Bleau et Ministère de la Sécurité publique

2023 QCCFP 30

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

2000080

 

DATE :

14 décembre 2023

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Mathieu Breton

______________________________________________________________________

 

 

 

ÉRIC BLEAU

Partie demanderesse

 

et

 

ministère de lA SÉCURITÉ PUBLIQUE

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 81.20, Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N1.1)

______________________________________________________________________

 

[1]               Le 28 novembre 2023, M. Éric Bleau, constable spécial syndiqué, dépose une plainte de harcèlement psychologique à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[1] (LNT), à l’encontre de son employeur, le ministère de la Sécurité publique (ministère). Son recours mentionne notamment des « mesures disciplinaires » et qu’il a été « relevée administrativement de [ses] fonctions ».

[2]               La même journée, la Commission soulève d’office son absence de compétence pour entendre ce recours. Elle demande aux parties de lui transmettre par écrit, au plus tard le 13 décembre 2023, leurs commentaires concernant la recevabilité du recours afin de rendre une décision sur dossier.

[3]               M. Bleau répond en demandant à la Commission de lui indiquer qui aurait compétence quant à son recours si elle estime ne pas la détenir. Il écrit notamment vouloir « une enquête interne dans les plus brefs délais ».

[4]               Pour sa part, le ministère énonce :

[…]

Par la présente, nous vous confirmons que monsieur Bleau, par son statut de fonctionnaire syndiqué, est membre de l’unité d’accréditation du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec, et ce, depuis son entrée en fonction.

Par conséquent, nous sommes d’avis que la Commission de la fonction publique n’a pas compétence à ce niveau, car monsieur Bleau dispose d’autres moyens de contestation notamment prévus à sa convention collective.

[…]

[Transcription textuelle]

[5]               La Commission juge qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le recours de M. Bleau.

CONTEXTE ET ANALYSE

[6]               Conformément à l’article 81.20 de la LNT, deux conditions doivent être remplies par M. Bleau pour que la Commission puisse entendre sa plainte de harcèlement psychologique. D’abord, il doit être un fonctionnaire, soit une personne nommée en vertu de la Loi sur la fonction publique[2] (LFP). Ensuite, M. Bleau ne doit pas être régi par une convention collective. En effet, cet article prévoit :

81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard.

[…]

Les dispositions visées au premier alinéa sont aussi réputées faire partie des conditions de travail de tout salarié nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique (chapitre F3.1.1) qui n’est pas régi par une convention collective. Ce salarié doit exercer le recours en découlant devant la Commission de la fonction publique selon les règles de procédure établies conformément à cette loi. La Commission de la fonction publique exerce à cette fin les pouvoirs prévus aux articles 123.15 et 123.16 de la présente loi.

[…]

[Soulignement de la Commission]

[7]               Or, M. Bleau est un constable spécial régi par une convention collective. En effet, il indique dans son recours être un fonctionnaire syndiqué.

[8]               Il ne peut donc pas déposer une plainte de harcèlement psychologique à la Commission.

[9]               De plus, seul un employé non syndiqué peut soumettre un recours à la Commission en matière de mesure disciplinaire ou de relevé provisoire en vertu de l’article 33 de la LFP :

33. Un fonctionnaire non régi par une convention collective peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :

1o de son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée;

2o de sa rétrogradation;

3o de son congédiement;

4o d’une mesure disciplinaire;

5o qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée.

[…]

[Soulignement de la Commission]

[10]           La Commission a d’ailleurs rendu de nombreuses décisions dans lesquelles elle constate son absence de compétence pour entendre tout recours déposé par un fonctionnaire syndiqué[3].

[11]           Conformément à la Convention collective de travail des constables spéciaux à la sécurité dans les édifices gouvernementaux 20202028, M. Bleau peut soumettre un grief en matière de harcèlement psychologique ou de mesures disciplinaires qui pourra être tranché par un arbitre.

[12]           En conclusion, la Commission souligne qu’elle est un tribunal administratif qui n’a qu’une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est accordée expressément par le législateur[4] :

[…]

À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. […]

La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. […]

Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions – notamment de délai – il peut être introduit […].

[…]

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le recours de M. Éric Bleau.

 

 

 

 

Original signé par :

 

 

__________________________________

Mathieu Breton

 

 

 

M. Éric Bleau

Partie demanderesse

 

Ministère de la Sécurité publique

Partie défenderesse

 

Date de la prise en délibéré :

14 décembre 2023

 


[1]  RLRQ, c. N-1.1.

[2]  RLRQ, c. F-3.1.1.

[3]  Noameshie et Ministère de lImmigration, de la Francisation et de lIntégration, 2023 QCCFP 27; Corriveau et Ministère du Conseil exécutif, 2023 QCCFP 12; Levesque et Institut de la statistique du Québec, 2023 QCCFP 6; Desouvrey et Ministère de lImmigration, de la Francisation et de lIntégration, 2022 QCCFP 13; Cossette et Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2019 QCCFP 56; Benchabane et Ministère de lAgriculture, des Pêcheries et de lAlimentation du Québec, 2017 QCCFP 14; Juteau et Ministère du Travail, de lEmploi et de la Solidarité sociale, 2017 QCCFP 3, Ajaba et Régie du bâtiment du Québec, 2017 QCCFP 2; Potvin et Ministère du Développement durable, de lEnvironnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2016 QCCFP 18; Lamarche et Ministère du Travail, de lEmploi et de la Solidarité sociale, 2015 QCCFP 18; Lavoie et Ministère de la Sécurité publique, 2012 QCCFP 20.

[4]  Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale – Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421423.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.