Pioro et Office Québec-Monde pour la jeunesse

2023 QCCFP 31

 

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

2000078

 

DATE :

15 décembre 2023

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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Denis St-Hilaire

______________________________________________________________________

 

 

 

steven-Paul Pioro

Partie demanderesse

 

et

 

Office Québec-Monde pour la Jeunesse

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 33, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

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[1]                 Le 15 novembre 2023, M. Steven-Paul Pioro dépose un recours en matière de mesures administratives ou disciplinaires à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (Loi), à l’encontre de son employeur, l’Office Québec-Monde pour la jeunesse (Office).

[2]               Le 28 novembre 2023, la Commission soulève d’office son absence de compétence pour entendre ce recours puisqu’elle constate que M. Pioro n’est pas un fonctionnaire nommé en vertu de la Loi.

[3]               Afin de rendre une décision sur dossier, la Commission demande aux parties de lui transmettre par écrit, au plus tard le 11 décembre 2023, leurs commentaires concernant sa compétence à l’égard de ce recours.

[4]               La Commission indique également que le dossier sera pris en délibéré au plus tard le 12 décembre 2023.

[5]               M. Pioro fait parvenir ses commentaires le 8 décembre 2023 :

Nous avions fait nos trois plaintes à l’encontre de l’Office Québec Monde pour la Jeunesse à la CNESST à l’origine. Vous en trouverez copie dans le présent courriel. Nous avons ensuite reçu un avis de fermeture de dossier, dont vous trouverez également copie dans le présent courriel, qui spécifie que nous avons un recours « équivalent » à celui prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail. Nous joignons aussi un courriel de Mme Julie Newell, superviseure à la CNESST, qui nous indique que nos délais sont bons à la CFP.

 

Ainsi, nous avons donc fait nos demandes à la CFP, en vertu de la section des recours de la Loi sur la fonction publique. De l’avis de la CNESST, ça doit être la façon de procéder.

 

L’un ou l’autre de ces forums devrait être le bon. Si vous deviez rejeter notre demande, nous vous saurions gré d’indiquer dans vos motifs quel forum serait le bon, comme la CNESST l’a fait.

 

Vous constaterez du contrat de travail ci-joint de M. Pioro que bien qu’il ne semble pas être membre de la fonction publique québécoise, son traitement, son salaire, ses avantages sociaux et autres conditions de travail sont déterminés par règlement par le gouvernement et calqués sur la fonction publique québécoise. Il est en outre soumis aux principes d’éthique et de normes de déontologie prévus aux articles 4 à 12 de la LFP.

(Transcription textuelle)

[6]               Le 12 décembre 2023, l’Office informe la Commission, par l’entremise d’une conseillère du ministère des Relations internationales et de la Francophonie, qu’il n’a aucun commentaire à formuler concernant le recours de M. Pioro.

[7]               La Commission juge qu’elle n’a pas compétence pour entendre ce recours.

ANALYSE

[8]               En vertu de l’article 33 de la Loi, deux conditions doivent être réunies afin de pouvoir déposer un recours à la Commission en matière de mesures administratives ou disciplinaires, soit dêtre un fonctionnaire et de ne pas être régi par une convention collective :


33. Un fonctionnaire non régi par une convention collective peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :

 

1° de son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée;

2° de sa rétrogradation;

3° de son congédiement;

4° d’une mesure disciplinaire;

5° qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

 

Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée.

 

Le présent article, à l’exception du paragraphe 1° du premier alinéa, ne s’applique pas à un fonctionnaire qui est en stage probatoire conformément à l’article 13.

[9]               M. Pioro est un employé de l’Office et, à ce titre, il n’est pas un fonctionnaire, soit une personne nommée en vertu de la Loi. En effet, l’article 1 de la Loi précise la définition du terme « fonctionnaire » ainsi que le champ d’application de cette loi :


1.
 La présente loi s’applique aux personnes qui sont nommées suivant celle-ci.

 

Les personnes admises dans la fonction publique en vertu d’une loi antérieure à la présente loi sont réputées avoir été nommées suivant celle-ci.

 

Toute personne visée dans le présent article est un fonctionnaire.

[10]            La Loi prévoit d’ailleurs que les fonctionnaires sont recrutés et promus au moyen de processus de sélection conformément aux règles prescrites aux articles 42 à 54.1[2].

[11]           Pour qu’une personne soit nommée en vertu de la Loi, une disposition de la loi constitutive de l’organisme qui l’emploie doit le prévoir[3], ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.

[12]           M. Pioro est plutôt nommé conformément à l’article 26 de Loi instituant l’Office QuébecMonde pour la jeunesse[4] :

26. Les membres du personnel de l’Office sont nommés selon le plan d’effectifs établi par règlement de l’Office.

 

Sous réserve des dispositions d’une convention collective, l’Office détermine, par règlement, les normes et barèmes de rémunération, les avantages sociaux et les autres conditions de travail des membres de son personnel conformément aux conditions définies par le gouvernement.

[13]           Même si ses conditions de travail sont « calquées » sur celles de la fonction publique québécoise, ce n’est pas un fonctionnaire nommé en vertu de la Loi[5] pour autant. 

[14]           Dans le même esprit, l’article 27 de la Loi instituant l’Office Québec-Monde pour la jeunesse n’attribue pas à la Commission la compétence pour entendre le recours de M. Pioro :


27.
 Les principes d’éthique et les normes de déontologie prévus aux articles 4 à 12 de la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) et dans la réglementation adoptée en vertu de cette loi s’appliquent aux membres du personnel de l’Office.

[15]            Il indique que la Commission des normes, de léquité, de la santé et de la sécurité du travail l’a informé qu’en vertu de la Loi, il dispose d’un recours équivalent à celui prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[6] et qu’il devait ainsi s’adresser à la Commission pour en appeler de son congédiement.

[16]           La Commission n’est pas liée par l’avis d’autres organismes et elle est en désaccord avec cette position.

[17]           De plus, il ne lui revient pas de statuer sur le forum approprié, mais bien de déterminer si le recours relève de sa compétence.

[18]            La Commission a déjà établi à plusieurs reprises qu’elle n’a pas compétence pour entendre tout recours déposé par un employé qui ne détient pas le statut de fonctionnaire au sens de la Loi[7].

[19]           En conclusion, la Commission souligne qu’elle est un tribunal administratif qui n’a qu’une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est accordée expressément par le législateur[8] :

[…]

À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. […]

La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. […]

Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions – notamment de délai – il peut être introduit […]

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour entendre le recours de M. StevenPaul Pioro.

 

                                Original signé par :

 

__________________________________

 Denis St-Hilaire

 

 

Me Paul-Matthieu Grondin

Procureur de M. Steven-Paul Pioro

Partie demanderesse

 

Office Québec-Monde pour la jeunesse

Partie défenderesse

 

Date de la prise en délibéré :

12 décembre 2023

 

 

 

 

 


[1]  RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]  Voir également la Directive concernant la dotation des emplois dans la fonction publique, C.T. 225477 du 11 janvier 2022 et sa modification.

[3]  Voir à titre d’exemples les lois suivantes : Loi sur le ministère de la Culture et des Communications,

RLRQ, c. M-17.1, article 6; Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec, RLRQ, c. R-5, article 11.

[4]  RLRQ, c. O-5.2.

[5]  Aubé et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2023 QCCFP 13, par. 22-27; Carrier et Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, 2018 QCCFP 35, par. 10-11.

[6]  RLRQ, c. N-1.1.

[7]  Vachon et Commission de la capitale nationale du Québec, 2023 QCCFP 9; Migneault et Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022 QCCFP 20; Fortier et Collège de Boisde Boulogne, 2021 QCCFP 22; Potvin et Clinique vétérinaire d’Argenson, 2021 QCCFP 21; Bourmel et LotoQuébec (Casino de Mont-Tremblant), 2021 QCCFP 11; Delisle et Société des établissements de plein air du Québec, 2021 QCCFP 8; Fellah et Ville de Montréal, 2021 QCCFP 1; Laflamme et Agence du revenu du Québec, 2020 QCCFP 44; Melaven Vézina et Ville de Montréal, 2020 QCCFP 22; Boily et Société de développement de la Baie-James, 2020 QCCFP 18; Laliberté et Centre de la petite enfance Jolibois, 2020 QCCFP 17; Picard et Sylvan Adams YMYWHA, 2020 QCCFP 12; Chaput et HydroQuébec, 2018 QCCFP 37; Paquin et Société des loteries du Québec, 2018 QCCFP 9; Paré et Société des alcools du Québec, 2017 QCCFP 23; Bédard et Centre hospitalier de l’Université de Montréal, 2016 QCCFP 3; Isabelle et Agence du revenu du Québec, 2013 QCCFP 11.

[8]  Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale – Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421423.

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