Modèle de décision CLP - juillet 2015

Lessard et CISSS de la Gaspésie - réseau local de la Côte-de-Gaspé

2016 QCTAT 3718

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

572076-01B-1504

 

Dossier CNESST :

143186583

 

 

Gaspé,

le 16 juin 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Louise Desbois

______________________________________________________________________

 

 

 

Jacques Lessard

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

CISSS de la Gaspésie - réseau local

de la Côte-de-Gaspé

 

Partie mise en cause

 

 

 

et

 

 

 

Commission des normes, de l'équité,

de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 27 avril 2015, monsieur Jacques Lessard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 avril 2015 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 mars 2015 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 27 novembre 2014 et n’a pas droit aux prestations prévues à la loi.

[3]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[4]           De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.

[5]           Lors de l’audience tenue le 8 janvier 2016, le travailleur est présent et accompagné de sa procureure, madame Gina Pelletier est présente pour l’employeur qui est également représenté par sa procureure, alors que la Commission a préalablement avisé le Tribunal de son absence. Le dossier est mis en délibéré le 23 mars 2016, soit lors de la réception des derniers documents attendus des procureures.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           Le travailleur demande de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le ou vers le 27 novembre 2014.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le travailleur, actuellement âgé de 47 ans, allègue avoir subi une lésion professionnelle psychique le ou vers le 27 novembre 2014 dans l’exercice de son travail de technicien en hygiène du travail.

[8]           Dans la réclamation à la CSST qu’il signe le 11 février 2015, le travailleur résume ainsi les circonstances ayant donné lieu à cette lésion : « Diagnostique de troubles anxieux dû à du harcèlement psychologique et agression verbale au travail ». [sic]

[9]           Incidemment, le Tribunal constate que sur l’attestation médicale contemporaine du 10 février 2015, le médecin ayant charge du travailleur pose en fait un diagnostic de « trouble anxieux exacerbé par harcèlement au travail » [notre soulignement].

[10]        Dans les documents relatifs à l’assurance-salaire, le médecin du travailleur indique un diagnostic principal de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse, le diagnostic secondaire indiqué étant celui de trouble anxieux.

[11]        Le dossier révèle que le travailleur s’est absenté du travail pendant plusieurs semaines au printemps 2011, puis en 2012, pour dépression majeure, le travailleur reliant ces épisodes à un contexte de conflits au travail.

[12]        Le 20 février 2015, à la question de la CSST à savoir s’il vit une telle situation pour la première fois, le travailleur répond négativement, ajoutant ce qui suit :

Situation conflictuelle avec mon collègue médecin. Plainte à mon employeur pour arcèlement psy. Les détails du dossier ne peuvent être divulgués dû à un conflit avec mon employeur suite à cela, procédures de grief, d’arbitrage et lettres d’entente m’interdisant de divulguer les détails. [sic]

 

[13]        À l’époque concernée, le bureau du travailleur est situé à Sainte-Anne-des-Monts, avec celui d’une collègue infirmière, afin de faciliter la desserte des entreprises de cette région. L’essentiel de l’équipe est quant à lui situé à Gaspé et à Murdochville.

[14]        Les bureaux occupés par le travailleur et sa collègue de travail sont situés dans une aile du pavillon Lamontagne où cohabitent différents organismes communautaires. Ils sont plus particulièrement partagés avec le Centre d’action bénévole pour lequel travaillent le directeur, monsieur Jean-François Deroy, et ses employés. Une entente prévoit en outre notamment que le travailleur et sa collègue utilisent le photocopieur du Centre d’action bénévole pour un montant convenu entre les directions respectives.

[15]        Le Centre de santé et de services sociaux de la Haute-Gaspésie, à l’époque une entité distincte de l’employeur, est propriétaire de l’immeuble, dans lequel le centre administratif du Centre de réadaptation de la Gaspésie est le principal locataire et gestionnaire. Le directeur du Centre d’action bénévole a été désigné par le Centre de réadaptation comme responsable « du bon fonctionnement sur l’étage »  où travaille le travailleur, comme le rapporte ce dernier.

[16]        Dans l’annexe à sa réclamation, le travailleur résume comme suit les événements qu’il estime responsables d’une lésion professionnelle :

Le ou vers le 5 décembre 2014 le responsable d’étage ou je travail, M. Marc-Antoine De Roy, Directeur général du Centre d’action bénévole me fait venir à sont bureau pour m’interdire de parler à ma voisine de bureau Josée Ross qui est sont employée. Il dit que je la dérange. Puisqu’il s’agit de la troisième fois qu’il me fait venir à sont bureau depuis quelques temps (la première fois il m’avais dit de lui demander la permission avant de demander des informations à ses employer Céline ?? et Josée Ross pour le photocopieur. La deuxième fois il m’avais fait venir à sont bureau pour m’interdire de parler Sont employéee Céline car je la dérangais), je lui demande s’il fait la même intervention avec les autres travailleurs sur l’étage qui utilisent le photocopieur et demandent eux aussi des information sur sont fonctionnement à Céline et Josée et qui, eux aussi parlent avec elles. Il me dit que non et que eux c’est pas pareil. Alors je lui dit que je ne le prend pas vraiment et que je considère que je ne dérange pas plus c’est employés que les autres travailleurs sur l’étage. Je retourne à mon bureau, en clacquant la porte. Étant anxieu devant cette situation qui dure depuis plusieurs moi et qui m’isole des autres, je décide de sortir prendre une pause-café dehors. En sortant de mon bureau Marc-Antoine DeRoy m’attendait dans le corridors et ma crié” C’est quoi que tu a la! Té fâché à cause de ce que je t’ais dit!” Je lui ai dit “Laisse moi tranquille” en passant à côté de lui et je suis sorti.

 

Le lendemain je me suis excusé à M Deroy de lui avoir dit de me laisser tranquille et je lui ais dit que je ferai attention pour ne pas trop déranger Josée Ross et il a accepté mes excuses.

 

Le ou vers le 12 décembre 2014, puisque Josée Ross est mon amie et que nous partageons des activités communes, m’étant engagé à ne pas lui parler sur ses heures de travail, nous avons elle et moi prévue de dinner ensembles. Je suis arrêté devant sont bureau vers 11h30 pour lui demander ce qu’elle voulait pour dinner et si elle avait des haut- parleurs d’ordinateur et à ce moment M. DeRoy est arrivé en arrière de moi et ma dit agressivement devant Josée Ross” Cou dont toi, tu fais tu exprès pour me narguer à matin. On s’est pas parlé l’autre jours moi pis toi. En tout cas je commence à être à boute en christ moi” Puis est retourné dans sont bureau en clacquant la porte.

 

J’ais avisé ma conseillère syndicale de la situation et elle m’a dit d’attendre avant de faire une plainte pour arcèlement et agression verbale. Peut-être la situation se règlera quand la poussière sera retombée et si ça se dégrade nous aviserons.

 

À partir de ce moment (du 12 décembre au 19 décembre 2014) M Deroy ne ma plus adressé la parole ni regarder, il m’ignorait. J’ai apri par Josée Ross sont employé que M Deroy la fait venir à sont bureau pour la questionner sur moi lui demandant si elle savait des choses sur moi, lui disant qu’il était très déçu d’elle car elle était amie avec moi, que nous parlions de lui dans sont dos sur l’heure du midi, qu’il n’aimait pas ça et qu’il allait en parler à ses contacts pour voir quoi faire avec ça.

 

Le 19 décembre ma suppérieure immédiate Lovia Castilloux est venue me rencontrer et ma apprie que M Deroy avais demandé au Directeur Général du CSSS de la Haute-Gaspésie, auquel nous louons nos locaux, qu’il me trouve des locaux ailleurs et que je quitte les lieux. Mme Castilloux m’a également aprie que M Deroy avait mit tout les directeurs du Centre de réadaptation et CSSS à Sainte-Anne-des-Monts au courrant de la situation. Madame Castilloux a organisé une rencontre de consiliation avec M. Deroy et le président de sont CA M.Masson pour mercredi 7Janvier 2015 au retour des vacances des fêtes.

 

Je suis revenue de vacances le lundi 5 janvier 2015. Le 7 au matin n’ayant pas de nouvelles de Mme Castilloux pour la rencontre je l’ais appelé et elle me dit qu’elle a laissé des messages sur la boite vocale de M De roy à sont bureau et sur sont cellulaire et qu’il ne retournait pas ses appels. Jais informé Mme Casrtilloux que M Deroy était présent à sont bureau sur l’étage lundi le 5, mardi le 6 et, aussi pendant que je lui parlais ce mercredi. Mme. Castilloux me dit qu’elle laissait à M Deroy jusquà jeudi PM pour lui retourner sont appel.

 

Jeudi après midi 8 janvier 2015 je n’avais pas de nouvelles de Mme Castilloux pour la rencontre de règlement de confli. M. Deroy ne retournait pas les appels de Mme Castilloux, et il est aller me déconsidérer, discrédité auprès Lilianne ?? une autre de ses employée et ma voisine de bureau en allant lui dire à sont bureau qu’il ne pouvait pas concevoir que Josée Ross soit amie avec moi.

 

M. Deroy m’ignorait toujours depuis le 12 décembre 2014 et quand je suis passé devant sont bureau l’après-midi du jeudi 8 janvier 2014 pour aller la pause-café il était debout à la porte de sont bureau ma regarder avec un sourire condessandant en ochant la tête. J’ais dit “Toi viens pas dire salut en plus” Il a commencé à dire au autres travailleurs sur l’étage “Avez-vous entendu ce qu’il m’a dit” à ce moment ‘e suis revenu dans le corridors. Il n’était plus la j’ai dit “Tu est ou p’ti chris.” Il était dans le local de photocopie. Je lui ais dit “ Quest-ce que tu est en train de faire, tu veux me faire mettre dehors d’ici et tu a informé tout les directeurs autour?” il s’est avancé vers moi moi tête haute et d’un air arrogant et agressif et m’a dit “ Ha ouais j’ais fait ça moi” je suis retourné dans mon bureau. Suite à cela ma supérieurre immédiate a rencontré le président du CA de M Deroy plus de conciliation possible je dois quitter les lieux et nais plus le droit d’y aller. J’ai esseyé de travailler à la maison mais l’angoisse, le mal être, la panique face à cette situation dramatique pour mon travail, ma réputation et mon intégrité m’a amener à consulter mon médecin de famille et arrêter de travailler.

 

[sic]

 

 

[17]        La psychiatre rencontrée par le travailleur le 25 février 2015 à la demande de son médecin rapporte ainsi les propos du travailleur quant aux événements qui seraient responsables de sa condition psychique :

[…] Malheureusement a partir de janvier 2014, le DG responsable de l’étage (Centre d’Action bénévole) aurait eu à répétition des conduites vexatoires à son égard et des comportements hostiles et dénigrants, créant un milieu de travail néfaste et toxique. Dira avoir essayé d’être conciliant mais lorsque celui-ci l’a nargué avec un sourire interprété comme sarcastique, s’est senti provoqué et a perdu le contrôle de ses paroles. « je lui ai dit, t’es un petit crisse, t’es en train d’essayer de me faire mettre dehors d’ici, il s’est avancé vers moi, tête haute, m’a affronté et dit A ouais, j’ai fait ça ». Rapporte qu’à cause de cet incident et des tensions n’est plus (illisible) processus de conciliation. A essayé de travailler de chez lui mais est trop ébranlé émotionnellement, est donc en congé maladie depuis le 26/01. A été offert d’aller à Murdochville mais a refusé et a remis cela entre les mains de son conseiller syndical mais M. Lessard préférerait trouver 1 terrain d’entente et retourner au travail à Ste Anne où ses activités sociales et de loisir se trouvent.

[…]

Imp Dx à l’Hx [impression diagnostique à l’histoire] d’éléments compatibles ᾱ [avec] du harcelement psychologique (illisible) (interdiction de parler au personnel, isolement, déstabilisation…)

[…] [sic]

 

[nos soulignements]

 

[18]        Le 4 septembre 2015, le docteur Michel Brochu, psychiatre, évalue le travailleur à la demande de l’employeur. Les faits lui sont alors décrits comme suit par le travailleur :

Questionné sur les circonstances

 

Questionné sur les circonstances de l’arrêt de travail du mois de juillet 2015, monsieur revient sur les événements survenus en 2007 alors qu’il avait connu des problèmes importants avec un médecin conseil avec qui il avait à travailler. Monsieur dira que cette situation s’est détériorée au point où il y a même eu des démarches judiciaires au niveau criminel. Monsieur a été totalement blanchi et finalement le médecin en question a démissionné. Monsieur a toutefois été fort ébranlé, nous dit-il, de toute cette histoire et après entente avec son employeur, il a pu reprendre le travail à l’été 2013. Il a été attitré au bureau de Sainte-Anne-des-Monts où il habite. Il s’est installé, nous dit-il, sur un étage où différents organismes ont leur bureau. Le retour au travail s’est globalement bien déroulé.

 

Toutefois les problèmes sont survenus non pas avec ses collègues immédiats de travail, mais bien avec une personne en charge d’un bureau pour un autre organisme sur le même étage. Cette situation s’est envenimée de façon importante. Monsieur rapportera que l'individu en question a tenu des propos diffamatoires à son endroit. Monsieur a d’abord avisé son syndicat, puis par la suite ses supérieurs. Il devait y avoir une rencontre avec l’individu en question ainsi qu’avec la supérieure et Monsieur Lessard. Toutefois, cette rencontre qui devait se tenir en janvier 2015 n’a pas eu lieu puisque l'individu en question, selon ce qu’a compris monsieur, n’a pas donné suite aux démarches pour confirmer cette rencontre.

 

Par la suite, il y a eu à nouveau confrontation avec cet individu sans toutefois qu’il n’y ait de coup échangé. Monsieur dans le contexte a déposé une plainte pour harcèlement auprès de la CSST. Son employeur l’a avisé qu’il était déplacé à partir de janvier 2015, d’abord à la maison, puis à Murdochville. Monsieur dira qu’il s’est senti isolé dans ce nouveau lieu de travail et qu’il est devenu émotif. Il comptait beaucoup sur une enquête qui aurait pu le blanchir face à l’individu en question, mais cette enquête, selon ce qu’il nous rapporte, n’a jamais eu lieu. Il a donc vu son médecin qui, à l’époque, l’a placé en arrêt de travail jusqu’en mai. Il a repris le travail en mai sans véritablement se sentir prêt. En effet, son médecin traitant l’aurait d’une certaine façon, nous dit-il, « forcé à reprendre le travail ».

 

Il y a eu à nouveau arrêt de travail en juillet lorsqu'il s’est présenté à l’urgence puisqu’il était dans le même état. Sa nouvelle supérieure aurait eu une discussion avec lui dans lequel monsieur dira ne pas s’être senti appuyé.

 

[nos soulignements]

 

[19]        Le docteur Brochu conclut son expertise psychiatrique sur l’impression diagnostique suivante :

Axe I          • Monsieur Jacques Lessard a possiblement présenté un trouble d’adaptation qui est toutefois actuellement résolu;

• Abus et dépendance à I'aIcooI en rémission prolongée depuis maintenant onze ans.

 

Axe Il         Traits de personnalité du groupe B.

 

Axe III        Non contributoire.

 

Axe IV        Stresseurs: • Situation professionnelle décrite.

 

Axe V         Niveau de fonctionnement actuel d’un strict point de vue psychiatrique: 75

 

[20]        Le 18 novembre 2015, le travailleur est évalué par le docteur Denis Jobidon, également psychiatre, toujours à la demande de l’employeur. L’évolution du dossier et la perception du travailleur sont alors rapportées comme suit par le médecin :

Monsieur Lessard est en arrêt médical depuis janvier 2015, me dit-il. Il y a eu essai de retour au travail en avril 2015 avec un nouvel arrêt de travail en juillet 2015, si ma compréhension est juste des explications offertes. Il n’y aurait eu qu’une seule demi-journée de présence au travail en octobre 2015 et un nouvel arrêt de travail sur recommandations du docteur René Lavigueur, son médecin de famille depuis une période imprécise, de même que sur recommandations du psychiatre Viviane Lew, psychiatre, pour « harcèlement au travail... », me dira monsieur dans ses mots.

 

Prise en charge médicale actuelle: Monsieur m’indiquera être plus ou moins en rupture avec le docteur Lavigueur, en raison de propos mensongers et diffamatoires ayant été émis par le Bureau de santé à son égard, me dit-il, ayant contribué à briser sa crédibilité auprès de son médecin traitant, dit-il.

 

[…]

 

-         Aujourd'hui monsieur Lessard me dira qu'il n'a jamais souffert de dépression auparavant au cours de sa vie. Il omettra de me mentionner les antécédents psychiatriques décrits au dossier soumis.

 

[…]

 

SYMPTOMATOLOGIE ACTUELLE ET ÉVOLUTION DE LA SYMPTOMATOLOGIE

 

Questionné sur son état actuel, spontanément monsieur Lessard rapportera être « tanné d’être harcelé... ». Monsieur éprouve de la colère face à un individu qui l’a fait expulser de son bureau où il était à Ste-Anne-des-Monts. Monsieur Lessard prendra plusieurs minutes de la rencontre pour me décrire le contexte de son travail. Je comprendrai des explications offertes par monsieur Lessard qu’il occupait un bureau au même étage que différents autres organismes communautaires. Il y a eu conflit de voisinage. Je comprendrai des explications offertes que le directeur d’un organisme voisin estimait qu’il dérangeait trop et il s’en est plaint aux autorités. Monsieur aurait été blâmé et déplacé. Monsieur rapportera plusieurs vexations alors que des explications offertes, je comprendrai qu’il dérangeait continuellement les employés travaillant pour d’autres organisations et que les autorités s’en sont plaintes: « Ça a mal viré... », dira-t-il. Il y a donc eu conflit de voisinage au sujet duquel monsieur fera une réclamation à la CSST pour une raison qui nous échappe complètement. Cette réclamation n’a pas été retenue. Je comprendrai des explications offertes par monsieur Lessard que son employeur l’a déplacé d’abord à Murdochville où il y aurait eu de nouveaux problèmes, puis, à un autre endroit où il n’aurait fait qu’une demi-journée.

 

[nos soulignements]

 

 

[21]        Le docteur Jobidon conclut son rapport d’expertise sur l’impression diagnostique ainsi que sur les réponses suivantes aux questions de l’employeur :

Axe I :              Aucun diagnostic psychiatrique.

                       Troubles professionnels.

                       Alcoolisme grave en rémission rapportée depuis cinq ans.

 

Axe II :             Trouble de personnalité à caractéristiques mixtes (diagnostic principal).

 

Axe III :             Perte de poids liée à un changement important des habitudes alimentaires.

 

Axe IV :            Conflits de voisinage au travail.

                       Trouble de personnalité et problèmes conflictuels inhérents.

 

[…]

 

- La personne salariée pourra-t-elle maintenir dans un avenir prévisible une prestation de travail normale et soutenue à son poste de technicien en hygiène au travail, sans risque de rechute / récidive à moyen long terme?

 

Monsieur ne présente pas de pathologie psychiatrique diagnostiquée aujourd’hui. Il présente un trouble de personnalité sérieux, lié aux problèmes relationnels dans lesquels il s’empêtre à répétition. L’employeur peut s’attendre à ce que cela recommence.

 

            - S’agit-il d’un facteur endogène ou exogène lié à la maladie?

 

Absence de maladie.

 

Trouble de personnalité.

 

- Dans l’éventualité où vous êtes arrivé à la conclusion d’un pronostic réservé, estimez-vous qu’un accommodement de la part de l’employeur pourrait modifier votre pronostic? Si oui, quelles sont vos recommandations?

 

Encadrement administratif étroit du sujet.

 

[nos soulignements]

 

 

[22]        Lors de l’audience, le travailleur et madame Lovia Grenier-Castilloux, maintenant retraitée, mais à l’époque directrice des ressources humaines chez l’employeur, sont entendus.

[23]        La trame factuelle qui ressort de façon prépondérante de la preuve, et est d’ailleurs pour l’essentiel décrite par le travailleur, est la suivante :

-       Il est essentiellement question de relations s’étant dégradées entre le travail-leur et le directeur d’un organisme (monsieur Deroy) occupant l’essentiel de l’étage des bureaux également occupés par le travailleur et sa collègue infirmière;

-       Le chef d’équipe du travailleur et de sa collègue est quant à lui à Gaspé avec d’autres employés de l’équipe qui compte également du personnel à Murdochville;

-       Monsieur Deroy est officiellement responsable du bon fonctionnement sur l’étage;

-       Au cours de l’année 2014, monsieur Deroy convoque le travailleur trois fois à son bureau, à quelques mois d’intervalle, pour lui demander de ne plus déranger ses employées de soutien pendant leurs heures de travail;

-       En novembre 2014, monsieur Deroy appelle madame Grenier-Castilloux pour l’informer de la situation. Madame Grenier-Castilloux lui dit qu’elle réfère le tout à madame Boulay qui est la chef de programme. Elle en discute avec cette dernière et lui demande de rencontrer le travailleur et sa collègue de travail pour obtenir leurs versions et voir ce qui doit être fait. Madame Boulay quitte cependant le travail pour maladie rapidement, à la fin du mois, avant d’avoir eu le temps de faire quelque chose;

-       Lors de la troisième rencontre qui a lieu au bureau du directeur vers la fin de novembre ou le début de décembre 2014, le travailleur comprend de sa discussion avec ce dernier qu’il serait le seul visé par cette demande, alors que d’autres jasent à son avis autant sinon plus que lui avec les employées en question, et plus particulièrement l’une avec laquelle il a développé une relation d’amitié;

-       Le travailleur témoigne du fait qu’il « ne le prend pas ». Il quitte le bureau de monsieur Deroy en colère, ne s’arrête pas lorsque celui-ci le suit en lui demandant ce qu’il a, et il entre dans son bureau, en claque la porte, et sa tasse de café se fracasse sur le sol (le travailleur déclare qu’elle est tombée accidentellement);

-       Le travailleur est tellement fâché qu’il décide de sortir et d’aller prendre un café dans un commerce à l’extérieur de l’édifice pour se calmer. Monsieur Deroy l’interpelle avant sa sortie, lui demandant ce qu’il a et s’il est fâché en raison de ce qu’il lui a dit. Or, monsieur Deroy a droit à une apostrophe de la part du travailleur : « Toi, laisse-moi tranquille! »

-       Le lendemain, le travailleur rencontre le directeur à l’ascenseur, s’excuse de son comportement de la veille et s’engage à faire attention de ne pas déranger la travailleuse à l’emploi de ce dernier;

-       Au début du mois de décembre, le directeur général du CISSS de la Haute-Gaspésie, propriétaire des locaux occupés par le Centre d’action bénévole ainsi que par le travailleur et sa collègue infirmière, appelle madame Grenier-Castilloux. Il l’informe alors avoir reçu un appel de son locataire monsieur Deroy évoquant la problématique avec le travailleur, le fait qu’il dérange ses employées, qu’il en a informé l’employeur de ce dernier, mais qu’il n’en a ensuite eu aucune nouvelle, que la situation ne s’améliore pas et qu’il souhaite donc le déplacement du travailleur ailleurs que sur l’étage que son organisme occupe;

-       Une semaine après l’événement précité (soit vers le 12 décembre, sans qu’il soit possible de statuer si cela survient avant ou après l’appel du directeur du CISSS à madame Grenier-Castilloux), monsieur Deroy voit encore le travailleur en train de parler avec son employée pendant les heures de travail de cette dernière. Il lui dit alors : « Coudonc, fais-tu exprès pour me narguer? On s’était pas parlé tous les deux??! » avant de retourner dans son bureau. Dans ses déclarations écrites, le travailleur ajoutait que monsieur Deroy avait également dit : « En tout cas, je commence à être à bout en crisse, moi! »;

-       Le travailleur allègue qu’à partir de ce moment, son amie à l’emploi de monsieur Deroy lui dit craindre pour son emploi du fait de sa relation avec lui et lui rapporte nombre de faits négatifs à propos du directeur qui n’apprécierait pas le travailleur ni le fait qu’elle le côtoie. Le travailleur déclare finalement que cette amie se serait de ce fait éloignée de lui;

-       À partir de là, monsieur Deroy évite ou ignore quant à lui le travailleur;

-       Le travailleur veut alors déposer une plainte contre monsieur Deroy pour harcèlement;

-       Environ une semaine après le dernier événement précité, madame Grenier-Castilloux appelle le travailleur et lui dit qu’elle souhaite le rencontrer, avec sa collègue infirmière;

-       Lors de cette rencontre, qui a lieu rapidement (vers le 19 décembre), il est précisément question du climat et des relations sur l’étage et le travailleur a l’occasion de donner sa version des événements, tout comme sa collègue de travail, témoin d’au moins une partie de ce qui peut se passer sur les lieux;

-       Madame Grenier-Castilloux dit au travailleur qu’elle va organiser une rencontre avec monsieur Deroy pour résoudre le conflit, ayant confiance dans le succès de la démarche;

-       Le travailleur évoque le fait qu’il a l’intention de déposer une plainte pour harcèlement, mais que madame Grenier-Castilloux lui dit que « cela ne donnera rien », que « l’on n’ira nulle part avec ça »;

-       Madame Grenier-Castilloux dit également au travailleur qu’elle intervient à la suite d’un appel du directeur du CISSS de la Haute-Gaspésie (propriétaire des locaux loués) qui l’a informée du problème, en ayant lui-même été informé par monsieur Deroy. Le travailleur déclare que madame Grenier-Castilloux ajoute que monsieur Deroy a demandé que le travailleur soit relocalisé ailleurs;

-       Le travailleur aurait souhaité que la rencontre de conciliation ait lieu avant la période des Fêtes, mais il reste très peu de temps et monsieur Deroy demande qu’elle ait lieu au retour du congé. Madame Grenier-Castilloux dit au travailleur que tout le monde va se reposer et se reparler plus calmement après la période des Fêtes;

-       Le travailleur déclare qu’il ne se sent pas bien du tout pendant la période des Fêtes, qu’il est resté seul chez lui, qu’il n’est pas allé dans sa famille à Chicoutimi, qu’il pensait continuellement à ces événements et au fait que monsieur Deroy avait donné sa version des faits à beaucoup de monde, dont des directeurs, etc.;

-       Le travailleur croit que la rencontre devait avoir lieu le mardi au retour du congé, il appelle madame Castilloux, elle lui dit qu’elle n’a pas eu de nouvelles encore de monsieur Deroy, qu’elle lui a laissé des messages. Le travailleur lui dit que le travailleur est pourtant au bureau et il ne comprend manifestement pas pourquoi il n’a pas déjà rappelé celle-ci. Celle-ci déclare lors de l’audience qu’il était question d’une rencontre rapidement au retour, mais pas nécessairement le premier jour ou au début de la semaine;

-       Le travailleur déclare apprendre que monsieur Deroy aurait dit à une autre de ses employées ne pas comprendre que l’une d’entre elles soit son amie;

-       Le jeudi, le travailleur sort de son bureau pour aller prendre sa pause. Monsieur Deroy est appuyé sur son cadre de porte et le travailleur doit passer devant lui pour se rendre à sa pause. Le travailleur déclare : « Il me regarde m’en venir, me dévisage, fait un petit sourire-salut… Je lui dis : « Toi, fais-moi pas salut en plus!!! »;

-       Le travailleur dit ne pas entendre la réponse de monsieur Deroy, puis être revenu sur ses pas, l’avoir cherché (monsieur Deroy n’était plus près de sa porte) et avoir dit : « Tu es où, petit crisse??? »;

-       Le travailleur voit monsieur Deroy dans la salle de photocopie et lui dit : « Qu’est-ce que tu es en train de faire? Tu veux me faire mettre dehors d’ici et tu as informé tous les directeurs autour??? »;

-       Le travailleur déclare que monsieur Deroy s’avance alors vers lui la tête haute et lui répond : « Ah! Ouais, j’ai fait ça, moi… », puis qu’il retourne quant à lui dans son bureau et appelle madame Grenier-Castilloux qui lui dit qu’elle va tenter d’obtenir la tenue de la rencontre le plus rapidement possible;

-       La tenue d’une rencontre est alors rapidement convenue pour le lendemain, mais madame Grenier-Castilloux déclare que l’attitude de monsieur Deroy a beaucoup changé depuis les événements de la veille et qu’il est maintenant question que le président de son conseil d’administration soit présent à la rencontre;

-       Le travailleur déclare que madame Grenier-Castilloux s’entretient avec lui avant la rencontre et lui rappelle qu’il a « un passé », lui demande de faire attention, de la laisser parler, de « garder ses mains dans ses poches » et lui dit qu’il a sacré après monsieur Deroy et a fortement diminué les chances de succès de la conciliation;

-       Le travailleur se dit en désaccord, alléguant que monsieur Deroy aussi a sacré précédemment en s’adressant à lui;

-       Le travailleur et madame Grenier-Castilloux se rendent dans la salle de rencontre où se trouvent monsieur Deroy et le président de son conseil d’administration. Ce dernier déclare alors immédiatement que le contexte a changé, qu’il n’y a plus de possibilité de conciliation après ce qui est survenu la veille et il demande que monsieur Deroy et le travailleur quittent la salle séparément, l’un après l’autre, et que la rencontre ne se fasse qu’entre lui et madame Grenier-Castilloux;

-       Madame Grenier-Castilloux s’entretient alors avec le président du conseil d’administration qui lui fait part du fait que monsieur Deroy a peur du travailleur, qu’il a même communiqué avec un policier pour obtenir des informations et qu’il est impératif que le travailleur soit retiré de ce lieu de travail;

-       Madame Grenier-Castilloux convient alors de retirer temporairement le travailleur du milieu de travail jusqu’à ce qu’une solution plus permanente soit trouvée;

-       Madame Grenier-Castilloux rencontre ensuite le travailleur et lui annonce le tout. Le travailleur déclare avoir l’impression d’être puni, mais madame Grenier-Castilloux lui suggère de voir les choses autrement : il y a eu des propos inappropriés échangés avec le directeur du principal et plus ancien locataire des locaux et le travailleur est mis à l’abri temporairement pour éviter qu’il ne survienne d’autres incidents, avant que l’on ne décide de ce qui peut être fait;

-       Madame Grenier-Castilloux suggère au travailleur de profiter du programme d’aide aux employés parce qu’il est manifestement très tendu;

-       Il est ensuite question de la relocalisation temporaire du travailleur pour la poursuite de son travail. Selon madame Grenier-Castilloux, elle suggère au travailleur de travailler à Murdochville où se trouve déjà une partie de l’équipe et où il y a des locaux disponibles, précisant que le travailleur voyagerait (environ une heure de déplacement pour s’y rendre) sur ses heures de travail. Le travailleur évoque cependant un problème avec sa voiture et demande de travailler chez lui en attendant que ce soit réglé, ce qui lui est alloué. Il demande ensuite de travailler seulement à mi-temps, ce qui lui sera également accordé. Le travailleur déclare quant à lui qu’il aurait immédiatement été question qu’il travaille chez lui, et qu’il lui aurait uniquement été offert par la suite de travailler à Murdochville, son problème de voiture ayant effectivement alors été souligné;

-       Le travailleur déclare se sentir alors « tassé » et « dénigré ». Lors de l’audience, il se plaint que chaque fois qu’il y a une rencontre, il ne peut s’exprimer. Interrogé quant à ces rencontres, il s’avère qu’il réfère finalement à la rencontre précitée avec les gens du Centre d’action bénévole, qui a été très brève dans les circonstances, et il déplore le fait que les autres discutent sans lui de la situation, « comme si je ne faisais pas partie de ça… »;

-       Madame Grenier-Castilloux souligne qu’elle demande alors au travailleur de ramasser tout ce dont il a besoin au bureau pour pouvoir effectuer son travail à l’extérieur et que s’il oublie quelque chose sa collègue pourra toujours le lui apporter. Elle précise qu’en janvier le travailleur doit essentiellement rédiger son rapport annuel relatif à l’année précédente et qu’il n’a donc besoin que de son ordinateur et de quelques documents, sans plus;

-       Le travailleur reconnaît qu’en janvier, il devait terminer son bilan de l’année 2014 et monter sa planification pour 2015. Lorsqu’il lui est demandé ce dont il avait besoin pour ce faire, il répond qu’il avait besoin de son ordinateur et de son agenda, c’est tout. Il ajoute cependant qu’il avait peine à travailler parce qu’il était trop bouleversé et pleurait régulièrement;

-       Monsieur Deroy communique avec madame Grenier-Castilloux vers la fin de janvier pour l’informer que le travailleur est revenu au bureau. Madame Grenier-Castilloux appelle immédiatement le travailleur pour lui rappeler qu’il ne doit pas retourner sur les lieux de travail et lui demander de remettre ses clés. Le travailleur déclare que cela a été très difficile pour lui et a précipité le déclin déjà commencé de sa condition psychique;

-       Le travailleur allègue qu’il était retourné au bureau pour aller chercher son ordinateur et qu’il en a profité pour accomplir quelques autres tâches. Or, son ordinateur est son principal outil de travail et ce n’est que vers la fin du mois qu’il retourne au bureau, soit environ deux semaines après son départ des lieux;

-       Le dernier jour travaillé par le travailleur est le 26 janvier 2015.

[24]        Le Tribunal doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le ou vers le 27 novembre 2014 ou, en d’autres termes, si le trouble anxieux exacerbé ou le trouble d’adaptation avec humeur anxieuse diagnostiqués en février 2015 constituent une lésion professionnelle.

[25]        La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[26]        Il n’est en l’occurrence aucunement question de la survenance d’une maladie professionnelle ou d’une récidive, rechute ou aggravation. Demeure la possibilité que le travailleur ait été victime d’un accident du travail, ce que sa procureure plaide effectivement.

[27]        La notion d’ « accident du travail » est quant à elle ainsi définie dans la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

 

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[28]        La preuve devant être faite par le travailleur implique donc celle de trois éléments :

-       La survenance d’un événement imprévu et soudain;

-       Par le fait ou à l’occasion de son travail;

-       La relation entre cet événement et sa lésion.

[29]        La procureure du travailleur a déposé de la jurisprudence sur laquelle le Tribunal reviendra, aucune n’ayant par ailleurs été déposée par la procureure de l’employeur.

[30]        Une revue de la jurisprudence[3] révèle que les principes suivants sont bien établis en ce qui concerne plus particulièrement l’appréciation de la survenance de lésions psychiques, qu’elles soient alléguées être survenues par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail ou constituer une maladie professionnelle :

1o    La loi n’établit pas de distinction entre les lésions physiques et les lésions psychiques, lesquelles doivent par conséquent être abordées de la même façon[4];

2o    Le travailleur ne bénéficie pas de présomption légale de lésion professionnelle :

        La présomption édictée à l’article 28 de la loi ne vise en effet que la survenance d’une blessure, ce qui, en vertu d’une jurisprudence à peu près unanime, ne s’applique pas à une lésion psychologique[5];

        La présomption édictée à l’article 29 de la loi ne vise quant à elle que les maladies énumérées dans l’annexe I de la loi, laquelle ne réfère à aucune lésion psychique[6];

3o    La preuve des éléments constitutifs d’une lésion professionnelle, tant de l’accident du travail que de la maladie professionnelle, doit être faite par le travailleur, par prépondérance de preuve (pour une lésion psychique comme pour une lésion physique)[7];

4o    La preuve de l’événement imprévu et soudain ou des risques particuliers implique celle de leur caractère objectif. Il faut ainsi dépasser la perception, les attentes ou les exigences du travailleur, afin d’éviter de tomber dans le subjectif et l’arbitraire, et retrouver une situation qui puisse être objectivement traumatisante, soit qui déborde véritablement, objectivement, du cadre normal ou habituel de ce qui est susceptible de se produire au travail[8];

5o    Une succession d’événements qui, bien que pouvant paraître bénins lorsque considérés isolément, peuvent devenir significatifs du fait de leur superposition et être alors être assimilés à un événement imprévu et soudain[9];

6o    La preuve d’une condition personnelle préexistante et prédisposant à une lésion psychique n’empêche pas la reconnaissance d’une lésion psychique (ni d’une lésion physique) et n’en modifie pas les critères d’admissibilité. L’examen du caractère objectif des faits allégués constituer un événement imprévu et soudain ou constituer des risques particuliers de développer une maladie, ainsi que de leur relation avec la lésion diagnostiquée, sera cependant alors particulièrement rigoureux[10];

7o    La preuve de la relation causale entre l’événement, la suite d’événements ou les risques particuliers et la lésion psychique implique, comme dans le cas des lésions physiques, la prise en compte de la preuve médicale, de la concomitance entre les faits traumatiques et les symptômes, de la présence ou non d’une condition personnelle, du caractère plus ou moins traumatique de l’événement ou des risques allégués, ainsi que des facteurs de risque personnels[11];

8o    Si la principale cause des difficultés psychologiques du travailleur relève de sa personnalité, de son attitude ou de son approche du travail, il ne peut alors raisonnablement être établi de lien de causalité entre les faits en preuve et la lésion psychique et conséquemment à la survenance d’une lésion professionnelle[12].

[31]        Il va ainsi de soi que le fait pour un travailleur de se faire annoncer une réaffectation, une rétrogradation ou une sanction disciplinaire peut certainement être perçu comme traumatisant, imprévu et soudain par ce dernier. On ne saurait pour autant assimiler un tel événement à un accident du travail, à moins qu’il ne présente un caractère particulier (par exemple : des cris, des insultes de la part du supérieur hiérarchique ou l’inscription d’une telle décision dans un processus de harcèlement de ce dernier) : il s’agit en effet d’événements qui font en soi partie du cadre normal du travail et qui ne sauraient donner lieu à une indemnisation pour accident du travail du seul fait qu’un travailleur les perçoit comme traumatisants et souffre de problèmes psychiques en conséquence[13].

[32]        Il en va de même d’un travailleur particulièrement sensible qui développerait une lésion psychique du fait qu’un collègue de travail aurait formulé une critique à son endroit, aurait refusé de le remplacer sur un quart de travail, n’aurait pas suivi ses conseils ou recommandations, etc.[14] : le fait que le travailleur ait vécu un tel événement de façon traumatisante et ait développé en conséquence une lésion psychique n’en fait pas pour autant un accident du travail.

[33]        Le juge administratif Clément fait ainsi un survol de la jurisprudence en semblable matière dans la décision rendue dans l’affaire Gélinas et Min. Sécurité publique santé-sécurité[15] en 2003 :

[143]    Dans l’affaire Darveau et S.T.R.S.M8., la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) rappelait que les problèmes de relation de travail ne pouvaient constituer un accident du travail, pas plus que les inconvénients vécus par un travailleur dans son milieu de travail qui constituent plutôt des problèmes rencontrés normalement et habituellement sur le marché du travail.

[144]    Dans l’affaire Marcoux et C.S.S.T.9, la Commission d’appel rappelait que tout ce qui fait partie de l’expression d’un droit de gérance normal et prévisible par un employeur qui veille au bon fonctionnement de son entreprise ne constitue pas un événement imprévu et soudain.

[145]    Dans l’affaire Houle et Centres jeunesse de Montréal10, la Commission des lésions professionnelles rappelait qu’une réorganisation du milieu de travail, une modification de tâches y faisant suite et l’obligation d’un travailleur de s’adapter en conséquence constituent un phénomène normal et prévisible en milieu de travail. Le commissaire ajoutait qu’il ne suffisait pas d’invoquer qu’une atteinte psychique puisse être reliée au travail mais qu’il fallait également prouver l’accident de travail car si la Loi visait à indemniser toutes les situations qui surviennent en relation avec le travail, la définition de « lésion professionnelle » n’exigerait pas la présence d’un accident du travail et la définition de l’« accident du travail » n’exigerait pas la présence d’un événement imprévu et soudain.

[…]

[146]    Dans St-André et Tibotrac inc.11, la commissaire estimait que pour pouvoir conclure à la présence d’un événement imprévu et soudain, les éléments rapportés par le travailleur devaient s’éloigner suffisamment de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail. Un travailleur doit donc faire la preuve d’événements qui échappent au cours normal et prévisible des choses. Elle estimait dans cette affaire qu’une réorganisation du milieu de travail constituait un phénomène normal et prévisible.

[147]    Dans l’affaire Tremblay et Hydro-Québec12, la Commission des lésions professionnelles s’exprimait en ces termes :

La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il faut généralement exclure du champ d’une lésion professionnelle les problèmes normaux de relations du travail ou administratifs auxquels doit faire face tout travailleur. Le statut de salarié implique forcément certaines contraintes et il apparaîtrait quelque peu abusif d’assimiler à une lésion professionnelle la non-adaptation d’un travailleur à celles-ci. De même, certains gestes posés par l'employeur dans le cours normal de sa gestion sauraient difficilement être invoqués comme pouvant avoir des effets négatifs sur le psychique d’un travailleur au point qu’il faille l’associer à une lésion professionnelle si de tels gestes ne revêtent qu’un caractère administratif. À titre d’exemple, il apparaîtrait difficile de reconnaître à titre de lésion professionnelle la réaction négative d’un travailleur à l’annonce de la faillite de son employeur et, par conséquent, à la perte de son emploi.

Dans la présente affaire, M. Tremblay soutient que le fait que l'employeur ait brusquement mis fin à son emploi de localisateur de câbles souterrains le 14 novembre 1997, constitue l’événement imprévu et soudain qui a entraîné sa lésion psychique.

[…]

En somme l’événement visé doit plutôt s’apprécier dans le cadre général des relations du travail et de la gestion des ressources humaines où les décisions de gestion font partie de l’organisation générale du travail.

__________

8              [1993] C.A.L.P. 1397.

9                      [1996] C.A.L.P. 931, révision rejetée, C.A.L.P. 64179-60-9411, 24 février 1997, L. Boucher, révision rejetée, 5 septembre 1997, S. Moreau.

10                    C.A.L.P. 88368-60C-9705, 27 mai 1998, B. Lemay.

11                    C.L.P. 131548-72-0001, 18 mai 2002, F. Juteau.

12                    C.L.P. 101447-32-9806, 11 juin 1999, J.-G. Roy.

[nos soulignements]

 

 

[34]        En 2013, dans l’affaire Charron et Sonaca Canada inc.[16], la juge administrative Armand définit comme suit les éléments factuels qui peuvent être considérés comme débordant véritablement du cadre normal ou habituel de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail, plus particulièrement en ce qui a trait au droit de gérance de l’employeur :

[14]      Ces éléments doivent présenter un caractère objectif et dépasser la perception, les attentes ou les exigences d’un travailleur.  La situation doit déborder véritablement du cadre normal, habituel ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail6.

 

[15]      De plus, les éléments rapportés ne peuvent s’inscrire dans le cadre de l’usage normal du pouvoir de gestion de l’employeur à l’égard d’un employé7.  De même, les problèmes de relations de travail8, de difficultés relationnelles avec des collègues de travail et qui ne possèdent pas un caractère traumatisant et qui ne sortent pas du cadre normal et prévisible du travail9 et des conflits de personnalités, y compris avec un supérieur10, ne peuvent en soi constituer un accident du travail au sens de la Loi.  En soi, des propos désobligeants des collègues ne débordent pas le cadre normal du travail11.  Dans les cas de conflits de personnalité, on peut toutefois pousser l’analyse et se demander si les relations conflictuelles dépassent le cadre normal et prévisible du travail.

 

[16]      Cela dit, le droit de gérance confère un pouvoir de nature discrétionnaire à l’employeur dans la direction et le contrôle des activités de l’entreprise, ce qui lui permet une liberté d’action assez large.  Cette liberté inclut le droit à l’erreur tant que celle-ci n’est pas abusive ou déraisonnable.  Elle implique aussi une discrétion étendue dans l’imposition de règles, de procédures de travail, et l’évaluation du rendement des employés et le contrôle de la qualité du travail qu’ils accomplissent.  Ce n’est qu’en cas d’exercice déraisonnable du droit de direction qu’on peut parler d’abus de droit 12.

 

[17]      Vu le pouvoir discrétionnaire assez large de l’employeur conféré par l’exercice du droit de gérance, il a été souligné le fait suivant au sujet de ce droit et des erreurs possibles 13:

 

Dans ce contexte, l’employeur peut l’exercer avec fermeté et commettre des erreurs dans la mesure où cet exercice n’est ni abusif ou déraisonnable.

 

[18]      De plus, dans l’affaire Théroux et Sécurité des incendies de Montréal14, il avait aussi été souligné le fait qu’il faut aussi tenir compte du comportement du travailleur dans l’appréciation des gestes posés par l’employeur :

 

[73] De plus, le tribunal doit tenir compte dans son analyse, du comportement du travailleur. Bien que l’article 25 de la loi consacre que le régime d’indemnisation des lésions professionnelles est un régime de responsabilité sans faute, le tribunal doit tenir compte du comportement du travailleur non pas pour lui imputer une quelconque responsabilité, mais plutôt pour apprécier si les gestes ou actes posés par l’employeur correspondent à la conduite du travailleur.

 

[19]      Par ailleurs, un travailleur doit s’attendre à ce que l’employeur qui l’embauche exerce sur lui un droit de gérance qui comprend des exigences d’efficacité, de rendement, de discipline et d’encadrement.  Il doit aussi s’attendre à ce que leur non-respect devienne susceptible de mesures qui peuvent être appliquées à son égard si elles sont prises dans le respect des droits du travailleur et des lois et conventions en vigueur dans le milieu concerné15Une réaction d’angoisse ou de stress qui serait générée par l’exercice normal du droit de gérance et même l’octroi de mesures disciplinaires ne permettrait pas de qualifier de « harcèlement » un exercice normal du droit de gérance16.

__________

6              Chastenais et Joseph Ribkoff inc., C.L.P. 130096-73-0001, 19 juillet 2000, C.-A. Ducharme (00LP-49); Collin et Les Matériaux 3 C L ltée, C.L.P. 301647-01B-0610, 9 août 2007, L. Desbois.

7              Longtin et Ville de Longueuil, [2004] C.L.P. 149.

8              Darveau et STRSM, [1993] C.A.L.P., 1397.

9              St-Martin et Commission scolaire de la Capitale, C.L.P. 195077-31-0211, 30 septembre 2004, M. Carignan.

10             Lavoie et Hôpital d'Amqui, [1992] C.A.L.P. 228, révision rejetée, [1992] C.A.L.P. 200, requête en révision judiciaire rejetée, [1992] C.A.L.P. 298 (C.S.); Charland et Ministère de l'Environnement, C.L.P. 173919-04-0111, 22 mars 2004, A. Gauthier;  Aubin et 2950-8942 Québec inc., 280828-64-0601, 27 novembre 2008, J.-F. Martel.

11             Lavoie et Ville de Gatineau et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCLP 2057.

12             Centre hospitalier régional de Trois-Rivières et Syndicat des infirmiers et infirmières de Trois-Rivières, T.A., [2006] R.J.D.T., p. 397.

13             Research House inc. (Québec recherches) c. Denis, 2007 QCCS 1802.

14             C.L.P. 384834-63-0907, 26 janvier 2011, P. Bouvier.

15             Hallée et RRSSS Montérégie et CSST ( [2006] CLP 378), précitée note 2.

16             Verville et Messagerie ADP inc., C.L.P.176751-72-0201, 13 juin 2003, Anne Vaillancourt.

 

[nos soulignements]

 

[35]        Ainsi, l'exercice du droit de gérance de l'employeur et les réactions conséquentes du travailleur ne peuvent être assimilés à un événement imprévu et soudain suivant la jurisprudence, en ce sens qu’il ne faut pas confondre l'exercice du droit de gérance avec du harcèlement ou un accident, si les actions ou les gestes de l'administration sont posés dans le respect de l'individu, des lois et de la convention collective régissant les parties et ne peuvent être qualifiés d’abusifs, de  déraisonnables ou de discriminatoires.

[36]        Plus récemment encore, dans l’affaire G.G. et Compagnie A[17], la juge administrative Morrissette s’exprime comme suit sur la question :

[38]      Dans la détermination d’une lésion professionnelle de nature psychique, le fardeau de preuve demeure le même que celui requis lors de la détermination d’une lésion physique. En effet, la travailleuse doit démontrer par une preuve prépondérante que d’une part un événement imprévu et soudain est survenu par le fait ou à l’occasion du travail. D’autre part, la preuve doit être faite qu’il y a un lien entre les événements allégués et le diagnostic posé6.

 

[39]      La preuve du lien en question peut être de nature médicale7; la jurisprudence enseigne aussi que la question des antécédents ou d’une condition personnelle est souvent prise en compte dans l’analyse de la preuve8.

 

[40]      Au surplus, la jurisprudence9 rapporte que les faits en cause doivent dépasser le cadre normal du travail et revêtir un caractère objectif pour correspondre à la notion d’événement imprévu et soudain.

 

[41]      Dans la décision Longtin et Ville de Longueuil10, les critères retenus par la jurisprudence sont ainsi résumés :

 

[104] De manière générale, la jurisprudence a eu tendance à écarter tous les problèmes liés aux relations de travail, justement parce que ceux-ci ne pouvaient être considérés comme étant imprévisibles et soudains; comme le rappelle Me Lafond dans son étude :

 

L’exécution normale des tâches habituelles et les communications qui s’établissent dans le cours normal de l’exécution de celles-ci ne peuvent donner lieu à l’indemnisation des lésions psychologiques, à moins de circonstances exceptionnelles.

 

[105] Ces circonstances exceptionnelles, qui font échec au contexte normal des relations de travail, sont jugées au cas par cas par la jurisprudence et peuvent difficilement être appliquées, sans référence à la preuve particulière à chaque dossier. Selon l’étude de Me Lafond précitée6, la jurisprudence a toutefois clairement écarté les circonstances suivantes, parce que prévisibles dans un milieu normal de travail et relevant de l’exercice du droit de gérance par l’employeur :

 

-         le conflit de personnalité avec le supérieur immédiat66;

-         l’ordre d’un supérieur immédiat, auquel le travailleur refuse d’obtempérer67;

-         les avis disciplinaires verbaux ou écrits de l’employeur68;

-         la rencontre disciplinaire avec l’employeur portant sur les absences répétées du travailleur69, son indiscipline face aux directives de son contremaître, ou son manque de productivité70, ou encore son rendement qui ne correspond pas aux exigences du poste71;

-         le congédiement pour rendement insatisfaisant72;

-         l’évaluation du travailleur73 ou une surveillance accrue74;

-         la menace de mesures disciplinaires75;

-         l’hostilité et l’insubordination des hommes que le travailleur dirige76, le fait d’être impopulaire auprès d’eux77 ou de ses collègues78, ou de façon plus générale, les problèmes de relations interpersonnelles79;

-         la rétrogradation du travailleur80;

-         la répartition des tâches de travail81;

-         les événements entourant le renouvellement de la convention collective82.

-         Les tribunaux hésitent à reconnaître un lien causal entre le sain exercice du droit de gérance par l’employeur et une lésion psychologique concomitante83.

 

[notes omises]

 

[42]      Ainsi, les problèmes de relations de travail11, les difficultés relationnelles avec des collègues qui ne possèdent pas un certain caractère traumatisant et qui peuvent être compris dans un cadre normal et prévisible de travail12 ne sont généralement pas reconnus pour constituer un accident du travail. Il en va de même pour les conflits de personnalités, même ceux qui surviennent avec un supérieur13.

 

[43]      Pour ce qui est du caractère des faits, la jurisprudence indique qu’ils doivent être objectifs et graves. Ils ne doivent pas relever d’une perception purement subjective de la part d’un travailleur14.

 

[44]      Enfin, rappelons que dans l’affaire Boucher et Ministère Sécurité Publique15, le juge administratif indique avec justesse que le Tribunal n’a pas à décider si un travailleur a fait l’objet de harcèlement. Il a à décider si les faits allégués survenus au travail constituent des événements imprévus et soudains qui ont causé les diagnostics retenus.

_____________________

6           Rousseau et Centre hospitalier universitaire de Québec, C.L.P. 61205-31-9407, 11 juin 1999, J.-G. Roy.

7           Martin et Min. de la Solidarité Sociale, C.L.P. 135847-62-0004, 4 septembre 2001, S. Mathieu.

8           Jasmin et Comm. Scolaire Marguerite Bourgeois, C.L.P. 145846-71-0009, 9 avril 2001, P. Perron; Gélinas et Paroisse de St-Barnabé, C.L.P. 139601-04-0005, 2 mai 2001, S. Sénéchal.

9              Tremblay et Hydro-Québec, C.L.P. 101447-31-9806, 11 juin 1999, J.-G. Roy; Chastenais et Joseph Ribkoff inc., C.L.P. 130096-71-0001, 19 juillet 2000, C.-A. Ducharme; Lafrenière et Sodema (fermé), C.L.P. 141030-71-0006, 18 avril 2001, C. Racine.

10             [2004] C.L.P.149.

11          Darveau et STRSM, [1993] CALP 1397.

12             St-Martin et Commission scolaire de la Capitale, 195077-31-0211, 30 septembre 2004, M. Carignan.

13             Lavoie et Hôpital d'Amqui, [1992] C.A.L.P. 228, révision rejetée, [1992] C.A.L.P. 200, requête en révision judiciaire rejetée, [1992] C.A.L.P. 298 (C.S.) ; Charland et Ministère de l'Environnement, 173919-04-0111, 22 mars 2004, A. Gauthier; Aubin et 2950-8942 Québec inc., C.L.P. 280828-64-0601, 27 novembre 2008, J.-F. Martel.

14             Lalonde et Soc. Can. des Postes, C.L.P. 164596-63-0107, 22 janvier 2003, J.-M. Charrette.

15             2012 QCCLP 3501.

 

[nos soulignements]

           

[37]        Un événement imprévu et soudain ne peut donc s’inscrire dans l’usage normal et raisonnable du pouvoir de gestion de l’employeur à l’égard d’un employé ni résulter d’un conflit de personnalités ou de travail ne présentant rien d’exceptionnel dans le monde du travail[18].

[38]        Dans l’affaire Huot et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord[19], le juge administratif David rappelait lui aussi ces principes, plus particulièrement en ce qui concerne le droit de gérance de l’employeur, dans un contexte qui mérite plus particulièrement d’être rapporté eu égard à la preuve en l’instance:

[13]      Afin de faire reconnaître qu’il a été victime d’un accident du travail, le travailleur doit faire la démonstration au moyen d’une preuve prépondérante qu’il est survenu un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne une blessure ou une maladie. La notion commune d’événement imprévu et soudain, assimilable à celle d’accident, n’apparaît pas commode dans le cas d’une situation où il est allégué non pas un événement, mais plusieurs qui revêtent la forme généralement reconnue de harcèlement.

 

[14]      Depuis longtemps toutefois, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles ont analysé la notion d’événement imprévu et soudain en retenant qu’une série d’événements qui, considérés individuellement, sont à prime abord bénins ou anodins peuvent, par leur superposition, revêtir le caractère imprévu et soudain requis par la loi5. Ces événements doivent par ailleurs déborder du cadre normal, usuel ou prévisible des relations du travail6. Ainsi, ils ne peuvent s’inscrire dans l’usage normal du pouvoir de gestion de l’employeur à l’égard d’un employé7. Ils ne doivent pas non plus résulter uniquement d’un conflit de personnalité8. Enfin, ils doivent être de nature objective et non pas simplement issus de la perception subjective du travailleur, être identifiés à des facteurs endogènes ou propres au travailleur9.

 

[15]      Pour les motifs qui suivent, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle. La preuve prépondérante révèle l’existence d’événements qui ne peuvent être qualifiés d’imprévus et de soudains de façon isolée par leur superposition au sens de la loi. Le travailleur n’a pas fait l’objet de gestes, d’attitudes et de comportements qui peuvent être qualifiés d’acharnés. Le tribunal considère que les incidents décrits s’inscrivent dans l’exercice du pouvoir de gestion de l’employeur. Ce pouvoir n’a pas été exercé de façon abusive ou hors du commun, malgré le contexte particulier et difficile de la réintégration du travailleur à la suite de la sentence arbitrale du 29 mars 2005. Le travailleur a perçu de façon exagérément négative et très marquée pratiquement toutes les interventions de l’employeur et de certains collègues de travail. Cela ne peut être à la source d’une lésion professionnelle.

 

[…]

 

[82]      Cela dit, il est inapproprié de recenser tous les faits à l’origine du congédiement. Cela a été confié à un arbitre qui a jugé que le travailleur n’avait pas enfreint son contrat de travail, n’ayant pas été sans se rapporter au travail durant six jours ouvrables consécutifs, qu’il n’avait pas commis d’insubordination ou de négligence au sens de la convention collective applicable. Par ailleurs, l’arbitre n’identifie aucun abus de droit de façon explicite de la part de l’employeur. Il juge plutôt inapproprié la sanction ultime du congédiement dans les circonstances. Il ordonne donc la réintégration du travailleur dans ses fonctions.

 

[83]      Le congédiement est la peine capitale de l’exercice du pouvoir de gestion d’un employeur à l’égard d’un travailleur. Bien entendu, cela dénote une rupture du lien de confiance du premier à l’égard du second.

 

[84]      Le travailleur n’a pas fait la preuve que la suspension et le congédiement constituent un exercice hors du commun du pouvoir de gestion de l’employeur. Certes, il s’agit d’un événement troublant et déstabilisant pour le travailleur. Mais il ne s’agit pas d’une source légale de lésion professionnelle, à tout le moins en l’absence d’un abus clair de la part de l’employeur15. Ici, un arbitre a annulé les sanctions, mais il n’est pas question de harcèlement ou d’abus caractérisé de la part de l’employeur. Le tribunal retient que le congédiement ici est l’aboutissement d’un exercice malheureux et erroné du pouvoir de gestion de l’employeur, mais non hors norme.

 

[…]

 

 

[218]    La réintégration du travailleur n’a certes pas été facile. De part et d’autres, de nombreuses appréhensions étaient présentes. Là-dessus, la communication entre les parties a probablement été déficiente. Cela ne constitue pas néanmoins une situation telle que l’ensemble déborde du cadre normal du travail et de l’exercice du pouvoir de gestion de l’employeur.

 

[219]    Le tribunal considère que les faits prouvés sont sans commune mesure avec la perception qu’en a eue le travailleur. La preuve prépondérante soumise au tribunal ne met pas en lumière des incidents ou des comportements de nature à expliquer au travail l’apparition du trouble anxieux qu’a éprouvé le travailleur. Tout porte à croire que les réactions du travailleur sont issues principalement de ses frustrations et de ses perceptions négatives. Les propres réactions du travailleur, notamment quant à la question des stages, expliquent raisonnablement certains comportements des divers intervenants envers lui et mêmes les rapports d’événements dont il se plaint maintenant devant le tribunal.

 

[220]    Toutes les situations invoquées par le travailleur ont été abondamment expliquées et justifiées. Les gestes posés, les propositions faites et les décisions prises ont certes visé le travailleur, puisque l’employeur devait le réintégrer. Aucun d’eux n’est clairement abusif, indu, hors du commun, destiné à lui nuire de quelque façon que ce soit ou même de nature à expliquer de façon prépondérante le trouble psychologique dont a souffert le travailleur. Le travailleur a été victime de ses propres perceptions qui l’ont poussé à amplifier les événements et à susciter chez lui des réactions impulsives. Ce n’est pas cela que la loi vise à indemniser.

 

[221]    Le tribunal conclut donc que la preuve prépondérante ne révèle pas l’existence d’un événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail du travailleur. Il n’a donc pas subi un accident du travail le 5 mai 2005.

__________________

5        Gagnon et Commission administrative des régimes de retraite et d'assurance, [1989] C.A.L.P.          769; Groulx et Restaurant Ferme Rouge, 26595-07-9102, 10 mars 1992, A. Leydet; Blagoeva     et Comm. contrôle énergie atomique, [1992] C.A.L.P. 898, requête en révision judiciaire rejetée,        [1993] C.A.L.P. 60 (C.S.); Forget Chagnon et Marché Bel-Air inc., [2000] C.L.P. 388; Dupéré et         Ville de Montréal, [2003] C.L.P. 754; Létourneau et Aéroports de Montréal, 164550-72-0106,           7 mai 2004, G. Robichaud; Bouchard et Commission scolaire des Samares, 244822-63-0409,   27 septembre 2005, D. Besse; Lachance et Amdocs Canadian Managed Services, 268417-71- 0507, 7 juillet 2006, C. Racine; Langlais et Centre hospitalier de Chandler, 210630-01B-0306,       1er septembre 2006, L. Desbois.

6        Carrière et Zellers inc., [2004] C.L.P. 1030, révision rejetée, 219360-71-0310, 27 mai 2005,              M. Denis; Lachance et Amdocs Canadian Managed Services, précitée note 5; Fortier et Assurances générales Caisses Desjardins inc., 189749-08-0208, 31 juillet 2007, M. Beaudoin.

7        Longtin et Ville de Longueuil, [2004] C.L.P. 149.

8        St-Martin et Commission scolaire de la Capitale, 195077-31-0211, 30 septembre 2004,     M. Carignan.

9        Société canadienne des postes et Rodrigue, 72697-62-9509, 7 mai 1998, N. Lacroix, révision rejetée, 9 septembre 1999, L. Couture, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Longueuil, 505-17-000547-994, 14 octobre 1999, j. Bilodeau; Charland et Ministère de l'Environnement, 173919-04-0111, 22 mars 2004, A. Gauthier; Carrière et Zellers inc. et Fortier précitées note 6.

[…]

15       Gélinas et Min. de la sécurité publique santé-sécurité, 139149-04-0005, 4 septembre 2003, J.-        F. Clément.

 

[nos soulignements]

 

[39]        Tout récemment, le juge administratif Bouvier effectue ainsi une fort intéressante revue de jurisprudence et de doctrine en ce qui a plus particulièrement trait au droit de gérance de l’employeur :

[58]      Ainsi, le Tribunal administratif du travail, saisi de faits, de gestes ou d’actes posés par l’employeur à l’égard d’un travailleur, doit déterminer si en adoptant un tel comportement l’employeur a abusé de son droit de gérance. Or, depuis la décision Houle c. Banque canadienne nationale10, il n’est pas nécessaire de démontrer la faute ou l’intention de nuire puisque le seul exercice déraisonnable d’un droit constitue un abus de droit.

 

[59]      De fait, ce droit de gérance ou de direction doit être exercé de façon raisonnable par l’employeur. D’ailleurs le droit du travail reconnaît au travailleur le droit d’être traité équitablement par son employeur11. Cette obligation de l’employeur d’exercer raisonnablement son droit de gérance à l’égard de ses employés prend sa source notamment dans les articles 6 et 7 du Code civil du Québec12:

 

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

 

1991, c. 64, a. 6.

 

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

 

1991, c. 64, a. 7.

 

 

[60]      Les auteurs Béchard et Lavoie13  brossent un tableau de ce que peut représenter un exercice déraisonnable des droits de l’employeur dans un contexte de relations de travail :

 

La jurisprudence et les auteurs de doctrine7 ont tenté de définir les limites de ce qui compose un agissement abusif dans le contexte des relations de travail. Ainsi, il y a notamment abus de droit lorsque l’employeur abuse de son droit de gérance de façon malicieuse, déraisonnable ou à l’encontre des règles de la bonne foi8, lorsque ses agissements ne sont pas animés par des motifs liés au fonctionnement de l’entreprise ou lorsqu’un employeur compétent, qui dirige son entreprise avec bon sens et dans le respect de l’équité, n’aurait de toute évidence pas agi de la même façon9. [...]

 

____________

7       Voir notamment à cet égard Brigitte LEFEBVRE, La bonne foi dans la formation du contrat, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998.

8       Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Ménard, 2005 QCCA 440 (CanLII), [2005] R.J.Q. 1025 (C.A.).

9       Guylaine VALLÉE et Emmanuelle NAUFAL-MARTINEZ, La théorie de l’abus de droit dans le domaine du travail, Études en droit du travail à la mémoire de Claude D’Aoust, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995, p. 338.

 

 

[61]      Dans la décision Syndicat de l’enseignement des Deux-Rives et Commission scolaire des Découvreurs14, l’arbitre de grief analyse le caractère déraisonnable du comportement de l’employeur de la façon suivante :

 

Déraisonnable s’entend ici d’un geste qui permet au tribunal de conclure que l’employeur n’a pas agi de façon prudente et diligente, dans un esprit de loyauté, ou, en d’autres termes, qu’il n’a pas fait preuve d’équité ou de « fair play ». Un tel geste constitue alors un abus de droit. Il ne s’agit donc pas de trouver dans le comportement de celui qui exerce ses droits une intention de nuire. Il suffit que le détenteur du droit agisse sans prendre les précautions nécessaires à son exercice normal, ou encore excède, même de bonne foi, la mesure ordinaire de son droit.

 

 

[62]      Dans l’affaire Centre hospitalier régional de Trois-Rivières et Syndicat des infirmiers et infirmières de Trois-Rivières15, l’arbitre définit l’exercice du droit de gérance comme suit :

 

"[249]        Rappelons que le traditionnel droit de direction de l'employeur, qui lui confère le pouvoir de diriger et de contrôler les activités de son entreprise, est un pouvoir de nature discrétionnaire et qu'à ce titre, la doctrine et la jurisprudence reconnaissent une liberté d'action assez large à l'employeur qui inclut le droit à l'erreur à la condition que celle-ci ne soit pas abusive ou déraisonnable.

 

[250]     C'est ainsi que dans la direction et le contrôle de son personnel, l'employeur possède une discrétion étendue lorsqu'il s'agit d'établir et de faire respecter les procédures de travail, les règles et les usages du milieu de travail, d'évaluer le rendement des salariés et de contrôler la qualité du travail qu'ils accomplissent : tout cela fait partie de l'exercice normal du droit de direction et il est entendu qu'il peut en résulter du stress et des désagréments.  Tout cela fait partie de la normalité des choses.  Ce n'est donc qu'en cas d'exercice déraisonnable du droit de direction que l'on peut parler d'abus de droit."

 

 

[63]      Il ressort de cette analyse que l’exercice du droit de gérance confère un pouvoir discrétionnaire assez large à l’employeur. Dans ce contexte, l’employeur peut l’exercer avec fermeté et commettre des erreurs dans la mesure où cet exercice n’est ni abusif ou déraisonnable16.

 

[64]      Le Tribunal administratif du travail considère que pour déterminer si l’employeur a exercé de façon déraisonnable, abusive ou discriminatoire son droit gérance, il doit apprécier si les gestes ou actes posés par celui-ci :

 

•           sont en lien et justifiés avec le fonctionnement de l’entreprise;

•           s’ils sont justes et équitables compte tenu des circonstances;

•           et si un employeur raisonnable et compétent aurait agi de la même façon.

__________________

10             [1990] 3 R.C.S. 122.

11             Wallace c. United Grain Growers ltd [1997] 3 R.C.S. 701; Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Ménard  2005 QCCA 440 (Can LII).

12             RLRQ, c. C-1991.

13             Anne-Marie BÉCHARD et Linda LAVOIE, Barreau du Québec, Développements récents en droit du travail en éducation 2007 : L’abus de droit en milieu syndiqué : évolution jurisprudentielle, 2007, vol. 279, p. 137.

14             SAE, 29 mai 2006, Jean-Pierre Villaggi, arbitre.

15             T.A., [2006] R.J.D.T., p. 397.

16             Reasearch Hosue inc. (Québec recherches) c. Denis, 2007 QCCS 1802.

 

[nos soulignements]

 

 

[40]        En l’occurrence, les événements en preuve sont manifestement survenus par le fait ou à l’occasion du travail.

[41]        Les questions de survenance ou non d’un événement imprévu et soudain et de la relation, le cas échéant, de ce dernier avec la lésion psychique du travailleur sont plus particulièrement au cœur du litige en l’instance.

[42]        En fait, la première question en litige est la suivante : les faits mis en preuve peuvent-ils être assimilés à un événement imprévu et soudain, à un accident du travail? En d’autres termes, et eu égard aux principes précités élaborés dans la jurisprudence, peut-on objectivement considérer qu’ils présentent un caractère traumatisant et débordant de ce à quoi l’on peut s’attendre dans le cadre normal du travail? L’employeur a-t-il exercé son droit de gérance de manière abusive, irrespectueuse ou hors-norme? Ou la réaction du travailleur découle-t-elle principalement de sa perception et de son interprétation de ces événements?

[43]        Accessoirement, et de manière intimement liée à la précédente, la question qui se pose est celle du lien de causalité, à savoir si la lésion diagnostiquée chez le travailleur découle d'un événement imprévu et soudain. Ou bien la lésion diagnostiquée découle-t-elle plutôt principalement de sa personnalité, de son attitude dans les circonstances, de sa perception des événements, etc.?

[44]        Après analyse de la preuve, le Tribunal doit conclure que le travailleur n’a pas démontré de façon prépondérante qu’il a été victime d’un accident du travail.

[45]        La procureure du travailleur plaide que l’employeur n’a pas fait un usage raisonnable de son droit de gérance. Elle précise que le travailleur vivait une situation difficile dans son milieu de travail et qu’il était en droit de s’attendre à du soutien de la part de son employeur alors que ce dernier obtempère à la demande d’un tiers de retirer le travailleur du travail, ce qui n’était pas justifié, d’autant qu’il n’y avait aucun lien de droit entre l’employeur et le Centre d’action bénévole. Elle ajoute que le fait d’interdire subséquemment au travailleur de retourner sur les lieux de travail et de lui demander ses clés, sans motif justifiant raisonnablement cette demande, ajoute au caractère inhabituel, anormal et imprévisible de la situation pour le travailleur.

[46]        Or, avec respect, le Tribunal estime que bien que regrettables, les événements mis en preuve ne peuvent être considérés comme débordant de ce à quoi l’on peut s’attendre dans le cadre normal du travail, surtout lorsque l’on considère l’attitude du travailleur au fil des événements, celle-ci ayant manifestement contribué significativement à ceux-là.

[47]        Le conflit du travailleur avec le directeur de l’organisme occupant principalement les lieux de travail et étant responsable de l’étage ainsi que le comportement agressif du travailleur envers ce directeur ont obligé l’employeur à exercer son droit de gérance, ce qui ne peut lui être reproché dans la mesure où cela n’a pas été fait de manière abusive et déraisonnable et encore moins mal intentionnée.

[48]        Le Tribunal réitère qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre d’un litige visant l’appréciation de la survenance d’une lésion professionnelle, de déterminer si l’employeur a judicieusement exercé son droit de gérance ou pris les meilleures décisions dans les circonstances.

[49]        Le Tribunal doit simplement déterminer si les actions de l’employeur sont déraisonnables ou abusives et si elles débordent du cadre normal du travail et peuvent être assimilées à un accident du travail.

[50]        Or, ce n’est manifestement pas le cas.

[51]        L’employeur est aux prises avec une situation dans laquelle deux de ses employés occupent des bureaux loués sur un étage essentiellement occupé par un autre locataire dont le directeur se plaint non seulement que le travailleur dérange ses employées, malgré ses avertissements répétés à ce sujet, mais allègue un comportement agressif de ce dernier, sa peur de ce dernier et son désir conséquent que ce dernier ne se trouve plus sur les lieux.

[52]        Or, même en retenant la version des événements donnée par le travailleur (monsieur Deroy n’ayant malheureusement pas été entendu), il s’avère que ce dernier reconnaît qu’il parlait avec les employées de monsieur Deroy, qu’il reconnaît avoir été convoqué à trois reprises dans son bureau à ce sujet, qu’il reconnaît s’être engagé à faire attention et qu’il décrit lui-même les altercations survenues avec monsieur Deroy et lors desquelles le Tribunal ne peut que constater son comportement agressif et injustifiable sur un lieu de travail.

[53]        La directrice des ressources humaines s’est rendue sur les lieux, a rencontré le travailleur et sa collègue de travail pour obtenir leur version des événements et elle a tenté de régler le tout par le biais d’une rencontre de conciliation. Cette conciliation a été compromise par le fait que le travailleur a littéralement apostrophé monsieur Deroy en interprétant son « salut-sourire » comme étant condescendant et en ayant en tête le fait que monsieur Deroy tiendrait des propos négatifs à son endroit à ses employés, ce qui n’a cependant pas été mis en preuve devant le Tribunal.

[54]        L’employeur a alors offert du support au travailleur par le biais du programme d’aide aux employés et a décidé de le retirer au moins temporairement des lieux de travail pour éviter que la situation ne dégénère. L’employeur a alors par ailleurs fait preuve d’ouverture en recherchant des solutions de rechange et en acceptant d’accommoder le travailleur, tant en ce qui concerne son lieu de travail qu’en ce qui concerne son horaire.

[55]        Madame Grenier-Castilloux déclare en outre qu’elle cherchait activement d’autres bureaux pour le travailleur dans la même localité (soit Sainte-Anne-des-Monts). La collègue infirmière du travailleur quittait quant à elle pour la retraite à cette époque. Madame Grenier-Castilloux évoque notamment avoir communiqué avec le directeur du Centre de réadaptation à ce sujet, mais sans succès. Il semble que le travailleur ait été éventuellement relocalisé à Marsoui (à environ 30 km de Sainte-Anne-des-Monts).

[56]        Le Tribunal ne retrouve pas, dans ces agissements et ces décisions de la représentante de l’employeur, quoi que ce soit qui puisse être assimilé à l’exercice abusif, déraisonnable, irrespectueux, hors du commun ou débordant de l’exercice acceptable de son droit de gérance.

[57]        Le tribunal retient en outre de la preuve que même s’il a pu y avoir un manque de discrétion de la part de monsieur Deroy en ce qui concerne son différend avec le travailleur, et que des personnes qui n’auraient peut-être pas dû être au courant de la situation l’ont été, cela n’en fait pas pour autant une situation exceptionnelle ou hors-norme ou pouvant de quelque façon être assimilée à un accident du travail.

[58]        En fait, c’est malheureusement l’attitude et la perception du travailleur qui prédominent dans tout ce dossier : celles-ci ont fortement contribué à la succession d’événements allégués comme étant responsables de sa lésion psychique ainsi qu’à cette lésion, ayant notamment obligé l’employeur à agir pour régler la situation, ce qui s’est ultimement traduit par le retrait d’abord temporaire du travailleur de son lieu habituel de travail et la demande faite au travailleur de ne plus s’y présenter, manifestement, et de façon justifiée, pour éviter d’autres incidents malheureux.

[59]        Le travailleur n’a pas subi de réprimande ou d’autre sanction, il a continué à être rémunéré, il lui a été demandé de continuer son travail, il lui a été offert une alternative quant au lieu où il continuerait à travailler et il lui a été permis de travailler temporairement chez lui et même d’y travailler à mi-temps, comme il l’a demandé.

[60]        Selon la preuve administrée, e directeur de l’organisme occupant des locaux adjacents à celui du travailleur n’a pas insulté le travailleur, il ne s’est pas objectivement moqué de lui de manière répétée, ni même isolée par ailleurs, et n’a pas eu d’autre comportement assimilable à du harcèlement ou débordant de ce à quoi un travailleur peut raisonnablement être confronté dans le cadre de son travail. Tout au plus peut-on peut-être lui reprocher son impatience et son manque de discrétion.

[61]        Quant au travailleur, le Tribunal note d’abord qu’il n’est pas uniquement question d’antécédents ou de vulnérabilité sur le plan psychique, ce qui semble également être le cas, mais bien de traits, voire d’un trouble de personnalité de nature à engendrer des relations interpersonnelles difficiles.

[62]        Force est d’ailleurs de noter que le travailleur semble trouver à se plaindre de nombre de personnes intervenant dans sa vie: il y a déjà eu un collègue de travail médecin, il y a le directeur du Centre d’action bénévole, mais il y a également son médecin, le docteur Lavigueur, dont il dira qu’il l’a « forcé à retourner travailler » et avec lequel il serait « plus ou moins en rupture », un psychologue rencontré une fois en février 2015 (il en est brièvement question lors de l’audience), des représentantes de l’employeur dont il estime ne pas avoir reçu suffisamment de soutien et le Bureau de santé de l’employeur qui aurait selon lui émis « des propos mensongers et diffamatoires » à son sujet.

[63]        Force est également de noter que dans ses documents écrits ainsi que dans ses propos aux médecins, incluant les psychiatres, le travailleur insiste lourdement sur les torts que d’autres pourraient avoir, mais passe sous silence ses antécédents, ses manquements et sa propre contribution à l’évolution des événements.

[64]        Le travailleur travaille dans des locaux principalement occupés par le Centre d’action bénévole. Le directeur de ce dernier est en outre responsable du « bon fonctionnement » sur l’étage. Au cours de l’année 2014, il doit convoquer trois fois le travailleur à son bureau pour lui demander de cesser de déranger ses deux adjointes administratives sur leurs heures de travail.

[65]        Lors de l’audience, le travailleur allègue différentes raisons pour justifier qu’il parle avec celles-ci et plus particulièrement avec l’une d’entre elles, que ce soit qu’il évaluait son poste de travail, qu’il demandait une explication pour le photocopieur, qu’il lui demandait simplement ce qu’elle voulait pour le dîner, etc.

[66]        Le Tribunal ne peut accorder une grande force probante à ces justifications, surtout dans le contexte où le travailleur reconnaît par ailleurs avoir dit à monsieur Deroy après sa troisième intervention qu’il allait « faire attention de ne pas déranger Josée » (l’une des employées de monsieur Deroy avec qui le travailleur a par ailleurs développé un lien d’amitié). Il s’avère en fait plus que probable que les interventions ponctuelles de monsieur Deroy aient été liées à des situations répétées et non pas limitées aux seules fois où il a formellement convoqué le travailleur pour en discuter.

[67]        Le travailleur s’est donc excusé de son comportement le lendemain, au même moment qu’il s’est engagé à faire attention de ne pas déranger la travailleuse au service de monsieur Deroy. Tant ses excuses que son engagement confirment que le travailleur était alors conscient que monsieur Deroy agissait alors dans son droit et que son intervention n’était pas totalement injustifiée et injuste comme il l’allègue maintenant.

[68]        En décembre, si des reproches devaient être adressés à quelqu’un, ils le seraient en fait plutôt au travailleur qui a réagi de manière excessive et colérique à l’intervention du responsable de l’étage qui intervenait pour la troisième fois auprès du travailleur pour le même motif, au sujet duquel il était en droit d’intervenir, mais que le travailleur estime injustifié et injuste. Or, cette croyance n’excuse et ne justifie pas son comportement. Et ce comportement peut en outre expliquer l’attitude, l’impatience et les propos et plaintes  de monsieur Deroy par la suite.

[69]        En effet, dans ce contexte, l’impatience manifestée par monsieur Deroy lorsqu’il revoit le travailleur en train de parler avec son employée quelques jours plus tard est compréhensible. Tout comme le fait qu’il évite ou ignore le travailleur au cours des jours qui suivent. D’autant que cela ne pose pas véritablement problème puisqu’ils ne travaillent pas ensemble ni pour le même employeur.

[70]        Or, dès ce moment, le travailleur évoque qu’il voulait déposer une plainte contre monsieur Deroy, mais n’a pas eu le temps de le faire, ayant reçu un appel de madame Castilloux, la directrice des ressources humaines, demandant à le rencontrer. Lors de cette rencontre, qui a lieu rapidement en décembre, le travailleur a l’occasion de donner sa version des événements et il répète en outre avoir l’intention de déposer une plainte pour harcèlement contre monsieur Deroy. De l’avis du Tribunal, la réaction du travailleur est alors d’emblée démesurée et injustifiée eu égard aux événements objectivement survenus et témoigne en outre d’une perception déformée de ces derniers.

[71]        Lors de son témoignage, le travailleur rapporte à plusieurs reprises que l’employée du Centre d’action bénévole qui était également devenue son amie lui rapporte à plusieurs reprises des propos désobligeants qu’aurait tenus monsieur Deroy à son endroit. Cette amie n’a cependant pas été entendue, ni personne d’autre ne pouvant attester de ces propos. Il est ainsi impossible de savoir ce qu’elle a dit exactement, à partir de quel moment, et si ces propos étaient véridiques. Bref, fort peu, sinon aucune force probante ne peut être accordée à ces éléments.

[72]        Le Tribunal constate également qu’en dépit du fait que la procureure du travailleur insiste sur la décision de l’employeur de déplacer le travailleur et de le faire travailler à domicile comme étant une décision débordant de son droit de gérance et constituant en bonne partie l’événement imprévu et soudain responsable de la lésion professionnelle, il s’avère que le travailleur fait état de symptômes psychiques déjà importants au cours des semaines précédant cette décision, plus particulièrement pendant la période des Fêtes.

[73]        Or, à ce moment, madame Grenier-Castilloux avait rencontré monsieur Lessard et monsieur Deroy, séparément, et avait planifié une rencontre dont elle avait bon espoir qu’elle permettrait de régulariser la situation, ce qu’elle avait d’ailleurs dit au travailleur. Le travailleur déclare pourtant qu’il ne va pas bien du tout pendant la période des Fêtes, qu’il s’isole, ne se rend pas visiter sa famille et qu’il pense continuellement aux événements survenus au travail et à ce qui va suivre.

[74]        Considérant l’ensemble de ce qui précède, le Tribunal ne peut conclure que le travailleur a démontré de façon prépondérante avoir été victime d’un accident du travail, que ce soit en novembre ou en décembre 2014 ou en janvier 2015. La pathologie diagnostiquée chez le travailleur est bien en lien avec des événements survenus sur les lieux de son travail (quoique l’on pourrait dire qu’elle est essentiellement en lien avec sa perception de ceux-ci), mais ce qui s’est passé au travail ne peut être assimilé à un accident du travail.

[75]        En terminant, le Tribunal souligne que les situations décrites dans les décisions déposées par la procureure du travailleur et ayant justifié la reconnaissance d’une lésion professionnelle sont bien différentes de ce qui a été mis en preuve dans le présent dossier, outre le fait que chaque cas est un cas d’espèce qui doit être apprécié en conséquence à la lumière de l’ensemble de la preuve administrée.

[76]        Dans ces affaires, les événements en cause débordaient du cadre normal et habituel du travail et, notamment, des relations de travail et du droit de gérance de l’employeur et ne relevaient pas de la seule perception du travailleur ou d’un conflit interpersonnel.

[77]        Dans l’affaire Commission scolaire de la Rivière-du-Nord et Juteau[20] notamment, les principes énoncés dans la présente décision sont d’abord mentionnés, plus particulièrement en ce qui a trait au caractère traumatisant et hors de l’ordinaire requis pour conclure qu’un événement constitue un accident du travail :

[12]      La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles en matière de maladies psychiques établit le principe en vertu duquel les circonstances à l’origine de la maladie en cause doivent présenter un caractère suffisamment exceptionnel ou hors de l’ordinaire pour être assimilées à un événement imprévu et soudain2.

 

[13]      D’autres décisions3 reconnaissent que plusieurs événements, qui apparaissent bénins à première vue, peuvent, par leur juxtaposition, présenter le caractère d’imprévisibilité et de soudaineté auquel fait référence la notion d’accident du travail.  Ces événements doivent déborder le cadre habituel et normal et s’éloigner suffisamment de ce qui peut, de manière prévisible, se produire dans un milieu de travail.

 

[14]      En matière de maladies psychiques, le critère d’imprévisibilité et de soudaineté doit donc être satisfait et il ne suffit pas d’établir une relation de cause à effet entre le travail et la maladie pour reconnaître le caractère professionnel de la lésion.

 

[15]      Dans l’affaire Welch et Groupe pharmaceutique Bristol Myers4, la Commission d’appel conclut que la preuve doit « mettre en évidence des événements qui, objectivement, ont un caractère traumatisant au plan psychique ».

 

[16]      La Commission des lésions professionnelles reprend ce principe dans l’affaire Pelletier et La Commission scolaire de l’Estuaire5 et dans l'affaire Centre hospitalier Robert-Giffard et Gosselin et CSST Québec-Nord6.  Dans cette dernière décision, la Commission des lésions professionnelles conclut que l'analyse du caractère professionnel de la lésion psychologique doit permettre de conclure que les faits sont objectivement traumatisants sur le plan psychique, c'est-à-dire découler de facteurs exogènes plutôt que de facteurs endogènes7.

 

[17]      Dans l'affaire Menuiserie Mont-royal inc. et Gingras8, la Commission des lésions professionnelles explique que les facteurs endogènes sont ceux reliés à la personnalité de l'individu tandis que les facteurs exogènes sont ceux qui sont susceptibles d'avoir causé la maladie.

 

[18]      Par ailleurs, en vertu de la théorie du crâne fragile, une condition préexistante n’est pas un obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle dans la mesure où il est établi, dès le départ, qu’un événement inhabituel, dans le cadre du travail, aggrave ou déstabilise cette condition9.

 

[19]      La Cour d'appel reprend ce principe dans l'affaire PPG Canada inc. c. CALP & Al10 et rappelle que « pour qu'une aggravation d'une condition personnelle préexistante constitue une lésion professionnelle, il faut que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail ».

 

[20]      Ce principe a été suivi dans de nombreuses autres décisions11 rendues par la Commission des lésions professionnelles.

_________________

2              Voir notamment : Leclair et Pavillons Bois-Joly inc., [1991] C.A.L.P. 1250 ; J. Desmeules et Ville de Montréal et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.A.L.P. 46013-62B-9210, 31 mars 1995, T. Giroux ; A. Maltais et Baxter Corporation, Pointe-Claire, C.L.P. 102397-73-9806, 31 mai 1999, F. Juteau.

3              Gagnon et Commission administrative des régimes de retraite et d’assurance, [1989] C.A.L.P. 769 ; Ricard et C.J. de la Montérégie, [1994] C.A.L.P. 227 ; Renaud et Dynacast Canada inc., C.A.L.P. 59182-61-9405, 20 novembre 1995, A. Archambault ; Gill et Ville de Boucherville, C.A.L.P. 62045-62-9408, 1er décembre 1995, M. Lamarre, requête en évocation rejetée, C.S. Montréal, 500-05-013852-965, 23 avril 1996, j. Crépeau, (J8-03-06) ; Université Concordia et Stevenson, [1996] C.A.L.P. 953 ; Hérard et Communauté urbaine de Montréal, C.A.L.P. 46953-63-9211, 19 mars 1996, S. Di Pasquale ; Canadien Pacifique et Maltais, C.A.L.P. 64120-61-9411, 19 juin 1996, M. Cuddihy ; Colligan et Les Tricots D’Anjou inc., C.L.P. 172289-63-0111, 18 mars 2002, M. Gauthier.

4               [1993] C.A.L.P. 1470, requête en évocation rejetée, [1993] C.A.L.P. 1490 (C.S.), appel rejeté, [1998] C.A.L.P. 553 (C.A.)

5               C.L.P. 131050-09-0001, 11 septembre 2000, J.-M. Laliberté.

6               C.L.P. 194808-32-0211, 3 novembre 2003, G. Tardif.

7               Rhéaume et CSST et Revenu Canada, C.A.L.P. 43091-62-9208, 26 janvier 1996, M. Cuddihy, requête en révision rejetée, 16 août 1996, A. Archambault.

8               C.L.P. 131870-64-0002, 13 novembre 2001, J.-F. Martel.

9               Lavoie et Communauté urbaine de Montréal, C.A.L.P. 48078-62-9212 et al., 28 juin 1995, J. L’Heureux ; St-Pierre et Bell Canada, C.A.L.P. 79206-02-9605, 11 avril 1997, C. Bérubé ; Lazaro et C.L.S.C. Gaston Lessard, [1998] C.L.P. 1285 ; Crête et Ville de Québec, C.L.P. 89052-32-9706, 9 avril 1999, M. Carignan.

10             500-09-005954-979, 29 mars 2001, jj Mailhot, Deschamps et Pidgeon.

1              Voir notamment : Beaudet et Cie américaine de fer & métaux inc., C.L.P. 153079-71-0012, 19 novembre 2001, L. Crochetière ; Chevalier et La Saga International, C.L.P. 141955-63-0007, 16 janvier 2002, D. Besse ; Gagné et C.H.U.S. Hôtel-Dieu, C.L.P. 163084-05-0106, 27 mars 2002, M.-C. Gagnon ; Germain et Bourassa Automobiles International, [2003] C.L.P. 553 ; Miron et Rayonese Textile inc., C.L.P. 181282-64-0203 et al., 6 février 2003, J.-F. Martel.

 

 

[78]        Une lésion professionnelle est reconnue dans cette affaire, mais dans le contexte où une éducatrice spécialisée œuvrant en milieu scolaire, bien que vulnérable sur le plan psychique, a été confrontée à des élèves particulièrement difficiles qui l’ont non seulement agressée verbalement, mais dont l’un lui a lancé des objets, dont une chaise, dont l’un l’a frappée au visage et dont un autre l’a menacée avec un couteau de plastique sous la gorge.

[79]        Dans l’affaire Leclair et Ville de Mascouche[21], une lésion professionnelle est reconnue dans un contexte particulier où un policier, sans aucun antécédent ou condition personnelle de nature psychique, avait été rétrogradé de détective à patrouilleur de manière tout à fait imprévue, soit malgré une recommandation contraire de son superviseur, et sans que le travailleur n’ait, notamment, bénéficié de l’évaluation prévue au milieu de la période de probation et de la période totale normale de probation. La direction était d’ailleurs par la suite revenue sur sa décision, ayant prolongé la période de probation et ultimement approuvé la nomination du travailleur à titre de détective.

[80]        Dans l’affaire N… A… et Commission scolaire A[22], une lésion professionnelle a été reconnue dans le contexte où le travailleur, un professeur d’expérience, avait faussement été accusé d’attouchements sexuels sur des enfants. Il avait en outre, dans ce contexte d’accusations, été immédiatement sommé par son employeur de ne plus se présenter à l’école et de ne communiquer avec aucun membre du personnel et aucun élève, mais sans que la nature des reproches ne lui ait alors été révélée, et sans qu’il n’y ait eu d’enquête interne et que sa version ait été demandée et entendue.

[81]        Dans la dernière décision produite par la procureure du travailleur, soit celle rendue dans l’affaire Arsenault et Systèmes Dywidag International[23], le travailleur avait reçu, bien que quelques années avant sa lésion psychique, un coup de poing au thorax (ayant nécessité une consultation médicale) de celui qui allait par la suite devenir son contremaître, ce contremaître, ayant de sérieux problèmes de consommation d’alcool, criait et sacrait continuellement, particulièrement en s’adressant au travailleur, et d’autres travailleurs avaient même quitté l’entreprise à cause de l’attitude de ce contremaître, dont la direction de l’entreprise approuvait alors de surcroît la façon de faire.

[82]        C’est notamment dans ce contexte (d’autres faits problématiques étant également en preuve) que le juge administratif Aubé conclut dans cette affaire que la personnalité difficile du travailleur en l’espèce « ne peut excuser les comportements vexatoires largement décrits sur une longue période par le contremaître dans sa relation avec le travailleur dans un contexte professionnel ».

[83]        Il s’agit donc là de situations totalement différentes de celle mise en preuve en l’espèce, ce qui a commandé une conclusion contraire et la reconnaissance d’une lésion professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Jacques Lessard;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2015 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle de nature psychique en novembre 2014, décembre 2014 ou janvier 2015 et n’a pas conséquemment pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

 

Me Catherine Asselin-Jobin

POUDRIER BRADET

Pour la partie demanderesse

 

Me Josée Méthot

CISSS DE LA GASPÉSIE

Pour la partie mise en cause

 

Me Sonia Dumaresq

PAQUET TELLIER

Pour la partie intervenante

 

Date de l’audience : 8 janvier 2016

 



[1]           RLRQ, c. T-15.1.

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]           Voir notamment les décisions récentes suivantes, dans lesquelles une revue de l’état de la  jurisprudence est effectuée: Dupré et Commission scolaire des Grandes-Seigneuries, 2015 QCCLP 2659; Bélair et Société canadienne des postes, 2015 QCCLP 4807; R.M. et CSSS A, 2015 QCCLP 4888; F.C. et Compagnie A, 2016 QCCLP 1268; G.G. et Compagnie A, 2016 QCTAT 3254.

[4]           Voir notamment : Boivin et CLSC Villeray, [2001] C.L.P. 554;  Arbour et Hydro-Québec, C.L.P. 161775-09-0105, 28 octobre 2002, Y. Vigneault; Tremblay et Centre Jeunesse Gaspésie les Îles, [2003] C.L.P. 254; Plourde et Syndicat copropriétaires Terr. du Fleuve, C.L.P. 194976-04-0211, 23 octobre 2003, S. Sénéchal; Beaulieu et Commission scolaire des Phares, C.L.P. 128786-01B-9912, 30 septembre 2004, P. Simard; Duquette et Équipement de bureau Sherbrooke inc., C.L.P. 278685-05-0512, 11 mai 2006, L. Boudreault; Fortier et Assurances générales Caisses Desjardins inc., C.L.P. 189749-08-0208, 31 juillet 2007, M. Beaudoin, révision rejetée, 8 mai 2008, L. Nadeau; Dinello et Télébec ltée, [2008] C.L.P. 173 et l’ensemble de la jurisprudence qui a suivi.

[5]           Voir notamment : Menuiserie Mont-Royal inc. et Gingras, C.L.P. 131870-64-0002, 13 novembre 2001, J.-F. Martel;  Pelletier et S.T.C.U.M. , C.L.P. 138855-64-0005, 16 novembre 2001, J.-F. Martel;  Boucher et A.C.F. Transportaide enr., 156082-63-0102, 22 novembre 2001, M. Gauthier;  Brassard et Remax de Francheville, 139987-04-0006, 25 février 2002, L. Langlois;  Chemarin et CETAF, 161191-62B-0105, 24 avril 2002, M.-D. Lampron; Gélinas et Min. Sécurité publique santé-sécurité, C.L.P. 139149-04-0005, 4 septembre 2003, J.-F. Clément; Lepage et Commission scolaire des Affluents, C.L.P. 357562-63-0809, 29 septembre 2009, I. Piché, révision rejetée, 4 mai 2010, P. Perron; Delorme et S.T.M. (Réseau des autobus), C.L.P. 333345-63-0711, 27 mai 2010, J.-P. Arsenault; Charland et Société canadienne des postes, 2013 QCCLP 6676; Pierre et Centre hospitalier de Verdun, 2016 QCTAT 2451.

[6]           Voir notamment : Gahéry et Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, C.L.P. 135939-63-0004, 3 octobre 2001, M. Gauthier; Pierre et Centre hospitalier de Verdun, précitée, note 5; J.A. et Compagnie A, 2016 QCTAT 3041.

[7]           Voir notamment : Boivin et CLSC Villeray, précitée, note 4;  Plourde et Syndicat copropriétaires Terr. du Fleuve, précitée, note 4;  Beaulieu et Commission scolaire des Phares, précitée, note 4; Pierre et Centre hospitalier de Verdun, précitée, note 5 ; G.G. et Compagnie A, précitée, note 3.

[8]           Voir notamment : Gélinas et Min. Sécurité publique Santé-sécurité, précitée, note 5;  Paradis et Ville de Blainville, [2004] C.L.P. 468;  Mondou et Bois d'œuvre Cedrico inc., C.L.P. 206923-01A-0304, 10 septembre 2004, R. Arseneau; Michaud et Société canadienne des postes, [2005] C.L.P. 129, révision rejetée, 31 juillet 2006, B. Roy; Claveau et CSSS Chicoutimi-CHSLD Chicoutimi, [2008] C.L.P. 224; V...A... et N... G..., 300103-63-0610, 7 février 2008, J.-P. Arsenault; Théroux et Sécurité des incendies de Montréal, 2011 QCCLP 540; A et Agence des services frontaliers du Canada, 2013 QCCLP 5913; Trudel et Commission scolaire des Navigateurs, 2014 QCCLP 3476; Dupré et Commission scolaire des Grandes-Seigneuries, précitée, note 3; G.G. et Compagnie A, précitée, note 3; J.A. et Compagnie A, précitée, note 6.

[9]           Voir notamment : Gagnon et Commission administrative des régimes de retraite et d'assurance, [1989] C.A.L.P. 769; Gougeon et Restaurants Wendy du Canada inc., [1998] C.L.P. 773;  Roy et Élevage Lessard inc., [2004] C.L.P. 669; Allard et C.H. affilié universitaire de Québec, C.L.P. 239114-32-0407, 27 avril 2005, C. Lessard;  Kefor Structure ltée et Côté, C.L.P. 262529-62C-0505, 6 septembre 2005, R. Langlois; Bouchard et Commission scolaire des Samares, 244822-63-0409, 27 septembre 2005, D. Besse; Emballages Mitchell Lincoln ltée et Fuoco, [2005] C.L.P. 1587; Théroux et Sécurité des incendies de Montréal, 2011 QCCLP 540; F.C. et Compagnie A, 2016 QCTAT 1268.

[10]         Voir notamment : Boivin et CLSC Villeray, précitée, note 4;  Carcenac et Services ménagers Roy ltée, C.L.P. 68995-71-9504, 20 mars 2001, A. Suicco; Boucher et A.C.F. Transportaide enr., précitée, note 6;  A.F.G. Industries ltée et Bhérer, [2002] C.L.P. 777;  Bélanger et P.I.C. Laval, 172919-64-0111, 9 avril 2002, R. Daniel;  Lemme et Location d'autos et camions Discount, 164124-64-0106, 30 septembre 2002, R. Daniel;  Lavigueur et Ministère de la Défense nationale C.R.D.V., 160481-32-0104, 11 octobre 2002, G. Tardif, (02LP-114);  Drufovka et CLSC Châteauguay, 184229-62C-0205, 2 décembre 2003, T. Giroux;  Gaudreau et Centre hospitalier Pierre Janet, 196033-07-0212, 2 décembre 2003, S. Lemire;  R…C… et Services forestiers R…C…, précitée, note 6;  Chiasson et CSST, 179616-09-0202, 20 janvier 2004, D. Sams;  Boudreault et Auto Collection de Québec, 193494-31-0210, 30 septembre 2004, R. Ouellet;  Beaulieu et Commission scolaire des Phares, précitée, note 5;  Rioux et Commission scolaire des Hautes-Rivières, 228310-62A-0402, 27 septembre 2005, D. Rivard.

[11]         Trudel et CSST, 86295-04-9702, 21 juillet 2000, M. Carignan;  Brouillard et Hôpital Sainte-Anne, 144395-64-0008, 6 février 2001, R. Daniel;  Jasmin et Commission scolaire Marguerite-Bourgeois, 145846-72-0009, 9 avril 2001, P. Perron;  Émond et Résidence Les quatre saisons, 156396-03B-0102, 28 août 2001, G. Marquis;  Martin et Ministère de la Solidarité sociale, 135847-62-0004, 4 septembre 2001, S. Mathieu;  Coulombe et Industries Perfection inc., [2002] C.L.P. 741;  Bélanger et Icon Canada inc., 167657-64-0108, 13 mars 2003, J.-F. Martel;  Toulouse et Industries Caron Meubles inc., 197301-03B-0301, 9 mai 2003, M. Cusson;  Beaulieu et Commission scolaire des Phares, précitée, note 4;  De Valdes et Les Résidences Vivendi, C.L.P. 231683-71-0404, 7 juin 2005, L. Crochetière;  Turgeon et Café Gar, 242821-03B-0409, 9 juin 2005, G. Marquis;  Martel et Équipements G-Fab inc., 245778-62A-0410, 15 juillet 2005, J. Landry;  Tremblay et Attitudes Import inc., 242644-71-0409, 18 juillet 2005, L. Crochetière, (05LP-93);  Bouchard et Commission scolaire des Samares, 244822-63-0409, 27 septembre 2005, D. Besse.

[12]         Voir notamment : Levasseur et Canbec Courrier (1980) inc., C.L.P. 108307-03B-9812, 18 février 1999, M. Cusson; Chastenais et Joseph Ribkoff inc., C.L.P. 130096-73-0001, 19 juillet 2000, C.-A. Ducharme; Brousseau et Commission scolaire des Chic-Chocs, [2001] C.L.P. 467.

[13]         Voir notamment : Les entreprises JMC (1973) ltée et Béraldin, [1991] C.A.L.P. 54; Darveau et S.T.R.S.M., [1993] C.A.L.P. 1397; Marcoux et CSST, [1996] C.A.L.P. 931, révision rejetée, 64179-60-9411, 24 février 1997, L. Boucher, révision rejetée, 5 septembre 1997, S. Moreau; CSST et DIK Distribution Kirouac inc., [1998] C.L.P. 1117; Lafrenière et Sodema, [2001] C.L.P. 12; Boivin et CLSC Villeray, précitée, note x; Paradis et Ville de Blainville, [2004] C.L.P. 468; D...S... et D...ltée, [2005] C.L.P. 1340; Bélanger et Sécurité Gentel inc., [2006] C.L.P. 1359; Fortier et Assurances générales Caisses Desjardins inc., C.L.P. 189749-08-0208, 31 juillet 2007, M. Beaudoin, (07LP-106), révision rejetée, 8 mai 2008, L. Nadeau; Rousseau et Ville de Lévis, C.L.P. 219000-03B-0310, 13 mai 2009, M. Cusson; J.A. et Compagnie A, précitée, note 6.

[14]         Voir notamment : St-Martin et Commission scolaire de la Capitale, C.L.P. 195077-31-0211, 30 septembre 2004, M. Carignan; P... P... et C... G..., C.L.P. 229365-08-0403, 17 avril 2007, J.-M. Dubois; D… L… et Compagnie A, C.L.P. 310948-61-0702, 20 mars 2009, S. Di Pasquale.

[15]         Précitée, note 5.

[16]         2013 QCCLP 7417.

[17]         Précitée, note 3.

[18]         Voir notamment : Longtin et Ville de Longueuil, [2004] C.L.P. 149; Bélanger et Sécurité Gentel inc., C.L.P. 287484-64-0603, 1er février 2007, J. David.

[19]         C.L.P. 272648-64-0509, 7 septembre 2007, J. David.

[20]         C.L.P. 366848-64-0901, 18 mars 2010, M. Montplaisir.

[21]         C.L.P. 272910-63-0510, 20 juin 2007, J.-F. Clément.

[22]         2012 QCCLP 3121.

[23]         2011 QCCLP 915.

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