Grenon c

Grenon c. Cour du Québec

2006 QCCS 348

JB-3133

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D'ALMA

 

N° :

160-17-000044-053

 

 

 

DATE :

 27 janvier 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JACQUES BABIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CLAUDETTE GRENON

830, boul. Saint-Jude, app. 2, Alma, G8B 3K8

Demanderesse

c.

COUR DU QUÉBEC

725, rue Harvey Ouest, Alma, G8B 1P5

Défenderesse

-et-

OFFICE MUNICIPAL D'HABITATION D'ALMA

414, rue Collard Ouest, Alma, G8B 1N2

Première mise en cause

-et-

RÉGIE DU LOGEMENT

3950, boul. Harvey, Jonquière, G7X 8L6

Deuxième mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

[1]                La demanderesse veut faire casser une décision de la Cour du Québec rendue par le juge Maurice Abud le 16 novembre 2005, par laquelle ce dernier rejetait son appel d'un jugement de la Régie du logement du 8 novembre 2004, déclarant cet appel irrecevable, puisque déposé hors délai.

[2]                Prétendant que cette décision est manifestement déraisonnable, la demanderesse demande à la Cour supérieure du Québec d'intervenir par la voie de la révision judiciaire.

LES FAITS

[3]                Le 8 novembre 2004, le régisseur Marc Bégin de la Régie du logement du Québec, accueillait la demande de l'Office municipal d'habitation d'Alma de résilier le bail de la demanderesse.

[4]                Le 7 décembre 2004, cette dernière, par l'intermédiaire de ses procureurs, faisait signifier aux parties impliquées au dossier une requête pour permission d'en appeler de cette décision de la Régie du logement.

[5]                La requête devait être présentée le 26 janvier 2005 à la juge Johanne Roy de la Cour du Québec, et celle-ci rendait jugement le 24 mars 2005, indiquant que durant son délibéré, sans que cela ait été plaidé devant elle par les procureurs des parties, elle avait constaté que l'inscription en appel de la demanderesse paraissait avoir été déposée hors délai à la cour.

[6]                Malgré cela, la juge Roy devait tout de même conclure, sous réserve de cette question d'irrecevabilité à être plaidée plus tard, que les représentations faites devant elle établissaient l'intérêt d'autoriser l'appel de la décision de la Régie du logement.

[7]                Dans la dernière partie de son jugement, alors qu'elle traitait des questions qui seraient soumises éventuellement au juge chargé d'entendre l'appel au fond, la juge Roy indiquait, quant à cette question d'irrecevabilité:

"[42]  Le Tribunal doit décider des questions qui seront soumises en appel et, avant d'examiner celles qui sont proposées par le procureur de la locataire, ajoute l'examen d'une question qui n'a pas été soulevée au moment des représentations mais doit être abordée.

[43]  Selon les documents produits au dossier, la décision porte la date du 8 novembre 2004.  La requête pour permission d'en appeler est datée du 7 décembre 2004 et a été signifiée le jour même mais produite au greffe le 9 décembre suivant.

[44]  Les articles 92 et 93 de la Loi sur la régie du logement prévoient que la requête doit être signifiée et produite au greffe dans les 30 jours de la date de la décision et que «ce délai est de rigueur et emporte déchéance».

[45]  Le délai de 30 jours a expiré le 8 décembre 2004, un mercredi et jour juridique.


[46]  La première des questions dont devra disposer le Tribunal est de déterminer si le recours est prescrit."

(Soulignement du tribunal)

[8]                Finalement, dans les conclusions de son jugement, la juge Roy indiquait:

"[54]  IDENTIFIE les questions qui seront soumises au Tribunal siégeant en appel:

a)      L'appel est-il recevable compte tenu de la date de production de la requête pour permission d'en appeler?

b)     

c)     

d)      …"

[9]                Les parties se sont présentées devant le juge Maurice Abud le 28 octobre 2005 et à cette occasion il a entendu leurs procureurs uniquement sur cette question de la recevabilité du recours.

[10]            Et il en a disposé le 16 novembre 2005 par le jugement dont on demande aujourd'hui la révision judiciaire.

[11]            Tout d'abord, devant le juge Abud, les parties ont procédé à certaines admissions qu'on retrouve au paragraphe 5 de son jugement:

"[5]  Au début de l'audience, il y a eu admission à l'effet que:

        -  la date de la décision de la Régie est le 8 novembre 2004;

        -  la Régie fait parvenir la décision du régisseur par courrier ordinaire;

        -  la décision du 8 novembre 2004 de la Régie a été reçue au bureau de Me Marthe Vachon, procureur de l'appelante, Claudette Grenon, le 12 novembre 2004;

        - la requête pour permission d'appeler a été signifiée à toutes les parties, le 7 décembre 2004;

        -  la requête pour permission d'appeler a été produite au greffe de la Cour, le 9 décembre 2004."

[12]            La requête aurait dû être produite au greffe de la cour, pour respecter le délai de 30 jours de l'article 91 de la Loi sur la Régie du logement, au plus tard le 8 décembre 2004.

[13]            Or, comme on vient de le voir elle a été produite le lendemain, le 9 décembre 2004.  Donc définitivement hors délai, et cela n'est contesté par personne.

[14]            On n'a pas été en mesure, devant le juge Abud, de lui donner une explication valable de cette omission de produire l'inscription en appel au greffe de la cour dans le délai imparti.

[15]            Le juge Abud s'exprime ainsi à ce sujet:

"[6]  Me Marthe Vachon ne peut expliquer la raison pour laquelle la requête a été produite au greffe après le 8 décembre 2004.  Elle ne sait pas également à quel moment le huissier a rapporté la procédure, mais elle présume qu'elle lui a été rapportée le lendemain de la signification, comme la coutume le veut.  Mais, malheureusement, dit-elle, il y a une personne de leur bureau qui va au greffe qu'une fois par jour, entre 11h30 et midi.

[7]  Elle explique que si la procédure leur a été rapportée dans l'après-midi du 8 décembre, ce n'est que le lendemain - le 9 - que celle-ci sera déposée à la Cour.

[8]  Cela n'excuse pas le retard, dit-elle, mais elle ne peut expliquer ce qui s'est passé entre le 7 et le 9 décembre."

(Soulignement du tribunal)

[16]            Après avoir cité les articles 92 et 93 de la Loi sur la Régie du logement (L.R.L.), relatifs à la présentation d'une requête pour permission d'en appeler, laquelle doit être présentée, selon l'article 93, dans un délai dit "de rigueur" et qui "emporte déchéance", le juge Abud devait ajouter:

"[11]  Par ailleurs, nonobstant le fait qu'il s'agisse d'un délai de rigueur, une demande de prolongation peut être accordée lorsqu'une partie démontre qu'elle a été dans l'impossibilité d'agir à l'intérieur des délais prescrits.

[12]  Rien dans le dossier ne permet de conclure que l'appelante était dans l'impossibilité d'agir à l'intérieur du délai prescrit.  D'autant plus, qu'il apparaît qu'elle avait connaissance de la décision de la Régie depuis le 12 novembre 2004.

[13]  Rien dans le dossier ne précise les raisons qui ont amené l'appelante à ne signifier son appel que le 7 décembre 2004 au lieu de procéder plus hâtivement;  et, rien dans le dossier ne permet de conclure pour quelle raison la requête qui a été signifiée à la partie adverse, en l'occurrence, dans le cas en espèce, l'Office Municipal d'Habitation, dans les 30 jours de la décision, n'a pu être produite au greffe de la Cour dans le même délai, tel que l'exige l'article 93 de la Loi.

[14]  De l'aveu même de Me Vachon, elle ne peut expliquer ce qui s'est passé;  elle ne peut même soulever le fait qu'il s'agit d'une erreur du huissier qui a tardé à lui transmettre le rapport de signification, puisque, si tel avait été le cas, le Tribunal aurait peut-être pu conclure qu'elle était dans l'impossibilité d'agir.

[15]  Mais, compte tenu que le Tribunal n'a pas cette preuve;  et considérant les dispositions des articles 92 et 93 de Loi sur la Régie du Logement;"

[17]            Et il déclare l'appel irrecevable.

DÉCISION

1)         Les prétentions des parties

[18]            Dans sa requête en révision judiciaire, la demanderesse allègue que le juge Abud a commis une erreur manifestement déraisonnable en ce que:

"14.-  Plus particulièrement, l'honorable juge Abud a mal interprété, dans son jugement, les enseignements de la Cour suprême et de la Cour d'appel relativement à l'impossibilité d'agir de la demanderesse pendant la période du 8 novembre 2004 au 9 décembre 2005;

15.-  En effet, le juge Maurice Abud, après avoir avancé le principe que « nonobstant le fait qu'il s'agisse d'un délai de rigueur, une demande de prolongation peut être accordée lorsqu'une partie démontre qu'elle a été dans l'impossibilité d'agir à l'intérieur des délais prescrits » et avoir reçu devant lui la preuve qu'avait été commise une erreur prenant son origine des procureurs de la demanderesse et amenant la production tardive, le 9 décembre 2004, de la requête pour permission d'appeler signifiée le 7 décembre 2004, affirme que s'il s'était agi d'une erreur du huissier qui aurait tardé à lui transmettre le rapport de signification, le Tribunal aurait peut-être pu conclure que la demanderesse était dans l'impossibilité d'agir et il conclut finalement que rien dans le dossier ne lui permet de conclure que la demanderesse était dans l'impossibilité d'agir à l'intérieur du délai prescrit;

16.-  Selon les enseignements de la Cour suprême et de la Cour d'appel, l'erreur de son procureur peut constituer, pour le client, une impossibilité en fait d'agir et cette même erreur ne doit pas empêcher la sauvegarde des droits de la partie que le procureur représente lorsqu'il est possible d'y remédier, comme dans la présente affaire, sans injustice ou préjudice pour la partie adverse;"

[19]            En ce qui concerne le procureur de l'Office municipal d'habitation, il prétend que la décision rendue par le juge Abud non seulement n'est pas manifestement déraisonnable, mais est conforme à la preuve qui lui a été soumise, et à la L.R.L.

2)         La norme d'intervention

[20]            À l'audience, les deux procureurs au présent dossier se sont dits d'avis que la norme d'intervention en l'espèce était celle de la décision manifestement déraisonnable, comme l'indiquait la Cour d'appel en 1999[1].

3)         La Loi sur la Régie du logement

[21]            La décision de la Régie du logement peut faire l'objet d'un appel en Cour du Québec, mais sur permission seulement, conformément aux articles 91 et 92 de la L.R.L., qui se lisent ainsi:

91.  Les décisions de la Régie du logement peuvent faire l'objet d'un appel sur permission d'un juge de la Cour du Québec, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.

92.  La demande pour permission d'appeler doit être faite au greffe de la Cour du Québec du lieu où est situé le logement et elle est présentée par requête accompagnée d'une copie de la décision et des pièces de la contestation, si elles ne sont pas reproduites dans la décision.

La requête accompagnée d'un avis de présentation doit être signifiée à la partie adverse et produite au greffe de la Cour dans les 30 jours de la date de la décision.  Elle doit préciser les conclusions recherchées et le requérant doit y énoncer sommairement les moyens qu'il prévoit utiliser.

(Soulignement du tribunal)

[22]            Comme on le voit, non seulement la requête doit-elle être signifiée à la partie adverse dans les 30 jours de la date de la décision attaquée, mais elle doit être produite au greffe de la cour dans le même délai.

[23]            Et quant à la question du respect du délai, l'article 93 ne peut pas être plus clair:

93.  Ce délai est de rigueur et emporte déchéance.

4)         L'impossibilité d'agir en l'espèce

[24]            Après analyse, le Tribunal ne voit pas en quoi la décision du juge Abud serait manifestement déraisonnable.

[25]            En effet, tout d'abord aucune preuve d'impossibilité d'agir n'a été faite devant lui.  Ce n'est pas tout de l'alléguer.  Encore faut-il en faire une preuve.


[26]            Dans la décision de Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd[2], la Cour suprême du Canada a effectivement appliqué cette notion d'impossibilité d'agir, en regard de l'article 523 C.p.c. permettant de signifier une inscription en appel à la Cour d'appel du Québec malgré l'expiration du délai prévu à 494 C.p.c., mais en indiquant bien, au sujet de la partie qui requiert telle permission spéciale, qu'il faut qu'elle:

"démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir plus tôt."

(Soulignement du tribunal)

[27]            Or, devant le juge Abud, la demanderesse n'a jamais été capable d'expliquer les raisons qui avaient fait que la requête pour permission d'en appeler n'avait pas été produite à la cour dans le délai de 30 jours.

[28]            Me Marthe Vachon, procureure de la demanderesse, a été très honnête, et elle a carrément admis au juge Abud qu'elle ne savait pas pourquoi la requête n'avait pas été produite dans le délai.

[29]            On ne sait même pas quand l'huissier a rapporté la procédure, ni s'il l'a rapportée au bureau de Me Vachon, ou s'il l'a déposée directement à la cour.

[30]            On a plaidé devant le juge Abud que l'erreur d'un procureur, ou de son huissier, ce qui reviendrait au même, pouvait constituer une impossibilité d'agir pour son client.

[31]            Mais encore aurait-il fallu la démontrer.

[32]            Que s'est-il passé durant les 30 jours d'ouverture à l'appel pour qu'on attende à la dernière minute pour inscrire en appel?

[33]            Encore une fois, on n'en sait rien.  Il y a absence totale de preuve à ce sujet.

[34]            Alors comment le juge Abud aurait-il pu conclure à l'erreur du procureur de la demanderesse ou de son huissier, et ainsi que la demanderesse était de ce fait dans l'impossibilité d'agir.

[35]            Devant l'absence de toute preuve à ce sujet, le juge Abud a conclu que le recours en appel de la demanderesse était irrecevable, et le Tribunal ne voit aucune erreur manifestement déraisonnable dans cette appréciation du dossier.

5)         Le moyen tiré de l'impossibilité d'agir est-il recevable?

[36]            De toute façon, même si le juge Abud avait constaté une erreur de la procureure, et que de ce fait la demanderesse aurait été ainsi dans l'impossibilité d'agir, il n'aurait pas pu faire autrement que de déclarer irrecevable son appel, et cela malgré qu'il semble affirmer le contraire au paragraphe 11 de son jugement.

[37]            Car de l'avis du soussigné, ce moyen tiré de l'impossibilité d'agir ne s'applique pas en l'espèce.

[38]            Le procureur de la demanderesse prétend le contraire, vu l'article 63 du Règlement de la Cour du Québec, qui se lit ainsi:

63.  La procédure ordinaire en première instance, prévue au Livre II du Code de procédure civile, s'applique à l'appel dans la mesure où elle n'est pas incompatible avec la Loi sur la Régie du logement.

(Soulignement du tribunal)

[39]            Or, selon lui, cette référence législative permettrait l'application en l'espèce de l'article 110.1 C.p.c., qui indique que:

110.1  Le tribunal peut également relever une partie des conséquences de son retard si cette dernière démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir dans le délai prescrit.

[40]            Les décisions jurisprudentielles soumises par le procureur de la demanderesse, et dans lesquelles on a appliqué la théorie de l'impossibilité d'agir, ne s'appliquent pas dans notre affaire.

[41]            Autant dans l'arrêt précité de Cité de Pont Viau[3] que dans Construction Gilles Paquette Ltée[4], la Cour suprême du Canada a donné une chance aux coureurs qui avaient respectivement omis de signifier une inscription en appel à la Cour d'appel malgré l'expiration du délai, ou de signifier et de produire le mémoire en appel dans les délais prescrits au Code de procédure civile, appliquant le large pouvoir discrétionnaire de la Cour d'appel de rendre toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des parties, prévu expressément à l'article 523 C.p.c.

[42]            Mais la Cour suprême prenait bien soin de préciser qu'il s'agissait là d'une situation d'exception:

"L'alinéa 2 de l'art. 523 C.p.c. le fait, tout en laissant une certaine marge de manoeuvre à la Cour d'appel lorsqu'une partie est dans l'impossibilité d'en appeler dans les délais, par l'exception qu'elle introduit à la règle de l'art. 494 C.p.C. qui veut que les délais pour porter une décision en appel «sont de rigueur et emportent déchéance»."

(Soulignement du tribunal)

[43]            Sauf qu'on ne peut pas appliquer en l'instance ce pouvoir spécial de l'article 523 C.p.c., puisqu'il ne se retrouve pas dans le Livre II du Code de procédure civile auquel réfère l'article 63 du Règlement de la Cour du Québec.

[44]            Le procureur de la demanderesse plaide toutefois que le juge Abud aurait pu appliquer l'article 110.1 C.p.c. qui permet au Tribunal de relever une partie des conséquences de son retard si elle justifie qu'elle a été dans l'impossibilité d'agir dans le délai prescrit.

[45]            Sauf que l'article 63 du Règlement de la Cour du Québec prend la peine de préciser que 110.1 C.p.c. ne s'appliquerait que dans la mesure où il n'est pas incompatible avec la L.R.L.

[46]            Or, le soussigné est d'avis que 110.1 C.p.c. est justement incompatible avec la L.R.L.

[47]            Si le législateur avait voulu prévoir cette "exception", pour reprendre le terme utilisé par la Cour suprême dans Cité de Pont Viau[5], il l'aurait indiqué à la L.R.L., comme il l'a fait à 110.1 et à 523 C.p.c.

[48]            Il ne faut pas oublier la règle qui veut que "le législateur ne parle pas pour ne rien dire"[6].

[49]            S'il avait voulu accorder à la Cour du Québec le pouvoir discrétionnaire de remédier à l'expiration du délai d'appel prescrit à la L.R.L. en cas d'impossibilité d'agir, il l'aurait clairement indiqué à cette dernière loi, comme il l'a fait aux articles précités du Code de procédure civile.

[50]            Or, non seulement ne l'a-t-il pas fait, mais il a plutôt procédé dans un sens contraire, qui indique clairement son intention.

[51]            En effet, l'ancien article 93 L.R.L. prévoyait la possibilité pour une partie de demander au Tribunal, pour un motif raisonnable, l'autorisation d'instruire une cause en appel après l'expiration du délai d'un mois de la date de la décision, et cela dans les termes suivants:

L'appel doit être formé dans le mois de la date de la décision mais une partie peut, pour un motif raisonnable, demander au tribunal l'autorisation d'instruire une cause en appel après l'expiration de ce délai si l'autre partie n'en subit aucun préjudice grave.

[52]            Or, cet article a été modifié pour justement enlever cette possibilité d'instruire une cause en appel après l'expiration du délai.

[53]            Donc, le législateur a expressément et définitivement retiré à la Cour du Québec le pouvoir de relever une partie du défaut de respecter le délai imparti.  Et au surcroît il a pris la peine de préciser que ce délai est maintenant "de rigueur" et "emporte déchéance".

[54]            Les articles 92 et 93 L.R.L. sont on ne peut plus clairs, et en l'absence d'une disposition habilitante accordant un pouvoir discrétionnaire à la Cour du Québec pour remédier à un dépassement du délai prescrit, décrété de rigueur et emportant déchéance, ce dernier doit être appliqué rigoureusement.

[55]            Le juge Lamer de la Cour suprême n'indiquait-il pas en 1990[7]:

"Lorsque le texte de loi est clair et sans ambiguïté, aucune autre démarche n'est nécessaire pour établir l'intention du législateur.  Nul besoin d'une interprétation plus poussée lorsque le législateur a exprimé clairement son intention par les mots qu'il a employés dans la loi."

[56]            Plusieurs décisions de la Cour du Québec sont à l'effet que vu la teneur des articles 92 et 93, et l'absence de référence expresse à la possibilité d'extensionner le délai en cas d'impossibilité d'agir, il ne puisse être possible de remédier à la situation semblable à la nôtre[8].

[57]            Dans l'une de celles-ci[9], le juge Jean-Pierre Bourduas était confronté lui aussi à un problème d'application de l'article 92 L.R.L., sauf que dans son cas, la requête pour permission d'appeler avait été signifiée au procureur de la partie adverse alors que l'article 92 parle de signification à la partie adverse elle-même.

[58]            Traitant tout d'abord de la question procédurale, le juge Bourduas devait indiquer:

"[6]  Depuis le 1er janvier 1997, la Loi sur la Régie a été considérablement modifiée.  Tout d'abord, l'article 92 ne renvoie plus aux règles de pratique de la Cour du Québec pour ce qui est des règles de signification à la partie adverse.  Deuxièmement, il est dorénavant nécessaire d'obtenir une permission de la Cour du Québec avant de pouvoir interjeter appel d'une décision de la Régie, de sorte que la procédure pour l'inscription de l'appel diffère désormais de la procédure relative à la demande pour permission.  Troisièmement, depuis la réforme, le délai de production et de signification de la requête pour permission est devenue un délai de rigueur emportant déchéance du droit d'appel.  Le nouvel article 93 L.r.l. prévoit désormais:

Article 93 - "Ce délai est de rigueur et emporte déchéance.""

[59]            Par la suite, le juge Bourduas en vient tout d'abord à la conclusion que l'article 92 L.R.L. n'avait pas été respecté en ce que la requête pour permission d'en appeler n'aurait pas été signifiée à la partie adverse personnellement, ce qui était nécessaire, une signification à son procureur n'étant pas suffisante.

[60]            Dans la deuxième partie de son jugement, il analyse la question de savoir s'il existait un recours pour épargner au requérant les conséquences du défaut de son procureur d'avoir signifié à la partie adverse plutôt qu'à son procureur, et si la Cour du Québec disposait des pouvoirs nécessaires pour remédier à cette extinction de son recours.

[61]            Après avoir procédé à une analyse jurisprudentielle fort intéressante, le juge Bourduas devait conclure:

"[43]  Par conséquent, on peut conclure de ces décisions qu'en matière de délais d'appel proprement dit, le défaut de respecter les exigences de la signification est un accroc à une condition de fond qui entraîne la déchéance du recours et non une simple irrégularité.  […]  De plus, l'impossibilité de prolonger un tel délai de déchéance par le biais de l'article 9 C.p.c., puisque ce pouvoir est réservé à la correction des irrégularités, signifie que seul un pouvoir spécifique d'accorder une permission spéciale d'appeler, tel le pouvoir prévu à l'article 523 C.p.c peut permettre de relever une partie de ce défaut.  Il s'agit donc désormais de déterminer si la Cour du Québec en appel des décisions de la Régie dispose d'un tel pouvoir."

(Soulignement du tribunal)

[62]            Le juge Bourduas devait répondre négativement à cette dernière question:

"[45] Or, avant la réforme, le requérant pouvait effectivement être relevé de son défaut de procéder dans le délai prescrit s'il arrivait à convaincre le tribunal qu'il avait un motif raisonnable et que l'intimé ne souffrirait aucun préjudice.  L'ancien article 93 prévoyait:

Article 93.  L'appel doit être formé dans le mois de la date de la décision mais une partie peut, pour un motif raisonnable, demander au tribunal l'autorisation d'inscrire une cause en appel après l'expiration de ce délai si l'autre partie n'en subit aucun préjudice grave.

[46]  Cette discrétion avait déjà permis au juge Denis Charrette dans Le Derff c. Delorière de considérer que la signification au seul procureur était un motif raisonnable permettant d'inscrire une cause en appel après l'expiration de ce délai, lorsque l'autre partie n'en subit aucun préjudice grave.  Or, on ne peut que constater la disparition de ce qui constituait une discrétion peut-être équivalente à la permission spéciale de l'article 523.  On ne peut donc pas ne pas y voir que l'intention du législateur était de retirer à la cour du Québec une telle discrétion, d'autant que cette disposition prévoyant un pouvoir d'accorder une permission spéciale a précisément été remplacée par celle prévoyant la déchéance."

(Soulignement du tribunal)

[63]            Ce qui devait amener le juge Bourduas à conclure:

"[51]  En conclusion, la déchéance du droit d'appel constitue une conséquence juridique spécifique qui entraîne l'extinction du droit d'appel.  Seule une permission spéciale peut relever une partie des conséquences de cette déchéance.  La Cour du Québec ne dispose d'aucun pouvoir, que ce soit expressément par renvoi ou en vertu de ces pouvoirs inhérents pour accorder une telle permission.  L'abrogation de l'ancien article 93 prévoyait une telle permission spéciale, et son remplacement par une disposition expresse prévoyant la déchéance du droit d'appel indique que l'intention du législateur ne peut être autre que de refuser qu'une telle permission puisse être accordée."

(Soulignement du tribunal)

[64]            Cette décision devait faire l'objet d'une requête en révision judiciaire, et le juge François Bélanger de la Cour supérieure la rejetait le 26 novembre 2003[10].

[65]            Le 15 septembre 2004[11], la Cour d'appel donnait raison au juge Bélanger de ne pas être intervenu dans la décision du juge Bourduas, notamment dans l'optique où ce dernier avait tenu compte, entre autres, de:

"[…] son impossibilité de proroger le délai d'appel qui, en vertu de l'article 93 de la loi, en est un de déchéance, selon sa rédaction actuelle; […]"

[66]            Le juge Paul Chaput de la Cour supérieure du Québec a eu l'occasion, lui aussi, en 2001, de se pencher sur une question semblable.  Il devait alors indiquer[12]:

"61  Lorsque la loi indique une formalité impérative et déclare la déchéance du droit en cas de défaut, il n'est plus possible de remédier.

[…]

65  Évidemment, aux termes de l'article 523 C.p.c., la Cour d'appel peut, dans certaines circonstances, proroger un délai d'appel.

66  Mais, il n'y a pas de telle disposition en cas d'appel de décisions de la Régie.  Au-delà de 30 jours, il y a la déchéance du droit."

[67]            Le soussigné est entièrement d'accord avec ce qui précède, et d'avis qu'il n'aurait pas été possible au juge Abud de prolonger le délai prévu à l'article 93 de la Loi sur la Régie du logement, même si une preuve d'impossibilité d'agir de la partie appelante lui avait été soumise, ce qui n'est de toute façon pas le cas.

[68]            Pour tous ces motifs, la requête en révision judiciaire se doit-elle d'être rejetée.

[69]            PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[70]            REJETTE la requête en révision judiciaire;

[71]            LE TOUT, avec dépens.

 

 

__________________________________

JACQUES BABIN, J.C.S.

 

MES PÉRIGNY, BEAULIEU & ASS.

(Me Léopold Vézina)

Procureurs de la demanderesse

 

MES SIMARD, BOIVIN, LEMIEUX

(Me Patrice Gobeil)

Procureurs de la première mise en cause

 

Date d’audience :

14 décembre 2005

 



[1]    Office municipal d'habitation de Pointe-Claire c. Dorothy Coulombe & als, REJB 1999-14363

[2]    Cité de Pont Viau -c- Gauthier Mfg. Ltd. [1978] 2 S.C.R. 516

[3]    Voir supra, note 2, p. 7

[4]    Construction Gilles Paquette Ltée c. Les Entreprises Végo Ltée, AZ-97111061 (C.A.)

[5]    Voir supra, note 2, 7

[6]    Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Editions Thémis, 1999, p. 350

[7]    R. c. Multiforme Manufacturing co, [1990] 1 R.C.S. 624, p. 630

[8]    Murielle Gaboury c. Gilberte Kotto & al., C.Q. Montréal, 500-80-000071-028, 23 septembre 2002, j. Dionne;  Mario Salomon -et- Marie-Yves Lafleur c. Éric Thouin -et- Marie-Anne Joachmin, C.Q. Laval, 540-02-012659-018, 12 septembre 2001, j. Landry;  Centre Place L'Acadie & als c. Fadi El-Ariss, C.Q. Montréal, 500-80-001307-033, 2 juillet 2003, j. Bourduas;  Lucille Laberge Reid c. Les Jardins Laverdure Senc, CQ. Beauharnois, 760-80-000173-030, 22 septembre 2003, j. Villeneuve

[9]    Centre Place L'Acadie & als c. Fadi El-Ariss, C.Q. Montréal, 500-80-001307-033, 2 juillet 2003, j. Bourduas

[10]   Centre Place L'Acadie c. Cour du Québec du district de Montréal, C.S. Montréal, 500-17-016529-037 & als, 26 novembre 2003- AZ-50208981 -BE 2004 BE-167, j. Bélanger, J.C.S.

[11]   Centre Place L'Acadie & al. c. La Cour du Québec du district de Montréal -et- L'Honorable Jean-Pierre Bourduas, C.A. Montréal, 500-09-014075-030, 15 septembre 2004, j Delisle, Dalphond & Hilton

[12]   Université de Montréal c. Cour du Québec & als, REJB 2001-24418

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.