Mercier et CSSS de la Vieille-Capitale |
2014 QCCLP 3221 |
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[1] Le 13 juin 2013, madame Diane Mercier (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles aux fins de contester la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 23 mai 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 4 avril 2013 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, le 5 février 2013.
[3] L’audience s’est tenue à Québec le 27 mai 2014 en présence de la travailleuse et de son représentant. Quant à l’employeur, il est absent bien que dûment convoqué, ayant préalablement avisé le tribunal qu’il n’entendait soumettre qu’une argumentation écrite. Le tribunal a également été avisé de l’absence de la procureure de la CSST.
[4] Le témoignage de la travailleuse est entendu et la cause est mise en délibéré le 27 mai 2014.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue le 23 mai 2013 et de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle en raison d’un accident du travail, le 5 septembre 2013. Elle entend démontrer que cet accident est survenu à l’occasion du travail alors qu’il s’est produit à son arrivée dans le stationnement de l’employeur.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la Commission des lésions professionnelles devrait rejeter la requête de la travailleuse et confirmer la décision rendue par la CSST, le 23 mai 2013.
[7] Il est d’avis que l’activité exercée par la travailleuse au moment de se blesser dans le stationnement ne présente aucun caractère de connexité avec son travail car la travailleuse a quitté sa sphère d’activité professionnelle pour rejoindre la sphère d’activité personnelle.
[8] Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. La fonction que la travailleuse exerce chez l’employeur à titre d’infirmière n’est pas incompatible avec l’activité exercée dans le stationnement puisque ses connaissances pouvaient être mises à profit pour porter assistance à un individu qui se trouvait au sol.
[9] Ce membre est ainsi d’avis que le respect de l’obligation légale de porter secours ne peut être qu’en accord avec les dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[1] et ce, même si on ne dispose pas des connaissances acquises par la travailleuse. Il est convaincu que le législateur n’a pas voulu imposer l’obligation de porter secours et exclure, par une autre législation, le régime d’indemnisation existant lorsqu’un accident survient par la même occasion.
[10] Il importe donc d’analyser les circonstances en cause en appliquant les critères énoncés par la jurisprudence, lesquels permettent de conclure que la travailleuse doit bénéficier de la protection de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le 5 février 2013. Aux fins de l’apprécier, la Commission des lésions professionnelles retient de l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, les éléments pertinents suivants.
[12] La travailleuse est assistante infirmière-chef ainsi que première répondante en cas d’urgence sinistre. L’essentiel de ses tâches consiste donc à prodiguer des soins auprès des bénéficiaires de manière à répondre à la mission d’un centre de santé et de services sociaux.
[13] Le document déposé (Pièce T-1) précise cette mission, soit celle d’assurer à la population une gamme de services de santé et de services sociaux qui sont continus, accessibles, sécuritaires et respectueux des droits des personnes.
[14] L’horaire quotidiennement accompli par la travailleuse s’échelonne entre 23 h 30 et 7 h 45 à raison de cinq jours par semaine. Afin de débuter son quart de travail à 23 h 30, la travailleuse explique qu’elle quitte son domicile vers 23 h et qu’elle accède généralement au stationnement de l’établissement vers 23 h 10.
[15] Le 5 février 2013, elle se rappelle être arrivée au stationnement vers 23 h 15 et qu’il faisait très froid. Sa première préoccupation était de garer sa voiture au sein de l’un des emplacements réservés aux employés. Il s’agit d’un privilège qui lui est consenti moyennant le coût mensuel versé à l’employeur. Le relevé de paie déposé comporte effectivement la déduction d’une somme de 24,50 $ pour son stationnement.
[16] La travailleuse déclare qu’elle a aperçu un individu qui était allongé au sol et qui avait le bras élevé afin de lui faire signe de venir à sa rencontre. Sa réaction a été de s’approcher de lui avec sa voiture tout en l’éclairant suffisamment pour évaluer la position dans laquelle il se trouvait.
[17] Comme il était allongé sur le côté à un endroit où le sol était glacé, elle s’est empressée de sortir de son véhicule et l’a questionné pour évaluer son état.
[18] L’individu s’est dit capable de se relever avec son aide. Après qu’il soit parvenu à s’asseoir, elle a positionné ses mains sous ses aisselles et au moment de tenter de le soulever, elle a aussitôt ressenti une vive douleur au bas de son dos.
[19] La douleur était telle qu’elle a nécessité qu’elle interrompe le soulèvement et une fois qu’elle s’est sentie capable de bouger et de se déplacer, elle s’est dirigée vers l’établissement pour y entrer et chercher de l’aide.
[20] Elle en a profité pour aviser l’infirmière du département qu’elle n’allait pas pouvoir travailler du fait qu’elle venait de se blesser et qu’elle devait aller consulter un médecin.
[21] Le médecin vu à l’urgence d’un centre hospitalier retient le diagnostic de fracture L1, prescrit un arrêt de travail et demande une ostéodensitométrie. Le protocole d’imagerie médicale qui date du 6 février 2013 démontre qu’il s’agit d’une fracture sans déplacement significatif du plateau vertébral antéro supérieur de L5.
[22] Ce diagnostic est repris au sein des consultations médicales subséquentes jusqu’au rapport final qui est complété le 22 juillet 2013.
[23] De l’avis du médecin désigné par l’employeur qui est exprimé au sein du rapport complété le 18 mars 2013, les circonstances décrites lui permettent de croire que l’effort déployé pour soulever l’individu était léger et qu’il ne pouvait avoir causé la fracture d’un corps vertébral.
[24] Il explique que la mécanique de production requise pour occasionner une telle lésion doit correspondre à un traumatisme violent et direct, citant en exemple la chute d’un escabeau ou d’une échelle.
[25] La travailleuse a été appelée à préciser si elle avait déjà ressenti des douleurs lombaires avant l’événement et sa réponse a été de nier cette possibilité. Elle rappelle qu’elle est d’ailleurs demeurée capable d’accomplir ses tâches d’infirmière, chez l’employeur, depuis près de 12 ans.
[26] Certes, ses médecins se sont préoccupés d’investiguer sa densité osseuse et un examen d’ostéodensitométrie (Pièces T-2, en liasse) a été réalisé le 14 décembre 2007 (Pièce T-2) mais il s’agissait d’un simple examen de contrôle effectué à l’intérieur du suivi pour sa ménopause.
[27] Le protocole d’imagerie médicale démontre que la DMO se situe à la limite de l’ostéopénie et de l’ostéoporose, démontrant même qu’il y eut une certaine amélioration depuis 2006, soit un gain de 4.2 % de la masse osseuse, au niveau de la colonne et de 5.6 %, au niveau de la hanche.
[28] La prise de connaissance des notes de consultation (Pièces T-2, en liasse) complétées par le médecin traitant en 2006 et 2007 permet de constater que les affirmations de la travailleuse voulant qu’elle ne ressentait pas de douleurs lombaires à la même époque sont corroborées.
[29] Selon l’ostéodensitométrie du 21 février 2013, les données comparées avec celles recueillies en 2007 démontrent une diminution de 6.8 % de la densité osseuse au niveau de la colonne lombaire et le commentaire qui suit est que la travailleuse est ostéoporotique avec un risque de fracture qui est modéré.
[30] Malgré ce constat, le médecin traitant demeure convaincu que la fracture s’est indéniablement produite lors de l’accident.
[31] Quant au docteur Patrice Montiny qui a été appelé à évaluer la travailleuse le 25 novembre 2013, il élabore une opinion plus nuancée :
Pour ce qui est de l’événement en lui-même, madame fait un effort en position fléchie, ce qui, couplé avec son état personnel d’ostéoporose, a causé la fracture du plateau supérieur de L5. Il est bien évident que si madame avait eu une ossature normale, l’effort qu’elle a fait en flexion n’aurait pas créé de problématique de fracture au niveau du plateau supérieur de L5. Il en est de même aussi si madame n’avait pas fait cet effort en flexion, il n’y aurait pas eu de fracture au niveau de la vertèbre L5.
Nous sommes donc face à une condition personnelle d’ostéoporose qui a été aggravée par le geste que madame a posé à savoir que ce geste a créé la fracture sur le substratum d’ostéoporose.
[nos soulignements]
[32] Selon l’avis du Bureau d’évaluation médicale rendu entretemps, le diagnostic qui doit être retenu en lien avec les circonstances décrites est une fracture de L5, la fracture initialement diagnostiquée à L1 devant être écartée. Ce diagnostic lie donc la CSST et il s’agit de celui qui doit être pris en compte par le tribunal pour les fins de son analyse.
[33] Le refus exprimé par la réviseure au sein de la décision rendue le 23 mai 2013 s’inspire d’une motivation qui considère que l’événement n’est pas survenu à l’occasion du travail. Elle précise que la travailleuse a exécuté une activité qui n’est pas connexe à son travail et dont la finalité ne vise pas l’intérêt de l’employeur.
[34] Cette motivation, à elle seule, lui permettait de conclure que la travailleuse n’avait pas subi de lésion professionnelle en raison d’un accident du travail et elle n’avait donc pas à poursuivre son analyse afin de déterminer si l’événement décrit était la cause de la lésion diagnostiquée.
[35] Compte tenu de la conclusion à laquelle parvient le tribunal voulant que les circonstances décrites se soient produites à l’occasion du travail, il lui importe également d’apprécier si elles pouvaient comporter la mécanique de production d’une fracture de L5.
[36] Les dispositions législatives à prendre en compte sont les suivantes :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[…]
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
[…]
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[37] La preuve démontre que la travailleuse s’est blessée dans le stationnement adjacent à l’établissement de son employeur alors qu’elle accédait à son lieu de travail.
[38] Il ne peut s’agir d’une blessure qui est survenue par le fait de son travail ni alors qu’elle était à son travail. La présomption énoncée à l’article 28 de la loi ne peut donc s’appliquer et il faut plutôt déterminer s’il peut s’agir d’une lésion professionnelle en raison d’un accident du travail au sens prévu à l’article 2 de la loi.
[39] Il importe de déterminer, en premier lieu, si l’accident est survenu à l’occasion du travail.
[40] La jurisprudence qui évolue au sein du tribunal[2] propose des critères susceptibles qui permettent de le déterminer :
1) le lieu de l'événement;
2) le moment de l'événement;
3) la rémunération de l'activité exercée par le travailleur au moment de l'événement;
4) l'existence et le degré d'autorité ou de subordination de l'employeur lorsque l'événement ne survient ni sur les lieux ni durant les heures de travail;
5) la finalité de l'activité exercée au moment de l'événement qu'elle soit incidente, accessoire ou facultative à ses conditions de travail; et
6) le caractère de connexité ou d'utilité relative de l'activité du travailleur en regard de l'accomplissement du travail.
[41] Cette jurisprudence rappelle qu’aucun de ces critères n’est à lui seul décisif et qu’il faut plutôt analyser l’ensemble des circonstances pour apprécier si l’activité exercée est connexe au travail.
[42] Ainsi, la survenance d’un événement sur le lieu immédiat du travail, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement, est considérée comme étant dans la sphère reliée au travail.
[43] En somme, l’accident qui survient alors qu’un travailleur arrive à son lieu de travail ou en repart en utilisant les voies d’accès usuelles mises à sa disposition par son employeur est un accident qui survient à l’occasion du travail.
[44] Cette activité doit toutefois prendre place à l’intérieur d’un délai raisonnable qui précède ou qui suit le début ou la fin du quart de travail et elle ne doit pas être interrompue par une activité strictement personnelle[3]. Tel est le cas en l’espèce.
[45] La jurisprudence[4] est constante à l’égard des accidents qui surviennent dans le terrain de stationnement et les autres terrains adjacents, tels le trottoir, une allée menant à la porte de l’édifice et le palier d’entrée.
[46] Le tribunal retient donc que c’est l’activité spécifique d’entrer et de sortir du lieu de travail, par ces voies d’accès, qui présente un lien de connexité suffisant avec le travail.
[47] De plus, l’usage d’un stationnement que l’employeur met à la disposition de ses travailleurs est considéré comme faisant partie des conditions de travail et l’accident qui y survient est reconnu comme étant en relation avec le travail[5].
[48] Dans l’affaire Mumbo Moukokolo et Foam Creations inc.[6], l’événement est survenu dans le stationnement de l’employeur alors que le travailleur s’y rendait durant sa pause santé pour déplacer son véhicule. En fait, il ne voulait pas gêner l’entrepreneur qui devait procéder au déneigement du site au cours de la journée.
[49] Le tribunal a conclu que cette activité était survenue à l’occasion du travail car elle était suffisamment connexe avec son travail.
[50] Le tribunal est parvenu à une conclusion similaire dans l’affaire Zane et Agence de Revenu du Canada R.H.D.C.C. Direction de travail[7]. Les circonstances mises en preuve démontraient que le travailleur s’était rendu dans le stationnement afin d’y déneiger son véhicule et pouvoir quitter à l’heure prévue à la fin de son quart de travail.
[51] Bien que la pause repas n’était pas rémunérée, le tribunal a considéré que le travailleur était encore dans sa sphère professionnelle lorsqu’il se dirigeait vers son véhicule.
[52] Dans le cas soumis, c’est par le biais d’un témoignage qui est demeuré entièrement crédible que la travailleuse a établi qu’elle s’est blessée dans le stationnement dans les minutes qui précédaient le début de son quart de travail. Ainsi, elle exerçait une activité accessoire à son travail puisqu’elle accédait aux lieux où elle travaille.
[53] La représentante de l’employeur soumet que le fait de poser un acte de civisme alors qu’elle se trouvait dans le stationnement ne profite pas à ce dernier et qu’il n’y a pas de lien de connexité avec le travail.
[54] Elle réfère à la loi visant à favoriser le civisme qui permet la réparation du préjudice subi chez une personne qui porte bénévolement secours à quelqu’un dont la vie ou l’intégrité est menacée. Elle prétend donc qu’il n’y a pas lieu de compenser la travailleuse selon les dispositions prévues à la loi.
[55] La question ainsi posée au tribunal consiste à déterminer si le fait de porter secours à un individu qui vient de chuter dans le stationnement de l’employeur fait en sorte que la travailleuse a quitté la sphère d’activité professionnelle pour rejoindre la sphère d’activité personnelle.
[56] Cette question a déjà été appréciée par le tribunal dans l’affaire Bouffard et Municipalité des Iles-de-la-Madeleine[8].
[57] Le travailleur, un opérateur à la voierie et au déneigement, s’était blessé alors qu’il avait dû interrompre son déneigement pour porter assistance à une personne dont le véhicule était pris dans son entrée. Il était aussitôt sorti de la déneigeuse et avait tenté de déprendre le véhicule en poussant dessus.
[58] La réponse apportée par le juge administratif est motivée ainsi :
[58] En outre, le travailleur a la responsabilité de déneiger la voie publique, question d’assurer la sécurité de ceux qui l’empruntent. Le tribunal considère, dans ce contexte, que peut constituer un prolongement de cette responsabilité, selon les circonstances, le fait de s’assurer que la voie en question soit libre et sécuritaire, ce que l’intervention du travailleur pour dégager la voiture a entraîné.
[59] Le juge convient que le travailleur aurait pu intervenir d’une autre façon en offrant d’appeler un remorqueur mais la reconnaissance d’un accident du travail est indépendante de la responsabilité ou de la faute, à moins d’une négligence grossière et volontaire, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’instance.
[60] En transposant cette conclusion dans le présent cas, il y a lieu de considérer que la travailleuse s’adonnait à une activité qui est connexe à son travail puisqu’elle a prêté assistance à un individu qui réclamait de l’aide tout comme elle l’aurait fait pour un bénéficiaire qui est sous sa responsabilité lorsqu’elle accomplit ses tâches d’infirmière. En fait, elle était toujours dans sa sphère d’activité professionnelle.
[61] Le tribunal peut difficilement concevoir qu’un centre de santé et de services sociaux qui a pour mission d’assurer à la population une gamme de services de santé et de services sociaux puisse prétendre que l’un de ses travailleurs ou l’une de ses travailleuses qui est plus particulièrement affectée aux soins n’ait pas à intervenir auprès d’un individu qui a chuté dans son stationnement et qui avait manifestement besoin d’aide pour se relever.
[62] L’activité exercée par la travailleuse à son arrivée au travail, ce soir-là, était certes utile pour l’employeur. La même approche a été retenue dans l’affaire Molle et S.T.M. (Réseau des Autobus)[9]. Le travailleur, un chauffeur d’autobus, avait quitté son véhicule pour rejoindre le conducteur du camion remorque qui le précédait aux fins de le prévenir que la porte arrière était demeurée ouverte. En descendant du marchepied, il se blesse au genou. La motivation élaborée par le juge administratif l’est ainsi :
[30] Qu’un travailleur fasse preuve d’humanité lorsque des circonstances inhabituelles surviennent dans le cadre de son travail n’a pas nécessairement pour effet de lui faire quitter sa sphère d’activité professionnelle. Le travail s’effectue en complémentarité, et non en opposition, avec la vie en société.
[31] À défaut d’être directement utile à son employeur individuel, le comportement empreint de civisme d’un travailleur peut tout de même être considéré à l’avantage de tous les employeurs, puisqu’il préserve les intérêts de la société tout entière.
[32] Bref, l’intention du législateur est-elle qu’un travailleur soit pénalisé (par un refus d’indemnisation) parce qu’il s’est blessé en agissant bien ? La loi veut-elle décourager les actes de civisme au travail ? Le tribunal estime que non.
[38] Il serait incongru que le fait de s’être comporté de façon exemplaire en tant qu’être humain et citoyen ait pour effet de faire perdre des droits à une personne pour le motif qu’elle était au travail au moment où elle a posé un geste de civisme.
[39] Ainsi, compte tenu de ce qui précède - c’est-à-dire qu’en agissant comme il l’a fait, le travailleur n’a pas quitté sa sphère d’activité professionnelle -, le tribunal conclut que, dans le présent cas, l’accident et la blessure en résultant sont survenus non pas à cause (« par le fait ») de son travail, mais bien « à l’occasion de » celui-ci.
[40] Le soussigné est bien conscient que la Commission des lésions professionnelles en est arrivée à une conclusion différente dans d’autres affaires concernant des actes dits « de pur civisme »3 ou dans le cas d’une intervention faite par un chauffeur d’autobus auprès d’usagers4. Mais, dans le présent cas comme dans ceux-là, l’interprétation du concept véhiculé par l’expression « à l’occasion du travail » découle de l’appréciation faite par le tribunal des faits particuliers mis en preuve devant lui.
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3 Laberge et Corporation d’Urgences-Santé de la Région de Montréal-Métropolitain, C.L.P. 111088-71-9902, 5 octobre 1999, M. Zigby ; Brunette et S.T.C.U.M, C.L.P. 153156-71-0012, 26 mars 2002, H. Rivard ; Blanchet et CLSC-CHSLD de l’Érable, 2008 QCCLP 2959.
4 Moreau et Société de transport de Montréal, C.L.P. 362898-64-0811, 28 janvier 2010, M. Lalonde.
[41] Ici, le tribunal estime que le travailleur a subi une lésion à l’occasion de son travail, comme la Commission des lésions professionnelles l’a décidé dans des circonstances comparables5.
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5 Robert et Société de transport de la Rive-Sud de Montréal, C.L.P. 175461-62-0112, 13 janvier 2003, R. L. Beaudoin ; Drouin et S.T.C.U.M., C.L.P. 147048-63-0009.
[nos soulignements]
[63] Le tribunal transpose ce raisonnement dans le présent cas et conclut que le besoin d’assistance de l’individu n’a nullement contribué à interrompre la sphère d’activité professionnelle à l’intérieur de laquelle la travailleuse se trouvait.
[64] La travailleuse, par surcroît, a mis à profit ses connaissances d’infirmière en évaluant l’état de cet individu pour ensuite s’assurer qu’il était en mesure de s’aider alors qu’elle allait tenter de le relever. L’individu n’était apparemment pas blessé et pouvait vraisemblablement s’aider au moment qu’elle le soulevait. Le critère de la connexité, selon le tribunal, est assurément rencontré.
[65] D’ailleurs, cette intervention ne devait durer que quelques minutes et ne compromettait en rien l’arrivée à son poste de travail à l’heure prévue. De plus, elle ne s’apparente nullement à une activité purement personnelle car il ne s’agit pas d’une activité exercée pour son propre bénéfice mais plutôt pour le bénéfice d’un tiers qui sollicite son aide.
[66] Comme il s’agit d’un événement qui est survenu à l’occasion du travail, le tribunal doit maintenant déterminer s’il est la cause de la lésion diagnostiquée au sens prévu par l’article 2 de la loi.
[67] En effet, le fardeau de preuve qui incombe à la travailleuse est de démontrer non seulement la survenance d’un événement imprévu et soudain mais également la relation entre cet événement et la fracture L5 qui a été diagnostiquée le 6 février 2013.
[68] La travailleuse est porteuse d’une condition personnelle préexistante qui a été décelée au cours des années antérieures et qui est l’ostéoporose. Le suivi médical effectué en 2006 et 2007 révèle toutefois que sa condition lombaire était asymptomatique et qu’elle l’est demeurée jusqu’à ce qu’elle consulte au cours de la nuit du 6 février 2013.
[69] De l’avis du médecin traitant, tel qu’exprimé au rapport complémentaire élaboré le 25 mai 2013, la fracture s’est indéniablement produite lors de l’accident malgré qu’elle soit porteuse d’une condition d’ostéoporose.
[70] Cette conclusion est reprise par le docteur Patrice Montminy qui, en sa qualité de médecin spécialiste, apporte la nuance suivante, soit que la fracture est survenue sur une condition déjà fragilisée et qu’elle représente une aggravation de la condition personnelle préexistante.
[71] Cette opinion qui est davantage nuancée rejoint en quelque sorte celle exprimée par le docteur Jacques Turcotte puisque celui-ci a explicité au sein du rapport qu’il a complété le 18 mars 2013 que les circonstances en cause ne pouvaient comporter à elles seules la mécanique de production d’une fracture d’un corps vertébral et ce, faute de comporter un traumatisme violent et direct comparable à une chute d’un escabeau ou d’une échelle.
[72] Le tribunal retient que le suivi médical qui a débuté immédiatement après l’événement démontre une fracture L5 qui est récente. Aussi, bien que la travailleuse soit porteuse d’une condition personnelle préexistante d’ostéoporose et qu’elle est considérée à risque de présenter des fractures de fragilisation sans qu’il y ait la survenance d’un traumatisme, il n’en demeure pas moins que l’événement qui est survenu en est un, même s’il n’est pas aussi important que la chute d’une échelle.
[73] Le tribunal considère donc que l’ensemble de la preuve permet de démontrer, de manière probante, la survenance d’un événement imprévu et soudain susceptible d’avoir causé ou aggravé, à tout le moins, la condition ostéoporotique et ce, en causant la fracture du plateau vertébral L5.
[74] Dans l’affaire Lachance et P.P. Gatek International inc.[10], le tribunal a été en mesure de reconnaître que la fracture subie au niveau D-10 sur une condition ostéoporotique résultait du traumatisme décrit alors que le travailleur s’adonnait à des activités de déménagement.
[75] Il s’agissait d’une fracture récente par affaissement et qui avait été diagnostiquée de manière rapprochée à l’événement. De plus, le travailleur était antérieurement asymptomatique tout en étant capable de s’adonner à des activités physiques intenses en tant que déménageur.
[76] Dans l’affaire Aubé et Provigo Québec (Division Montréal Détail)[11], le tribunal a eu à apprécier si la travailleuse s’était infligée une lésion professionnelle alors qu’elle était porteuse d’une condition d’ostéoporose. Elle avait tenté de décoincer une lourde boîte et celle-ci avait cédé, sans avertissement. De vives douleurs avaient été ressenties, au même moment, au niveau de la ligne axillaire gauche et elle dut consulter. Des fractures aux 7e, 8e, 9e et 10e côtes gauches étaient diagnostiquées.
[77] Le juge administratif a reconnu la survenance d’une lésion professionnelle :
[103] La Commission des lésions professionnelles concède que la condition d’ostéoporose affectant la travailleuse accroît les risques de fractures à la suite de gestes banals ou d’impact limité. Il est donc vraisemblable que la lésion professionnelle survienne en grande partie en raison de cette condition personnelle préexistante. Toutefois, la présence d’une telle condition ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’indemnisation en vertu de la loi.
[105] En effet, le combat de la travailleuse afin de décoincer une lourde boîte et le fait que cette boîte cède sans avertissement sont assimilables à l’événement imprévu et soudain exigé à l’article 2 de la loi, peu importe que la boîte ait, ou non, frappé la travailleuse aux côtes gauches.
[106] Cet événement survient par le fait de son travail de caissière et le mécanisme accidentel décrit, jumelé à l’apparition des douleurs de façon concomitante à celui-ci, militent en faveur d’une relation de ce mécanisme et ces douleurs.
[78] La reconnaissance d’une lésion professionnelle sous l’angle de l’aggravation d’une condition personnelle préexistante a d’ailleurs été confirmée par la Cour d’appel dans l’affaire PPG Canada[12].
[79] Comme il y eut la démonstration d’un événement imprévu et soudain, soit un événement susceptible d’avoir contribué à causer la lésion diagnostiquée et que le tribunal dispose d’une opinion médicale qui revêt une valeur probante qui permet d’établir qu’il s’agit de l’aggravation d’une condition personnelle préexistante, il y a lieu de conclure que la travailleuse a subi une lésion professionnelle en raison d’un accident du travail, le 5 février 2013.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête produite par madame Diane Mercier, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 mai 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Mercier a subi une lésion professionnelle, le 5 février 2013;
DÉCLARE que madame Mercier a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Carole Lessard |
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Me Maxime Dupuis |
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F.I.Q. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-Claude Jutras |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Plomberie & Chauffage Plombec inc. et Deslongchamps, C.A.L.P. 51232-61-9305, 17 janvier 1995, B. Lemay; Vermette et Autobus S. Rompré ltée, C.L.P. 113743-04-9904, 27 septembre 1999, G. Marquis; Laberge et Corporation d’Urgences-Santé, C.L.P. 111088-71-9902, 5 octobre 1999, M. Zigby; Seoane et Université Laval, C.L.P. 157196-31-0103, 19 décembre 2001, H. Thériault; Rhaleb et S.T.M., C.L.P. 353890-61-0807, 1er mars 2010, G. Morin; Zane et Agence de Revenu du Canada R.H.D.C.C. Direction travail, 2014 QCCLP 506.
[3] Murissich et Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, C.L.P. 161358 - 71-0104, 6 mai 2003, L. Landriault; Chicoine et Ville de Montréal, C.L.P. 170255-71-0110, 8 mai 2003, L. Turcotte; Mombo Moukokolo et Foam Creations inc., C.L.P. 350382-31-0806, 7 novembre 2008, H. Thériault; Dupont et C.H.S.D. Heather inc., 7 mai 2010, M. Gauthier; Poitras et Clinique dentaire Caroline Bennett, C.L.P. 427732-62-1101, 4 août 2011, D. Beauregard.
[4] Hôpital Notre-Dame et Mathieu, C.A.L.P. 06517-60-8802F0, 15 novembre 1989, J.-P. Dupont; Rémillard et A.C.D.I, C.A.L.P. 62690-07-9409, 15 décembre 1995, A. Leydet; Banque Laurentienne du Canada et Lachance, C.L.P. 19 octobre 1998, M. Lamarre; Provigo Distribution inc. et Renaud-Desharnais, [1990] C.A.L.P. 456; Maxi-Tour inc. et Gauthier, C.L.P. 92478-07-9711, 9 juillet 1998, B. Lemay; Duguay et Équipements de sécurité Arbon inc., C.L.P. 93504-63-9712, 11 novembre 1998, J.-M. Charrette; Domtar inc. et St-Cyr, C.L.P. 145852-05-0009, 6 juillet 2001, L. Boudreault; Ministère des ressources naturelles et Gagnon, C.L.P. 172580-01A-0111, 26 avril 2002, H. Thériault; Ministère de la Justice et Bourgon, C.L.P. 173370-62C-0111, 6 septembre 2002, M. Sauvé; Wal-Mart Canada inc. et Graus, C.L.P. 188881-63-0208, 14 février 2003, D. Besse; Murissich et Ministère des relations avec les citoyens et de l’immigration et CSST, C.L.P. 161358-71-0104, 6 mai 2003, L. Landriault; Guérin et Wyeth-Ayerst Canada inc., C.L.P. 215909-62-0309, 28 novembre 2003, G. Godin; Pratt & Whitney Canada et Bisson, C.L.P. 205689-62-0304, 28 novembre 2003, G. Godin; Lalancette et Ville de Québec, 2012 QCCLP 1121.
[5] Shurgain et Gemma [1993] C.A.L.P. 117; Laliberté & associés inc. et Lemire, C.L.P. 34201-02-9111, 16 juin 1993, P. Brazeau; Prégent et Air Canada [1993] C.A.L.P. 1191; Richard Veilleux Imprimerie lithographie inc. et Dubord, C.A.L.P. 91097-63-9709, 13 mars 1998, G. Robichaud; Labrie et Foyer Sacré-Cœur, C.L.P. 114828-05-9904, 27 octobre 1999, M.-C. Gagnon.
[6] Précitée, note 3.
[7] Précitée, note 2.
[8] 2012 QCCLP 6077.
[9] 2012 QCCLP 1768.
[10] 2008 QCCLP 5600.
[11] 2012 QCCLP 650.
[12] PPG Canada inc. et Michel Grandmont, C.A., Montréal, 500-09-005954-979, 29 mars 2001, jj. Mailhot, Deschamps, Pidgeon.
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