiers et d’un traumatisme faisant en sorte qu’il n’ose à peu près plus jamais conduire de véhicule au Québec, ne peuvent être retenues.
[319] Par ailleurs, l’ampleur de l’impact psychologique et la souffrance invoquées par le plaignant sont inextricablement liées à sa conviction profonde suivant laquelle il a été victime de discrimination à toutes les étapes de l’intervention policière.
[320] Le plaignant affirme ou il s’infère de son témoignage qu’il considère avoir été victime de profilage racial lors :
Ø de la décision concertée des policiers de l’intercepter en automobile;
Ø de son arrestation arbitraire et brutale alors qu’il est calme et collaborant;
Ø de la mise injustifiée des menottes;
Ø de l’omission des policiers de l’informer des motifs de son arrestation et de ses droits;
Ø de la fouille complète et abusive de son véhicule à la recherche de drogue;
Ø de l’intimidation qu’il a subie en regard de ses projets de carrière;
Ø du refus de lui permettre de communiquer avec une tierce personne pour obtenir l’argent nécessaire pour payer l’amende due;
Ø du remorquage de son véhicule;
Ø de la délivrance de deux constats d’infraction;
Ø de l’arrogance manifestée par l’agent qui lui a remis les constats d’infraction.
[321] Or, le Tribunal a statué qu’il n’en est rien à chacune de ces étapes, la preuve étant prépondérante que les événements précités ne se sont pas produits comme le plaignant les a décrits ou perçus, et ne sont d’aucune façon discriminatoires.
[322] Dans ce contexte, la preuve de préjudice soumise par la Commission, en plus d’être affectée par la crédibilité minée du plaignant, est d’une utilité bien relative pour établir une juste compensation pour les dommages moraux subis. Son évaluation ne peut qu’être sensiblement revue à la baisse par rapport à la demande.
[323] Tout en retenant le témoignage de la conjointe de l’époque, sous réserve de ce qui précède, décrivant l’attitude abattue du plaignant dans les jours qui ont suivi l’intervention policière, le Tribunal s’en remettra principalement à une évaluation objective[114] de la gravité de l’atteinte aux droits fondamentaux du plaignant et des dommages moraux qui y sont inhérents ou raisonnablement susceptibles d’en découler.
[324] Le profilage racial, lorsqu’il émane d’un policier, comporte en lui-même une circonstance aggravante en ce qu'il « prive les citoyens de l’application régulière de la loi; il viole le droit à l’égalité, porte atteinte à l’intégrité du système judiciaire et appelle comme remède [en droit criminel] l’arrêt des procédures »[115].
[325] En l’espèce, la discrimination par profilage racial s’est manifestée dans un contexte de vulnérabilité du plaignant, alors qu’il est en état d’arrestation. À l’humiliation subie, s’ajoute un sentiment d’impuissance qui ne peut que contribuer à la gravité de l’atteinte à sa dignité.
[326] Dans l’affaire Rezko[116], la juge Pauzé évalue les dommages moraux subis par une victime de profilage racial à 10 000 $. Notons que des propos discriminatoires relatifs à l’origine ethnique avaient été tenus et que de longues et abusives démarches de recherche d’antécédents judiciaires, à la limite de l’acharnement, avaient été effectuées vainement, privant plus longtemps et indûment la victime de sa liberté.
[327] Dans l’affaire Godin c. City of Montreal[117], la Cour d’appel réfère abondamment à un jugement de la Cour du Québec, Ruckenstein c. Montréal (Ville de)[118], qui contient une revue de la jurisprudence en matière de dommages moraux pour arrestation illégale et atteinte à la dignité. Les extraits pertinents sont :
[65] In 2011, this Court confirmed the judgment of the Court of Quebec awarding damages to Mr. Ruckenstein who was illegally detained at the airport for one hour. He had a non-prohibited martial arts blade in his luggage. The Court of Quebec awarded $5,000 in damages (as well as $2,500 for his wife’s inconvenience even though she was not arrested). The Court of Quebec judge reviewed the applicable cases in coming to the foregoing awards as follows :
[127] Dans l’affaire Lauzon c. Gatineau (Ville de), le juge Barbe, de la Cour du Québec, procède à une revue de la jurisprudence sur la question des dommages accordés par les tribunaux, suite à une arrestation injustifiée :
[28] Quant à l'étendue des dommages à la suite de cette arrestation injustifiée, la Cour a étudié les jugements en semblables matières.
[29] Dans Corrigan c. MUC, (1980 C.S. 853 à 860), on a accordé une indemnité de 5 000 $ pour les dommages moraux et matériels subis par un demandeur arrêté et détenu pendant une période de trois heures.
[30] Dans Rodrigue c. CUM, (1981 C.S. 442 à 446), la Cour accorde une indemnité de 10 000 $ pour l'arrestation et la détention illégale d'une durée de plus de quatre heures.
[31] Dans Spooner c. CUM, (J.E. 87-365), le Juge Rouillard accorde une indemnité de 5 000 $ pour fouilles et arrestation illégale, mise sous écrou non justifiée et humiliation alors que le demandeur avait été retenu en détention plus d'une heure.
[32] Dans Heath c. P.G. du Québec, (1987 R.J.Q. 1168 à 1173), la Cour accorde une somme de 7 000 $ pour sévices et humiliation à la suite d'une arrestation injustifiée, d'une discussion de 30 minutes, de la pose de menottes pendant une courte période et de la détention injustifiée au poste de police pour une période indéterminée, mais qui semble courte.
[33] Dans Crépeau c. Yannonie, (1988 R.R.A. 265 à 272), la Cour accorde une indemnité de 5 000 $ à titre de dommages moraux et une somme additionnelle de 5 000 $ pour dommages exemplaires puisque le défendeur avait eu un comportement indigne d'un agent de la paix. Voir aussi Cagney c. CUM, (1998 R.R.A. 515 (C.S.); Tomer c. CUM, (500-02-019404-941 (C.Q.); Laflamme c. CUM, 1996 R.R.A. 689 (C.S.); Girard c. CUM, (500-05-013361-926 (C.S.)).
[128] Dans l’affaire Coté c. Ville de Longueuil, l'honorable Christiane Alarie [sic], de la Cour supérieure, a recensé plusieurs jugements qui traitent aussi de quantum des dommages en semblables matières.
127. Dans l'affaire Michaelson et al. c. Régie intermunicipale de police des Seigneuries, le juge Joël Silcoff accorde 10 000 $ à un individu détenu illégalement pendant une soirée, et par la suite acquitté.
128. Dans l'arrêt Québec (Procureur général) c. Allard, le demandeur est arrêté et incarcéré un vendredi après-midi vers 16 heures. Il est détenu jusqu'au lundi matin. Un montant de 10 000 $ lui est accordé pour arrestation abusive et 25 000 $ pour détention illégale et abusive.
129. Dans la cause Leroux c. Communauté urbaine de Montréal, la juge Anne-Marie Trahan accorde 5 000 $ à un individu arrêté et détenu illégalement. Une somme supplémentaire de 5 000 $ lui est octroyée pour détention prolongée. L'individu, arrêté vers 21:00 est libéré vers 3 heures du matin alors qu'il aurait pu l'être bien plus tôt.
[129] Dans cette affaire, M. Côté est arrêté à l'aréna. Il est emmené au poste de police dans une voiture de patrouille. Arrivé au poste, il est écroué et les policières prennent sa déclaration. Il passe environ une heure au poste avant d’être libéré sur promesse de comparaître. Le Tribunal, utilisant sa discrétion, lui accorde 4 000 $ à titre de dommages-intérêts.
[130] Dans la cause Khoury c. Dupuis, un montant de 5 000 $ est accordé au demandeur pour atteinte à sa liberté et à sa dignité, résultant de son arrestation illégale et la privation de sa liberté durant une heure qu’il est retenu dans une auto- patrouille.
(Soulignements reproduits)
(Références omises)
[328] Dans l’affaire Couillard c. Québec (Procureur général)[119], un exercice similaire est entrepris pour conclure à un nouveau barème de dommages moraux de 10 000 $ par jour de détention.
[329] Le Tribunal a également pris connaissance de décisions rendues par d’autres tribunaux ailleurs au Canada, ayant conclu que des policiers avaient, dans le cadre de leurs fonctions, commis du profilage racial envers des citoyens. Dans les affaires Johnson[120] et Phipps[121], un montant de 10 000 $ a été accordé aux victimes afin de compenser les dommages moraux qu’elles avaient subis. Une somme identique a également été versée dans une affaire récente, Briggs v. Durham Regional Police Services[122]. Dans cette affaire, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a conclu qu’une partie seulement de l’intervention policière était constitutive de profilage racial.
[330] En tenant compte des considérations qui précèdent, des montants établis en jurisprudence et des faits spécifiques à l’affaire à l’étude, le Tribunal évalue les dommages moraux subis par le plaignant à 8 000 $ dont les agents Fournier et Robidoux sont solidairement responsables.
[331] La discrimination par profilage racial s’étant produite dans l’exercice de leurs fonctions, l’employeur sera solidairement condamné au paiement de ces dommages[123].
3e QUESTION : |
Le comportement des agents Robidoux et Fournier justifie-t-il une condamnation au paiement de dommages punitifs? |
[332] La Commission demande que chacun des policiers soit condamné au paiement d’un montant de 2 500 $ à titre de dommages punitifs.
[333] Les dispositions législatives applicables à la résolution de cette question sont :
Art. 49 de la Charte
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
Art. 1621 du Code civil du Québec
1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, tout ou en partie, assumée par un tiers.
[334] L’article 49 ne permet la condamnation à des dommages punitifs que lorsque la violation d’un droit ou l’atteinte à une liberté reconnu ou protégé par la Charte est illicite et intentionnelle.
[335] Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[124], la Cour suprême définit la notion d’atteinte illicite et intentionnelle.
[336] Concernant l’atteinte illicite, elle écrit[125] :
[116] Pour conclure à l'existence d'une atteinte illicite, il doit être démontré qu'un droit protégé par la Charte a été violé et que cette violation résulte d'un comportement fautif. Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c'est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même.
[337] À l’évidence, pour les motifs précédemment énoncés, la conduite reprochée aux agents Fournier et Robidoux constitue une atteinte illicite à plusieurs normes édictées par la Charte, comme l’a déjà conclu le Tribunal.
[338] Définissant par la suite l’atteinte intentionnelle, la Cour suprême ajoute[126] :
[210] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
[339] L’article 49 énonce deux situations alternatives donnant ouverture à l’octroi de dommages punitifs.
[340] La première réfère à une action ou une omission d’agir constituant une atteinte illicite par laquelle son auteur cherche de manière intentionnelle à causer les conséquences qui en découlent.
[341] La deuxième comporte un seuil moins élevé. Il suffit de démontrer que l’auteur de l’acte connaît les conséquences « immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables » que l’atteinte illicite engendrera. Ce seuil excède toutefois la négligence et l’insouciance, même au niveau le plus élevé reconnu par notre droit, lorsque téméraire et déréglée.
[342] L’agent Fournier, selon ses propres termes, interroge systématiquement et de manière habituelle les personnes en état d’arrestation afin de savoir si elles sont en possession de « quelque chose d’illégal ou de drogue », à l’encontre des enseignements de la Cour suprême qui remontent à plus de vingt ans.
[343] Les deux agents ne pouvaient que savoir que cette question était injustifiée, illégitime, inappropriée et qu’elle aurait nécessairement de fortes répercussions auprès du plaignant.
[344] Il en est de même de la décision de l’agent Fournier d’entreprendre une deuxième fouille accessoire à l’arrestation du plaignant sans aucun fondement.
[345] Les deux agents avaient nécessairement conscience qu’il était extrêmement probable que le plaignant se sente, et avec raison, victime de profilage racial l’associant à de la criminalité en matière de drogue et atteint dans ses droits fondamentaux.
[346] De surcroît, le fait que la question ait été posée à trois reprises n’a que contribué davantage à en concrétiser les conséquences déjà extrêmement probables dès la première question.
[347] À l’égard d’un jeune homme à la peau noire, résident de l’arrondissement de Montréal-Nord, lors d’une intervention policière s’effectuant uniquement en application du C.S.R. et en exécution d’un mandat percepteur, sans qu’aucun crime ne puisse même être raisonnablement soupçonné, les questions de l’agent Fournier étaient de nature à alimenter le contexte social de relation déjà hautement tendue entre le service de police et la population d’origine multiethnique, particulièrement celle d’origine antillaise.
[348] Le Tribunal conclut à une atteinte illicite et intentionnelle pour laquelle une condamnation à des dommages punitifs s’impose envers les deux agents.
[349] Quant à la détermination du montant des dommages punitifs, rappelons les guides et objectifs mentionnés par la Cour suprême dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession)[127] :
[47] L’octroi de ces dommages [punitifs] a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet. Il est rattaché à l’appréciation judiciaire d’une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non. Comme l’exprime le juge Cory :
On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour. Les dommages-intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d’une compensation. Ils visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur.
[…]
[49] […] Par l’octroi de ces dommages, on cherche à punir l’auteur de l’acte illicite pour le caractère intentionnel de sa conduite et à le dissuader, de même que les membres de la société en général, de la répéter en faisant de sa condamnation un exemple.
(Référence omise)
[350] Enfin, dans l'arrêt Richard c. Time inc.[128], la Cour suprême indique :
[210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71).
[351] En l’espèce, par l’attribution de dommages punitifs, le Tribunal vise à exprimer sa réprobation en sanctionnant la conduite discriminatoire par profilage racial des agents Fournier et Robidoux envers le plaignant. Le Tribunal vise également à dissuader les agents Fournier et Robidoux de recommencer et à décourager les forces policières en général d’agir de la sorte.
[352] Dans Rezko[129], le Tribunal établit à 8 000 $ le montant à être versé en dommages punitifs à la victime de discrimination par profilage racial de la part d’un policier « pour punir son auteur, le dissuader de récidiver et décourager du même coup ceux qui seraient tentés de l'imiter ».
[353] Dans Elmardy v. Toronto Police Services Board[130], la Cour supérieure de l’Ontario, siégeant en appel, octroie 25 000 $ à la victime de discrimination par profilage racial de la part de deux policiers, en plus de condamner l’employeur au paiement de 50 000 $ à ce titre.
[354] Tenant compte de ces considérations et en regard des circonstances particulières de l’affaire, notamment la gravité respective[131] de leur conduite ayant porté atteinte aux droits du plaignant, en ce que l’agent Fournier est à l’origine de la conduite discriminatoire alors que l’agent Robidoux l’a tolérée en toute connaissance de cause, ceux-ci sont condamnés au paiement des dommages punitifs suivants :
Ø 2 500 $ par l’agent Fournier, soit le montant apparaissant à la demande introductive d’instance;
Ø 1 500 $ par l’agent Robidoux.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[355] ACCUEILLE en partie la demande;
[356] CONDAMNE solidairement la Ville de Montréal, l’agent Jean-Michel Fournier et l’agent Martin Robidoux à payer 8 000 $ à M. Davids Mensah à titre de dommages moraux avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 25 avril 2014, date de la signification de la proposition de mesures de redressement;
[357] CONDAMNE l’agent Jean-Michel Fournier à payer 2 500 $ à M. Davids Mensah à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de ce jugement;
[358] CONDAMNE l’agent Martin Robidoux à payer 1 500 $ à M. Davids Mensah à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de ce jugement;
[359] LE TOUT, avec frais de justice.
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__________________________________ MARIO GERVAIS, Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Christine Campbell Mme Hajer Labidi, stagiaire BOIES DRAPEAU BOURDEAU |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Jean-Nicolas Loiselle Mme Charlotte Richer Leboeuf, stagiaire GAGNIER GUAY BIRON avocats |
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Pour les parties défenderesses
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Dates d’audience : |
11, 15, 16, 23, 24, 25, 30 novembre 2016 et 16 janvier 2017 |
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[1] RLRQ, c. C-12.
[2] RLRQ, c. C-24.2.
[3] Transcription de l’audience du 11 novembre 2016, p. 22.
[4] Id., p. 28.
[5] Id., p. 37.
[6] Id., p. 58.
[7] Transcription de l’audience du 24 novembre 2016, p. 63.
[8] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 33 (Bombardier).
[9] COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, « Le profilage racial : mise en contexte et définition », juin 2005, en ligne : < http://www.cdpdj.qc.ca/publications/profilage_racial_definition.pdf >.
[10] Bombardier, préc., note 8, par. 34 : « Le libellé de la Charte permet aux tribunaux de constater l’existence de nouvelles formes de discrimination au fur et à mesure qu’elles se manifestent dans notre société ».
[11] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Rezko) c. Montréal (Service de police de la ville de) (SPVM), 2012 QCTDP 5 (demande pour permission d’appeler rejetée, 2012 QCCA 1501) (Rezko).
[12] Id.
[13] Id., par. 179.
[14] Id., par. 181.
[15] Id., par. 183.
[16] Michèle TURENNE, « Le profilage racial : une atteinte au droit à l’égalité - Mise en contexte, fondements, perspectives pour un recours », dans SFCBQ, vol. 309, Développements récents en profilage racial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 37, aux pages 87 et 88.
[17] Id., à la page 90. Lire également l’auteur David M. Tanovich qui énumère diverses manifestations du profilage racial, dont le fait de « [i]ntensifying the investigation, for example with unjustifiable arrest, searches or excessive force » (David M. TANOVITCH, « Applying the Racial Profiling Correspondence Test », (2017) 64 Criminal Law Quaterly 359, p. 368).
[18] Bombardier, préc., note 8, par. 59, 64 et 65.
[19] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 RCS 525, p. 538.
[20] Bombardier, préc., note 8, par. 52.
[21] Id., par. 41.
[22] Id., par. 64.
[23] Rezko, préc., note 11, par. 192.
[24] Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33.
[25] R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, par 20.
[26] J.R. c. R., 2006 QCCA 719.
[27] Pointejour Salomon c. La Reine, 2011 QCCA 771.
[28] Gilles RENAUD, L'évaluation d'un témoignage : un juge se livre, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2008, p. 29.
[29] R. c. R. (D.), [1996] 2 RCS 291, par. 93.
[30] Rezko, préc., note 11, par. 184; R. v. Brown, 2003 CanLII 52142 (ON CA), [2003] O.J. No. 1251, par. 44.
[31] R. c. S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, par. 42-43.
[32] Bombardier, préc., note 8, par. 88 : « On ne peut présumer, du seul fait de l’existence d’un contexte social de discrimination envers un groupe, qu’une décision particulière prise à l’encontre d’un membre de ce groupe est nécessairement fondée sur un motif prohibé au sens de la Charte. En pratique, cela reviendrait à inverser le fardeau de preuve en matière de discrimination. En effet, même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée ».
[33] Pièce P-8.
[34] R. c. S. (R.D.), préc., note 31.
[35] R. c. Grant, 2009 CSC 32, par. 154.
[36] Pièce D-4. Ces constats d’infraction ne sont déposés en preuve que pour établir les interventions policières qui y sont décrites. Ils n’établissent pas que les infractions en cause ont été commises par le plaignant.
[37] Transcription de l’audience du 15 novembre 2016, p. 15.
[38] L’objection de la Commission à la question posée en contre-interrogatoire au plaignant à ce sujet, prise sous réserve, ne sera retenue qu’aux fins d’une mise en garde. Seule la preuve de l’existence d’une plainte de violence conjugale est admissible pour tester la crédibilité du plaignant. Aucune preuve n’est apportée pour établir son fondement.
[39] Pièce D-10, transcription de l’audience du 29 février 2012 devant la Cour municipale de Montréal, p. 13.
[40] Id.
[41] Id., p. 11.
[42] Préc., note 3, p. 66.
[43] Conséquemment, aucune inférence négative ne peut en être tirée contre le plaignant en regard de cette infraction.
[44] Transcription de l’audience du 16 novembre 2016, p. 62-63.
[45] Id., p. 64.
[46] Id.
[47] Id., p. 65.
[48] Id., p. 63.
[49] Id.
[50] Pièce D-9, p. 4.
[51] Ce qui signifie « phare » lorsque la conjointe décrit par la suite l’état du véhicule, préc., note 44, p. 109.
[52] Id., p. 107. Lire aussi les pages 120 et 121.
[53] Préc., note 3, p. 42.
[54] Pièce D-8, p. 5.
[55] Préc., note 37, p.182.
[56] Préc., note 44, p. 115.
[57] Transcription de l’audience du 23 novembre 2016, p. 84-85.
[58] Id., p. 83.
[59] Id., p. 87.
[60] Id., p. 107, propos répétés à plusieurs reprises pendant son témoignage.
[61] Id., p. 91.
[62] Id., p. 118.
[63] Id., p. 92.
[64] Id., p. 93.
[65] Id., p. 94.
[66] Id., p. 125.
[67] Id.
[68] Id., p. 99.
[69] Id., p. 127.
[70] Préc., note 7, p. 142.
[71] Rapport Perreault, préc., note 33, p. 97.
[72] Le Tribunal conserve toute latitude pour retenir certains aspects du témoignage de l’agent Fournier, notamment lorsqu’il témoigne à l’encontre de son intérêt ou de celui des défendeurs.
[73] Préc., note 7, p. 61.
[74] Pièce P-13, p. 3.
[75] Constructions Beaubois inc. c. Développement Les Méandres inc., 2009 QCCA 1271, par. 8.
[76] Préc., note 7, p. 3.
[77] Deux à trois fois par mois en 12 ans, selon ses propos.
[78] Rezko, préc., note 11, par. 180 et 191.
[79] Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12.
[80] Le Tribunal retient la version de l’agent Robidoux selon laquelle les policiers n’étaient pas en mesure d’apercevoir le conducteur lorsqu’ils ont pris la décision d’intercepter le véhicule du plaignant.
[81] Il en va de même du plaignant, indépendamment du fait que son témoignage ait par ailleurs été écarté.
[82] Préc., note 44, p. 109.
[83] R. c. Mellenthin, [1992] 3 RCS 615, p. 623-624.
[84] R. c. Storrey, [1990] 1 RCS 241, p. 250-251 : « En résumé, donc, le Code criminel exige que l'agent de police qui effectue une arrestation ait subjectivement des motifs raisonnables et probables d'y procéder. Ces motifs doivent en outre être objectivement justifiables, c’est-à-dire qu'une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Par ailleurs, la police n'a pas à démontrer davantage que l'existence de motifs raisonnables et probables. Plus précisément, elle n'est pas tenue, pour procéder à l'arrestation, d'établir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité ».
[85] Rezko, préc., note 11, par. 181.
[86] Pièce D-5, constat d’infraction pour conduite d’un véhicule en étant titulaire de plus d’un permis de conduire.
[87] Il ne s’agit pas d’un incident isolé en ce que le plaignant utilisera la même stratégie à l’occasion d’une intervention policière sans aucun lien survenue le 4 mai 2013, en invoquant ce statut lors de son interpellation par le sergent Daniel Théorêt.
[88] Centres d'achats Beauward ltée c. Laliberté, 2017 QCCS 3792.
[89] R. c. Collins, [1987] 1 RCS 265, p. 278.
[90] R. c. Jones, 2017 CSC 60, par. 57.
[91] Hunter c. Southam, [1984] 2 RCS 145, p. 161.
[92] R. c. Collins, préc., note 89, p. 277-278
[93] R. c. Caslake, [1998] 1 RCS 51, par. 11 (Caslake).
[94] R. c. Stillman, [1997] 1 RCS 607, par. 33.
[95] Caslake, préc., note 93, par. 19-21.
[96] Cloutier c. Langlois, [1990] 1 RCS 158.
[97] R. c. Fearon, 2014 CSC 77.
[98] Id., par. 45.
[99] Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2017 QCCA 1919.
[100] Préc., note 7, p. 17.
[101] Le Tribunal retient la version de l’agent Robidoux qui affirme de manière descriptive que deux fouilles ont été menées par l’agent Fournier. Ce dernier n’exclut pas cette hypothèse en déclarant qu’il n’y a eu qu’une seule fouille, mais ne pouvant l’affirmer avec certitude.
[102] R. c. Ladouceur, [1990] 1 RCS 1257, p.1288 (Ladouceur).
[103] M. TURENNE, préc., note 16, p. 87 et 88.
[104] Rezko, préc., note 11.
[105] Dans leur volet relatif à la possession « de quelque chose d’illégal » ou de drogue.
[106] Rapport Perreault, préc., note 33, p. 96.
[107] Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA 924, par. 99 et 102; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward, 2016 QCTDP 18, par. 64 (demande pour permission d’appeler accueillie, 2016 QCCA 1660).
[108] Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, id., par. 99.
[109] Témoignage de l’agent Robidoux, préc., note 7, p. 64, 95-97.
[110] Ladouceur, préc., note 102, p. 1287.
[111] Peart v. Peel Regional Police Services, 2006 CanLII 37566 (ON CA); voir à titre d’illustration Briggs v. Durham Regional Police Services, 2015 HRTO 1712, où le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario conclut à une intervention policière entachée de profilage racial à certaines étapes et à l’absence de profilage raciale à d’autres étapes.
[112] Préc., note 7, p. 25.
[113] Voir R. v. Joseph, 2016 QCCQ 10597, pour une revue de la jurisprudence reconnaissant la validité d’une fouille inventaire par les policiers procédant à la saisie d’un véhicule en vertu du C.S.R. et la responsabilité qui leur incombe de veiller à l’intégrité du véhicule saisi et de son contenu.
[114] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211, par. 68 : « […] La caractérisation objective du préjudice moral devrait donc être favorisée au Québec; elle s'accorde beaucoup mieux d'ailleurs avec les principes fondamentaux de la responsabilité civile ».
[115] R. c. Moise, 2017 QCCQ 598, par. 18.
[116] Rezko, préc., note 11.
[117] 2017 QCCA 1180.
[118] Ruckenstein c. Montréal (Ville de), 2009 QCCQ 7011, conf. par 2011 QCCA 1666.
[119] Couillard c. Québec (Procureur général), 2015 QCCQ 481.
[120] Johnson v. Halifax (Regional Municipality) Police Service, (2003) 48 CHRR D/307 (NS Bd. Inq), inf. en partie sur un point incident par 2005 NSCA 70.
[121] Shawn v. Phipps, 2010 ONSC 3884, conf. par 2012 ONCA 155.
[122] Briggs v. Durham Regional Police Services, 2015 HRTO 1712.
[123] Article 1463 C.c.Q.
[124] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, préc., note 116.
[125] Id.
[126] Id.
[127] de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51.
[128] Richard c. Time inc., 2012 CSC 8.
[129] Rezko, préc., note 11, par. 282.
[130] Elmardy v. Toronto Police Services Board, 2017 ONSC 2074.
[131] Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, par. 127, 128.
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