Modèle de décision CLP - juillet 2015

Lessard et STM (réseau des autobus)

2017 QCTAT 2158

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

590757-63-1511

 

Dossier CNESST :

141148403

 

 

Joliette,

le 9 mai 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Jean M. Poirier

______________________________________________________________________

 

 

 

Sylvain Lessard

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

S.T.M. (réseau des autobus)

 

Partie mise en cause

 

 

 

et

 

 

 

Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 20 novembre 2015, monsieur Sylvain Lessard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 novembre 2015, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST modifie la décision préalablement rendue le 10 septembre 2015 et déclare qu’elle est bien fondée de réclamer du travailleur la somme de 63 479,54 $.

[3]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[4]           De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.

[5]           Une audience est tenue à Joliette le 10 avril 2017. Le travailleur est présent et représenté. L’employeur est absent et n’est pas représenté tandis que la CSST a déposé un avis d’intervention conformément à l’article 429.16[2] de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi).

[6]           L’affaire est mise en délibéré le 10 avril 2017.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[7]           Le travailleur demande au Tribunal administratif du travail de déclarer que la Commission est mal fondée de lui réclamer la somme de 63 479,54 $.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le Tribunal administratif du travail doit déterminer si la Commission est bien fondée de réclamer du travailleur la somme de 63 479,54 $.

[9]           Pour rendre sa décision, le Tribunal a pris connaissance du dossier médico-administratif mis à sa disposition. Il a entendu le témoignage du travailleur. Il a aussi pris connaissance du dossier du travailleur dont la requête en contestation a été décidée par la Commission des lésions professionnelles le 19 août 2015[4]. Le Tribunal a également étudié les documents déposés à l’audience. Il s’agit notamment de l’enregistrement de l’audience qui s’est déroulé le 7 mai 2015 dans le cadre du dossier 523649-63-1310, le procès-verbal de cette audience ainsi que la transcription de cette audience. De plus, la ventilation de la somme réclamée est aussi déposée. Il en retient les faits suivants.

[10]        Il importe de noter qu’en début d’audience, la procureure de la Commission amende le montant réclamé. Elle indique qu’il faut soustraire la somme de 1 997,82 $ représentant des frais de visite de poste du travailleur qui ne peuvent être réclamés. Ainsi le montant réclamé est de 61 481,72 $.

[11]        Toujours en début d’audience, le travailleur indique qu’il ne conteste pas le calcul du montant réclamé. Ainsi, il admet que si la réclamation de la Commission est confirmée, le montant est de 61 481,72 $ et qu’il n’a pas de représentation à faire sur le montant en tant que tel.

[12]        Le Tribunal considère pertinent de rapporter certains passages de la décision de la Commission des lésions professionnelles portant sur l’admissibilité de la réclamation du travailleur :

[18]      La Commission des lésions professionnelles a tout d’abord entendu le travailleur1.

 

[19]      Il est contremaître à la carrosserie chez l’employeur depuis janvier 2008. Au moment de sa réclamation en juin 2013, il occupe temporairement le poste de contremaître au transport adapté depuis quelques mois. Son horaire de travail est de 14 h à 22 h.

 

[20]      Son travail consiste, entre autres, à répartir et superviser le travail des mécaniciens du quart de soir, gérer les appels de service ainsi que d’enquêter avec les représentants en santé-sécurité de l’employeur et du syndicat à la suite d’un accident du travail déclaré par un employé dans un Rapport d’accident industriel. Il a d’ailleurs reçu une formation de sept heures en mars 2008 à cet effet et il admet bien connaître les procédures à suivre lorsqu’un employé l’avise d’un événement accidentel.

 

[21]      Il a déjà produit des réclamations à la CSST par le passé.

 

[22]      D’ailleurs, au chapitre des antécédents, le travailleur a subi une lésion professionnelle le 10 mars 2005 alors qu’il était à l’emploi de Électrolux Canada Corporation. Il a perdu l’équilibre alors qu’il travaillait à un nouveau poste de travail. Le diagnostic reconnu est une entorse lombaire, qui a été consolidée le 27 février 2006 avec suffisance de soins et traitements, et a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 2,2 % ainsi que des limitations fonctionnelles de classe I de l’IRSST.

 

[23]      Un examen d’imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire a été effectué le 6 janvier 2006 et a été interprété comme démontrant une petite protrusion discale intra-foraminale gauche en L5-S1 causant une légère sténose du foramen et une légère ostéoarthrose facettaire bilatérale.

 

 

[24]      Le travailleur affirme qu’il conservait des douleurs résiduelles au bas du dos, dont l’intensité était de un à deux sur dix, parfois un peu plus intenses selon les activités, mais il souligne que celles-ci ne l’empêchaient pas de travailler. Il n’a pas consulté de professionnel de la santé tel un massothérapeute, un chiropraticien ou un médecin pour ses douleurs lombaires entre 2006 et 2013 et il prenait des médicaments en vente libre pour se soulager au besoin.

 

[25]      Le samedi 1er juin, le travailleur a assisté à un mariage, mais il affirme à l’audience qu’il ne s’y est rien passé de particulier.

 

[26]      Le lundi 3 juin 2013, le travailleur allègue la survenance d’une lésion professionnelle dont les circonstances sont décrites ainsi dans le formulaire de Réclamation du travailleur, rempli le 7 juin 2013 :

 

Je me suis lever de la chaise et au même moment j’ai ressenti une vive douleur au bas du dos jusqu’au pied droit.

 

[sic]

 

[27]      Au début du quart de travail à 14 h, le travailleur allègue qu'il ne ressentait pas plus de douleurs qu’à l’habitude et qu’il ne boitait pas. Il affirme tout d’abord ne pas avoir parlé à son supérieur, monsieur Richard Lajoie, pour ensuite dire qu'il ne se souvient plus s’il lui a parlé ou non au cours de cette journée.

 

[28]      Entre 17 h et 17 h 30, durant la période de pause repas des mécaniciens et qu’il était assis à son bureau, le travailleur allègue qu’un chauffeur d’autobus est rentré dans le garage avec son véhicule en klaxonnant sans cesse. Il affirme que ce genre de comportement est fréquent chez les chauffeurs. Le travailleur pense alors qu’il s’agit d’une urgence et il s’est tourné sur sa chaise afin de faire face à la porte et a étiré sa jambe pour se lever rapidement. Il s’agit d’une chaise à roulettes, munie d’appuis bras, pivotante et ajustable. Il a alors ressenti une grosse douleur sous forme de déclic et de la chaleur dans le bas du dos. Il s’est rassis immédiatement, ne pouvant se déplacer.

 

[29]      Le travailleur affirme que le chauffeur qui a klaxonné est venu le voir à son bureau pour se plaindre que son siège était inconfortable. Le travailleur a par la suite demandé au chef d’équipe des mécaniciens d’aller vérifier le siège de l’autobus.

 

[30]      Le travailleur admet qu’il n’a pas rapporté ces faits avant l’audience aux différents intervenants dans son dossier comme les médecins examinateurs, à la CSST ou à l’employeur puisque personne ne lui a demandé ce qui l’avait poussé à se lever rapidement.

 

[31]      Pour se soulager, il a pris de la médication, et il croyait que la douleur s’estomperait avec le temps. Toutefois, vers 18h-18h30, celle-ci l’incommode toujours et il appelle le contremaître de nuit afin que ce dernier puisse le remplacer.

 

[32]      Il affirme avoir avisé le chef d’équipe des mécaniciens, mais n’est pas certain d’avoir avisé son supérieur, monsieur Lajoie. Il n’a pas rempli le formulaire Rapport d’accident industriel puisqu’il ne pensait pas devoir le remplir étant donné son statut de cadre.

 

[33]      Le lendemain matin, le travailleur se rend chez l’employeur vers 5h10 afin d’assister à une réunion d’équipe débutant à 6h30. Cette réunion, à laquelle participaient des contremaîtres, des entrepreneurs et monsieur Lajoie, a duré environ trois heures. Il affirme qu’il a des douleurs intenses au bas du dos et qu’il boite. Il ne se souvient plus des sujets abordés tellement il avait mal. Par la suite, il dira que la réunion portait sur les rénovations à venir au garage, dont le remplacement des portes.

 

[34]      Après la réunion, le travailleur allègue qu’il a avisé monsieur Lajoie et lui a dit qu’il s’était blessé en se levant de sa chaise. Ensuite, il affirme qu’il a communiqué avec monsieur Lajoie pour l’aviser qu’il ne pourrait rentrer pour son quart de travail en après-midi et qu’il consulterait un médecin. Finalement, il ne se souvient pas s’il a avisé ou non son supérieur avant de consulter un médecin. Il nie toutefois lui avoir dit qu’il s’était blessé lors de la soirée ayant suivi le mariage parce qu’il avait trop dansé puisqu’il ne danse pas.

 

[35]      Le travailleur a consulté à une clinique sans rendez-vous le jour même. Il allègue avoir raconté au médecin les circonstances de l’événement du 3 juin et qu’il s’était blessé en se levant de sa chaise. Il affirme qu’il lui a aussi dit qu’il croyait que son problème était lié à la lésion professionnelle survenue en 2005. Le médecin lui a signifié un arrêt de travail d’une semaine, mais a refusé de remplir une attestation médicale sur un formulaire de la CSST parce qu’il n’avait pas tout son dossier et l’a plutôt dirigé vers le médecin qui l’avait suivi en 2005, le docteur Poirier.

 

[36]      Le 4 juin 2013, le travailleur consulte la docteure Di Lallo. Cette dernière écrit ce qui suit dans une note clinique :

 

HMA:

 

Début douleur au dos dimanche dernier dans le bas du dos

Douleur type picottements

Pas de chute, pas de trauma, pas de douleur d’apparition subite

Douleur augmente avec marche, station debout 30-45 minutes, quand assis trop longtemps (30-45 minutes)

Douleur soulagée par décubitus dorsal, chaleur, advil (soulage temporairement)

Irradie jambe D avec picottements dans les orteils (toutes)

Pas de faiblesse au MI

Pas de symptômes de la queue de cheval

Pas eu de douleur dans son dos depuis plusieures années

Douleur stable depuis dimanche

A essayer de travailler lundi et ce matin, trop de douleur (70% debout/30% assis au travail)

 

E/O: BEF

Dos: ROM limité: diminution de l’extension, de la flexion latérale D

Douleur palpation L3-L4-L5-S1

ROT légèrement aboli rotulien D, achiléén N

Forces MI N

 

Donc: lombalgie secondaire HD le plus probabale (origine L3-L4?)

Référé à son ostéo habituel

AINS prescrits

AT 1 semaine

Revoir dans 1 semaine si pas mieux

IRM dans un 2e temps

 

[sic]

 

 

[37]      Par la suite, le travailleur affirme avoir avisé monsieur Lajoie de son arrêt de travail. Il assure qu’il lui a déclaré qu’il avait subi un accident du travail en se levant de sa chaise la veille. À ce moment, monsieur Lajoie lui aurait fait mention de son fort taux d’absentéisme.

[38]      À l’audience, le travailleur admet qu’il s’est absenté de son travail pour des raisons de maladie à plusieurs reprises, mais indique que celles-ci ont toujours été motivées. Il nie s’être absenté depuis son embauche pour un problème lombaire.

 

[39]      Le 7 juin 2013, le travailleur consulte le docteur Poirier, qui devient le médecin ayant charge. Ce dernier écrit dans ses notes cliniques que le travailleur a subi une augmentation des douleurs lombaires en se levant au travail. Il pose les diagnostics d’entorse lombaire et de hernies discales probables. Il recommande un arrêt de travail, une tomodensitométrie (scan) lombaire et la prise de médication.

 

[40]      Le 17 juin 2013, madame Audrée Duclos, agente d’indemnisation à la CSST, communique avec le travailleur concernant sa réclamation. Elle écrit ce qui suit aux notes évolutives concernant l’événement :

 

T me dit que lors de l’événement, en pivotant sa chaise et en se levant en même temps, il a ressenti une forte douleur. T explique qu’il a fait une torsion avec son torse en se levant.

 

T explique ne pas avoir terminé sa journée. Il a quitté pour se reposer chez lui en se disant que la douleur passerait. Le lendemain 4 juin, il est entré au travail pour une réunion, mais il a quitté immédiatement après. T s’est rendu chez le médecin le 5 juin 2013, il a vu un médecin à du sans RDv qui lui a prescrit des anti-inflammatoires et il lui a dit de revenir voir son médecin de famille qui fait du bureau les vendredi seulement. T est donc retourné voir son médecin le 7 juin et ce dernier lui a prescrit un scan pour voir s’il s’agit d’une hernie ou non.

 

[sic]

 

[…]

 

[42]      Monsieur Lajoie lui a demandé de compléter le Rapport d’accident industriel, ce qu’il fera le 21 juin 2013, dans lequel il mentionne avoir déclaré l’événement accidentel le 7 juin 2013 à 13 h. Il décrit cet événement comme suit :

 

Je me suis lever de la chaise en pivotant j’ai alors resenti vive douleur au bas du dos et des engourdissant a la jambe droite. [sic]

 

[sic]

 

[43]      Le 25 juin 2013, madame Andrée Cloutier, agente de la gestion des lésions professionnelles chez l’employeur, soumet des précisions à l’agente d’indemnisation de la CSST. Elle écrit ce qui suit :

 

Le 3 juin, le travailleur s’est présenté au travail, alléguant un mal de dos, il disait avoir été à un mariage à Québec durant le week-end, que le dimanche, il avait mal au dos et ne savait pas si c’était parce qu’il avait dansé le samedi ou l’air climatisé de la chambre d’hôtel qui l’avait fait mal dormir.

Il a complété sa journée du lundi : 14h à 22h.

Il est entré au travail le mardi 4 juin pour une réunion d’équipe qui allait de 6:30 à 8:30, puis a quitté.

[…]

 

[sic]

 

 

[…]

 

[46]      Le 12 septembre 2013, le docteur Toueg, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur et signe une expertise médicale. Le docteur Toueg rapporte ainsi l’événement du 3 juin 2013 :

 

Le 3 juin 2013, alors qu’il était assis sur sa chaise au bureau, il aurait voulu se relever et au même moment il tirait avec ses pieds au sol pour changer de direction vers la droite. Au moment où il se serait relevé, il aurait ressenti une douleur lombaire droite ainsi qu’une douleur au niveau de la fesse droite. Il n’avait à ce moment-là aucune charge dans les mains. Il aurait tout de même terminé sa journée de travail, mais le lendemain matin, il aurait dû quitter après sa réunion du matin, car les douleurs étaient trop intenses.

 

[sic]

 

[…]

 

[66]      Le docteur Greenfield [membre du Bureau d’évaluation médicale] décrit l’événement à l’origine de la lésion professionnelle ainsi :

 

[…] Au moment de l’événement, il s’est levé rapidement d’une chaise à roulettes et il a senti un « clic » et des douleurs au bas du dos. Il a senti une irradiation au membre inférieur droit jusqu’au gros orteil. Il a fini sa journée. Il lui restait deux heures. […]

 

[…]

 

[73]      Le 11 novembre 2014, la CSST rend une décision qui déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 10 novembre 2014. Cette décision est confirmée le 28 janvier 2015, à la suite d’une révision administrative.

 

[…]

 

[80]      La Commission des lésions professionnelles a ensuite entendu le témoignage de monsieur Richard Lajoie, surintendant chez l’employeur et supérieur immédiat du travailleur en juin 2013.

 

[81]      Il travaille chez l’employeur depuis 1989 et depuis 2005, il est surintendant à l’entretien des véhicules pour trois ateliers.

 

[82]      Monsieur Lajoie affirme que le 3 juin 2013, il a vu le travailleur à 13 h 30, soit à l’arrivée du personnel pour le changement de quart de travail, qui s’effectue 30 minutes avant le début du quart de soir commençant à 14 h. À ce moment, le travailleur était assis à son poste de travail. Monsieur Lajoie l’a salué et lui a demandé comment il allait. Le travailleur s’est retourné d’un bloc et lui a dit qu’il avait mal au dos depuis qu’il a assisté à un mariage pendant la fin de semaine précédente. Le travailleur lui a donné trois causes possibles de son mal de dos : le fait qu’il a dansé lors de la soirée, ce qui était rare pour lui, le matelas inconfortable ou l’air climatisé trop fort dans la chambre d’hôtel. Le travailleur a ajouté qu’il avait de la douleur le dimanche 2 juin en avant-midi. Enfin, le travailleur lui annonce qu’il essaie d’avoir un rendez-vous avec son médecin soit pour mercredi ou jeudi.

 

[83]      Au cours de l’après-midi, vers 15 h, il a revu le travailleur pour discuter d’un sujet relatif au travail. Ils ont marché dans le stationnement et monsieur Lajoie a remarqué que le travailleur boitait de la jambe droite. Par la suite, le travailleur est retourné à son bureau et il ne l’a pas revu du reste de la journée.

[84]      Monsieur Lajoie affirme qu’il n’a pas eu connaissance qu’un chauffeur d’autobus était rentré dans le garage en klaxonnant. Il ajoute que ce genre de comportement n’est pas courant dans cet atelier, et que les relations de travail y sont très bonnes.

 

[…]

 

[86]      Le lendemain, le travailleur a assisté à la réunion de travail. Monsieur Lajoie affirme que la réunion a commencé à 7 h et a duré environ une 1 h 30, dont le sujet principal de celle-ci portait sur la santé et la sécurité au travail. Il était assis face au travailleur et il lui a demandé si ça allait. Il précise que le travailleur semblait souffrant. Ce dernier lui aurait répondu que la condition de son dos ne s’améliorait pas. Toutefois, il ne l’avise pas s’il va quitter le travail ou non après la réunion.

 

[…]

 

[88]      Vers 18 h, le travailleur communique avec lui sur son téléphone cellulaire pour l’aviser qu’il sortait d’un rendez-vous médical et qu’il était en arrêt de travail pour une durée d’une semaine. Monsieur Lajoie affirme qu’il lui a rappelé qu’il a un problème d’absentéisme au travail.

 

[89]      Monsieur Lajoie affirme qu’il n’a reçu aucune nouvelle du travailleur jusqu’au vendredi matin, le 7 juin 2013, alors qu’il a pris connaissance d’un message sur sa boîte vocale provenant d’une infirmière du bureau de santé de l’employeur qui désirait obtenir des informations concernant l’absence du travailleur initialement pour cause de maladie qui s’est transformée en accident du travail. Monsieur Lajoie dit qu’il a tenté de joindre le travailleur, mais il ne lui a parlé que le lundi suivant.

 

[90]      Lors de cette conversation, le travailleur lui a appris qu’il serait absent pour deux semaines à cause d’un accident du travail. Ce dernier n’a pas précisé l’événement du 3 juin 2013. Monsieur Lajoie lui a demandé de venir remplir le Rapport d’accident industriel. Le travailleur lui aurait alors expliqué qu’il a transformé son absence pour cause de maladie en accident du travail à cause de son accident du travail de 2005 et il ne voulait pas que l’employeur soit responsable de cet arrêt de travail, mais plutôt l'employeur chez qui il travaillait en 2005, Électrolux Canada Corporation.

 

[91]      Monsieur Lajoie affirme avoir appris les circonstances de l’événement du 3 juin 2013 qu’après la rédaction du Rapport d’accident industriel par le travailleur le 21 juin 2013. En contre-interrogatoire, il affirme ne pas avoir eu l’occasion ce jour-là de confronter le travailleur à propos des versions contradictoires, parce qu’il était en réunion lorsque le travailleur a rempli le formulaire.

 

[92]      Par la suite, il ajoute qu’il n’y a pas eu d’enquête concernant cet accident, parce qu’il était convaincu que le travailleur ne s’était pas blessé au travail, mais plutôt lors de la fin de semaine précédente, tel qu’il le lui a dit le lundi 3 juin 2013 au début de son quart de travail.

 

[93]      La Commission des lésions professionnelles a finalement entendu le docteur Toueg, dont la qualité de témoin expert a été reconnue à l’audience.

 

[94]      À propos de l’événement accidentel décrit par le travailleur, le docteur Toueg le considère comme banal et qu’il est difficilement explicable que cela ait pu provoquer une entorse lombaire. En effet, le travailleur s’est tourné vers la direction où il devait aller avant de se lever, ce qui fait en sorte qu’il n’y a pas eu de torsion du tronc, et qu’il ne transportait pas de charge.

[95]      Le travailleur était au surplus déjà symptomatique lorsqu’il est entré au travail ce jour-là, et il considère l’événement tellement banal qu’il ne le rapporte pas immédiatement et croit même qu’il s’agit des suites de sa lésion professionnelle de 2005 puisqu’il était toujours symptomatique et qu’il prenait de la médication pour se soulager.

 

[96]      Le docteur Toueg indique que cet épisode pourrait au mieux constituer une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle survenue en 2005 qui a entraîné des séquelles et l’augmentation des douleurs s’est produite au même site. Il y a une détérioration de la condition lombaire du travailleur entre les examens par résonance magnétique de 2006 et de 2013.

_______

1      Le travailleur ne prend pas le temps d’écouter les questions avant de répondre. Le tribunal a dû intervenir à plusieurs reprises à ce chapitre pour lui rappeler que cela pouvait affecter la fiabilité et la crédibilité de son témoignage.

 

[Nous soulignons]

 

 

[13]        La Commission des lésions professionnelles ne donne pas foi à la version donnée par le travailleur. La juge administrative Gauthier déclare que le travailleur n’est pas crédible :

[124]    Ceci étant, monsieur Lessard a-t-il démontré par une preuve prépondérante que sa blessure est survenue sur les lieux du travail? Le tribunal estime que non pour les motifs suivants.

 

[125]    Les contradictions relevées par le tribunal sur le déroulement et les circonstances de l’événement du 3 juin 2013 ne permettent pas de conclure que le travailleur a démontré par une preuve prépondérante que la lésion est survenue sur les lieux du travail.

 

[126]    Il y a tout d’abord une confusion au sujet de l’événement à l’origine de l’entorse lombaire.

 

[127]    Le travailleur indique à l’audience qu’il s’est blessé en se levant brusquement de sa chaise, entre 17 h et 17 h 30, alors qu’un chauffeur d’autobus pour le transport adapté entre dans le garage en klaxonnant. Or, dans les versions décrites de l’événement dans son formulaire de réclamation, à l’agente d’indemnisation de la CSST, au Rapport d’accident industriel, aux divers médecins ayant examiné le travailleur, personne ne fait mention de l’arrivée bruyante du chauffeur d’autobus qui l’aurait fait sursauter et lever brusquement.

 

[128]    Le travailleur explique qu’il n’a pas cru bon de déclarer ces éléments aux divers intervenants, car personne ne lui a demandé les circonstances qui l’ont amené à se lever rapidement. Plus tard, il dit ne pas se souvenir s’il a déclaré cet événement avant l’audience. Il s’agit pourtant d’un fait important puisque c’est ce qui explique pourquoi il se serait levé rapidement de sa chaise.

 

[129]    Ensuite, il y a des contradictions quant à l’origine de ses douleurs lombaires. À l’audience, le travailleur affirme qu’il n’avait pas plus de douleurs qu’à l’habitude à son arrivée au travail le 3 juin 2013 et qu’il ne boite pas. Il nie avoir dit à monsieur Lajoie ce même jour qu’il a des douleurs lombaires depuis le dimanche matin. Plus tard, dans son témoignage, il dit qu’il a vu monsieur Lajoie le 3 juin et il dira qu’il n’est plus certain de l’avoir vu.

[130]    Or, monsieur Lajoie a une version divergente du travailleur. Il a affirmé que le 3 juin 2013 vers 13 h 30, le travailleur lui a dit qu’il avait des douleurs lombaires depuis dimanche et il identifiait trois causes possibles précises, soit qu’il avait dansé lors de la soirée de noces du samedi, soit en raison de l’air climatisé trop fort de la chambre d’hôtel où il a séjourné, ou bien que le lit de la chambre d’hôtel était inconfortable. Ces mentions sont faites plusieurs heures avant la survenance de l’événement allégué par le travailleur dans sa réclamation. En cours d’après-midi, les deux marchent ensemble dans le stationnement et monsieur Lajoie affirme qu’à ce moment, le travailleur boite et se plaint de maux de dos.

 

[131]    Au surplus, le travailleur indique mordicus à l’audience qu’il a dit à la docteure Di Lallo lors de la consultation du 4 juin 2013, qu’il s’était blessé en se levant de sa chaise au travail. Toutefois, les notes cliniques de la docteure Di Lallo ne corroborent pas la version du travailleur, mais vont plutôt dans le sens du témoignage de monsieur Lajoie. En effet, elle note que le travailleur a des douleurs lombaires depuis dimanche, qu’elles sont stables depuis dimanche et qu’elles ne sont pas apparues subitement. Ce médecin ne mentionne pas que le travailleur s’est blessé au travail.

 

[132]    La version alléguée par le travailleur apparaît pour la première fois dans les notes médicales du docteur Poirier du 7 juin 2013 dans laquelle il n’y a aucune mention que les douleurs sont apparues le dimanche 2 juin 2013, comme dans la note clinique de la docteure Di Lallo.

 

[133]    Il y a donc deux versions qui sont difficilement réconciliables. Le tribunal considère la version des faits énoncés dans le témoignage de monsieur Lajoie prépondérante puisqu’elle est corroborée par les notes cliniques de la docteure Di Lallo, dont l’examen est contemporain à la survenance de la blessure. Au surplus, le tribunal souligne que le témoignage du travailleur contient plusieurs contradictions, affectant sa force probante.

 

[134]    Concernant le délai pour la déclaration de l’événement, il ne s’agit pas d’un obstacle à l’application de la présomption. Il s’agit cependant d’un élément factuel à considérer pour savoir si une blessure est survenue au travail ou non.

 

[135]    En l’espèce, le travailleur a des versions différentes quant au moment où il a avisé monsieur Lajoie qu’il s’était blessé au travail en se levant de sa chaise. Pourtant, il est un gestionnaire qui accompagne les salariés lors de leurs déclarations d’événement survenu au travail, il participe aux enquêtes, il sait que la déclaration doit être faite dès que possible et qu’il doit remplir les formulaires prévus à cet effet.

 

[136]    Premièrement, il dit l’avoir avisé de son accident du travail lors de la réunion du matin du 4 juin 2013 pour ensuite affirmer que c’est plutôt lorsqu’il est sorti de la consultation médicale avec la docteure Di Lallo.

 

[137]    Toutefois, monsieur Lajoie affirme que, lors de la réunion du 4 juin 2013, le travailleur ne l’a pas avisé qu’il s’était blessé en se levant de sa chaise la veille. Également, le travailleur ne l’informe pas de cet accident du travail lors de son appel vers 18 h pour lui annoncer qu’il avait consulté un médecin et qu’il était en arrêt de travail pour une semaine. Monsieur Lajoie affirme n’avoir appris la survenance de la lésion professionnelle que le 7 juin suivant alors qu’il est avisé par une infirmière du service de santé que l’arrêt de travail pour une maladie personnelle s’était transformé en lésion professionnelle avec une réclamation produite à la CSST.

 

 

[14]        Plus loin, analysant la notion d’accident du travail, la Commission des lésions professionnelles réitère :

[142]    En ce sens, la crédibilité ou la fiabilité du témoignage du travailleur prend encore toute son importance. Le tribunal est d’avis que le témoignage du travailleur, pour les motifs indiqués plus avant, n’est pas crédible.

 

 

[15]        La Commission des lésions professionnelles rejette la réclamation du travailleur.

[16]        C’est à la suite de cette décision que la CSST émet la réclamation qui fait l’objet de la présente requête en contestation.

[17]        L’article 430 de la loi prévoit :

430.  Sous réserve des articles 129 et 363, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n'a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission.

__________

1985, c. 6, a. 430.

 

 

[18]        Aux fins de la présente décision, l’analyse de l’article 129 de la loi n’est pas pertinente.

[19]        Cependant, l’article 363 prévoit :

363.  Lorsque la Commission, à la suite d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, ou la Commission des lésions professionnelles annule ou réduit le montant d'une indemnité de remplacement du revenu ou d'une indemnité de décès visée dans l'article 101 ou dans le premier alinéa de l'article 102 ou une prestation prévue dans le plan individualisé de réadaptation d'un travailleur, les prestations déjà fournies à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées, sauf si elles ont été obtenues par mauvaise foi ou s'il s'agit du salaire versé à titre d'indemnité en vertu de l'article 60.

__________

1985, c. 6, a. 363; 1997, c. 27, a. 19.

 

 

[20]        Cet article établit donc la règle voulant que les prestations réduites ou annulées par une décision de la Commission des lésions professionnelles ne peuvent être recouvrées sauf notamment, si les prestations qui ont été versées au travailleur ont été obtenues par ce dernier par mauvaise foi.

[21]        C’est basé sur cette seconde condition que le Tribunal doit se pencher. Est-ce que le travailleur a été de mauvaise foi en déposant sa réclamation pour lésion professionnelle?

[22]        Il faut rappeler que le droit civil établit une présomption de bonne foi à toute personne. La bonne foi se présume. L’article 2805 du Code civil du Québec[5] établit :

2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.

____________

1991, c. 64, a. 2805.

 

 

[23]        Pour démontrer la mauvaise foi du travailleur, la jurisprudence convient que le fardeau de preuve repose sur celui qui l’invoque. Ainsi, ce fardeau revient à la Commission qui soutient que le travailleur est de mauvaise foi pour toucher les prestations qui lui sont réclamées.

[24]        Le fardeau de preuve à rencontrer est celui, comme en droit civil, de la prépondérance.

[25]        En effet, la Cour supérieure annulait une décision de la Commission des lésions professionnelles dans une affaire Centre de santé et de services sociaux - Institut de gériatrie de Sherbrooke[6] en établissant :

[15]      À de très nombreuses reprises dans la décision du 8 mars 2012, le juge administratif emploie l’expression « de façon plus que probable » quand il réfère à la preuve et à ce qu’elle démontre. De toute évidence, la CLP applique ou réfère à un degré de preuve ou à une façon d’évaluer la preuve qui n’est pas du tout ce que la loi, la doctrine et la jurisprudence décrètent, reconnaissent ou appliquent en droit civil.

 

[16]      L’article 2804 du Code civil du Québec spécifie :

 

« La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

 

[17]      Il n’y a rien dans la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles qui impose à celui ou celle qui veut prouver un fait ou faire reconnaître ses droits, un degré de preuve plus important que celui prévu à l’article 2804 du Code civil du Québec. Ce degré de preuve est parfois décrit comme étant celui de la preuve prépondérante ou encore, fondé sur la balance des probabilités. D’aucune façon toutefois il n’est ou peut être décrit comme désignant une appréciation fondée sur « plus que probable ».

 

[18]      On peut parfois entendre l’expression « le plus probable », mais pas du tout « plus que probable ». Ce degré de preuve auquel le juge administratif réfère très souvent dans sa décision n’est d’aucune manière celui que doit surmonter la demanderesse.

 

[19]      Celle-ci a raison de se plaindre de cette utilisation d’un critère totalement non fondé. Il s’agit dans le présent dossier d’une erreur de droit fondamental qui amène certainement tant la demanderesse que le Tribunal à s’interroger sérieusement sur la manière dont la CLP a abordé la preuve dans le dossier et sur les véritables raisons de sa conclusion quant à l’absence de preuve ou quant à l’analyse de l’ensemble de la preuve.

 

[20]      C’est un droit fondamental pour tout justiciable de s’attendre à ce que le décideur, dans un de ses dossiers, connaisse les règles de droit applicables, qu’il impose dans son analyse de la preuve le bon critère quant au fardeau requis pour convaincre et que la décision soit clairement fondée sur des règles de droit adéquates.

 

[21]      Ce n’est pas le cas dans la décision attaquée par la demanderesse. Même si la mise en cause soutient que malgré les termes inappropriés ou erronés utilisés par le juge administratif, sa décision démontre une application adéquate des principes, le Tribunal n’est pas d’accord avec cette affirmation.

 

[22]      De toute façon, il faut s’assurer que la décision rendue, laquelle a des conséquences financières importantes pour la demanderesse, a été, sans équivoque, fondée sur des règles de droit adéquates en matière d’appréciation de la preuve.

 

[23]      Il n’y a pas le présent cas une telle assurance quant à ce que la CLP a fait de la preuve soumise. Les termes clairs utilisés à de très nombreuses reprises laissent clairement voir ou croire que le juge administratif a requis un degré de preuve plus exigeant que celui nécessaire. En utilisant les termes « plus que probable », le décideur de la CLP a commis une erreur de droit qui rend la décision fortement questionnable, qui la rend même, en raison de ces motifs, déraisonnable.

 

 

[26]        La notion de bonne ou mauvaise foi n’est pas définie dans la loi. Cependant, la Commission des lésions professionnelles considère, qu’en la présente matière, le Code civil du Québec s’applique. Il faut retenir que la bonne foi se présume et que la mauvaise foi doit donc être prouvée, selon l’article 2805 de ce code.

[27]        Tel qu’il l’a déjà mentionné dans une autre affaire[7], le Tribunal partage l’interprétation faite par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Translec/Common inc. et Cléroux[8] où elle fait référence à la doctrine juridique qui définit la mauvaise foi. Le tribunal estime pertinent de citer un extrait de cette décision :

[39]            Les notions de bonne et mauvaise foi ne sont pas définies dans la loi. Il s’agit de concepts difficiles à cerner puisqu’ils nous renvoient à la disposition d’esprit dans laquelle une personne se trouve lorsqu’elle agit. Certains auteurs de doctrine juridique se sont penchés sur la portée de ces expressions. Ainsi, les auteurs Baudoin, Jobin et Vézina, dans leur ouvrage Les obligations, en donnent la définition suivante :

 

98.    Bonne foi- On doit d’abord rappeler le sens subjectif, traditionnel de la bonne foi. En fait, ce premier concept de bonne foi a deux acceptions dans le vocabulaire juridique.11 La première est celle qui oppose bonne foi à mauvaise foi : est de bonne foi toute personne qui agit sans intention malicieuse. Notons à cet égard que l’article 2805 du Code civil édicte une présomption générale et réfragable de bonne foi. Le deuxième sens traditionnel de la bonne foi est l’ignorance ou la perception erronée de la réalité; une personne est de mauvaise foi lorsqu’elle agit en sachant qu’elle le fait de façon illégale ou illégitime.

____________

11          Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p.143.

 

[Nos soulignements]

 

 

[28]        Dans l’affaire Nefil et Commission scolaire Pointe-de-l’île[9], la Commission des lésions professionnelles indique que la mauvaise foi s’oppose à la bonne foi, laquelle peut être subjective ou appréciée en fonction du comportement de la personne raisonnable. Le tribunal rapporte le passage suivant de cette décision :

[33]      La mauvaise foi ne peut être déduite de la faute simple ou de la seule négligence. Elle se distingue par la connaissance qu’a la personne de la réalité de la situation, par son intention malicieuse ou malhonnête, par son intention de tromper.

 

 

[29]        La Commission des lésions professionnelles partage les propos du juge Tellier de la Cour supérieure lorsqu’il affirme que la mauvaise foi se déduit, en général, par l’ensemble du comportement de la personne visée et non par un seul fait pris isolément[10].

[30]        C’est donc à la lumière de ces principes que la Commission des lésions professionnelles doit analyser la preuve voulant démontrer que le travailleur serait de mauvaise foi en déposant sa réclamation et tout au long de la gestion de cette dernière.

[31]        Le Tribunal est lié par la conclusion de la Commission des lésions professionnelles dans cette affaire. La conclusion de la Commission des lésions professionnelles a l’autorité d’une décision finale et sans appel. Ainsi, le tribunal retient que le travailleur s’est vu refuser sa réclamation sur la base de sa propre crédibilité. Ce fait ne peut être remis en question et aucune nouvelle preuve cherchant à démontrer le contraire ne peut être déposée à cet effet.

[32]        Le Tribunal ne peut revenir sur l’appréciation qu’a faite la Commission des lésions professionnelles de la preuve présentée dans le cadre de l’audience, portant sur la recevabilité de la réclamation du travailleur pas plus que sur l’analyse de la crédibilité qu’elle fait du travailleur. La Commission des lésions professionnelles base essentiellement sa décision sur cette conclusion qu’elle tire du travailleur, à savoir qu’il n’est pas crédible. Au surplus, le Tribunal partage l’opinion de la juge administrative, et ce, à la lecture de la transcription et de l’écoute de l’audience.

[33]        Le Tribunal ne retient pas l’argument du travailleur lors qu’il plaide qu’il n’avait pas l’intention de tromper et, ce pour les motifs qui suivent. Le fait  de vouloir réclamer les bénéfices de la loi et que, pour le faire, on invente un événement que l’on veut être un accident constitue à n’en pas douter une démonstration d’une intention de tromper.

[34]        Afin également de démontrer l’intention de tromper ou de frauder, le Tribunal retient aussi la volonté du travailleur de faire assumer à l’ancien employeur Electrolux Canada, le poids financier de sa réclamation. Le travailleur démontre encore que ce n’est pas un problème de faire une fausse déclaration. En effet, le Tribunal retient de la décision de la Commission des lésions professionnelles[11] que la juge administrative a aussi tenu compte du témoignage de monsieur Lajoie, lorsque le travailleur indique à ce dernier qu’il souhaite :

[90] […] transform [er] son absence pour cause de maladie en accident du travail à cause de son accident du travail de 2005 et il ne voulait pas que l’employeur soit responsable de cet arrêt de travail, mais plutôt l'employeur chez qui il travaillait en 2005, Électrolux Canada Corporation.

 

[Notre soulignement]

 

 

[35]        Le travailleur plaide aussi que lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, il aurait dit :

Madame [Me Léger, procureure de l’employeur], si je me serais fait mal au dos lors du weekend du mariage, je crois qu’on ne serait pas ici.

 

[sic]

 

 

[36]        On sait que la Commission des lésions professionnelles n’a pas retenu la version du travailleur parce que non crédible. Le Tribunal ne changera pas cette appréciation.

[37]        Il faut conclure que le travailleur a voulu transformer des problèmes personnels survenus antérieurement et qui ont ressurgi lors du weekend précédant le 3 juin 2013. C’est ce que fait la Commission des lésions professionnelles en rejetant la réclamation du travailleur dans sa décision du 19 août 2015. Aucun des éléments, constituant les conditions de la notion d’accident du travail, ne sont retenu compte tenu de l’absence de crédibilité du travailleur[12].

[38]        Dans la présente affaire, la Commission doit prouver de façon prépondérante, que le travailleur a fait une fausse déclaration dans le but d’obtenir des prestations prévues par la loi.

[39]        Le Tribunal retient un passage de la décision de la Commission des lésions professionnelles de l’affaire Doiron et Coffrages C.C.C. ltée[13]. Sans que la juge administrative, ayant traité de la recevabilité de la réclamation, n’ait qualifié le travailleur de mauvaise foi, le juge saisi de la réclamation de la CSST, portant sur le remboursement d’une somme indûment payée, mentionnait :

[27]      Toutefois, sans établir cette mauvaise foi, la juge a tout de même dressé un portrait peu flatteur du travailleur que le présent tribunal se doit d'apprécier à la lumière de la preuve offerte devant lui. Cette décision rendue par le tribunal contient des éléments de preuve que le tribunal ne peut simplement rejeter du revers de la main et qui doivent maintenant être appréciés dans le contexte du présent litige.

 

 

[40]        Mais il y a plus que cela pour conclure. Indépendamment de ce que le supérieur Lajoie a révélé à l’audience portant sur l’admissibilité de la réclamation du travailleur, en reprenant le principe émis par le juge Tellier[14], le Tribunal conclut que la mauvaise foi du travailleur se déduit ici par l’ensemble de son comportement et non par sa seule déclaration d’accident, fait pris isolément. Il maintiendra cette version et viendra témoigner devant un Tribunal en rapportant erronément des faits survenus le weekend précédent, le matin et l’après-midi du 3 juin 2013 ainsi que dans les jours qui ont suivi. Notamment, le Tribunal retient pour exemple, le fait que le travailleur ait dit à monsieur Lajoie, qu’il avait dansé à une noce le weekend précédent et que depuis le dimanche, à cause de la danse, de l’air climatisé de la chambre d’hôtel ou du matelas de cette chambre, il s’est réveillé le dimanche matin avec des douleurs au dos.

[41]        Aussi, le travailleur, dans le cadre de son interrogatoire lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles le 7 mai 2015, est confronté à plusieurs reprises à des faits qui n’ont pas été déclarés auparavant et à des contradictions.

[42]        Par ailleurs, le Tribunal prend aussi comme facteur aggravant le fait que le travailleur avait la charge de donner du soutien aux contremaîtres et d’enquêter sur les déclarations faites par les travailleurs dans le processus de déclaration d’un accident du travail. Il avait été formé pour ce faire.

[43]        Le Tribunal conclut bien entendu que le travailleur avait la connaissance de la réalité de la situation. Il avait l’intention de tromper.

[44]        En tronquant la vérité et en tendant de se forger une version « d’accident du travail », le travailleur cherche à tromper la Commission et à obtenir des bénéfices du système d’indemnisation. Le Tribunal ne retient pas l’argument du travailleur voulant qu’en déclarant un accident du travail, il recevrait moins d’argent qu’en travaillant ou en étant sur l’assurance salaire. Les bénéfices de la loi dépassent largement la simple question de l’indemnité de remplacement du revenu. À titre d’exemple, sur le plan médical, certains médecins lui concédaient des limitations de classe III ce qui aurait, bien entendu si ces limitations étaient reconnues dans le cadre d’une lésion professionnelle, octroyé au travailleur des services de réadaptation.

[45]        Le tribunal conclut comme l’a fait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Doiron et Coffrages C.C.C. ltée[15]  mentionnant :

[79]      De l’avis du tribunal, ces documents entachent la réputation du travailleur et confirment la conclusion du tribunal voulant que celui-ci n'ait aucune crédibilité dans le présent dossier, alors que la preuve offerte par la CSST avec les éléments propres du présent dossier suffit à conclure que le travailleur était de mauvaise foi lors du dépôt de sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation survenue le 14 septembre 2006.

 

[nous soulignons]

 

 

[46]        Par sa fausse déclaration, il faut conclure que le travailleur a clairement montré son intention, et sa pensée malhonnête, de vouloir frauder ou tromper la Commission. La mauvaise foi du travailleur a ainsi été démontrée et il doit rembourser les sommes perçues indûment.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête en contestation déposée par monsieur Sylvain Lessard, le travailleur, le 20 novembre 2015;

CONFIRME, en modifiant le montant de la réclamation, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 novembre 2015, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission est justifiée de réclamer du travailleur la somme de 61 481,72 $, compte tenu de la mauvaise foi de ce dernier.

 

 

 

 

JEAN M. POIRIER, j.a.t.a.t.

 

 

 

Me Steve Marsan

MARSAN AVOCATS

Pour la partie demanderesse

 

Me Myriam Sauviat

PAQUET TELLIER

Pour la partie intervenante

 

Date de l’audience :             Le 10 avril 2017.

 



[1]          RLRQ, c. T-15.1.

[2]           Aujourd’hui le dernier alinéa de l’article 13 de la LITAT.

[3]          R.L.R.Q., c. A-3.001.

[4]           STM (Réseau des autobus) et Lessard, 2015 QCCLP 4493.

[5]           Code civil du Québec, C.c.Q.

[6]           Centre de santé et de services sociaux - Institut de gériatrie de Sherbrooke c. Commission des lésions professionnelles, 2013 QCCS 779.

[7]           Bellerose et René Poirier (division), 2013 QCCLP 3620.

[8]           2011 QCCLP 5336.

[9]           2013 QCCLP 2324.

[10]         Godbout c. J.G.F. Fiore inc., C.S. Montréal, no 500-05-005022-940, 25 octobre 1994, J. Tellier.

[11]         Précitée note 4, paragraphe 90.

[12]         Précitée note 4, paragraphe 142.

[13]         2012 QCCLP 630.

[14]         Précitée, note 10.

[15]         Précitée, note 12.

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