Hébert et Hôpital Maisonneuve-Rosemont |
2021 QCTAT 3029 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
APERÇU
[1] Madame Nicole Hébert occupe l’emploi d’infirmière pour l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, l’employeur, lorsque le 1er février 2018, une patiente lui tord le bras et le pouce gauches.
[2] La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail reconnaît qu’elle a subi une lésion professionnelle et déclare que les diagnostics d’entorse du coude et de l’avant-bras gauches, de tendinite du coude gauche, d’épicondylite latérale gauche ainsi que d’épicondylite avec tendinose et de déchirure intrasubstance du tendon externe commun avec hypersignal du nerf ulnaire gauche sont en relation avec l’événement. Cela n’est pas contesté.
[3] Le 27 novembre 2019, le médecin qui a charge ajoute le diagnostic d’entorse au genou droit. La Commission décide que ce diagnostic n’est pas en relation avec l’événement du 1er février 2018 et qu’il ne s’agit pas non plus d’une nouvelle lésion survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus, ce que la travailleuse conteste devant le Tribunal administratif du travail.
[4] À l’audience, la travailleuse prétend qu’elle s’est blessée en chutant d’un appareil elliptique à son domicile, après avoir complété des exercices recommandés par le physiothérapeute en lien avec la lésion professionnelle. Elle ne prétend pas que le diagnostic d’entorse au genou droit est autrement relié à l’événement du 1er février 2018.
[5] L’employeur répond que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion de soins visés par le droit à l’assistance médicale. Il ajoute que la chute est survenue alors que la travailleuse avait terminé ses exercices. Il demande de rejeter la contestation.
[6] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal juge que le diagnostic d’entorse au genou droit constitue une blessure survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus pour une lésion professionnelle.
ANALYSE
[7] Le Tribunal doit déterminer si le diagnostic d’entorse du genou droit constitue, au sens de l’article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), une blessure survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus pour la lésion professionnelle du 1er février 2018.
[8] L’article 31 de la Loi énonce, notamment, qu’une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins ou des traitements qu’une travailleuse reçoit pour une lésion professionnelle est considérée une lésion professionnelle.
[9] Trois éléments doivent être démontrés[2], à savoir :
· une lésion professionnelle initiale;
· une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins, distincte de la lésion initiale;
· une relation causale entre cette blessure ou maladie et les soins ou les traitements reçus pour la lésion initiale.
[10] La blessure ou la maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins doit être distincte de la lésion initiale[3]. En ce sens, puisque l’article 31 de la Loi vise à indemniser les conséquences indirectes de la lésion professionnelle[4], la blessure ou la maladie ne doit pas être une conséquence directe ou indissociable de la lésion initiale[5]. Une complication prévisible, mais inhabituelle, d’une lésion initiale pourra néanmoins être reconnue comme une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi[6].
[11] Il n’est pas, en l’instance, remis en question que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 1er février 2018.
[12] De même, puisqu’il n’a pas été contesté conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue par la Loi, le diagnostic d’entorse du genou droit, retenu par le médecin qui a charge, lie le Tribunal. Ce diagnostic de blessure diffère des diagnostics de la lésion initiale, lesquels concernent le membre supérieur gauche.
[13] La travailleuse témoigne qu’à la suite de l’événement du 1er février 2018, le médecin qui a charge lui prescrit des traitements de physiothérapie. Dans le cadre de ses traitements, elle utilise un vélo stationnaire. Puisqu’elle ne possède pas un tel appareil à la maison, le physiothérapeute lui recommande, dans le cadre d’un programme d’exercice à domicile élaboré verbalement, d’utiliser un appareil elliptique. Elle terminait cet exercice, le 3 novembre 2019, lorsque son pied droit est resté coincé dans le pédalier de l’appareil. Elle a chuté sur son genou, en position fléchie. Elle constate immédiatement de l’enflure. Elle possédait un appareil elliptique antérieurement à la survenance de la lésion professionnelle. Elle pratiquait cet exercice régulièrement avant cette date.
[14] L’employeur prétend que cette blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus pour la lésion professionnelle ni de soins visés par le droit à l’assistance médicale. Le Tribunal est en désaccord.
[15] D’abord, l’expression « à l’occasion des soins ou des traitements » n’étant pas expliquée dans la Loi, le Tribunal a établi une analogie avec l’expression « à l’occasion du travail » qui se retrouve à la définition d’accident du travail prévue à l’article 2 de la Loi. Ainsi, l’incident qui survient lorsqu’une travailleuse est sur les lieux où elle reçoit des soins ou des traitements ou qui se déroule sur les voies d’accès usuelles à ces lieux est à l’occasion des soins ou des traitements[7]. Toutefois, en l’absence d’un lien de connexité suffisant avec les soins ou les traitements, la situation diffère lorsque l’incident survient ailleurs, par exemple sur la voie publique[8].
[16] Ensuite, concernant la notion de soins ou de traitements, elle ne vise pas exclusivement l’assistance médicale prévue à l’article 189 de la Loi dont l’objet est simplement de prévoir en quoi consiste l’assistance médicale qui peut être remboursée à la travailleuse. Le Tribunal a ainsi reconnu, à plusieurs reprises, que les exercices à domicile, élaborés par un physiothérapeute ou un ergothérapeute en complémentarité d’un programme de soins ou de traitements prescrits par le médecin qui a charge, peuvent être considérés comme étant survenus par le fait ou à l’occasion des soins[9].
[17] Dans le présent dossier, le médecin qui a charge prescrit des traitements de physiothérapie à la travailleuse. Ni l’employeur ni la Commission ne se sont prévalus de la procédure d’évaluation médicale prévue par la Loi pour contester cette prescription. Du coup, la Commission et, par le fait même, le Tribunal sont liés par les conclusions médicales du médecin qui a charge concernant la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins et des traitements administrés et prescrits[10].
[18] Dans le cadre de ces traitements, le physiothérapeute propose un programme d’exercice que la travailleuse doit effectuer à son domicile. Ce programme inclut des exercices sur une machine elliptique. La travailleuse ne produit pas de programme écrit, puisqu’elle témoigne qu’il a été élaboré verbalement par son thérapeute.
[19] Au soutien de ses prétentions, la travailleuse dépose un document signé par le médecin qui a charge, le ou vers le 9 mars 2021, dans lequel il précise qu’un programme d’exercice thérapeutique à domicile jumelé à des traitements de physiothérapie aide au traitement de douleurs chroniques non cancéreuses, puisqu’en permettant à un travailleur de maintenir un certain niveau d’activité physique, il participe à réduire la douleur et à éviter le déconditionnement. Il ajoute que les délais d’accès aux cliniques de la douleur sont longs et que cela justifie des programmes d’exercices à domicile, avec les outils disponibles.
[20] Le médecin qui a charge ajoute que dans le cas particulier de la travailleuse, la chronicité de sa douleur, réfractaire aux traitements physiques et pharmacologiques, avait notamment entraîné un déconditionnement général en plus de symptômes anxio-dépressifs. Littérature médicale à l’appui[11], il explique que l’entraînement cardio-vasculaire améliore l’oxygénation musculaire, diminue les marqueurs d’inflation, en plus d’améliorer le sommeil et de réduire le stress et l’anxiété qui ont tendance à diminuer le seuil de la tolérance à la douleur.
[21] La travailleuse débutait ou terminait ses traitements de physiothérapie par une séance de 10 à 15 minutes de vélo stationnaire. Puisqu’elle possédait un appareil elliptique à la maison, le physiothérapeute avait, dans ce contexte, établi un programme d’exercices avec cet appareil, sans mise sous tension de ses bras.
[22] La travailleuse produit également une note, non datée, signée par le physiothérapeute et ayant pour objet d’expliquer la prescription d’elliptique à domicile. Elle se lit comme suit :
La note suivante est pour justifier la prescription d’elliptique pour Mme Nicole Hébert à la maison. Premièrement, l’elliptique permet à Mme Hébert d’entraîner tout son corps étant donné sont déconditionnement générale relié à l’arrêt de travail. Deuxièmement, l’entraînement cardiovasculaire engendre une sécrétion de sérotonine qui peut aider à diminuer les douleurs à son coude. Troisièmement, l’entraînement cardiovasculaire active la circulation sanguine dans tout le corps, ce qui peut accélérer la guérison des tissus irrités au coude.
[Transcription textuelle]
[23] À l’instar de l’employeur, le Tribunal constate que la note du physiothérapeute n’est pas datée, mais qu’elle n’est vraisemblablement pas contemporaine aux événements, car elle est adressée à la travailleuse, par courriel, le 11 décembre 2019 et destinée à son « avocate ». Néanmoins, rien ne permet de conclure qu’il l’a rédigée par complaisance. L’employeur ne soumet, d’ailleurs, aucune preuve en ce sens.
[24] En outre, le témoignage de la travailleuse est sincère, en plus d’être corroboré par les notes cliniques contemporaines à l’événement, en particulier les notes cliniques du 3 novembre 2019 où le médecin qui a charge écrit que la travailleuse a chuté sur le côté droit après une perte d’équilibre sur un appareil elliptique et qu’elle est tombée sur l’épaule droite avec le genou en flexion et en rotation latérale. La travailleuse a présenté un œdème ainsi qu’une boiterie immédiate. Le 27 novembre 2019, le médecin qui a charge pose le diagnostic d’entorse du genou droit et ajoute que la travailleuse ressent une exacerbation de ses symptômes « post chute lors exercices recommandés par ergo/physio » le 3 novembre 2019. La version donnée par la travailleuse à l’audience coïncide, de surcroît, avec celle communiquée à l’agente d’indemnisation un mois après l’événement, soit le 3 décembre 2019. Incidemment, l’employeur admet qu’il n’a aucun motif pour remettre en doute le témoignage de la travailleuse.
[25] En somme, puisqu’elle est survenue au moment où elle descendait d’un appareil elliptique après avoir complété les exercices à domicile recommandés par le physiothérapeute, sur prescription du médecin qui a charge, en lien avec la lésion initiale, la blessure de la travailleuse est survenue par le fait ou à l’occasion des soins ou des traitements reçus pour la lésion initiale.
[26] L’employeur admet que la blessure résulte de la chute de la travailleuse. Le Tribunal est également de cet avis. L’entorse du genou droit est ainsi reliée aux soins ou aux traitements reçus pour la lésion initiale.
[27] Le diagnostic d’entorse au genou droit constitue, par conséquent, une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la contestation de madame Nicole Hébert, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 juillet 2020, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic d’entorse au genou droit constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
Julie Ladouceur |
|
|
|
|
Me Anne Lemay-Bourbeau |
|
FÉDÉRATION INTERPROFESSIONNELLE DE LA SANTÉ DU QUÉBEC |
|
Pour la partie demanderesse |
|
|
|
M. Paul Côté |
|
CIUSSS DE L'EST-DE-L'ÎLE-DE-MONTRÉAL (CONTENTIEUX) |
|
Pour la partie mise en cause |
|
|
|
Date de l’audience : 7 mai 2021 |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Canadelle Société en Commandite et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2014 QCCLP 6290 (banc de trois juges administratifs), requête en révision judiciaire rejetée, 2016 QCCS 2806.
[3] Coloride inc., 2012 QCCLP 7010.
[4] Centre équestre des Milles Îles inc., 2013 QCCLP 354; Commission scolaire de Montréal, 2016 QCTAT 322.
[5] Polar Plastique ltée, [2002] C.L.P. 895; Canadelle Société en Commandite et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 2; Boulanger et Dépanneur Esso Boulianne inc., 2019 QCTAT 5111; Exceldor coopérative avicole et Romo-Montero, 2019 QCTAT 5603.
[6] Structures Derek inc., C.L.P. 243582-04-0409, 17 novembre 2004, J.-F. Clément; Centre hospitalier et Centres locaux de services communautaires (CH et CLSC) et Trépanier, 2019 QCTAT 713; Groupe Compass (Eurest/Charwell) et Mérineau, 2019 QCTAT 2015; Exceldor coopérative avicole et Romo-Montero, précitée, note 5; Hôtel Faubourg Montréal et Mendez, 2020 QCTAT 1252.
[7] Voir, par exemple : Godon et Manteaux Manteaux, [2004] C.L.P. 1468, où la travailleuse chute dans les escaliers de l’hôpital en se rendant à son rendez-vous de physiothérapie, ou, encore, Commission scolaire de Montréal, précitée, note 4, où la table du physiothérapeute s’affaisse brusquement lorsque la travailleuse s’y assoit à l’occasion de l’un de ses traitements.
[8] Voir, par exemple : Charrette et Pavillon des Mille-Îles, 2014 QCCLP 2609, où la travailleuse chute dans les marches de son domicile en se rendant à son rendez-vous de physiothérapie.
[9] Atelier Tenons-Nous inc. et Shabanaj, 2016 QCTAT 4754; Rondeau et Entreprises FDMT, 2016 QCTAT 5741; Labonté et Ville de Saguenay, 2021 QCTAT 87.
[10] Article 224 de la Loi.
[11] David TAUBEN et Brett R. STACEY, « Approach to the Management of Chronic Non-Cancer Pain in Adults » (Last Updated Nov. 20, 2020), dans UpToDate, [En ligne], <https://www.uptodate.com /contents/approach-to-the-management-of-chronic-non-cancer-pain-in-adults> (Page consultée le 8 avril 2021); Douglas M. PETERSON, « The Benefits and Risks of Aerobic Exercise » (Last Updated Janv. 15, 2021), dans UpToDate, [En ligne], <https://www.uptodate.com/contents/the-benefits-and-risks-of-aerobic-exercise> (Page consultée le 8 avril 2021).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.