Modèle de décision CLP - avril 2013

Tremblay et Fernand Gilbert ltée

2015 QCCLP 4901

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

14 septembre 2015

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossiers :

557882-02-1411      569571-02-1503

 

Dossiers CSST :

110753894   119957801

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

Membres :

Jean-Eudes Lajoie, associations d’employeurs

 

Germain Lavoie, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Yves Landry, médecin

______________________________________________________________________

 

557882

569571

Jean-Louis Tremblay

Jean-Louis Tremblay

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Fernand Gilbert limitée

Construction Del-Nor inc. (F)

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

et

et

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Société de l’assurance automobile du Québec

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Société de l’assurance automobile du Québec

Parties intervenantes

Parties intervenantes

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

 

 

Dossier 557882-02-1411

[1]           Le 19 novembre 2014, monsieur Jean-Louis Tremblay (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision conjointe de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et de la Société de l’assurance automobile du Québec (la SAAQ) rendue le 22 octobre 2014.

[2]           Par cette décision, la CSST déclare que le travailleur n’a pas subi, le 19 septembre 2014, une récidive, rechute ou aggravation, puisque le diagnostic de fasciite plantaire droite n’est pas en relation avec l’événement du 15 novembre 1995. Pour sa part, la SAAQ déclare que ce même diagnostic n’est pas en relation avec l’accident d’automobile survenu au travailleur le 4 janvier 2007.

Dossier 569571-02-1503

[3]           Le 25 mars 2015, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision conjointe de la CSST et de la SAAQ rendue le 11 mars 2015.

[4]           Par cette décision, la CSST déclare que le diagnostic de fasciite plantaire gauche n’est pas en relation avec l’événement survenu le 12 février 2001. Pour sa part, la SAAQ déclare que ce diagnostic n’est également pas en relation avec l’accident d’automobile survenu le 4 janvier 2007.

[5]           Dans ces dossiers, une audience a eu lieu à Saguenay le 28 août 2015 en présence du travailleur et de la procureure de la CSST. Pour leur part, tant Fernand Gilbert limitée que Construction Del-Nor inc. (F) n’y étaient pas représentés. Quant à la SAAQ, sa procureure avait préalablement informé le tribunal de son absence à cette audience.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossiers 557882-02-1411 et 569571-02-1503

[6]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que les diagnostics de fasciites plantaires droite et gauche sont en relation avec les accidents du travail qu’il a subis les 15 novembre 1995 et 12 février 2001. De façon plus spécifique, il soumet que ses lésions découlent du port de chevillères et d’orthèses plantaires.

[7]           D’autre part, le travailleur déclare ne rechercher aucune conclusion à l’encontre de la SAAQ, puisque ses lésions ne sont pas en lien avec l’accident d’automobile survenu le 4 janvier 2007.

LES FAITS

[8]           De la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal retient principalement ce qui suit.

[9]           Actuellement âgé de 63 ans, le travailleur fut victime, le 15 novembre 1995, d’un accident du travail entraînant une entorse sévère à la cheville droite. Cet accident est survenu lorsqu’en descendant d’un concasseur, il a mis le pied sur une roche, provoquant une inversion de la cheville droite. Cette lésion fut consolidée le 8 janvier 1996 sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[10]        Dans les années subséquentes, il subit des récidives, rechutes ou aggravations, dont le 28 août 2000 où un diagnostic d’« Arthrose tibio-astragalienne cheville droite post - entorse » est accepté par la CSST.

[11]        Le 20 avril 2001, le docteur Rémy Lemieux (chirurgien orthopédiste) complète un rapport d’évaluation médicale dans lequel il écrit notamment que le travailleur conserve une instabilité à la cheville droite pour laquelle il lui prescrit une chevillère. Des séquelles permanentes ainsi que des limitations fonctionnelles lui sont également reconnues.

[12]        Le 28 août 2001, le docteur Lemieux fait référence à la présence, au pied droit, d’un affaissement plantaire sans rupture tendineuse, pour lequel des orthèses plantaires sont recommandées.

[13]        Par la suite, le travailleur continue de faire l’objet d’un suivi médical auprès de la docteure Nancy Beaumont et d’autres récidives, rechutes ou aggravations, pour la cheville droite, sont acceptées par la CSST en 2002, 2003 et 2006.

[14]        Entretemps, le travailleur subit un nouvel accident du travail le 12 février 2001, lorsqu’un cylindre hydraulique lui tombe sur le pied gauche. Un diagnostic de contusion/entorse au pied gauche est d’abord accepté par la CSST.

[15]        En 2003, 2004 et 2006, des récidives, rechutes ou aggravations sont acceptées, notamment en fonction des diagnostics d’entorse et de fracture à la cheville gauche. Ces lésions entraîneront des séquelles permanentes et limitations fonctionnelles. Sur un rapport final complété par la docteure Beaumont, le port d’orthèses plantaires et de chevillères est recommandé.

[16]        Le 4 janvier 2007, le travailleur subit un accident d’automobile lors duquel il s’inflige des lésions aux niveaux cervical et à l’épaule droite.

[17]        Le 28 octobre 2010, une autre récidive, rechute ou aggravation est acceptée et un nouveau diagnostic de déchirure du ménisque interne au genou gauche est reconnu par la CSST. Selon une décision conjointe rendue le 18 décembre 2012 (pièce CSST-2), la CSST évalue que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychologique de 8,70 %.

[18]        Le 13 septembre 2011, une chirurgie à la cheville gauche est réalisée où l’on procède à une résection de fragments osseux et au débridement du péroné gauche.

[19]        Le 28 novembre 2012, une nouvelle récidive, rechute ou aggravation est acceptée en fonction du diagnostic de « séquelles post chirurgicales cheville gauche avec changements trophiques cheville et pied ». Des traitements conservateurs sont d’abord proposés au travailleur puis, le 22 mai 2014, le docteur Jean-Pascal Allard (chirurgien orthopédiste) procède à l’exérèse d’un ossicule au pied gauche et stabilise celui-ci par transfert ligamentaire.

[20]        À la suite de cette chirurgie, la docteure Beaumont continue d’assurer le suivi médical du travailleur et des traitements de physiothérapie lui sont prescrits.

[21]        Du 2 au 15 septembre 2014, le travailleur effectue, avec l’autorisation de la docteure Beaumont, un voyage en Espagne.

[22]        Le 19 septembre 2014, la docteure Beaumont pose les diagnostics de séquelles d’entorse et fracture à la cheville gauche et ajoute celui de fasciite plantaire gauche. Pour le côté droit, le médecin réfère aussi à des séquelles d’entorse à la cheville et indique également le diagnostic de fasciite plantaire.

[23]        Sur un billet médical daté du 30 septembre 2014, la docteure Beaumont indique que le travailleur n’a pas détérioré son état au cours de son voyage en Espagne.

[24]        Toujours le 30 septembre 2014, le docteur Michel St-Pierre, médecin-conseil à la CSST, émet l’opinion suivante au sujet du diagnostic de fasciite plantaire droite :

- ASPECT MÉDICAL :

Considérant l’événement d’origine, considérant le délai depuis l’événement, considérant l’absence de nouveau trauma, considérant qu’il s’agit d’un autre site de lésion, considérant que le T. est en ITT depuis un certain temps, le nouveau diag. de fasciite plantaire dte n’est pas en lien et n’est pas acceptable.

 

[sic]

 

 

[25]        Les 21 octobre, 19 novembre et 17 décembre 2014, la docteure Beaumont fait notamment état, pour le côté gauche, d’une fasciite plantaire améliorée. Durant cette période, pour le côté droit, elle réfère aussi à la présence d’une fasciite plantaire et précise que cette lésion est secondaire au port de l’orthèse et de la chevillère.

[26]        Le 22 octobre 2014, la CSST et la SAAQ rendent une décision conjointe par laquelle la CSST déclare que le diagnostic de fasciite plantaire droite n’est pas en relation avec l’événement du 15 novembre 1995. Pour sa part, la SAAQ statue que ce diagnostic n’est pas en lien avec l’accident d’automobile survenu le 4 janvier 2007.

[27]        Le 19 novembre 2014, le travailleur conteste à la Commission des lésions professionnelles, la décision conjointe rendue par la CSST et la SAAQ le 22 octobre 2014, d’où l’un des présents litiges.

[28]        Le 6 janvier 2015, une imagerie par résonance magnétique de la cheville gauche démontre notamment un tendon d’Achille et un fascia plantaire normaux.

[29]        Le 22 janvier 2015, le docteur Allard indique l’existence de douleurs chroniques à la cheville gauche et pose également le diagnostic de fasciite plantaire. Le port d’une orthèse plantaire et d’une chevillère est recommandé. Pour le côté droit, le médecin recommande aussi le port d’une orthèse et d’une chevillère et fait référence à une instabilité de la cheville droite avec fasciite plantaire.

[30]        Le 5 février 2015, le St-Pierre, toujours à titre de médecin-conseil de la CSST, émet l’opinion suivante au sujet du diagnostic de fasciite plantaire gauche :

- ASPECT MÉDICAL :

Considérant l’événement d’origine, considérant le délai depuis l’événement, considérant l’absence de nouveau trauma, considérant qu’il s’agit d’un autre site de lésion, considérant que le T. est en ITT depuis un certain temps, le nouveau diag. de fasciite plantaire g n’est pas en lien et n’est pas acceptable.

 

[sic]

 

 

[31]        Le 25 février 2015, des modifications sont apportées aux chevillères et orthèses utilisées par le travailleur (pièce CSST-1 en liasse).

[32]        Le 11 mars 2015, la CSST et la SAAQ rendent une seconde décision conjointe par laquelle la CSST établit qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic de fasciite plantaire gauche et l’événement du 12 février 2001. Pour sa part, la SAAQ déclare que ce diagnostic n’est pas en relation avec l’accident d’automobile survenu le 4 janvier 2007.

[33]        Le 24 mars 2015, la docteure Beaumont indique pour la cheville gauche, la présence d’une légère détérioration de la capacité physique du travailleur et recommande l’utilisation d’une canne au besoin. Le diagnostic de fasciite plantaire n’est plus mentionné, seuls ceux de tendinose et de séquelles post-chirurgicales apparaissent sur le rapport médical complété. Pour le côté droit, le diagnostic de séquelles d’entorse à la cheville droite est indiqué et il est précisé que la condition du travailleur est stable.

[34]        Le 25 mars 2015, le travailleur conteste à la Commission des lésions professionnelles, la seconde décision conjointe rendue par la CSST et la SAAQ le 11 mars 2015, d’où l’un des présents litiges.

[35]        Le 16 avril 2015, la docteure Beaumont indique que la condition à la cheville droite est stable et réitère que la fasciite plantaire est secondaire au port d’orthèses. Du côté gauche, le médecin écrit qu’il y a une détérioration de l’état de santé du travailleur et mentionne que la fasciite plantaire est aussi secondaire au port d’orthèses.

[36]        Lors de l’audience, le travailleur confirme porter des orthèses et des chevillères depuis plusieurs années et que c’est la CSST qui en assume les coûts d’acquisition. Il ajoute que jusqu’à tout récemment, ces chevillères étaient munies de talonnettes qui se superposaient partiellement aux orthèses qu’il utilise dans ses souliers ou bottes de marche.

[37]        Le travailleur témoigne que depuis le début de l’année 2015, il utilise de nouvelles chevillères lesquelles sont intégrées, en une seule pièce, à une orthèse complète sous le pied. Il précise que ses nouvelles chevillères ont été remboursées par la CSST et lui ont permis de résoudre presque entièrement ses douleurs aux pieds.

[38]        Relativement à l’apparition de douleurs sous ses pieds, le travailleur explique qu’à compter du mois d’août 2014, il a commencé, suite à une recommandation de son médecin de perdre du poids, à faire de l’entraînement en gymnase. Il spécifie qu’il s’y adonnait trois fois par semaine et y faisait surtout du vélo stationnaire. Le travailleur ajoute qu’il effectuait également des exercices à la maison.

[39]        Le témoin affirme que le fait de s’entraîner l’a obligé à porter plus régulièrement ses chevillères, ce qui a augmenté sa condition douloureuse sous les pieds.

[40]        Au sujet de son voyage au mois de septembre 2014 en Espagne, le travailleur déclare n’avoir utilisé que ses orthèses dans ses bottes de marche et que ce voyage n’a pas aggravé sa condition aux pieds.

[41]        Par ailleurs, il mentionne avoir subi trois chirurgies à la cheville gauche et qu’à la suite de la dernière chirurgie, son état de santé n’est pas encore consolidé à ce jour. Il ajoute avoir également subi deux chirurgies au genou gauche.

[42]        D’autre part, le travailleur réitère qu’à chaque année, la CSST défraie les coûts pour l’acquisition de nouvelles chevillères et orthèses.

[43]        Il complète son témoignage en mentionnant ne plus être sur le marché du travail depuis trois ans.

 

L’AVIS DES MEMBRES

Dossiers 557882-02-1411 et 569571-02-1503

[44]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que les requêtes du travailleur doivent être rejetées.

[45]        Il estime que l’on doit accorder une valeur probante à l’opinion du docteur St-Pierre de la CSST, qui n’établit pas de relation entre les diagnostics de fasciites plantaires gauche et droite et les lésions professionnelles subies par le travailleur en 1995 et 2001.

[46]        Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que les requêtes du travailleur doivent être accueillies.

[47]        Il est d’avis qu’il faut accorder une valeur probante à l’opinion du médecin traitant du travailleur, soit la docteure Beaumont, qui considère que les diagnostics de fasciites plantaires droite et gauche sont secondaires à l’utilisation d’orthèses plantaires et de chevillères. Il considère que ces diagnostics doivent être reconnus à titre de lésions professionnelles, puisque le port d’orthèses et de chevillères découle des conséquences des lésions professionnelles subies par le travailleur en 1995 et 2001.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[48]        En l’instance, la Commission des lésions professionnelles doit se limiter à décider si les diagnostics de fasciites plantaires droite et gauche représentent des lésions professionnelles.  Rappelons que lors de l’audience, le travailleur a admis que ses lésions aux pieds ne sont pas en lien avec l’accident d’automobile survenu le 4 janvier 2007.

[49]        Dans ce contexte, il est donc pertinent de reproduire l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui définit comme suit la notion de lésion professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[50]        En l’espèce, le travailleur n’invoque aucunement que les diagnostics de fasciites plantaires droite et gauche découlent d’un nouvel accident du travail ou d’une maladie professionnelle. De plus, compte tenu que ces lésions, diagnostiquées à compter du mois de septembre 2014, se situent à des sites distincts de ceux impliqués à la suite des accidents du travail survenus en 1995 et 2001, il n’est pas totalement approprié d’analyser les présents litiges en fonction des critères[2] habituellement pris en considération lors d’une récidive, rechute ou aggravation.

[51]         Ce raisonnement est d’autant plus approprié dans le contexte où le travailleur soumet essentiellement que ses lésions sont consécutives au port d’orthèses et de chevillères.

[52]        Par conséquent, il est pertinent de reproduire l’article 31 de la loi qui prévoit que :

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[53]        En fonction du premier paragraphe de l’article 31 de la loi, une lésion qui survient par le fait ou à l’occasion de soins qu’un travailleur reçoit pour sa lésion professionnelle, sera considérée comme représentant également une lésion professionnelle. Selon la jurisprudence[3] du tribunal, il doit s’agir d’une lésion distincte de la lésion professionnelle en elle-même et la preuve doit démontrer l’existence d’une relation entre cette nouvelle lésion et les soins reçus par un travailleur pour sa lésion professionnelle.

[54]        Or, il ne fait aucun doute que la fasciite plantaire bilatérale représente une lésion distincte de celles reconnues par la CSST à la suite des événements de 1995 et 2001. Rappelons que ces deux événements ont entraîné des lésions aux chevilles ainsi qu’au genou gauche, alors que les présentes lésions concernent le fascia plantaire.

[55]        D’autre part, la jurisprudence du tribunal reconnaît qu’une lésion qui survient en raison de complications découlant de l’utilisation d’une aide technique prescrite pour compenser les conséquences d’une lésion professionnelle, peut être considérée comme une lésion consécutive à des soins ou traitements au sens de l’article 31 de la loi. On retrouve un tel raisonnement dans l’affaire Querry et Royaume du Bel-Âge inc.[4], où l’on peut lire ce qui suit :

[51] Or, la preuve non contredite a permis au tribunal de constater que le port du corset lombaire par la travailleuse lui a causé ou à tout le moins agrravé cette douleur crurale. En effet, la travailleuse a porté le corset devant le tribunal et il est évident que lorsqu’elle se penchait par l’avant, une des extrémités du corset lui pénétrait dans la région crurale exactement au site douloureux objectivé par les différents intervenants médicaux.

 

[52] Le tribunal a pu constater que le corset qui lui a été fourni n’était pas adéquat parce que trop grand et trop rigide. Ce corset a paru au tribunal plutôt obsolète. La preuve a également démontré que l’infirmier à l’hôpital lui avait conseillé de le porter six heures par jour, ce que l’agent de la CSST a lui-même déconseillé. Tous ces éléments font donc en sorte que le tribunal estime que c’est bien le port du corset qui a entraîné l’augmentation de la cruralgie chez la travailleuse et il s’agit donc d’une lésion survenue par le fait ou à l’occasion des soins que la travailleuse a reçus pour sa lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi qui se lit comme suit :

 

31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1°  des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

2°  d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A 25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C 20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I 6).

________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[53] En effet, ce corset avait été prescrit par le médecin de la travailleuse suite à sa lésion professionnelle et c’est à cause de ce corset qu’elle a ressenti des douleurs crurales d’une telle intensité.

 

[54] Le tribunal estime donc être en présence d’une maladie ou d’une blessure dont la survenance même est attribuable aux soins reçus par la travailleuse8. Il ne s’agit pas non plus des conséquences ou des effets secondaires inévitables et indissociables des soins ou traitements reçus9.

 

[55] La Commission d’appel et la Commission des lésions professionnelles ont reconnu comme lésion selon l’article 31 les complications ayant découlé du port d’un plâtre ou de l’usage de béquilles10. Le tribunal estime que les principes développés dans ces diverses décisions s’appliquent en l’espèce où le  corset lombaire avait le même but thérapeutique

 

qu’un plâtre ou que des béquilles à savoir immobiliser une région affectée par une pathologie ou empêcher qu’on ne s’en serve.

________________

                        8     Abattoir R. Roy inc. et Fleury, [1993] C.A.L.P. 1140.

            9       Unival (St-Jean Baptiste) et Gaudreault, [1997] C.A.L.P. 612.

10     CSST et Pratt & Whithney Canada inc., [1997] C.A.L.P. 1422; Hydro-Québec et CSST, C.A.L.P. 83255-62-9610, 26 septembre 1997, S. Di Paquale; Lavoie et Recycalum inc., [1992] C.A.L.P. 1423; Guy et Mobilier Déco Design, C.L.P. 134099-63-0003, 25 septembre 2000, J.-M. Charette; Desrosiers et Tratex Textile, C.L.P. 152379-62-0012, 31 mai 2001, L. Vallières; Connor et Ville de Vaudreuil Dorion, C.L.P. 110588-62C-9902, 25 juillet 2002, R. Hudon.

 

[sic]

 

 

[56]        Telle est la situation en l’espèce, puisque les orthèses et chevillères utilisées par le travailleur constituent de l’assistance médicale prévue à la loi et au Règlement sur l’assistance médicale[5], que le coût de celles-ci est défrayé par la CSST et que ces aides techniques ont été rendues nécessaires pour pallier aux conséquences des lésions professionnelles subies par ce dernier en 1995 et 2001, tel que le démontrent les rapports des docteurs Lemieux et Beaumont aux dossiers. 

[57]        Il reste donc à déterminer si les diagnostics de fasciites plantaires droite et gauche sont en relation avec les orthèses et chevillères utilisées par le travailleur pour pallier aux conséquences des lésions professionnelles subies en 1995 et 2001?

[58]        À cette question, le tribunal estime qu’il doit répondre par l’affirmative.

[59]        En effet, après considération de l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, le soussigné accorde une valeur probante à l’opinion de la docteure Beaumont qui assure le suivi médical du travailleur depuis plusieurs années et qui soutient que tant la fasciite plantaire droite que celle présente au côté gauche sont secondaires au port d’orthèses et de chevillères. En ce qui concerne le côté droit, on retrouve cette opinion de la docteure Beaumont à plusieurs reprises sur les rapports médicaux complétés à compter du 21 octobre 2014. Pour le côté gauche, la docteure Beaumont émet également cette opinion sur le rapport médical complété le 16 avril 2015.

[60]        Par ailleurs, le tribunal trouve essentiel de prendre en considération l’existence d’une concomitance entre l’apparition de fasciites plantaires en septembre 2014 et le port plus régulier, par le travailleur, de ses chevillères munies de talonnettes.

[61]        En effet, selon son témoignage, le travailleur a commencé, au mois d’août 2014, à s’entraîner en gymnase dans le but de perdre du poids, ce qui l’a obligé à porter régulièrement ses chevillères. Or, comme le travailleur l’a souligné à l’audience, il utilisait, à cette époque, des chevillères munies de talonnettes qui se superposaient, au niveau des talons, aux orthèses plantaires. Cette situation a d’ailleurs été modifiée au début de l’année 2015 par l’obtention d’orthèses uniques tenant également lieu de chevillères. De l’avis du soussigné, il est ainsi fort probable que le port plus régulier, à compter du mois d’août 2014, de chevillères munies de talonnettes qui se superposaient partiellement aux orthèses plantaires déjà utilisées, ait engendré une sollicitation indue sur le fascia plantaire.

[62]        Par ailleurs, le tribunal ne partage pas, en tout respect, le point de vue de la procureure de la CSST, à l’effet que la note de la docteure Beaumont datée du 30 septembre 2014 soit contradictoire. Selon celle-ci, la docteure Beaumont ne peut faire état d’une nouvelle lésion et indiquer du même souffle, que le travailleur n’a pas détérioré son état au cours de son voyage en Espagne. Or, le soussigné estime plutôt que par cette note médicale, la docteure Beaumont voulait simplement exprimer l’avis que ce n’était pas le voyage effectué par le travailleur en Espagne, qui avait entraîné le problème de fasciite plantaire bilatérale.

[63]        En ce qui concerne l’opinion du docteur St-Pierre de la CSST, le tribunal ne peut y accorder une valeur probante. En effet, il apparaît clairement de celle-ci, que le docteur St-Pierre ne s’est pas interrogé à savoir si les problèmes de fasciites plantaires droite et gauche pouvaient avoir été engendrés par une utilisation accrue d’une chevillère munie d’une talonnette, alors que le travailleur utilisait déjà des orthèses. Or, l’impact de cet élément est d’autant plus essentiel à considérer en l’instance, que selon le témoignage du travailleur, l’utilisation d’une nouvelle chevillère munie d’orthèses complètes sous le pied en une seule pièce depuis le printemps 2015, a entraîné une disparition presque complète de sa condition douloureuse sous les pieds.

[64]        Force est donc de conclure que la preuve prépondérante est à l’effet que les diagnostics de fasciites plantaires droite et gauche sont en relation avec les soins reçus par le travailleur dans le cadre des lésions professionnelles qu’il a subies en 1995 et 2001. Ce dernier a donc droit aux bénéfices de la loi puisque ces lésions constituent des lésions professionnelles au sens de l’article 31 de la loi.

[65]        Les requêtes du travailleur sont par conséquent accueillies.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 557882-02-1411

ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Louis Tremblay, le travailleur;

MODIFIE la décision conjointe rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Société de l’assurance automobile du Québec le 22 octobre 2014;

DÉCLARE que le diagnostic de fasciite plantaire droite représente une lésion professionnelle et que le travailleur a droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour ce diagnostic.

Dossier 569571-02-1503

ACCUEILLE la requête du travailleur;

MODIFIE la décision conjointe rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Société de l’assurance automobile du Québec le 11 mars 2015;

DÉCLARE que le diagnostic de fasciite plantaire gauche représente une lésion professionnelle et que le travailleur a droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour ce diagnostic.

 

 

 

 

Jean Grégoire

 

 

 

 

Me Sarah Hébert

PAQUET THIBODEAU BERGERON

Représentante d’une partie intervenante

 

 

Me Julie Gauthier

RAICHE PINEAULT TOUCHETTE

Représentante d’une partie intervenante

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19.

[3]           Vêtements Golden Brand Canada ltée et Gallardo, [2008] C.L.P. 750.

[4]           C.L.P. 201921-02-0303, 4 juillet 2003, J.-F. Clément.

[5]           RLRQ, c. A-3.001, r.1.

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