Droit de la famille — 24291

2024 QCCS 1392

 COUR SUPÉRIEURE

(chambre familiale)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

 :

705-04-023690-221                                            

 

 

 

DATE :

11 mars 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

A

           Demanderesse

 

c.

 

B

           Défendeur

 

et

DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL

 

et

DIRECTEUR DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

           Mis en cause

 

 

 

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JUGEMENT SUR UNE DEMANDE DE DÉCHÉANCE DE L’AUTORITÉ PARENTALE ET EN CHANGEMENT DE NOM D’UN ENFANT MINEUR

______________________________________________________________________

 

[1]                La demanderesse, A («ci-après « A » ou « la mère »)[1] demande la déchéance totale de l’autorité parentale du père de l’enfant X, un jeune garçon qui aura bientôt quatre (4) ans.

[2]                A et le défendeur B (ci-après « B » ou « le « père ») ont formé un couple en union libre de décembre 2017 à mars 2021.

[3]                De l’union des parties est né l’enfant X le [...] 2020 (3 ans et 11 mois).  Dès septembre 2020, le père a été incarcéré en raison de sa culpabilité reconnue pour plusieurs chefs d’accusations criminelles laissant poindre des gestes de violence sexuelle, de voies de faits, d’agression armée, de méfaits et autres crimes du genre.  Notamment, B a été reconnu coupable ou a plaidé coupable aux accusations suivantes :

3.1 En novembre 2020, il a plaidé coupable à trois accusations de voies de fait, à une accusation d’agression armée, à une accusation d’infliction de lésions corporelles et à une accusation de méfait;

3.2 En mai 2021, il a signé un engagement (interdit de contact) selon l’article 810 C.Cr. envers A (valide jusqu’en 2026);

3.3 En avril 2022, il a été déclaré coupable d’agression sexuelle et une peine carcérale de vingt-quatre (24) mois lui a été imposée;

3.4 En juillet 2022, il a plaidé coupable à une accusation d’infliction de lésions corporelles et à trois (3) accusations d’agression sexuelle.

[4]                Les victimes de B sont essentiellement des femmes.[2]

[5]                Au sujet de A, l’exposé conjoint des faits préalable à un plaidoyer de culpabilité, daté du [...] 2022 révèle que :

5.1 L’accusé forme un couple avec la plaignante entre 2017 et avril 2021;

5.2 Pendant la vie de couple des parties, l’accusé poursuit des relations sexuelles vaginales ou anales alors que la victime manifeste qu’elle ne veut pas continuer et qu’elle a mal;

[6]                Le même exposé conjoint des faits admis (D-12) déposé dans le cadre du plaidoyer de culpabilité de l’accusé comporte des admissions concernant les sévices infligés à trois (3) autres victimes et plus d’une fois, l’accusé est lui-même intoxiqué et il intoxique ses victimes au « Crystal meth », une drogue puissante selon la preuve administrée.

[7]                B entretenait une relation de couple ambigüe avec A et simultanément avec une autre femme (C).  Il ment d’un côté comme de l’autre pour maintenir ses deux liaisons en même temps.

[8]                La consommation excessive de drogue est au cœur de chacune de ses relations amoureuses.  Pour sa part, A se laisse berner par les belles paroles de B qui la convainc de participer à des films pornographiques, dont il est réalisateur, plus souvent qu’autrement sous l’influence de la drogue.

[9]                Pour illustrer le profil de personnage qu’était B avant son incarcération, il est utile de référer au résumé de la preuve contenue à l’arrêt [Référence omise], (précisons que la victime n’est ni A ni C) rendu par la Cour d’appel du Québec le [...] 2022, en voici la substance :

 [1]             [...][1].

[2]              [...].

[3]  [...].[3]

[10]           Un article du Journal A du [...] 2022 l’identifie comme un [...] ».  Le modus operandi de B consistait à droguer ses victimes au « Chrystal meth » pour ensuite les agresser sexuellement.

[11]           En plus d’être danseur nu, B était aussi « escorte » ou se servait d’autres personnes pour offrir un service d’escorte.  Il réalisait et participait également à des films pornographiques.

[12]           Sous pression morale de B, A a accepté de jouer le rôle d’escorte et de participer aveuglément à quelques films pornographiques.  C’est l’appât du gain qui motivait B à mater sa conjointe afin qu’elle se prête à ces pratiques sexuelles, mais c’est lui seul qui en retirait les profits.  A, jeune femme amoureuse, se voyait manipulée par B et ne savait pas lui dire « non ».  B lui imposait ce mode de vie désaxé.

[13]           A a témoigné avec beaucoup de sincérité à l’instruction, son récit montre l’ampleur de la toile que tissait son redoutable prédateur et la difficulté pour elle de s’en échapper.  Elle décrit B comme un être contrôlant et impulsif.  Pour s’assurer de la fidélité de A, B scrutait régulièrement le contenu de son téléphone cellulaire, c’était pour lui un procédé systématique de contrôle pour subjuguer sa conjointe afin de réduire son degré d’autonomie. Son addiction à la drogue provoquait fréquemment chez lui une psychose toxique le laissant sombrer dans la paranoïa.  Selon A, B est un parfait manipulateur et c’est la raison pour laquelle par subterfuges, il réussissait à maintenir plus d’une relation conjugale à la fois.

[14]           Lorsqu’il est sous l’influence de la drogue, B devient violent, même en présence de l’enfant.  A relate un événement au cours duquel B se serait mis en colère dans la voiture en présence de l’enfant suite à un appel téléphonique orageux avec son autre conjointe.  C’est à cette occasion que, sans motif véritable autre qu’un excès de colère, il lui aurait fracturé un doigt.

[15]           Alors qu’intoxiqué, B demandait occasionnellement à A de s’adonner à une pratique sexuelle débridée impliquant une autre personne (trip à trois).  Obnubilée, elle acceptait par crainte de représailles, mais lorsqu’à une occasion elle a manifesté son refus en sortant du spa, elle a eu droit à une scène de violence impulsive de la part de B.  C’est ce que le Tribunal qualifie de « terrorisme intime ».

[16]           Lorsque A a appris à B qu’elle était enceinte, sa première réaction a été celle de lui dire qu’il était convaincu qu’elle l’avait trompé avec un autre homme.  La seconde réaction de B fut celle d’annoncer à la future mère par texto qu’il ne voulait pas être le père de cet enfant (P-9).

[17]           Après la naissance de X, certains films pornographiques ont été tournés en présence de l’enfant.  B n’a jamais nié qu’il faisait pression sur A pour qu’elle consomme du « Chrystal meth » et qu’elle participe aux films pornographiques qu’il réalisait et dans lesquels il était acteur.

[18]           B était à ce point contrôlant qu’il épiait régulièrement le contenu du téléphone cellulaire de A pour s’enquérir de ses allées et venues ou exigeait de celle-ci qu’elle quitte sa résidence de Ville A, dans la nuit, avec l’enfant, pour le rejoindre à Ville B.  De toute évidence, B exerçait une coercition psychologique et émotionnelle dans la vie de A, une forme d’emprise dont elle n’arrivait pas à se soustraire.

[19]           Autrement, en phase de paranoïa, il arrivait à B d’appeler A par           « facetime » la nuit pour exiger d’elle qu’elle lui expose l’intérieur complet de sa résidence pour lui donner l’assurance qu’il n’y avait pas un autre homme chez elle.  Sous l’influence de la drogue alors que fréquemment en psychose, B devenait maladivement jaloux et exerçait un terrorisme intime sur l’existence de A et par incidence sur celle de l’enfant.

[20]           B exigeait parfois de A qu’elle lui fasse une fellation si intense qu’elle s’infligeait des blessures.

[21]           B a reconnu à l’instruction que dans les trois jours suivant sa consommation de drogue, il était dangereux.  La drogue représentait une composante centrale dans la vie amoureuse de B, toujours en quête d’une extase plus intense.  B reconnaît candidement qu’il valorisait la consommation du « Crystal meth » et qu’il cherchait à influencer le jugement de ses partenaires sexuels, hommes et femmes, afin de tirer plaisir de l’excitation exacerbée que procurait la drogue.

[22]           Ses conjointes devaient dépendre de lui dans tous les aspects de la vie, surtout financièrement.  B astreignait ses conjointes à son mode de vie.  A, de son côté, sous la contrainte morale, obtempérait pour s’éviter toute forme d’affrontement violent.

[23]           Se voulant repentant à l’instruction, B a reconnu qu’il était le pire conjoint qu’une femme pouvait espérer.  Il dit se rendre compte de ses torts et des graves séquelles dont souffrent ses ex-conjointes et s’en dit désolé.  Malheureusement, pour ses victimes lourdement marquées, la page ne se tourne pas aussi aisément.  Le Tribunal demeure perplexe à propos de cette nouvelle empathie démontrée par B laquelle donne l’impression d’une amertume récente, contre nature.

[24]           Lorsque confronté à des gestes de violence envers les femmes avec qui il partageait sa vie, B nie ou minimise la violence physique à leur endroit.  On est loin de la franchise qui doit normalement caractériser un témoignage que l’on voudrait crédible.[4]

[25]           Pourtant, certains événements ne mentent pas.  Lorsque A a refusé le « trip à trois » dans le spa, elle s’est réfugiée dans la salle de bain.  En colère, B a fracassé la porte pour déclencher une engueulade magistrale envers A.  Sous le huis clos conjugal, A a été contrainte à des mœurs sexuelles dépravées.

[26]           À une autre occasion, toujours sous l’influence de la drogue, il a giflé A au visage tellement fort qu’elle en a perdu ses lunettes alors qu’elle était au volant de son véhicule.  À l’examen des nombreuses mésaventures violentes vécues par A et les conjointes antérieures de B, un constat s’impose :  B s’avère un facteur de risque alarmant pour les femmes.

[27]           À plus d’une reprise, B a même menacé A de la brûler vive s’il apprenait qu’elle couchait avec un autre homme.  On perçoit sans équivoque quelque chose de malséant dans cette immanence.

[28]           Madame C était la conjointe simultanée (2017 à 2020) de B et aussi la précédente de 2015 à 2017, elle a livré un témoignage sans fard ni retouche qui fait frémir d’indignation et donne le vertige.  Elle en avait long à découdre à l’égard de B.

[29]           En 2015, B a tenté d’étrangler madame C avec un câble d’extension électrique.  Il a fallu qu’il la baigne dans l’eau glacée pour la réanimer.  Le Tribunal y voit une autre histoire sordide qui fait preuve de la bassesse morale dont est capable B lorsqu’intoxiqué.

[30]           À une autre occasion, B, en colère contre madame C, l’a abandonnée au bord de la route et forcée à marcher deux heures pour rentrer à la maison.

[31]           B, par représailles d’un affront subi, a déjà volontairement heurté madame C en reculant sur elle avec son véhicule.

[32]           Parce que madame C refusait de participer à ses projets de films pornographiques, elle était violentée par son conjoint.

[33]           B, enflammé de colère, a poussé l’outrecuidance jusqu’à uriner dans le sac d’accouchement prévu pour la naissance de Y (elle n’a que quelques mois de différence avec X), le plus jeune enfant de madame C dont B est aussi le père.

[34]           B a confié à madame C qu’il aimait avoir des relations sexuelles avec A parce qu’elle avait la physionomie d’un enfant.

[35]           Madame C a dû secourir B suite à une tentative de suicide par pendaison alors qu’elle avait la charge de Z.

[36]           Madame C raconte que B se plaisait à comparer les parties génitales de ses deux filles et même d’en prendre une photographie.

[37]           Par l’effet de deux décisions rendues par l’honorable Pierre Hamel, j.c.q. (chambre de la jeunesse) le 16 mai 2022, les contacts entre le père et les enfants X (P-1) et Z (P-6) ont été interdits.  Le père s’est vu retirer les attributs de l’autorité parentale concernant l’école, les activités parascolaires, la santé, l’obtention de passeport, les autorisations préalables à voyager et le permis de conduire, y compris les accréditations nécessaires.

[38]           La garde des enfants X et Z a été confiée à leur mère respective.  Le père n’a revendiqué aucun accès aux enfants, sauf de recevoir ponctuellement des nouvelles d’eux par l’intermédiaire de la DPJ.  Le Tribunal en comprend que l’intérêt des enfants commandait alors d’éloigner le père de toute situation supposant que la mère soit exposée à quelque forme de contrôle coercitif du père (par. 30 de P-1).

[39]           B n’a pas vu son fils F depuis plus de huit ans et n’a jamais cherché à rétablir un lien avec son enfant.

[40]           B n’a jamais payé de pension alimentaire pour le bénéfice des quatre enfants dont il est le père.

[41]           À l’instruction, lors de son témoignage, B se dit repentant et déplore le mal quil a fait subir à ses victimes.  Il prétend avoir changé et demande qu’on lui laisse l’opportunité de prouver qu’il peut apporter de bonnes valeurs à son fils.  Il soutient que sa démarche vise à démontrer plus tard à l’enfant que son père ne l’a pas laissé tomber.

[42]           Pour appuyer sa démarche de réhabilitation, B dépose plusieurs attestations (D-1 à D-11) et certificats de participation à diverses formations, notamment un suivi individuel en matière de violence familiale et un autre pour sa dépendance aux stupéfiants.  Le premier rapport (D-1) fait état de cinq (5) rencontres tenues en 2020.  Aucun compte-rendu n’y apparaît.  À propos du programme d’aide (D-2 et D-3) en matière de violence familiale et gestion de l’agressivité, le dernier rapport bilan remonte au 18 janvier 2021.  Les plus récents certificats datent du 7 juin 2023 (D-8) et du 21 novembre 2023 (D-9) aucun bilan n’y apparaît.  Seule l’attestation du 21 novembre 2023 (D-10) confirme que B a participé à neuf (9) rencontres dans le cadre d’ateliers sur la justice réparatrice prodigués par le service d’aumônerie disponible en milieu carcéral.  Outre les objectifs et les thèmes approfondis, le seul commentaire à caractère personnel se lit ainsi :

« Finalement, le fait d’avoir baigné dans cet espace de justice réparatrice a certainement engendré un développement positif dans le parcours de Monsieur B, et, nous l’espérons, dans son désir de poursuivre son cheminement. »

[43]           B reconnaît qu’il s’injecte, depuis longtemps et jusqu’à maintenant, des stéroïdes qui lui sont prescrits médicalement, semble-t-il.  Le Tribunal n’a pas eu droit à plus d’explications à ce sujet.  B a divulgué de son propre chef que son fils F l’a déjà vu s’injecter cette substance dans la fesse.

[44]           Il affirme avec candeur et une fierté mal placée, avoir déjà participé à des scènes de sexualité impliquant six personnes.  La drogue (Crystal meth) était toujours au cœur de ses aventures sexuelles avec l’objectif d’une relation plus intense.

[45]           Pour justifier son lien affectif avec X, le père dépose trois photographies    (D-13) de lui avec l’enfant dont l’une sur laquelle il tient le biberon de l’enfant alors qu’il semble endormi et l’autre alors qu’il tient l’enfant sur ses genoux pendant qu’il fait usage de son téléphone cellulaire.  Pas très convaincant comme implication parentale.

[46]           B fait état par ailleurs de sa qualification de massothérapeute et soutient quil en faisait bon usage en massant le ventre de l’enfant pour le soulager des coliques.  Le Tribunal n’est pas certain qu’il s’agit d’une thérapie appropriée pour un enfant de moins de cinq (5) mois.

[47]           B prétend aussi qu’il pouvait apaiser l’enfant en lui chantant des berceuses au téléphone.  A dira que l’enfant ne se rendait pas compte de ces tentatives du père de calmer les pleurs de l’enfant.

[48]           Actuellement, et cela depuis deux (2) ans, B serait bénéficiaire d’un plan d’intervention en sexologie dont les frais sont assumés par sa mère.  Aucun rapport d’évolution n’a été déposé au dossier de la cour.

[49]           À sa sortie de prison prévue en 2026 ou avant si une libération conditionnelle lui est accordée, il prévoit s’investir dans un projet de construction de minimaisons à Ville C.  Il y voit une mesure transitoire puisqu’il contemple davantage la possibilité de s’installer en permanence à Ville D pour travailler dans le domaine de la construction.

[50]           Madame A et madame C sont terrifiées à l’idée que leur ex-conjoint soit libéré aussi tôt.  Elles craignent pour leur sécurité et celle des enfants.

[51]           B en serait à son troisième épisode d’incarcération dont le plus récent est en lien avec sa culpabilité reconnue pour de multiples agressions sexuelles.  Surnommé [...], B a fait la manchette des journaux (P-4) dont l’une est intitulée « [...] ».  C’est cette sentence qui a mis fin à l’impunité dont jouissait B jusqu’alors.

[52]           B dira à l’instruction qu’il n’est pas fier de cette manchette de journal, mais qu’il la considère exagérée.

[53]           L’un des articles (P-4 p. 3) révèle que B serait inscrit à vie au registre des délinquants sexuels.  Aucune autre preuve n’a été administrée à ce sujet.

[54]           Pour atténuer la preuve accablante de la gravité de ses gestes passés, B a fait appel au témoignage de sa mère, madame D.  Elle considère son fils comme étant un toxicomane dépendant, mais récupérable.  Selon elle, lorsqu’il ne consomme pas c’est un « bon gars ».  Elle dit que son fils veut vraiment s’en sortir et qu’il mérite une chance de récupérer un peu d’estime de soi et celle de rebâtir sa vie.

[55]           Madame D demeure d’avis que son fils conserve de belles valeurs fondamentales.  C’est l’appât du gain facile qui l’aurait incité à la vie débridée décrite précédemment.

[56]           Elle révèle avoir eu d’âpres disputes avec son fils à propos de sa personnalité perverse, sa sexualité déviante et son addiction à la drogue.  Toutefois, devant ses insuccès répétés, elle a été astreinte à lâcher prise.

[57]           Elle finance actuellement une thérapie comportementale qui met l’emphase sur une sexualité normale et espère que son fils saura en tirer profit à sa sortie de prison.

[58]           Lorsque contre-interrogée, madame D dit qu’elle était pleinement au courant de la double vie conjugale de son fils, mais qu’elle n’en parlait pas avec lui.

[59]           À propos des accusations criminelles portées contre son fils, madame D dit quelle apprenait fortuitement les nouvelles à propos des jugements qui condamnaient son fils et que cela l’attristait.  Émotive, elle souhaite ardemment rétablir un contact plus étroit avec les petits-enfants, mais a choisi de ne rien brusquer.  Elle ne les a vus qu’à quelques reprises, plus souvent qu’autrement sous supervision de la DPJ.

[60]           Elle reconnaît que son fils est un manipulateur insidieux, mais refuse de croire qu’il serait un « violeur en série ».  Selon elle, c’est la drogue qui est à l’origine des déboires de son fils.

[61]           À sa sortie de détention, elle souhaite à son fils de retrouver une certaine estime de lui-même, un nouveau mode de vie, de nouveaux repères, une sexualité normale et une abstinence à toute forme de drogue.  D’après elle, un travail légitime favorisera la réinsertion sociale de son fils.  Mais, pour arriver à tout cela, B doit encore cheminer selon sa mère.

[62]           La contre-preuve a révélé un fait qui demeure énigmatique à l’effet que A a trouvé dans le coffre-fort de B un contrat de mariage avec un autre homme.  Ce fait n’a pas été expliqué par B.

[63]           Mais surtout, la contre-preuve a révélé que B aurait été expulsé à trois (3) reprises de sa thérapie pour diverses raisons qui seraient toutes imputables à la conduite répréhensible de celui-ci.  A est aussi d’avis que la mère de B (madame D) était également une autre femme sous son emprise.

[64]           A ne fait pas confiance à madame D et lui reproche d’avoir connu la double liaison qu’entretenait son fils, mais qu’elle se taisait pour éviter le tumulte des affrontements avec celui-ci.

[65]           C’est dans ce contexte que le Tribunal sera appelé à trancher deux questions primordiales : 

A) Sommes-nous en présence de « motifs graves » au sens de l’article 606 C.c.Q. ?

B) L’intérêt ultime de l’enfant X (3 ans 11 mois) commande-t-il la déchéance totale de l’autorité parentale de son père ?

LES PRINCIPES DE DROIT APPLICABLES

[66]           La demande de déchoir totalement le père de son autorité parentale s’appuie sur l’article 606 du C.c.Q., lequel stipule :

606. La déchéance de l’autorité parentale peut être prononcée par le tribunal, à la demande de tout intéressé, à l’égard des père et mère ou des parents, de l’un d’eux ou du tiers à qui elle aurait été attribuée, si des motifs graves et l’intérêt de l’enfant justifient une telle mesure, notamment en raison de la présence de violence familiale, y compris conjugale, ou de violence sexuelle.

La déchéance est cependant prononcée à l’égard d’une personne lorsqu’un jugement passé en force de chose jugée reconnaît sa culpabilité pour une infraction criminelle à caractère sexuel impliquant un enfant ou reconnaît sa responsabilité pour un préjudice résultant d’un acte pouvant constituer une telle infraction, à moins qu’il ne soit démontré qu’une telle mesure irait à l’encontre de l’intérêt de l’enfant de cette personne.

Si la situation ne requiert pas l’application d’une telle mesure, mais requiert néanmoins une intervention, le tribunal peut plutôt prononcer le retrait d’un attribut de l’autorité parentale ou de son exercice. Il peut aussi être saisi directement d’une demande de retrait.

                                                                                                (Nos soulignements)

[67]           En juin 2022, le législateur a modifié le Code civil du Québec pour introduire les notions de « violence familiale », y compris la « violence conjugale » ou la « violence sexuelle ».  Le Tribunal est d’avis que sans avoir un effet rétroactif, ces modifications de juin 2022 n’introduisent pas de nouveaux concepts, mais ont plutôt un effet déclaratoire et une portée rétrospective qui met l’accent sur la violence familiale (conjugale ou sexuelle) comme faisant partie intégrante des motifs graves justifiant la mesure de déchéance de l’autorité parentale, le cas échéant.

[68]           À propos des concepts de rétroactivité, d’application immédiate et de rétrospectivité des lois nouvelles, la Cour suprême du Canada écrit :

«46. […] Si les effets juridiques sont en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, le principe de la rétrospectivité s’applique.  Selon le principe, la loi nouvelle régit les conséquences futures de faits accomplis avant son entrée en vigueur, sans toutefois modifier les effets qui se sont produits avant cette date (…)  Dans le cas où elle vient modifier ces effets antérieurs, la loi nouvelle a un effet rétroactif (…).  Le professeur Dridedger a bien mis en évidence cette distinction entre les effets rétroactif et rétrospectif :

[traduction] Une loi rétroactive est une loi qui s’applique à une époque antérieure à son adoption.  Une loi rétrospective ne dispose qu’à l’égard de l’avenir.  Elle vise l’avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l’égard d’événements passés. Une loi rétroactive agit à l’égard du passé.  Une loi rétrospective agit pour l’avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu’elle attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un événement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi.  Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu’elle était; une loi rétroactive rend la loi différente de ce qu’elle serait autrement à l’égard d’un événement antérieur.»[5]

                                                                                                (Nos soulignements)       

[69]           Le Tribunal en comprend que la réforme substantielle apportée à l’article 606 C.c.Q. entrée en vigueur en juin 2022 à propos de la « violence familiale », bien que d’application immédiate, comporte une valeur déclaratoire et une portée rétrospective lorsque vient le temps de qualifier des événements passés.  Ainsi, le concept récemment introduit de « violence familiale » attache de nouvelles conséquences juridiques en lien avec les événements survenus avant l’adoption de la loi.  Par voie de conséquence, les modifications apportées à la loi s’appliquent aux faits de notre instance.

[70]           Il en ressort une intention claire du législateur : la violence familiale, qu’elle soit par l’effet de la violence conjugale ou de la violence sexuelle, s’avère un phénomène inacceptable et ce concept devient en conséquence un facteur crucial à considérer pour circonscrire la notion de « motifs graves » et aussi pour délimiter « l’intérêt ultime de l’enfant ».  En outre, depuis les modifications à la loi, la violence n’a pas à être directement dirigée à l’endroit de l’enfant pour qu’elle soit considérée.  Par influence indirecte, il est dorénavant acquis que les abus et la violence conjugale ont une répercussion sur les enfants ainsi que sur la capacité parentale des parents. (Berendregt c. Grebliunas 2022 C.S.C. 22 par. 168 à 175).

[71]           Ce que suggèrent les propos de l’honorable juge Suzanne Côté (juge à la Cour suprême du Canada) dans l’affaire « Berendregt » (par. [168] à [175]) c’est que la         « violence conjugale » a non seulement une répercussion sur les enfants, mais aussi sur la qualification de la capacité parentale.  Ce que le Tribunal soumet humblement d’y ajouter, c’est que le phénomène de « contrôle coercitif » devra dorénavant constituer non seulement une circonstance aggravante en phase de l’évaluation de la capacité parentale, mais également un facteur important dans l’appréciation des éléments de preuve qui sous-tendent la notion de « motifs graves » à l’occasion d’une demande de déchéance de l’autorité parentale et tout aussi important pour la détermination de l’intérêt des enfants.

[72]           Le schème de « contrôle coercitif » se définit essentiellement par une série de tactiques et gestes de contrôle mis en place graduellement par un conjoint(e) ou ex-conjoint(e) pour isoler sa victime, l’humilier, la tourmenter voire même la terroriser avec l’objectif de la priver de sa liberté ou son autonomie.  Ce concept exclut nécessairement la « violence physique » qui est autrement condamnable aux termes d’accusations criminelles dont elle peut faire l’objet, sauf que trop souvent les deux phénomènes sont coexistants.

[73]           Le « contrôle coercitif » de l’un provoque la peur, le doute, l’anxiété, l’hypervigilance et la perte de confiance chez l’autre.  La victime se sent prise au piège et ne sait pas comment se sortir de l’emprise de son prédateur.

[74]           Le « contrôle coercitif » peut prendre concrètement plusieurs formes[6], notamment :

74.1 La violence sexuelle :

      Faire pression sur son ou sa partenaire pour avoir des relations sexuelles hors de l’ordinaire ou pour lui imposer de commettre des gestes humiliants et dégradants ou l’entraîner dans une sexualité déviante, bestiale ou débridée.

      Inciter son ou sa partenaire à consommer des stupéfiants pour soutirer une ou des faveurs sexuelles.

      Exiger de manière coercitive de son ou sa partenaire à participer contre son gré à une aventure sexuelle échangiste ou impliquant d’autres personnes (ex : trip à trois).

      Recourir à des méthodes brutales comme l’étranglement en quête d’une extase sexuelle exacerbée.

74.2    La violence économique :

      Contrôler le budget et l’accès au crédit avec un objectif d’oppression ou d’emprise économique.

      Mettre en place un schéma d’abus de pouvoir avec le dessein de subjuguer l’autre ou de créer un déséquilibre dans la répartition du pouvoir ou avec l’intention de dominer l’autre ou de le ou la priver d’autonomie et de l’isoler de ses proches.

      Soumettre son ou sa partenaire à des privations pour ancrer son emprise économique.

74.3   La violence d’ordre psychologique ou morale :

      Le harcèlement sous toutes ses formes, les mensonges et la tromperie, les commentaires désobligeants, les menaces de violence ou de mort.

      Le dénigrement personnel, la manipulation de l’entourage, une emprise démesurée encline à la domination et à l’oppression.

      Le contrôle excessif des allées et venues du ou de la partenaire, la géolocalisation, la jalousie maladive.

      Épier les gestes et communications de l’autre sur son téléphone cellulaire ou demander à l’autre de rendre compte de ses activités et fréquentations.

[75]           Le « contrôle coercitif » provoque la crainte des réactions du ou de la partenaire si certaines règles arbitraires ne sont pas respectées et laissent place à une relation malsaine, toxique et dure à défaire.

[76]           Le Tribunal est d’avis que la « violence conjugale » qui se traduit par un               « contrôle coercitif » constitue un « motif grave » justifiant, le cas échéant, la déchéance partielle ou totale de l’autorité parentale au sens de l’article 606 du C.c.Q. parce qu’il a irrémédiablement une incidence sur les enfants issus d’une union dysfonctionnelle.

[77]           Il est maintenant bien établi que la déchéance de l’autorité parentale est une mesure radicale.[7]  Il s’agit d’une solution qui, par sa nature, s’avère exceptionnelle et dont les conséquences sont draconiennes.  La déchéance n’entraîne pas seulement pour le parent déchu la perte de l’exercice des attributs de l’autorité parentale, mais aussi la perte de l’autorité intrinsèque dont le titulaire cesse alors d’être investi.

[78]           La déchéance dépouille le parent concerné de ses droits et attributs, mais ne le libère toutefois pas de ses obligations envers l’enfant, notamment l’obligation alimentaire.  Lorsqu’elle est totale, la déchéance est susceptible de mener à la rupture du lien de filiation par le mécanisme de l’adoption. Elle peut aussi, selon les circonstances particulières de chaque cas, conduire au changement de nom de l’enfant (art. 65 C.c.Q.).

[79]           La déchéance de l’autorité parentale constitue un jugement de valeur sur la conduite de son titulaire.  Qu’il soit partiel ou total, le jugement de déchéance représente une déclaration judiciaire d’inaptitude du titulaire à détenir une partie ou la totalité de l’autorité parentale.  On ne peut donc déchoir une personne, même partiellement, sans conclure qu’elle a commis, par action ou abstention, un manquement grave et injustifié à son devoir de parent.[8]

[80]           Ma collègue, l’honorable juge Line Samoisette, j.c.s., a déjà décidé que la violence physique et verbale du père à l’endroit de la mère devant les enfants justifie la déchéance totale de l’autorité parentale.[9]  Le Tribunal partage cet avis.

[81]           La loi sur le divorce récemment modifiée inclut une définition de la « violence familiale » qui va comme suit :

violence familiale. S’entend de toute conduite, constituant une infraction criminelle ou non, d’un membre de la famille envers un autre membre de la famille, qui est violente ou menaçante, qui dénote, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant ou qui porte cet autre membre de la famille à craindre pour sa sécurité ou celle d’une autre personne et du fait, pour un enfant, d’être exposé directement ou indirectement à une telle conduite, y compris :

a) les mauvais traitements corporels, notamment l’isolement forcé, à l’exclusion de l’usage d’une force raisonnable pour se protéger ou protéger quelqu’un;

b) les abus sexuels;

c) les menaces de tuer quelqu’un ou de causer des lésions corporelles à quelqu’un;

d) le harcèlement, y compris la traque;

e) le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence;

f) les mauvais traitements psychologiques;

g) l’exploitation financière;

(…)

[82]           Cette même loi sur le divorce énonce les facteurs à considérer pour jauger les effets de la violence familiale.  Le Tribunal tient compte des facteurs suivants :

a) la nature, la gravité et la fréquence de la violence familiale, ainsi que le moment où elle a eu lieu;

b) le fait qu’une personne tende ou non à avoir, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant à l’égard d’un membre de la famille;

c) le fait que la violence familiale soit ou non dirigée contre l’enfant ou le fait que celui-ci soit ou non exposé directement ou indirectement à la violence familiale;

d) le tort physique, affectif ou psychologique causé à l’enfant ou le risque qu’un tel tort lui soit causé;

e) le fait que la sécurité de l’enfant ou d’un autre membre de la famille soit ou non compromise;

f) le fait que la violence familiale amène l’enfant ou un autre membre de la famille à craindre pour sa sécurité ou celle d’une autre personne;

g) la prise de mesures par l’auteur de la violence familiale pour prévenir de futurs épisodes de violence familiale et pour améliorer sa capacité à prendre soin de l’enfant et à répondre à ses besoins;

h) tout autre facteur pertinent.

[83]           Dans D.W. c. A.G.[10], la cour d’appel a confirmé la compatibilité entre la Loi sur le divorce et les principes énoncés par le C.c.Q. concernant l’autorité parentale.

[84]           Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la personne qui demande la déchéance de l’autorité parentale.  La preuve nécessaire à établir des « motifs graves » présente un coefficient de difficulté appréciable.

[85]           Les faits déterminants au prononcé de la déchéance sont ceux qui concernent le comportement passé du parent visé par la demande, non pas ceux qui ont trait à ses déclarations quant à ses intentions d’adopter une meilleure conduite future envers l’enfant.[11]  La gravité des gestes posés doit être analysée à la lumière des conséquences néfastes prévisibles sur l’enfant à court, moyen et long terme.

[86]           Le comportement du parent visé doit être fautif et nuisible à l’enfant, il doit compromettre sa sécurité, sa santé ou sa moralité.[12]  Le Tribunal dispose d’une large discrétion dans l’évaluation des comportements hautement répréhensibles pouvant donner ouverture à la déchéance de l’autorité parentale[13].

[87]           En général, le motif grave qui mène à la déchéance de l’autorité parentale réside dans l’abandon de l’enfant.  En l’instance, en raison de l’incarcération du père, ce n’est pas ce motif qui est invoqué par la mère.

[88]           Ici, il faut davantage parler de la conduite indigne du père et du « contrôle coercitif » de B sur l’existence de A.  La commission de crimes sexuels par un parent, selon les circonstances, peut singulièrement constituer un motif grave, mais elle ne pourra à elle seule entraîner la déchéance de l’autorité parentale si l’intérêt particulier de l’enfant concerné par la demande ne le commande pas.[14]

[89]           Notons finalement que toute ordonnance de déchéance totale de l’autorité parentale demeure réversible (art. 610 et 612 C.c.Q.).

[90]           Voyons maintenant comment ces principes s’appliquent aux circonstances très particulières de notre instance.

ANALYSE ET DÉCISION

A)    La gravité des motifs

[91]           Lorsqu’on examine « l’exposé conjoint des faits » (D-12) déposé par B dans le cadre d’un plaidoyer de culpabilité de l’accusé, on constate que les quatre victimes sont des femmes.  Toutes et chacune ont été victimes de violence physique, de violence sexuelle ou d’abus ou d’une combinaison de ces reproches.  Les événements se sont déroulés entre 2008 et mars 2020.  Force est de constater qu’on ne parle pas d’un ou deux gestes isolés.  La violence physique et les abus sexuels font partie intégrante du mode de vie de B.

[92]           Une revue du « tableau regroupant les accusations criminelles dont le défendeur a été reconnu coupable » (P-7) est sans équivoque et révélatrice de la gravité des gestes et la fréquence de la violence à laquelle B assujettissait ses victimes.

[93]           Dans la majorité des cas (3 sur 4) il s’agissait de violence conjugale, c’était du moins le cas pour E. que le défendeur a poussée du haut d’un escalier et alors qu’elle était toujours au sol, l’a agrippée par les cheveux pour lui frapper le côté droit de la tête contre le sol, d’où les blessures subies par cette victime.

[94]           Dans le cas de C, le défendeur aurait utilisé divers jouets sexuels alors qu’elle n’était pas en mesure de former un consentement valide vu son état d’intoxication.  À l’instruction, C dira que B aurait aussi fait usage de tels objets dans le dessein de provoquer un avortement.  Ici, on parle d’un crime immonde.

[95]           En ce qui a trait à A, B poursuivait la relation sexuelle même si celle-ci manifestait qu’elle ne voulait pas continuer parce qu’elle avait mal.  Confronté à cet épisode, B répondra ironiquement à l’instruction qu’il aurait dû sans doute demander trois fois plus qu’une à A si elle était consentante.  Cette réponse cinglante fournie sur un ton caustique et irrévérencieux a laissé transparaître l’arrogance dont B demeure capable et son tempérament impétueux.

[96]           B exerçait une emprise malsaine et toxique sur ses conjointes et se mettait facilement en colère si l’une d’elles refusait d’assouvir ses caprices sexuels. C’est dans ce contexte de soumission résignée que A a accepté plus souvent qu’autrement, sous l’effet des stupéfiants, de participer aux films pornographiques dont B était le réalisateur ou à jouer le rôle d’escorte pour générer les fonds dont B avait le contrôle absolu. Le chantage émotif était au cœur de ses relations avec mesdames C et A.  B avait réussi à devenir le centre de leurs univers, elles vivaient sous son joug tyrannique.

[97]           Le Tribunal est d’avis que B, à cette époque, manipulait aussi sa propre mère qui, pour éviter un débat orageux, devait se taire devant le constat désolant d’une double relation conjugale.

[98]           B n’a pas nié avoir tenté d’étrangler madame C et d’avoir dû la réanimer en la baignant dans l’eau glacée.  Sous l’effet de la drogue, B devenait un personnage totalement déjanté.

[99]           B a nié avoir fracturé un doigt à A en présence de l’enfant dans la voiture alors qu’il était en colère, mais le Tribunal préfère s’en remettre à la version sincère de A plutôt qu’à celle calculée de B.

[100]       Que dire des épisodes au cours desquels B a largué madame C sur le bord du chemin ou du fait qu’il l’ait heurté volontairement en reculant sur elle avec son véhicule ?  Rien de bon!

[101]       Que dire de la gifle administrée à A alors qu’elle était au volant et qu’elle en a perdu ses lunettes ? Quoi penser des menaces de B de brûler vive A si elle couchait avec un autre homme ?  Autant de démonstrations qui tendent, par leur effet cumulatif, à démontrer le comportement coercitif et dominant qu’exerçait B envers ses conjointes.  À cela s’ajoute la commission d’un grand nombre d’actes criminels à l’endroit de plusieurs femmes autres que A.[15]

[102]       Le Tribunal est d’avis que A a réussi à se décharger du fardeau qu’elle avait de prouver, par prépondérance de la preuve, l’existence de « motifs graves » au sens de l’article 606 C.c.Q.  Ici, nul doute que la trame factuelle recèle plusieurs éléments de preuve qui étayent un sombre tableau de « violence conjugale », notamment par la présence de :

102.1 Violence physique :

      Les sévices majeurs dont ont été victimes A (ex : fracture du doigt) et C (ex : étranglement) et qui leur ont été infligés par B (voir pièce D-12).

      B a fracassé la porte de la salle de bain où était réfugiée A pour l’engueuler et la malmener parce qu’elle refusait à participer à un « trip à trois ».

102.2 Violence sexuelle :

      B faisait pression sur A pour qu’elle consomme du « Chrystal meth » et qu’elle participe aux films pornographiques qu’il réalisait et dans lesquels il était acteur.

      En incitant A à faire partie de son réseau d’escortes et, de façon plus générale, à mener à une vie de débauche.

      En forçant A à lui faire des fellations si intenses qu’elle en sortait physiquement blessée.

      B aimait avoir des relations sexuelles avec A parce qu’elle avait la physionomie d’une enfant.

      Il se plaisait à comparer les parties génitales de ses deux filles.

102.3 Violence psychologique et morale :

      Le « contrôle coercitif » qu’exerçait B sur A par ses gestes de contrôle (ex : exiger qu’elle se rende à Ville B la nuit avec l’enfant ou exiger d’elle qu’elle filme le contenu de sa résidence pour s’assurer qu’il n’y avait pas un autre homme).

      Par l’expression d’une jalousie maladive ou l’expression de propos désobligeants lorsqu’elle était enceinte et le refus initial de reconnaître sa paternité.

      Par les menaces de mort exprimées pour intimider A en lui disant qu’il allait la brûler vive si elle couchait avec un autre homme.

      En instaurant littéralement un terrorisme intime condamnable envers A en l’isolant dans un schéma d’abus de pouvoir, de manipulation et de domination (ex : en contrôlant ses allées et venues sur son téléphone cellulaire).  Par contrainte morale et pour éviter des « troubles », A obtempérait à ses demandes.

      En influençant volontairement le jugement de A à propos de sa consommation de « Chrystal meth » et en instaurant littéralement un joug tyrannique lorsqu’ils étaient tous deux sous l’influence de la drogue.

102.4 Violence économique :

      En forçant A à participer aux films pornographiques dont il était le réalisateur et en s’accaparant des profits.

      En contrôlant le budget pour s’assurer que A demeurait dépendante de lui et privée d’autonomie.

      En se servant de A dans ses projets débridés par simple appât du gain facile (ex : le service d’escorte).

      En ne payant pas de pension alimentaire pour ses enfants.

[103]       Les circonstances particulières et exceptionnelles de notre instance justifient amplement le Tribunal à conclure, qu’en raison d’une preuve accablante, des « motifs graves » ont été prouvés et que, sous réserve de la notion de « l’intérêt de l’enfant » la déchéance totale de l’autorité parentale s’avère la mesure appropriée.[16]

[104]       Nul doute que la sécurité, la santé et l’intégrité psychologique de A et par incidence celles de X ont été compromises et que la mère demeure justifiée de craindre tout contact futur avec le père.

[105]       Reste à vérifier si l’intérêt de l’enfant commande aussi la mesure radicale de la déchéance totale de l’autorité parentale.

B)    L’intérêt de l’enfant

[106]       La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la conduite du parent toxicomane et violent en cause comporte pour l’enfant un risque de préjudice supérieur aux effets bénéfiques que pourrait apporter à l’enfant une saine relation avec ce parent.

[107]       Il n’est pas nécessaire d’attendre un préjudice caractérisé pour intervenir dans l’exercice de l’autorité parentale.  Le meilleur intérêt de l’enfant commande une intervention à priori en fonction du risque apparent de préjudice plutôt que d’un préjudice constaté.  Le but des dispositions du Code civil du Québec (art. 33 C.c.Q.) s’avère préventif et consiste à éviter que l’enfant ne subisse un préjudice.[17]

[108]       L’enfant X est âgé de moins de quatre (4) ans, il s’agit d’un enfant vulnérable entièrement dépendant de son entourage.  À cet âge, X a grand besoin de prévisibilité et de certitude.

[109]       Il ne connaît pas son véritable père, l’ayant vu pour la dernière fois lorsqu’il avait cinq (5) mois.  Le Tribunal en infère qu’aucun sentiment d’attachement ne s’est créé entre l’enfant et son père naturel.

[110]       Déjà, entre sa naissance et l’âge de cinq mois, l’enfant a été exposé aux scènes pornographiques impliquant ses parents et de la violence de son père envers sa mère lorsqu’il lui a fracturé un doigt dans la voiture alors que X était assis sur le siège arrière dans son banc de voiture.  Évidemment, à moins de cinq (5) mois, l’enfant n’était probablement pas conscient de ce qui se passait dans un cas comme dans l’autre, mais il faut préciser que c’est le risque de préjudice qui doit être examiné.  Rappelons que la présence de violence familiale est un facteur significatif lorsqu’il s’agit de déterminer l’intérêt d’un enfant.[18]

[111]       Le 23 novembre 2020, l’honorable Pierre Hamel, j.c.q., siégeant alors en             « chambre de la jeunesse » concluait que la sécurité et le développement de l’enfant (X) étaient compromis en raison, notamment :

111.1 d’un risque sérieux d’abus sexuels en raison d’un climat inapproprié entretenu par les parents;

111.2   d’une situation de risque d’abus physique découlant d’antécédents de violence non résolus de la part du père;

111.3 d’une situation de risque de négligence résultant de problèmes d’adaptation sociale et de toxicomanie chez le père;

111.4 d’attitudes parentales inappropriées dans le milieu maternel et difficulté d’assurer une routine adéquate de l’enfant.             

[112]       Le Tribunal partage les préoccupations du juge Pierre Hamel, j.c.q. et considère qu’elles sont toujours d’actualité en ce qui concerne le père.  B a posé des gestes répréhensibles à l’endroit de A et C.  Ces gestes ont grandement perturbé l’unité familiale, ce qui rejaillira fatalement dans la vie de X et de Z.  Même si B n’a pas abusé sexuellement X, il n’en demeure pas moins qu’il a posé des gestes graves qui ont une incidence importante sur la relation affective que l’enfant vit avec sa mère (la victime).

[113]       A a subi de nombreux traumatismes en lien avec les sévices majeurs dont elle était victime et qui lui ont été infligés par B.  En dépit d’une thérapie et d’un suivi psychologique, elle demeure toujours vulnérable et peine à s’affranchir de la relation amoureuse absolument malsaine et toxique qu’elle a vécu avec B. A ne souhaite plus être dans l’obligation de transiger avec le père dans l’exercice de l’autorité parentale, elle craint que B ne soit tenté de rétablir son emprise sur elle.  Elle ne souhaite plus aucun contact avec B pour une question de santé mentale et de sécurité.  A a besoin de rebâtir sa confiance loin de toute influence de B, il en va de son propre intérêt et celui de X.

[114]       Le Tribunal est d’avis qu’un retrait partiel de l’autorité parentale équivaudrait à ouvrir une brèche qu’utiliserait B pour atteindre A et tenter de lui faire connaître une existence misérable, ce qui ne manquerait pas d’avoir une répercussion négative dans la vie de l’enfant et qui irait à l’encontre de son intérêt.  Le besoin de soutien émotionnel de la mère demeure une considération pertinente dans l’analyse de l’intérêt de l’enfant.[19]  Ici, le bien-être émotionnel et psychologique de la mère ne pourra qu’accroître sa capacité à cultiver un environnement sain, positif et favorable à l’épanouissement de X.  Par ailleurs, A est une victime qui a besoin de protection, quelle que soit sa forme pour briser le cycle de la violence et le schéma de    « contrôle coercitif » dans lequel elle a été plongée par B.  Une mesure palliative s’avère nécessaire à l’intérêt de la mère et l’enfant.  Pour une période que le temps dictera, le père doit s’éloigner de A et X.  Une fois la mesure de protection mise en œuvre, la mère et l’enfant ne s’en porteront que mieux.

[115]       Dans une autre perspective, le Tribunal n’a pas perçu un désir sincère du père de devenir une personne significative dans la vie de l’enfant.  Malgré le jeune âge de X, l’apport du père dans la vie de l’enfant jusqu’à la demande de déchéance n’a été que négatif.

[116]       Les photographies déposées par le défendeur (D-13) sont loin d’être convaincantes et n’atteignent pas l’objectif de démontrer un lien affectif existant.  On y voit un père distrait et plus préoccupé par son téléphone cellulaire que par l’enfant.

[117]       B se dit contrit de ses fautes et repentant à propos du mal qu’il a fait subir à ses ex-conjointes.  Il semble adapter ses propos selon la personne à qui il s’adresse en fonction de ce qu’il espère obtenir.  Le Tribunal y a vu la personne manipulatrice décrite par les témoins de la demande.

[118]       La preuve documentaire déposée par monsieur (D-1 à D-11) ne contient aucune ou si peu de substance concernant l’évolution caractérielle du défendeur et son potentiel de réinsertion sociale.

[119]       Lors de son témoignage, B, malgré certaines admissions à propos de la violence familiale dont il était l’origine et la cause, a cherché à minimiser l’impact de la violence physique voire même à nier son existence.  Le Tribunal préfère s’en remettre au témoignage sincère des victimes, mesdames A et C.

[120]       B ne reconnaît pas facilement ses problèmes, ceux qui furent exacerbés par la toxicomanie, il a plutôt tendance à projeter les torts sur autrui.  B tolère mal les frustrations et démontre de l’immaturité lorsqu’il est contrarié.  À court et moyen terme, le Tribunal y voit un risque de préjudice pour l’enfant.  Dans la dynamique de violence, le meilleur prédicteur de la violence à venir, c’est la violence passée.  B est un homme violent et pour l’heure, X doit être mis à l’abri de ce risque.  Force est de constater que le père a commis, par ses gestes et manifestations de violence en contexte conjugal, un manquement grave et injustifié à son devoir de parent.

[121]       La mère de B a dit que son fils devait encore cheminer pour reprendre sa vie en main, le Tribunal en fait le constat.  Mais ce chemin qui reste à parcourir ne doit pas s’accomplir au détriment de la sécurité de l’enfant.  Le potentiel de violence du père demeure pour l’heure trop élevé pour qu’on puisse penser lui confier quelque responsabilité que ce soit à propos de l’enfant, surtout en ce qui a trait à sa sécurité.

[122]       Les diverses attestations produites (D-1 à D-11) sont révélatrices d’un travail de surface alors que B doit plutôt s’investir afin de travailler sur les causes intrinsèques de sa criminalité, notamment les répercussions sur son entourage.  Pour l’instant, le Tribunal est d’avis que le père ne peut rien apporter de positif à l’enfant.  Le chemin de la réhabilitation se présente comme étant long et parsemé d’embûches pour B.  Sa réinsertion sociale dépendra largement de sa détermination et du milieu de vie dont il fera le choix.  Heureusement, il peut compter sur sa mère.  Toutefois, pour les années à venir, X n’en fera pas partie.

[123]       Actuellement, des mesures de sécurité ont été mises en place à l’école pour la protection de Z.  Le Tribunal en comprend qu’il s’agit de mesures préventives en raison d’un risque de préjudice.  Il n’est pas nécessaire que X subisse un pareil sort.  Le devoir de prévention du risque qui incombe au Tribunal commande une déchéance totale de l’autorité parentale.

[124]       Par ailleurs, le Tribunal abonde dans le sens des propos du juge Pierre Hamel, j.c.q. alors qu’il déclarait que la sécurité et le développement de l’enfant étaient compromis (P-1), voici son avis sur le sujet :

[33] Au surplus, obliger en quelque sorte la demanderesse à transiger avec l’auteur de la violence dont elle a été victime pourrait même nuire à sa capacité à prendre soin de l’enfant et à répondre pleinement à ses besoins.

[125]       La preuve administrée permet de conclure que le risque de préjudice en l’instance s’avère supérieur aux effets bénéfiques que pourrait apporter à l’enfant une relation présumément saine avec son père.

[126]       Après avoir considéré la présence de motifs graves et l’intérêt ultime de l’enfant, le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que le bien-être de l’enfant et sa sécurité commandent la déchéance totale de l’autorité parentale du père B à l’égard de l’enfant X.

C)    Le changement de nom

[127]       La mère demande que le nom de l’enfant soit modifié pour qu’il porte désormais le sien (A) conformément à l’article 65 C.c.Q.

[128]       X à moins de quatre (4) ans, son père véritable est absent de sa vie depuis l’âge de cinq (5) mois.  Il ne le connaît pas et le nom de B est sans signification dans la vie de X.  Aucun attachement n’a été créé entre le père et l’enfant.  Monsieur n’a pas démontré un désir sincère d’être une personne significative dans la vie de l’enfant.  Depuis son incarcération, le père ne s’est jamais manifesté auprès de l’enfant (cartes de Noël ou fête) ni n’a cherché à exercer quelqu’accès, ni auprès de ses trois autres enfants d’ailleurs.  Il ne contribue d’aucune façon aux besoins physiques des enfants.

[129]       Le changement de nom revendiqué n’aura aucun impact identitaire chez l’enfant.  Le Tribunal est également d’avis que l’intérêt primordial de l’enfant milite en faveur du changement de nom requis.

Commentaires 

[130]       Le Tribunal tient à souligner la qualité remarquable du travail des deux avocat(e)s qui se sont acquittés de leur tâche respective avec brio dans l’accomplissement d’un mandat hors du commun et difficile.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

[131]       ACCUEILLE la demande introductive d’instance de A en déchéance totale de l’autorité parentale et en changement de nom de l’enfant mineur X;

[132]       DÉCHOIT totalement le défendeur, B, de toute autorité parentale à l’égard de l’enfant X conformément à l’article 606 du Code civil du Québec;

[133]       ORDONNE que la déchéance emporte pour l’enfant dispense de l’obligation alimentaire envers le défendeur selon les termes de l’article 609 du Code civil du Québec;

[134]       AUTORISE le changement du nom de famille de l’enfant X afin qu’il se dénomme dorénavant : X;

[135]       ORDONNE au directeur de l’État civil d’apporter les corrections nécessaires au registre de l’État civil et ce, dès signification du présent jugement, de façon à ce que le nom de B soit rayé et que dorénavant l’acte de naissance puisse identifier l’enfant comme étant : X;

[136]       SANS FRAIS de justice.

 

 

 

__________________________________

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

 

 

 

Me Anne Désorcy

Asselin Desorcy avocats

Avocats de la demanderesse

 

Me Jérémie Roy

Avocats Lanaudière

Avocat du défendeur

 

 

Dates d’audience:

22, 23 janvier 2024

 


[1]     L’utilisation des noms de famille dans le jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

 

[2]     Pièce D-12.

[3]     [Référence omise].

[4]     Voir pièce D-12 à propos de la violence physique.

[5]     Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc. c. Collin [2004] 3 R.C.S. 257.

[6]    Les définitions ne se veulent pas exhaustives, mais plutôt indicatives du type de violence qui peut faire partie de la « violence conjugale ».

[7]     C.(G.) c. V.F.(T.), }1987] 2 R.C.S. 244.

[8]     Idem par. [28].

[9]     Droit de la famille - 211254.

[10]     2003 CanLII 47442, par. 27.

[11]     Droit de la famille – 16232, 2016 QCCS 428.

[12]     Droit de la famille – 18337, 2018 CCCS 679.

[13]     Droit de la famille – 1914, 2919 QCCS 20.

[14]     Droit de la famille – 16654, 2016 CCCS 1310 / Voir aussi 2005 QCCA 833.

[15]     [Référence omise]. 

[16]     Droit de la famille – 17290, 2017 QCCA 257.

[17]     P.D. c. S. (C.) [1993] 4 R.C.S. 141 p. 178 (Juge Claire L’Heureux-Dubé).

[18]     Barendregt c. Grebliunas 2022, C.S.C. 22 par. 9.

[19]     Idem par. 169.

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