J.L. et Compagnie A |
2016 QCTAT 2046 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 8 septembre 2015, monsieur J... L... (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP-1) rendue le 31 juillet 2015.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur et déclare qu’il n’a pas subi de lésion professionnelle les ou vers les 24 janvier et 16 février 2012.
[3] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.
[4] De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.
[5] Dans le présent dossier, l’audience s’est tenue devant le commissaire Philippe Bouvier, juge administratif à la Commission des lésions professionnelles qui était accompagné de monsieur Claude Jutras, membre issu des associations d’employeurs et de madame Jennifer Smith, membre issue des associations syndicales. L’article 260 de la LITAT prévoit que le mandat des membres autres que les commissaires prend fin le 31 décembre 2015 et que ces membres ne terminent pas les affaires qu’ils avaient commencées. Comme l’affaire n’était pas terminée en date du 31 décembre 2015, l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs n’a pas à être rapporté.
[6] La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.
[7] L’audience s’est tenue le 2 décembre 2015 à Longueuil en présence du procureur du travailleur. [La Compagnie A] (l’employeur) est présent[e] et représenté[e] par procureur. La Commission a avisé le Tribunal de son absence. Le dossier a été pris en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[8] Le travailleur demande au Tribunal administratif du travail de réviser la décision rendue par CLP-1 le 31 juillet 2015 et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle.
LA PREUVE
[9] Le travailleur occupe un poste de chauffeur d’autobus pour le compte de l’employeur. À compter du mois de février 2011, il devient délégué syndical et, à ce titre, il assumera différentes responsabilités au sein de son syndicat. Il ressort du dossier que différentes factions au sein de cette organisation syndicale notamment à l’occasion d’élections au comité de direction de cette association accréditée qui compte environ 700 membres.
[10] Plusieurs incidents viendront ponctuer l’engagement du travailleur au sein de son syndicat. L’un de ceux-ci, et selon la preuve au dossier et rapportée par CLP-1, l’incident déclencheur survient à la mi-octobre 2011 alors que le travailleur reproche à la secrétaire-archiviste du syndicat de ne pas lui avoir remis certains documents. Au lendemain de cet incident, le travailleur rencontre le conjoint de la secrétaire-archiviste qui lui serre la main vigoureusement. Le travailleur considère que la vigueur de cette poignée de main conjuguée au regard intimidant du conjoint de la secrétaire-archiviste représente de l’intimidation à son égard.
[11] À compter de cette date, la vie syndicale au cœur de laquelle œuvre le travailleur sera le théâtre de luttes de pouvoirs, de plaintes, d’enquêtes, d’assemblées syndicales houleuses, de controverses, de demandes de démissions, d’allégations de bris de confidentialité et d’allégations de violence et de harcèlement à l’égard des différents protagonistes dont le travailleur.
[12] Alors qu’il est en congé de paternité depuis le 25 janvier 2012, le travailleur consulte une première fois le docteur Laroche le 29 février 2012 après qu’il ait pris connaissance d’une plainte d’un chauffeur d’autobus à son égard afin qu’il soit démis de ses fonctions syndicales. Il appréhende alors son retour au travail à titre de chauffeur. Toutefois, ce n’est que lors de la consultation du 2 mai 2012 que le docteur Laroche pose pour une première fois un diagnostic de nature psychique soit celui de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse qui évoluera en une dépression majeure.
[13] Dans sa décision, CLP-1 conclut que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle. CLP-1 juge que le travailleur n’a pas fait la preuve d’un événement imprévu et soudain, c’est-à-dire d’un ensemble de faits qui pris individuellement peuvent être banals, mais superposés les uns aux autres peuvent être assimilés à un événement imprévu et soudain. De plus, CLP-1 a considéré qu’il n’y avait pas de lien causal entre les faits mis en preuve et la condition psychique du travailleur.
LES MOTIFS
[14] Le Tribunal administratif du travail doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par CLP-1, le 31 juillet 2015.
[15] L’article 49 de la LITAT qui remplace l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) établit le cadre juridique donnant ouverture au pouvoir de révision et de révocation du Tribunal. Cet article énonce ce qui suit :
49. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'il a rendu:
1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le membre qui l'a rendu.
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2015, c. 15, a. 49.
[16] L’application de cette disposition de la LITAT et l’appréciation des situations soulevées pour évoquer celle-ci doivent s’interpréter à travers le prisme de l’article 51 de la LITAT qui remplace l’article 429.49 de la loi :
51. La décision du Tribunal est sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
Elle est exécutoire suivant les conditions et modalités qui y sont indiquées pourvu que les parties en aient reçu copie ou en aient autrement été avisées.
L'exécution forcée d'une telle décision se fait par le dépôt de celle-ci au greffe de la Cour supérieure du district où l'affaire a été introduite et selon les règles prévues au Code de procédure civile (chapitre C-25).
Si cette décision contient une ordonnance de faire ou de ne pas faire, toute personne nommée ou désignée dans cette décision qui la transgresse ou refuse d'y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rend coupable d'outrage au tribunal et peut être condamnée par le tribunal compétent, selon la procédure prévue aux articles 53 à 54 du Code de procédure civile, à une amende n'excédant pas 50 000 $ avec ou sans emprisonnement pour une durée d'au plus un an. Ces pénalités peuvent être infligées de nouveau jusqu'à ce que le contrevenant se soit conformé à la décision. La règle particulière prévue au présent alinéa ne s'applique pas à une affaire relevant de la division de la santé et de la sécurité du travail.
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2015, c. 15, a. 51.
[17] Bien que l’article 51 de la LITAT ne reprenne le terme de « finale » pour qualifier la décision du Tribunal, celle-ci en possède la caractéristique puisqu’elle est sans appel. Cette disposition sert de rempart à la multiplicité des recours à l’égard d’un même litige en consacrant le principe de la stabilité de la décision initiale rendue par le Tribunal. À cet égard, dans l’affaire Tribunal administratif du Québec c. Godin[3], le juge Fish écrit :
[45] This view of the matter appears to me to be entirely consistent with the legislator's stated objective: "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens".
[46] And I find it inconsistent with these values to subordinate the finality of a "valid"determination by the Tribunal, in "proceedings brought against an administrative authority", to further contestation by the state in the hope that another panel of the same Tribunal might have decided otherwise.
[Références omises.]
[18] L’importance de ce principe de la finalité des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles et de son respect est également reprise dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine[4] par le juge Morissette :
[41] […] Les finalités de qualité, de célérité et d’accessibilité qu’il y évoque revêtent en effet une égale importance, qu’un justiciable s’adresse au TAQ ou à la CLP. Le risque que ces finalités soient compromises, voire contrecarrées, par des contestations persistantes et sans justification sérieuse est le même dans les deux cas; l’exercice libéral du pouvoir d’autorévision ne peut qu’encourager de telles contestations en affaiblissant la stabilité de décisions qui (en principe et sous réserve de quelques cas d’exception) sont finales dès lors qu’elles ne sont pas manifestement déraisonnables. […]
[19] En somme, comme l’affirme la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Franchellini et Sousa[5], l’article 429.49 de la loi maintenant l’article 51 de la LITAT, établissant le principe de la finalité des décisions du Tribunal, fait en sorte que l’article 49 de la LITAT, anciennement 429.56 de la loi, doit recevoir une interprétation restrictive. C’est donc avec réserve que le Tribunal doit exercer son pourvoir de révision, et ce, d’autant que la portée du recours en révision est limitée aux seules situations énoncées à l’article 429.56 de la loi maintenant l’article 49 de la LITAT.
[20] Le procureur du travailleur prétend que la décision rendue par CLP-1, le 31 juillet 2015, comporte plusieurs vices de fond qui se caractérisent par des erreurs de droit manifestes et déterminantes.
[21] Cette notion de vice de fond de nature à invalider la décision signifie une erreur manifeste, de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[6]. Il s’agit donc d’une erreur sérieuse d’une gravité telle qu’elle en est fondamentale et fatale ne pouvant assurer ainsi le maintien de la décision rendue par le premier décideur[7].
[22] Plusieurs situations peuvent donner ouverture à la révision ou la révocation d’une décision rendue par un premier décideur. La décision Fontaine[8] résume ces situations de la façon suivante :
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions». L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique», mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter» un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision). Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision. [Références omises.]
[23] Le premier reproche que formule le procureur du travailleur à l’égard de la décision CLP-1 tant dans sa requête écrite que dans sa plaidoirie, c’est que CLP-1 aurait écarté des faits pertinents mis en preuve, soutenant ainsi que les conclusions retenues par CLP-1 ne sauraient raisonnablement s’appuyer sur les faits au dossier. Il considère donc que CLP-1 a commis une erreur manifestement déraisonnable en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents et non contredits.
[24] Le procureur du travailleur soutient que CLP-1 a pris des raccourcis dans son appréciation de la preuve. Au soutien de cette prétention, il soulève le paragraphe qui suit de la décision de CLP-1 :
[12] D’ailleurs, le présent tribunal n’a pas l’obligation d’incorporer au texte de sa décision une revue exhaustive de tous les faits mis en preuve, non plus qu’il n’a l’obligation de commenter tout un chacun des arguments soumis par le travailleur. Il peut très bien s’en limiter à rapporter les éléments de preuve qui l’ont mené à conclure dans le sens où il le fait, en exposant, de façon intelligible, son raisonnement.
[25] De plus, la juge administrative qui a rendu la décision CLP-1 évoque à plusieurs reprises qu’elle a lu et relu la preuve, les notes sténographies des 14 jours d’audience et les volumineuses argumentations écrites des procureurs. Or, ce n’est pas parce qu’un juge administratif rend compte de la somme de travail abattue pour rendre sa décision que celle-ci est nécessairement motivée adéquatement. De même que ce n’est pas parce que dans sa décision un juge administratif indique qu’il n’a pas l’obligation de tout rapporter que cela lui confère un sauf-conduit pour manquer à son obligation de motivation.
[26] Le Tribunal administratif du travail considère que l’obligation de motivation consacrée maintenant par l’article 47 de la LIAT signifie que dans ses décisions, le Tribunal doit expliquer le cheminement intellectuel, factuel et juridique qu’il emprunte pour en arriver à la conclusion qu’il retient pour trancher le litige dont il est saisi. Bien que rigoureuse, cette obligation ne commande pas que l’adjudicateur expose l’ensemble des faits révélés par la preuve ou encore qu’il réponde à chacun des arguments soulevés par les parties.
[27] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[9], la Cour suprême du Canada, à travers le prisme de la définition de la norme de contrôle, se penche sur le contenu de cette obligation de motivation des tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour pose comme principe que la motivation d’une décision d’un décideur repose sur la justification de la décision, de sa transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel.
[28] Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)[10], la Cour suprême du Canada établit que les motifs d’une décision doivent être examinés en corrélation avec les conclusions retenues par le juge administratif. De plus, la Cour écrit :
[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit - il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., 1973 CanLII 191 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[…]
[18] Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56 (CanLII), [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164). Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :
[TRADUCTION] La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs. [par. 44]
[29] De plus, cette motivation peut s’avérer imparfaite et ne s’attarder qu’à certains aspects de la preuve, car dans l’exercice d’appréciation de la preuve, un Tribunal n’a pas l’obligation de discuter et de disposer de l’ensemble de la preuve et des arguments soulevés par les parties[11]. En somme, la décision du juge administratif doit passer le test de l’intelligibilité, c’est-à-dire que prise dans son ensemble, elle doit être compréhensible et explicite tant dans ses fondements que dans le lien entre ceux-ci et la conclusion retenue[12].
[30] Dans le présent dossier, le Tribunal administratif du travail considère que la décision CLP-1 est suffisamment motivée pour comprendre que de l’ensemble des faits évoqués en preuve par le travailleur, CLP-1 considère qu’ils ne peuvent constituer un événement imprévu et soudain. Certes, CLP-1 rapporte les faits avec moins de détails que ce que la preuve révèle et écarte également certains faits mis en preuve. Ce n’est pas parce que le procureur du travailleur estime que CLP-1 n’a pas accordé une importance ou valeur probante suffisante à certains éléments de sa preuve que cela signifie que CLP-1 a manqué à son obligation de motivation.
[31] Au soutien de ses arguments pour attaquer la motivation de la décision rendue par CLP-1, le procureur du travailleur soumet une nouvelle argumentation basée sur la preuve administrée par CLP-1. Le Tribunal rappelle que le recours en révision ne constitue pas un nouveau forum pour permettre à une partie de présenter de nouveaux arguments ou encore d’aller solliciter une nouvelle appréciation de la preuve administrée par CLP-1[13]. Or, le Tribunal administratif du travail considère que la requête du procureur du travailleur ne constitue qu’un nouvel essai pour obtenir une nouvelle appréciation de la preuve. D’ailleurs, l’essentiel de la plaidoirie du procureur du travailleur en révision ne s’est articulé que sur une nouvelle appréciation de la preuve.
[32] Le procureur du travailleur reproche à CLP-1 d’avoir analysé le litige devant lui sous l’angle du harcèlement plutôt que sous l’angle de la lésion professionnelle. Il estime que donc que CLP-1 a commis une erreur de droit à l’égard de la norme juridique applicable. Le Tribunal administratif du travail rappelle que le procureur du travailleur et les premières consultations médicales font état de harcèlement à l’égard du travailleur. Certes, CLP-1 n’a pas à déterminer si le travailleur a subi ou non du harcèlement, mais CLP-1 doit sous le vocable du harcèlement déterminer s’il y a un ensemble de faits pouvant être considéré comme un événement imprévu et soudain.
[33] D’ailleurs, dans l’affaire A.B. et Compagnie A[14], la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision écrit :
[32] De fait, la preuve de harcèlement est pertinente à plus d’un égard dans le genre de litige dont il s’agit ici. En effet, les faits mis en preuve relativement au comportement des divers acteurs peuvent, non seulement servir à déterminer s’il y a eu accident du travail ou non, car ils sont assimilables à l’événement imprévu et soudain dont parle la loi12, mais ils permettent aussi d’identifier les conditions normales de travail dans le milieu de travail particulier en cause13.
[33] La première juge administrative avait donc raison de scruter la preuve pour connaître la genèse du conflit et déterminer qui en était « responsable ». C’est ce qui lui a permis de vérifier si l’allégation principale du travailleur était fondée ou non et de voir s’il y avait bel et bien eu harcèlement ou, au contraire, simple conflit de personnalité.
[34] Pareille distinction est ici cruciale, eu égard à la réclamation du travailleur et en vue d’appliquer la règle de droit postulée dès le départ (à la fin de la deuxième phrase du paragraphe 32 de sa décision) par la première juge administrative, règle dont la procureure du travailleur elle-même reconnaît l’à-propos : pour être assimilable à l’événement imprévu et soudain dont parle la loi, les événements survenus « ne peuvent … résulter d’un conflit de personnalité ».
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12Durocher et Centre jeunesse de Montréal, C.L.P. 306158-61-0612, 28 septembre 2008, G. Morin, révision rejetée, 21 janvier 2010, L. Boudreault
13Baillargeon et Commission scolaire des Samares, C.L.P. 324635-63-0708, 26 novembre 2008, I. Piché, (08LP-182)
[34] Dans cette perspective, le Tribunal administratif du travail considère que CLP-1 n’a pas commis d’erreur de droit puisqu’elle a appliqué la bonne norme juridique pour déterminer si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle. De plus, le Tribunal administratif du travail juge que CLP-1 n’a pas commis d’erreur de droit en prenant en compte les enquêtes réalisées par l’employeur et le syndicat sur les différentes plaintes de harcèlement. Il s’agit d’éléments de preuve qui ne lient pas le Tribunal, mais qui s’avèrent pertinents au litige.
[35] Par ailleurs, le Tribunal administratif du travail juge que CLP-1 n’a pas commis d’erreur de droit dans l’application de norme juridique applicable aux lésions de nature psychologique. De fait, elle a tenu compte de l’ensemble des faits rapportés par le travailleur et elle les a analysés tant de façon isolée qu’en les superposant les uns aux autres. Or, que soit individuellement ou globalement, CLP-1 a conclu qu’il n’y avait pas d’événement imprévu et soudain. Cette approche s’inscrit dans les différentes avenues jurisprudentielles développées par le Tribunal.
[36] Le procureur du travailleur soulève également que CLP-1 a commis une erreur de droit en prenant en compte le comportement du travailleur alors que l’article 25 de la loi consacre qu’il s’agit d’un régime d’indemnisation sans égard à la faute. Le Tribunal considère que CLP-1 a tenu compte du comportement du travailleur non pas pour lui imputer une quelconque responsabilité, mais plutôt pour apprécier si les gestes ou actes posés à l’égard du travailleur s’inscrivent dans une dynamique de relations de travail conflictuelles ou encore de conflits de personnalités.
[37] D’ailleurs, dans la décision Côté et Télé-sourire inc.[15], la juge administrative Landry écrit à cet égard :
[30] Tel que le précisait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Desruisseaux et Commission scolaire de Montréal7, l’article 25 de la loi ne fait qu’énoncer le principe voulant que le régime d’indemnisation des lésions professionnelles est un régime sans égard à la responsabilité de quiconque par opposition au régime de la responsabilité civile du droit commun. D’autre part, la jurisprudence prend en compte le rôle joué par des facteurs relevant de la personnalité d’un travailleur lorsqu’il s’agit de décider si la lésion psychique qu’il a subie constitue une lésion professionnelle.
[31] De même, dans l’affaire A…B… et [Compagnie A]8, la Commission des lésions professionnelles rappelle que lorsqu’un travailleur allègue avoir été victime de harcèlement au travail, le premier juge administratif doit scruter la preuve pour connaître la genèse du conflit et déterminer qui en est « responsable ». Cela lui permet de vérifier si l’allégation de harcèlement est fondée ou, au contraire, s’il s’agit d’un simple conflit de personnalité.
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7 C.L.P. 222647-62C-0312, 23 septembre 2005, C.-A. Ducharme.
8 C.L.P. 353617-61-0807, (révision), 28 septembre 2010, J.-F. Martel.
[38] Le Tribunal administratif du travail considère que CLP-1 n’a pas commis d’erreur de droit en prenant en compte dans son analyse le comportement du travailleur.
[39] Par ailleurs, le procureur du travailleur reproche à CLP-1 son analyse du lien causal. Le Tribunal n’a pas à se prononcer sur cette question puisque CLP-1 conclut principalement qu’il n’y a pas d’événement imprévu et soudain. Or, le Tribunal estime que dans son analyse, CLP-1 n’a pas commis d’erreur de droit. Dans ce contexte, il n’était pas nécessaire pour CLP-1 de se prononcer sur le lien causal.
[40] En conséquence, le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune erreur de droit pouvant justifier de révision la décision rendue par CLP-1.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête en révision présentée par monsieur J... L..., le travailleur.
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Philippe Bouvier |
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Me Dany Chamard |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Louis-Philippe Taddeo |
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Pour la partie mise en cause |
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Me Sylvana Markovic |
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PAQUET TELLIER |
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Pour la partie intervenante |
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Date de l’audience : 2 décembre 2015 |
[1] RLRQ, c. T-15.1.
[2] RLRQ, c. A-3.001.
[3] [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[4] [2005] R.J.Q. 2203 (C.A.).
[5] [1998] C.L.P. 783.
[6] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, précitée, note 5.
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin, précitée, note 3; CSST c. Fontaine, précitée, note 4.
[8] Précitée, note 4.
[9] [2008] 1 R.C.S. 190.
[10] [2001] 3 R.C.S. 708.
[11] Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187,728,1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805.
[12] Fernand Laprise et Corporation d’Aliments Ronzoni, 2014 QCCLP 5596.
[13] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, précitée, note 6.
[14] 2010 QCCLP 7210.
[15] C.L.P. 355989-01C-0808, 13 décembre 2010, requête en révision rejetée.
AVIS :
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